LE CONCEPT ANIMAL
Chapitre 11
Il lui fallut un long moment, assis comme un idiot contre le carrelage glacé de sa salle de bain, pour se ressaisir. Il avait également attendu d'être certain que Gregory soit bien parti. Ce n'est qu'alors qu'il se redressa, chancelant, et se regarda dans le miroir.
Drago avait le visage défait, les larmes séchées traçant des sillons sur ses joues. Il avait mal aux côtes, au ventre, et ses épaules semblaient brisées par la tension qu'il ne parvenait pas à relâcher. Il lui fallait une douche, brûlante. Mais avant cela, il sortit de la salle de bain pour aller verrouiller sa porte d'entrée, ajoutant même un léger sortilège. Une sécurité dérisoire, mais essentielle.
En passant par le salon, son regard s'attarda sur la théière abandonnée. Il ne la toucha pas, mais d'un sortilège la fit léviter, ainsi que la tasse, et les déposa directement dans la poubelle de la cuisine. Le même sort fut réservé aux deux verres et à la bouteille d'alcool. Et ce serait pareil pour les vêtements qu'il portait. Tout ce qu'avait souillé Gregory devait disparaître. Il ne voulait plus rien voir, rien garder.
De retour dans sa chambre, Drago sortit un pantalon et un pull en matière douce, rassurante. Il avait besoin de cette maigre consolation. Puis, il se dirigea enfin vers la douche. L'eau brûlante ruissela sur sa peau meurtrie, et il se frotta avec une vigueur presque douloureuse, cherchant à effacer la sensation poisseuse laissée par Gregory. Chaque geste réveillait les contusions, mais il n'en avait cure. Il devait se purifier, coûte que coûte.
Il rageait intérieurement, furieux de l'impact que ces baisers, ces gestes avaient sur lui. D'autres personnes, de son âge ou non, monnayaient leur corps sans sourciller. Et lui ? Lui, il pleurait sous un simple baiser ? Pathétique. Mais, à la différence de ces gens, il ne tirait aucun profit de ce qu'il avait subi. Lui, il ne gagnait rien. Il perdait tout. Chaque seconde passée sous le contrôle de Gregory lui arrachait un morceau de son être.
Une haine profonde, viscérale, bouillonna en lui. Il souhaita la mort de Gregory avec une telle intensité qu'un Doloris lancé de sa propre main aurait probablement été mortel.
Plus tard, une fois lavé, changé, et assis dans son salon, Drago resta immobile, la tête enfouie dans ses mains. Son crâne lui faisait un mal de chien, ses pensées tournaient en boucle. Il savait qu'il devait manger quelque chose, mais il n'avait pas faim. Il était accablé par sa propre misère, un poids insoutenable écrasant sa poitrine.
Soudain, la sonnette retentit, brisant sa pseudo-quiétude. Drago sursauta, son cœur s'emballant aussitôt. Qui cela pouvait-il être ? Pas Gregory, c'était certain. Il n'aurait pas eu la politesse de sonner. Il aurait simplement défoncé la porte.
Prudemment, Drago se leva et s'approcha de l'entrée. Il regarda à travers le judas, puis poussa un soupir à fendre l'âme.
Il ouvrit la porte, exaspéré.
— Harry Potter, qu'est-ce que tu veux ?
Sa voix était plus basse, plus brisée et lasse qu'il ne l'aurait cru.
De l'autre côté, Harry le fixait, une certaine nervosité dans le regard. Ses yeux balayèrent l'intérieur, par-dessus l'épaule de Drago, comme s'il cherchait quelque chose.
— Tu vas bien ? demanda Harry, son ton étonnamment sérieux.
— Pardon ? répondit Drago, incrédule.
— Pansy m'a appelé, finit-il par dire. Elle m'a dit que Gregory devait passer chez toi ce soir.
Drago sentit son estomac se contracter, mais il fronça les sourcils, jouant la surprise.
— Et quoi, tu vas rappliquer à chaque fois qu'une fille s'inquiète ? Et puis c'est quoi ton problème ? Gregory peut bien aller où il veut, ça ne te regarde pas.
— Elle m'a dit que vous aviez… des rencontres. Et que ce soir, c'était prévu chez toi, autour de vingt heures.
Le cœur de Drago rata un battement. Il resta un instant figé, puis éclata d'un rire froid et moqueur.
— Tu crois tout ce qu'elle te raconte maintenant ? Elle adore inventer des histoires pour se rendre intéressante. Gregory n'a rien à faire ici, et encore moins avec moi.
Harry resta silencieux, scrutant Drago comme s'il cherchait à lire à travers lui. Il plissa même les yeux.
— Tu mens, dit-il finalement, sa voix calme mais tranchante.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Pourquoi je mentirais ? Tu te crois à Poudlard avec tes interrogatoires ? Va t'occuper de tes affaires, Potter.
— Ce n'est pas une affaire de Poudlard, c'est une affaire de sécurité, rétorqua Harry. Pansy jure que Gregory a un comportement étrange, qu'il est… obsessionnel. Qu'il est obsédé par toi. Elle s'inquiète, et je peux voir que quelque chose ne va pas.
Drago chercha quoi dire, comment briser cette réalité, mais rien ne lui vint. Harry en profita pour avancer d'un pas, réduisant la distance entre eux.
— Il est venu plus tôt, n'est-ce pas ? demanda Harry doucement.
Drago secoua la tête, comme pour repousser l'idée.
— Il n'y a personne ici, Potter. Tu perds ton temps.
— Pourquoi tu as verrouillé ta porte, alors ? Avec de la magie ? demanda Harry, son ton tranchant. Personne qui ne se sente en sécurité, fait ça.
La remarque frappa Drago en plein coeur.
— Je suis Drago Malefoy, bien sûr que j'ai besoin de sécurité, répliqua-t-il, sa voix tremblante malgré lui.
Harry avança encore, son visage sérieux.
— Est-ce qu'il t'a fait du mal ?
— Non ! lâcha Drago, presque trop vite.
— Regarde-moi et dis-le, insista Harry, ses yeux fixant Drago avec une intensité désarmante.
Drago croisa son regard, mais il ne put soutenir cette attention. Il détourna les yeux, son masque de mépris fissuré.
— Pars, Potter, murmura-t-il. C'est ma vie, pas la tienne.
— Ta vie n'est pas censée ressembler à ça, répliqua Harry. Si tu me dis la vérité, je peux t'aider.
— M'aider ? Tu es venu ici pour quoi, exactement ? Pour jouer au héros ? Crois-moi, il n'y a pas de dragon à sauver.
Harry serra les poings, mais il garda son calme.
— Tu ne peux pas continuer comme ça. Pansy ne m'a pas tout dit, mais elle était inquiète. Et moi aussi, maintenant. Je ne comprends pas où tu veux aller avec une telle attitude.
Drago se raidit, ses traits se durcissant.
— Tu ne sais rien. Alors, fiche-moi la paix et pars.
Harry, malgré la tentative de Drago de refermer la porte, posa une main ferme sur le battant pour l'empêcher de se claquer complètement.
— Je ne pars pas, déclara-t-il, sa voix calme mais déterminée.
Drago serra la mâchoire, ses yeux lançant des éclairs.
— Tu es sourd ou quoi ? Je t'ai dit de dégager.
— Non, répondit simplement Harry.
Il força légèrement sur la porte et Drago trop fatigué pour résister, recula d'un pas. Harry entra, refermant derrière lui, et croisa les bras en scrutant l'appartement d'un regard circulaire.
— Je vais très bien, Potter, dit Drago avec un sarcasme acide. Tu peux rentrer chez toi dormir sur tes deux oreilles.
— Très bien ? répéta Harry en haussant un sourcil. Alors explique-moi pourquoi Pansy était à deux doigts de paniquer quand elle m'a appelé.
Il secoua juste la tête.
— Explique-moi aussi pourquoi tu es dans cet état, ajouta Harry, désignant d'un geste vague le visage défait de Drago et ses épaules affaissées.
— Ce n'est rien, juste… une mauvaise journée, murmura-t-il en évitant son regard.
— Une mauvaise journée ou plutôt soirée qui implique Gregory Goyle, c'est ça ?
Le nom suffit à faire raidir Drago. Il ne répondit pas, mais le léger tressaillement de ses doigts trahissait son malaise.
— Il était là, pas vrai ? reprit Harry.
Drago éclata d'un rire nerveux.
— Tu devrais vraiment cesser de jouer les Aurors, Potter. Tu n'es plus en service, alors arrête de fouiner.
Harry ne se laissa pas démonter.
— Drago, écoute-moi. Si Goyle t'a fait quoi que ce soit…
— Pour la seconde fois, il ne m'a rien fait ! coupa Drago, sa voix se brisant légèrement.
— Et pour la millième fois, pourquoi es-tu dans cet état ? insista Harry, son ton plus pressant.
Drago détourna les yeux, ses bras se croisant comme pour se protéger. Harry soupira profondément, prenant un instant pour maîtriser son irritation.
— Je suis là parce que je m'inquiète. Pansy s'inquiète. Et les Aurors qui l'ont vu sortir d'Azkaban l'ont trouvé bizarre. Il n'est pas normal. Si quelque chose se passe, si tu es en danger…
— Je ne suis pas en danger, d'accord ? coupa-t-il.
— Alors explique-moi ! cria-t-il presque en réponse. Si tout va si bien, pourquoi tu verrouilles ta porte ? Pourquoi tu as l'air d'avoir vu un Détraqueur ?
— Je suis fatigué, lâcha-t-il enfin, presque inaudible. C'est tout.
— Non, ce n'est pas tout, dit-il plus doucement.
Il fit un pas de plus et Drago recula d'un pas également.
— Drago, tu peux me parler. Tu n'as pas besoin de gérer ça seul. Je crois te l'avoir déjà dit ? Je ne te porte pas rancune pour… le passé. Je sais que tu as changé, je le vois bien. Je veux t'aider.
Drago releva les yeux vers lui, et pour la première fois, Harry vit une lueur de fragilité dans son regard.
— Tu ne comprends pas, murmura Drago, sa voix tremblante.
— Alors aide-moi à comprendre.
Un long silence s'installa, Drago hésitant visiblement entre céder et se refermer complètement. Finalement, il inspira profondément et s'écarta pour avancer dans son salon.
— Il… il est obsédé c'est vrai, avoua-t-il à voix basse, presque comme un secret qu'il avait honte de partager.
Harry fronça les sourcils, mais ne dit rien, le laissant continuer.
— Il joue avec le passé, murmura-t-il, les mots lui arrachant la gorge. Pour mieux me contrôler.
Sa voix se brisa sur la dernière phrase, et il se passa les deux mains sur le visage, des images de la soirée lui vrillant la conscience.
Harry resta à sa place, sans bouger, prenant la mesure de la situation.
— Drago… qu'est-ce qu'il t'a fait ? demanda-t-il lentement.
— Rien que je ne mérite pas…
— Tu dis qu'il joue avec le passé… Qu'est-ce qu'il te dit pour que tu en viennes à croire que tu mérites tout ça ?
Drago haussa les épaules.
— Vincent Crabbe, murmura-t-il finalement.
Ce fut tout ce qu'il consentit à dire avant d'aller s'affaler sur son canapé. Harry resta figé un instant, assimilant cette révélation. Tout sembla se mettre en place dans son esprit. Vincent Crabbe, oui. Ce n'était pas la première fois que Drago exprimait des remords concernant cet événement. Après la bataille de Poudlard, durant le procès, Harry l'avait déjà vu brisé, rongé par la culpabilité.
Il n'avait pas fait son deuil, songea-t-il. Peut-être même qu'il n'en avait jamais eu la chance.
Prenant une grande inspiration, Harry osa s'asseoir à côté de lui, laissant un espace respectueux entre eux.
— Ce n'est pas ta faute, ce qui est arrivé, dit-il doucement.
— Bien sûr que si, soupira Drago, le regard perdu. C'est moi qui l'ai mené à cette extrémité.
— Drago, on était des gosses. On l'est encore, en quelque sorte. Tu étais cerné par ton père, par Voldemort, par la Marque des Ténèbres… Je ne dis pas que tu n'as pas fait des choses horribles, mais tu avais des circonstances atténuantes.
— Arrête avec ta pitié mal placée, je ne veux pas l'entendre, lâcha Drago avec agacement.
— Pourtant, tu devrais ! répliqua Harry avec une véhémence inhabituelle. Tu crois que tout le monde te déteste, mais ouvre les yeux ! Il y a beaucoup de gens qui t'ont pardonné. Et même mieux : la plupart s'en fichent de toi, maintenant. Chacun essaie de se reconstruire, de passer à autre chose. Pourquoi tu n'essaies pas, toi ?
Drago releva brusquement la tête et se leva même tout court, incapable de rester en place.
— Tu te fous de moi, Potter ? Tu crois que je me complais là-dedans ? À chaque fois que j'ai osé croire que j'avais, moi aussi, le droit à une nouvelle vie, quelqu'un est venu me cracher au visage !
Il se mit à arpenter la pièce comme un lion en cage, sa voix montant avec chaque mot.
— Tu veux que je te parle de ma nouvelle vie ? Il y a des gens dans la rue qui m'insultent quand ils me reconnaissent. Mes propres parents ne me parlent plus depuis le procès. Mon travail au Ministère ? C'est une blague ! On m'a coincé dans un poste sans avenir, isolé, sans possibilité d'évolution, sans personne avec qui parler.
Il s'arrêta soudain, faisant volte-face pour planter son regard dans celui de Harry.
— Tu sais quoi, Potter ? J'en viens à me dire que j'aurais préféré faire de la prison. Au moins, là-bas, j'aurais purgé une peine, et peut-être qu'aujourd'hui on me ficherait la paix. Mais non. Non ! Pas du tout !
Il se détourna, passant une main tremblante dans ses cheveux, le souffle court.
Harry resta silencieux, laissant Drago déverser sa colère, ses frustrations. Il voyait bien que, sous cette façade enragée, il y avait une douleur immense, un désespoir écrasant.
— Drago… commença-t-il prudemment, mais il fut immédiatement interrompu.
— Tais-toi ! aboya Drago, sa voix brisée par l'émotion. Tu crois tout savoir, mais tu ne comprends rien. Rien !
Il se laissa à nouveau tomber sur le canapé, enfouissant son visage dans ses mains. Ses épaules tremblaient légèrement, et Harry comprit qu'il pleurait, silencieusement.
Harry hésita un instant, cherchant ses mots.
— Je ne prétends pas tout comprendre, murmura-t-il finalement. Mais je sais ce que c'est, la culpabilité. Et je sais que tu n'es pas obligé de porter ça seul.
Drago ne répondit pas. Harry resta là, silencieux, respectant cette tempête intérieure qu'il ne pouvait qu'effleurer.
Le silence s'étira entre eux, pesant mais étrangement pas désagréable. Harry observait Drago, cherchant le bon moment pour parler à nouveau. Ce dernier restait immobile, la tête toujours enfouie dans ses mains, ses épaules tremblant faiblement.
— Tu n'as pas à porter tout ça seul, Drago, répéta Harry doucement. Personne ne devrait.
Drago secoua la tête, ses mains glissant sur son visage pour attraper ses cheveux, les tirant légèrement comme s'il essayait de se contenir.
— Arrête… murmura-t-il.
— Arrêter quoi ? demanda Harry, sa voix aussi douce qu'un murmure.
— Arrête d'être gentil, répondit Drago, levant enfin la tête. Son visage était ravagé par les larmes, ses yeux rouges, cernés. Je ne le mérite pas.
— Ce n'est pas toi qui décides ça, dit-il calmement en secouant un peu la tête.
— Mais c'est la vérité ! explosa Drago, son ton oscillant entre la colère et le désespoir. Je ne mérite rien d'autre que ce qui m'arrive. Gregory… les autres… tout ça, c'est exactement ce que je mérite. Tu sais pourquoi ? Parce que j'ai été un monstre, Potter ! Toute ma vie, j'ai été cette personne horrible, détestable, et regarde où ça m'a mené. Alors oui, je mérite tout ça !
Harry se redressa légèrement, sans le quitter des yeux.
— Non, Drago. Ce que tu as fait ou été ne définit pas ce que tu mérites maintenant. Tout le monde fait des erreurs, des choses qu'il regrette. Ça ne veut pas dire que tu dois passer le reste de ta vie à en payer le prix.
Drago éclata d'un rire amer, presque hystérique.
— Tu ne comprends rien… Tu ne sais pas ce que c'est…
— Peut-être pas, concéda Harry, mais je sais reconnaître quelqu'un qui souffre. Et toi, tu souffres tellement, depuis si longtemps que tu crois que c'est tout ce que tu mérites et que c'est surtout la seule chose qui existe.
Drago ne sut quoi répliquer. Ses mains se crispèrent sur ses genoux, et il détourna le regard, ses traits se tordant sous le poids des émotions qui débordaient.
Harry tendit une main hésitante et la posa sur son épaule.
— Tu peux lâcher prise, murmura-t-il.
C'était trop. Ces mots, ce geste, cette gentillesse insupportable. Il sentit les dernières digues de sa volonté céder. Un sanglot secoua son corps avant qu'il ne puisse le réprimer, puis un autre, plus fort cette fois.
— Je… Je n'en peux plus, Potter, lâcha-t-il enfin, sa voix brisée.
Harry serra doucement son épaule, le laissant parler, le laissant pleurer.
— Tout va mal, continua Drago entre deux sanglots. Je suis seul, je suis bloqué, je… Je ne vois pas comment m'en sortir. Et Gregory…
Il s'interrompit, sa respiration saccadée, comme si prononcer ce nom était un effort insurmontable.
— Gregory quoi ? demanda-t-il doucement.
— Je ne veux pas en parler.
Sa voix tremblait légèrement, mais il maintint son ton ferme, comme un rideau qu'il tirait pour clore le sujet. Harry observa Drago un instant, son regard plein de doutes, mais il comprit qu'il n'obtiendrait rien de plus pour le moment.
— D'accord, acquiesça-t-il, laissant la tension s'apaiser.
Il détourna légèrement la conversation, cherchant un moyen de l'éloigner de cette spirale d'angoisse.
— Tu as mangé quelque chose aujourd'hui ? demanda-t-il avec un ton presque désinvolte.
Drago fronça les sourcils, déstabilisé c'est vrai.
— Hein ? Non… Je n'ai pas faim.
Harry tapa ses mains sur ses cuisses et se leva du canapé avec une énergie nouvelle.
— C'est bien ce que je pensais. Allez, je vais préparer quelque chose.
— Quoi ? Non, protesta Drago faiblement, mais Harry ne lui laissa pas le temps de se récrier davantage.
— Tu as besoin de te changer les idées, pas de rester ici à te ronger les sangs. Et crois-moi, on réfléchit mieux le ventre plein.
Drago resta un instant immobile, le regard fixé vers la cuisine où Harry fouillait déjà dans ses placards avec une familiarité qui l'irrita autant qu'elle le réconforta.
— Potter, soupira-t-il, pourquoi tu fais ça ?
Harry revint dans l'embrasure avec un sourire mi-amusé, mi-sérieux.
— Parce que tu as besoin d'aide. Et que ça commence parfois par un repas chaud et quelqu'un avec qui parler.
Drago se redressa légèrement, hésitant entre le repousser et se laisser aller à ce curieux élan de gentillesse.
— Tu sais cuisiner, toi ? demanda-t-il enfin, avec un cynisme qui masquait mal son épuisement.
— Pas vraiment, mais je sais faire des trucs basiques. Et puis, vu l'état de ton frigo, je vais improviser.
Drago roula des yeux, mais il se laissa retomber contre le dossier du canapé, incapable de trouver la force de résister. Il lança un léger sort qui débarbouilla son visage des larmes. Harry ouvrit quelques placards, attrapant des pâtes et une boîte de sauce qu'il déposa sur le plan de travail. Il devinait que Drago était du genre à manger dehors la plus part du temps ou à acheter des plats déjà cuisinés, contrairement à lui qui attachait beaucoup d'importance à la cuisine faite maison.
— C'est pathétique, murmura Drago, plus pour lui-même que pour Harry.
Il fit d'ailleurs sursauter ce dernier. Il s'était levé et s'était glissé comme une ombre pour le regarder faire, s'assurant qu'il ne salisse pas tout.
— Pas du tout, répondit Harry sans se retourner. C'est juste… la vie. Et parfois, la vie craint. Mais ça ne veut pas dire qu'elle reste toujours comme ça.
Drago garda en silence, ses émotions toujours à fleur de peau, mais cette simple scène : Potter, dans sa cuisine, agissant comme s'ils étaient des amis, avait quelque chose de ridiculement apaisant.
Un temps plus tard, Harry acheva sa préparation, aidé d'un peu de magie c'est vrai et apporta deux assiettes fumantes. Il les posa sur la table basse du salon et s'assit au sol, invitant Drago à faire pareil. Il s'exécuta, se passant une dernière fois dans les mains sur le visage.
— Voilà. Ce n'est pas de la grande cuisine, mais ça fera l'affaire.
Drago fixa son assiette et haussa légèrement les épaules.
— Merci, murmura-t-il, presque inaudible.
Harry hocha la tête, prenant une bouchée avant de répondre.
— Pas besoin de me remercier. Mange, c'est tout.
Et pour la première fois depuis des semaines, peut-être des mois, Drago se laissa aller à l'instant, à la chaleur de la nourriture et à cette étrange impression qu'il n'était plus tout à fait seul.
D'un sortilège silencieux, Harry actionna même la radio, laissant se diffuser une émission à la mode du moment, qu'ils écoutèrent sans parler.
Harry fut soulager mais aussi un peu étonné de le voir manger sans ronchonner par rapport au contenu. C'était simple, pas dressé et il s'attendait à un peu de cynisme. Mais Drago avait l'air épuisé, à deux doigts de ne plus se relever. Si Gregory était bien passé le voir avant sa propre venue, Harry s'inquiéta du traitement qu'il lui réservait. Envers et contre Drago, il se promit d'enquêter réellement sur Gregory et ses agissements depuis sa sortie d'Azkaban.
Le repas se poursuivit, presque paisible. La radio jouait en arrière-plan, une émission légère où deux sorciers débattaient des nouvelles tendances en matière de potions énergétiques. Drago mangeait lentement, sans un mot, sans montrer aucune hostilité non plus.
Quand il eut terminé la moitié de son assiette, il se recula contre le dossier du canapé, les yeux mi-clos. Harry hésita un instant avant d'utiliser un sort pour faire disparaître les assiettes dans l'évier.
— Ce n'était pas si terrible, murmura finalement Drago.
Harry se tourna vers lui, surpris par cette remarque presque douce, puis sourit légèrement.
— Pas le compliment du siècle, mais je prends.
Drago esquissa un mince sourire, mais il ne dura qu'une fraction de seconde. Son visage redevint sérieux, l'ombre de ses pensées pesant à nouveau sur ses traits. Harry décida de ne pas le brusquer.
Ils restèrent ainsi, côte à côte sur le canapé, sans se parler, à écouter la radio. Drago laissait la tension de cette soirée retomber lentement. Il n'oubliait rien de ce que lui avait fait subir Gregory, mais pour l'instant, grâce à la présence d'Harry Potter il parvenait à temporiser son angoisse. Il coula un mince regard sur lui et remarqua qu'Harry n'avait cessé de le fixer. D'ailleurs, il brisa le silence :
— Écoute, commença-t-il, hésitant. Si tu veux, je peux repasser demain soir. On pourra encore manger ensemble. Ou discuter. Ou… rien du tout, si c'est ce que tu préfères.
— Pourquoi tu ferais ça ? Qu'est-ce que ça t'apporte ?
Harry soutint son regard, honnête et direct.
— Je pense que ça te fera du bien de ne pas rester seul et puis… Je suis curieux de traîner un peu avec toi. Je crois que… que tu mérites à être connu.
— N'importe quoi.
— Prends le compliment Drago, plutôt.
Drago le fixa un moment, comme s'il cherchait à déceler une arrière-pensée ou une moquerie dans ses paroles, mais il n'y trouva rien.
— Tu es bizarre, Potter, conclut-il.
— Et toi insupportable, répliqua Harry avec un sourire en coin. On est quittes.
Un soupir las échappa à Drago, mais il ne chercha pas à protester davantage.
— Fais comme tu veux, dit-il simplement, en grimpant dans son canapé, pour s'y enfoncer.
Harry se détendit, satisfait de cette petite victoire. Il jeta un coup d'œil à l'horloge.
— Je vais te laisser te reposer, dit-il en se levant. Mais je serai là demain, d'accord ? Vers la même heure.
Drago hocha la tête sans le regarder. Une hallucination douce bourdonnait à son oreille. La voix de sa mère qui se voulait roucoulante, rassurante. Cela lui fit du bien.
— Bonne nuit, Drago.
— Bonne nuit, Potter.
Harry enfila sa veste et quitta l'appartement, sans bruit ni cérémonie. Lorsque la porte se referma derrière lui, Drago resta figé sur le canapé, son regard perdu dans le vide. L'épuisement pesait lourd sur lui, chaque fibre de son être criait son désarroi. Pourtant, au milieu de ce chaos intérieur, une sensation étrange se fit sentir, comme une minuscule fissure dans l'épaisse carapace de désespoir qui l'étouffait.
Peut-être, se surprit-il à penser en fermant les yeux, que demain ne sera pas trop horrible.
Mais cette lueur d'espoir fut aussitôt balayée par la marée noire des souvenirs de la soirée. Les sensations revinrent avec une brutalité écœurante : les lèvres de Gregory, son souffle contre son visage, sa main sur son épaule. Chaque endroit où il l'avait touché le brûlait comme une marque indélébile. Et puis, il y avait la douleur physique, sourde et lancinante, des coups reçus.
Un frisson le parcourut de la tête aux pieds, et il se redressa brusquement, pris d'une nausée violente. Sa gorge se serra alors qu'il maudissait Harry pour lui avoir servi un plat aussi consistant. Après ce qu'il avait vécu, son estomac n'aurait jamais dû supporter un tel repas.
Drago fit les cent pas dans son salon, espérant que le mouvement suffirait à apaiser son malaise. Mais chaque pas semblait le rapprocher davantage du point de rupture. Incapable de calmer les spasmes qui secouaient son corps, il dut finalement se résoudre à se diriger vers les toilettes.
Vide, cassé, épuisé, il s'en alla directement se coucher. Au moins dormit-il comme une souche, tellement il n'en pouvait plus.
La journée suivante fut particulièrement éprouvante. Drago se sentait toujours aussi épuisé, son corps endolori par de nouveaux hématomes. Malgré tout, il alla au travail et accomplit ses tâches sans broncher, dissimulant ses douleurs derrière un masque d'impassibilité.
Toutefois, une pensée occupait son esprit : Harry devait passer le voir ce soir. Cette perspective le laissait partagé. D'un côté, il était rassuré à l'idée de ne pas passer la soirée seul, d'autant plus qu'une partie de lui redoutait que Gregory ne surgisse à l'improviste. Mais d'un autre côté… il ne savait pas quoi penser de ce temps avec Harry.
Ils n'étaient pas vraiment amis, bien qu'ils s'entendent étonnamment bien. Où cela les mènerait-il s'ils continuaient ainsi ? Une inquiétude sourde le rongeait : une fois qu'Harry aurait l'impression qu'il va mieux, est-ce qu'il disparaîtrait comme tant d'autres ? Drago n'était pas sûr de pouvoir encaisser encore un abandon. Sa vie était déjà assez misérable ces derniers temps pour ne pas en rajouter.
Par politesse il passa acheter de quoi manger. Il ne voulait pas qu'Harry refasse la cuisine chez lui. Et lui-même ne savait pas vraiment préparer un repas. Ça ne l'intéressait pas d'ailleurs.
Une fois chez lui, il se plongea de nouveau dans la lecture des documents sur le Doloris. Il connaîtrait bientôt tout le vocabulaire relatif aux maux psychiatriques et neurologiques. Cela l'obsédait et l'apaisait un peu de saisir tout ce qui lui arriverait. Par contre, se dit-il en reposant négligemment les documents, il n'était pas question qu'il devienne fou au point d'entrer à Sainte-Mangouste.
Connecté à ses pensées, l'ombre de Vincent émit un petit rire, appuyé avec nonchalance sur l'accoudoir d'un fauteuil en face de lui.
— Lorsque tu comprendras que tu as touché le fond Drago, ça sera trop tard si tu veux mon avis. Tu seras déjà saucissonné sur un lit à Sainte-Mangouste.
— Mais ça n'arrivera pas, rétorqua Drago avec autant d'assurance que possible.
— Qui sait ? Mais va, je ne t'abandonnerai pas, moi. Même dans un box de l'hôpital, je serai là. À veiller sur toi.
L'ombre de Vincent s'évapora, mais une voix se glissa dans son oreille, lui arrachant un frisson :
— Toujours près de toi à veiller sur ta folie. Ta folie douce.
Il se frotta les oreilles et se leva, pour mieux cacher tous ces papiers. Drago tourna encore un peu en rond dans son appartement, saisit d'une angoisse, puis se rassit.
Il s'était assoupi lorsqu'Harry Potter sonna à la porte. Drago se leva sans se presser et alla ouvrir, le visage encore marqué par la fatigue. Il avait l'air légèrement pâlot, mais Harry ne sembla pas le remarquer.
— Salut, Drago, lança-t-il avec un brin de gêne. Tu pensais que j'aurais oublié pour ce soir ?
— Je ne pensais rien du tout. Entre.
Drago abandonna la porte pour retourner dans le salon. Comme un chat, il se réinstalla sur son canapé, parfaitement à l'aise dans son espace. Harry referma la porte derrière lui et retira sa veste. Bien que ce ne soit pas sa première visite ici, il persistait à tout observer avec une curiosité discrète mais évidente.
— Comment tu vas ? demanda Harry.
— Comme après une journée de travail, répondit Drago en haussant légèrement les épaules. Et toi ?
— Moi ? Euh… ça va aussi.
Malgré son initiative de venir ici pour tisser un lien, Harry semblait plus embarrassé que Drago. Ce dernier pour une fois, n'eut ni l'envie ni l'énergie de se moquer.
— Je suis passé acheter de quoi manger ce soir, reprit Drago. Je ne tiens pas à ce que mon appartement sente encore la cuisine.
— Que tu es précieux ! Alors pourquoi tu avais des pâtes l'autre soir ?
Drago sembla réfléchir un instant, passant un doigt le long de son nez, un geste caractéristique.
— Parfois, je suis pris d'une envie irrésistible de cuisiner… Mais ça ne va jamais plus loin que l'achat des ingrédients. Une fois rentré, cette envie disparaît aussitôt. Et puis… je ne saurais même pas cuire des pâtes correctement.
L'anecdote fit sourire Harry, qui secoua la tête, amusé.
— Je pourrais te montrer si tu veux ?
— Non, répondit sèchement Drago. Cuisiner ne m'intéresse pas vraiment. Juste, l'idée me plaît. Je ne suis pas un elfe de maison.
Le ton hautain et détaché du Serpentard refit surface, rappelant son ancienne arrogance. Cela arracha un sourire à Harry, et Drago lui-même sembla presque soulagé de retrouver une version de lui-même qu'il connaissait mieux.
— Eh bien, on se contentera de ce que tu as acheté, monseigneur, plaisanta gentiment Harry.
Drago souffla, feignant d'être vexé, puis se leva pour aller chercher les plats qu'il avait pris. Il entendit Harry allumer la radio dans son dos. Lorsqu'il revint avec de quoi dîner, il haussa un sourcil en posant la question :
— Pourquoi tu l'allumes ?
— Je n'aime pas trop le silence, avoua Harry simplement.
Drago posa les plats sur la table et, malgré lui, il apprécia cette petite touche de vie supplémentaire.
Harry s'installa en observant Drago qui s'asseyait en face, avec la même grâce détachée qu'il affectait toujours, bien que ses gestes trahissent une fatigue difficile à masquer. Ils commencèrent à manger en silence, bercés par la musique légère de la radio.
— Gregory est souvent dans les parages ? demanda doucement Harry, comme s'il n'y avait rien de menaçant dans cette question.
Drago releva les yeux, un éclair de méfiance brillant dans son regard.
— Pas vraiment, répondit-il, la voix ferme. Et je préfèrerais qu'on n'en parle pas.
Harry le regarda un instant, s'excusa à voix basse.
— D'accord, admit-il. On parle d'autre chose, alors.
Drago hocha légèrement la tête, soulagé, et ils continuèrent à manger. Après un moment, Harry reprit la parole.
— Parfois, je me demande si les choses auraient été plus simples si la guerre avait duré plus longtemps, dit-il, le ton pensif.
— Comment ça ? demanda Drago, surpris.
Harry haussa les épaules, jouant distraitement avec sa fourchette.
— Pendant la guerre, tout était clair, tu vois ? Il y avait un objectif, un ennemi, quelque chose à combattre. Maintenant… Je suis censé vivre une vie normale, m'occuper de choses banales, et honnêtement, je ne sais pas comment faire. C'est comme si le danger me manquait presque.
Drago fronça les sourcils, ses lèvres s'étirant en une moue sarcastique.
— Potter, je crois que tu es le seul imbécile à regretter la guerre.
Harry rit légèrement, mais son sourire était teinté d'amertume.
— Je ne regrette pas la guerre, corrigea-t-il. Je regrette… la simplicité qu'elle apportait. Tout était noir ou blanc. Maintenant, tout est… compliqué.
Drago secoua la tête, son expression s'adoucissant légèrement.
— Moi, je donnerais tout pour une vie simple et ordinaire. Me lever, aller travailler, rentrer chez moi, retrouver une personne que j'aime… Et surtout ne pas craindre que quelqu'un vienne défoncer ma porte ou m'insulter dans la rue. Je voudrais juste… respirer. Mais c'est comme si Merlin avait décidé que je ne méritais pas ça.
Harry le regarda avec attention, notant l'amertume dans sa voix.
— Tu penses vraiment que tu ne mérites pas une vie normale ?
Drago soupira, baissant les yeux sur son assiette.
— Peut-être pas, non. Après tout ce que j'ai fait, tout ce que je représente… La plupart des gens seraient d'accord.
Harry fronça les sourcils, posant ses couverts avec un soupir.
— Les gens n'en savent rien. Et s'ils te jugent encore pour le passé, c'est leur problème, pas le tien. Regarde-moi, Drago. Si j'arrive à me tenir là, à dîner avec toi, après tout ce qu'on a vécu… ça veut bien dire que c'est possible, non ?
— Peut-être que toi, tu as réussi à pardonner, mais les autres ne sont pas toi, Potter.
— Non, mais ce que pensent les autres ne devrait pas dicter ta vie.
Drago souffla, déjà las de cette conversation.
— C'est très facile de dire ça… Mon quotidien reste lourd quoi que tu en penses.
Puis il changea de sujet :
— Blaise dont les oreilles trainent partout m'a dit que tu étais avec une des filles Weasley, non ? Tu ne peux pas avoir une vie si désastreuse.
Harry parut surpris qu'il s'intéresse à ce genre de choses, mais répondit avec un léger sourire.
— Ginny et moi, c'est fini. Ça n'a pas fonctionné. Elle voulait quelque chose que je n'étais pas prêt à lui donner… ou que je ne pouvais pas.
Drago haussa un sourcil, intrigué.
— Quoi, un héros éternel ?
Harry rit, cette fois franchement, un éclat léger qui éclaira son visage d'une manière que Drago ne put s'empêcher de remarquer, bien qu'il n'en laissa rien paraître.
— Non. Une vie normale.
Ils restèrent silencieux un instant. Harry sous-entendait quelque chose que Drago n'était pas encore en mesure de comprendre.
— Peut-être que j'ai encore du mal à savoir ce que je veux vraiment, reprit Harry doucement. Toi, au moins, tu sais ce que tu veux.
Drago se renfrogna, son regard se perdant quelque part au-delà d'Harry.
— Je sais ce que je veux, mais c'est hors de portée.
— Rien n'est hors de portée, dit-il d'une voix posée.
Drago tourna la tête vers lui, ses yeux clairs perçant les siens avec une intensité presque brutale.
— Potter, ce genre de discours plein de naïveté, je m'en passerai pour l'instant. Je ne crois ni en la méritocratie ni dans le pardon universel. Quoi que je veuille, beaucoup de mes choix imposés ou non dans le passé rendent et rendront mon quotidien plus lourd à porter… C'est comme ça. Je vivrai avec ce poids.
On ne pouvait nier la noblesse du personnage qu'incarnait Drago en disant cela, un éclat de résilience teinté d'amertume, comme un homme ayant accepté une peine qu'il estimait mériter. Harry face à lui en était admiratif. Il prenait réellement le temps de regarder au-delà de ce que le masque Serpentard avait bien voulu lui offrir à voir. Drago était plus complexe, un genre de garçon attaché à une tradition familiale ; brisé mais debout, étrangement beau dans sa manière d'affronter le monde. Alors oui Harry le trouvait fascinant, presque magnétique.
— Tu me fascines, lâcha-t-il avant de pouvoir se retenir.
Drago releva les yeux, pris au dépourvu, et il haussa un sourcil croyant en du cynisme.
— Pardon ?
Harry sentit une chaleur monter à ses joues, mais il décida de ne pas se défiler.
— Je veux dire… la façon dont tu vois les choses. Même avec tout ce que tu as vécu, tu tiens debout. C'est… impressionnant.
Drago le fixa un instant, puis éclata d'un rire bref.
— Impressionnant ? Tu dois avoir une définition bien basse de ce mot.
— Non, insista Harry. Tu crois que tu es seul à porter un poids, mais ce n'est pas vrai. On en porte tous, chacun à notre manière. Mais toi… Tu le fais avec une certaine grâce, une dignité.
Drago se renfrogna de nouveau, mal à l'aise.
— Je crois que tu me surévalues, Potter. Je ne suis ni gracieux ni digne. Je suis juste… un survivant parmi d'autres.
Harry ne répondit pas tout de suite, mais il ne pouvait s'empêcher de remarquer à quel point Drago sous-estimait la force qu'il dégageait, même dans ses moments de faiblesse. C'était comme s'il y avait en lui un éclat de lumière étouffé par les ombres, mais toujours présent. Gregory voyait sans doute la même chose et tentait de l'étouffer ou du moins de ne garder cette lumière que pour lui.
— Survivre, c'est déjà quelque chose, murmura-t-il.
Drago détourna les yeux, ses traits se durcissant légèrement.
— Tu es bien plus sentimental que je ne l'imaginais, Potter.
— Et toi bien plus captivant que je ne l'aurais pensé, répliqua Harry, un sourire en coin.
Drago le fixa, interdit, comme si cette remarque venait de dérailler toute sa perception de la conversation. Il ne sut quoi répondre, alors il se contenta de secouer la tête et de se lever pour débarrasser leurs assiettes.
— Tu es franchement pas net.
Harry se contenta de le regarder, un sourire léger aux lèvres, sachant que Drago était loin de comprendre tout ce qui se passait dans son esprit. Mais il voulut pousser un peu la conversation.
Alors, quand Drago revint avec une élégance nonchalante, apportant deux tasses de café qu'il posa sur la table basse, Harry reprit, comme s'il s'agissait d'une question anodine :
— Et toi alors, les amours ? Tu es avec Pansy ?
Drago leva un sourcil, mi-agacé, mi-amusé.
— Ah, que Merlin m'en préserve. Pansy est mon amie la plus proche, mais ça s'arrête là.
Harry esquissa un sourire.
— Alors une autre personne ?
Drago secoua la tête, calmement, comme si la question ne l'ébranlait pas le moins du monde.
— Je n'ai jamais envisagé de relation amoureuse purement romantique, expliqua-t-il. J'ai vécu toute ma vie dans l'idée que mes parents choisiraient ma future femme. Ça se passe comme ça chez les Malefoy et plus généralement, chez les sang-pur. Maintenant que mon père a décidé d'ignorer mon existence, eh bien… Eh bien, je ne sais pas.
Il souleva sa tasse de café, la tenant avec une délicatesse inconsciente, et la regarda comme s'il pouvait y lire son avenir.
Harry fronça légèrement les sourcils, déconcerté par cette manière d'envisager les choses.
— Donc… si ton père n'est pas là pour te choisir une femme, tu n'en prendras pas ? C'est ça ta logique ?
Drago releva la tête et haussa légèrement les épaules, l'air indifférent.
— On dirait bien.
— C'est absurde, lâcha Harry sans réfléchir.
Drago éclata d'un rire sec et ironique.
— Absurde ? Tout ce qui concerne ma vie est absurde, Potter. Ce n'est pas une nouveauté.
Harry s'appuya contre le dossier du canapé, ses yeux fixant Drago avec une intensité qu'il ne chercha pas à cacher.
— Mais… tu pourrais choisir pour toi, cette fois. T'éloigner de ce que tes parents ont toujours imposé, de ce que… le monde attend de toi.
Drago souffla, exaspéré, et posa sa tasse.
— Tu parles comme si c'était facile. Comme si je pouvais juste décider d'être quelqu'un d'autre, balayer tout ce qui me lie à mon passé d'un coup de baguette. Comprends ça Potter : je suis l'hériter d'une grande famille, pas un illustre inconnu. Je ne peux pas faire ce que je veux, comme je le veux. Je porte un nom et un sang. Tu crois quoi ? Le Ministère lui-même observe les faits et gestes des sang-purs. Nos unions sont politiques. Nos choix de vie tout autant. Si le Ministère m'a isolé dans un petit bureau c'est à la fois pour humilier le nom des Malefoy que pour être sûr de m'avoir sous le coude.
— Tu exagères… souffla Harry.
— Non. J'ai été gracié parce que cela fait bon genre, parce que mon avocat était compétant. Mes parents ont eu l'adresse de négocier leur liberté également. Mais tu crois que le monde des sorciers nous fait confiance ? Pas du tout. Et doublé de ça, mes propres parents me renient. Pour être franc avec toi je ne me suis même pas intéressé à ces idioties relatives à l'amour.
Harry resta silencieux un instant, absorbant les paroles de Drago. Il voyait bien que c'était un demi-mensonge toute ce qu'il racontait. Il voulait s'intéresser à des choses banales de leur âge, mais se l'interdisait.
— Ça ne te ressemble pas, dit finalement Harry d'une voix douce.
Drago tourna la tête vers lui, les sourcils froncés.
— Qu'est-ce qui ne me ressemble pas ?
— Accepter tout ça, répondit Harry en faisant un geste vague de la main. Te résigner à ce que les autres décident pour toi, que ce soit le Ministère, tes parents, ou je ne sais qui. Tu as toujours été… têtu. Prêt à te battre pour ce que tu veux.
— C'est drôle que tu dises ça. C'est ce que mon père me reprochait toujours.
— Peut-être que cette fois, c'est une qualité, insista Harry.
Drago roula des yeux, mais il n'avait pas l'air vraiment agacé. Plutôt… déstabilisé. Il passa une main dans ses cheveux d'un geste nerveux, évitant le regard de Harry.
— Tu as une vision beaucoup trop romantique de qui je suis.
— Je ne crois pas, répondit Harry calmement. Je pense que tu as juste oublié.
Drago s'arrêta, comme s'il allait répliquer, mais aucun mot ne vint. Il secoua finalement la tête et se leva, faisant quelques pas dans la pièce, comme s'il avait besoin de mettre de la distance entre lui et Harry. Plus ça allait et moins il reconnaissait le Harry Potter en face de lui. Il n'était pas hargneux, pas explosif, ni totalement joyeux. Et le pire, c'est qu'il s'amusait à l'analyser, ce qui déplaisait fortement à Drago.
— Tu ne sais pas ce que c'est… De toujours être surveillé, jugé. Même toi, avec toute ton histoire, tu ne peux pas comprendre.
Harry le laissa faire, ses yeux suivant chacun de ses mouvements.
— Tu as raison, admit-il. Je ne peux pas comprendre ce que c'est que d'être un Malefoy. Mais je sais ce que c'est que d'être défini par quelque chose qu'on n'a pas choisi. N'oublie pas que je suis le Survivant.
Drago s'arrêta, mais ne se retourna pas.
— Et ça, ça t'a arrêté ? demanda-t-il finalement.
— Non, répondit Harry sans hésiter. Mais ça a été dur. Ça l'est encore parfois. On me rappelle tout le temps qui je suis, qui je dois être. C'est pas drôle de devoir endosser le rôle du héros tous les jours.
Drago resta silencieux un moment, ses épaules tendues. Puis il se retourna enfin, croisant le regard de Harry.
— Pourquoi est-ce que tu fais ça ? demanda-t-il, presque méfiant.
— Faire quoi ?
— Me parler comme ça. T'intéresser à ce que je ressens, partager un peu de ta vie. Me regarder comme si…
Il s'interrompit, incapable ou peu disposé à finir sa phrase.
Harry sentit une chaleur étrange monter en lui, mais il garda un ton léger.
— Parce que je t'aime bien, répondit-il simplement.
Drago haussa un sourcil, sceptique.
— Tu aimes bien tout le monde.
Harry secoua la tête avec un petit sourire.
— Non, pas vraiment.
Il y avait quelque chose dans sa voix, une sincérité désarmante et Drago ne trouva rien à répondre à cela. Il resta debout, fixant un point invisible sur le mur, tandis qu'Harry reprenait calmement sa tasse de café.
— Alors, reprit Harry d'un ton plus léger pour briser la tension, c'est quoi le quotidien d'un héritier Malefoy ? Hormis s'acheter des pâtes que tu ne cuisines pas.
Drago cligna des yeux, surpris par le changement de sujet, puis lâcha un soupir dramatique.
— Merlin, mon quotidien n'a rien d'extraordinaire. Tu te passionnes pour bien peu de choses.
Drago ne tarda pas à s'installer dans le fauteuil près de la fenêtre, laissant à Harry le canapé. La soirée se poursuivit sur un ton léger, les échanges s'enchaînant entre anecdotes sur leur jeunesse à Poudlard, quelques remarques sarcastiques de Drago, et les éclats de rire sincères de Harry. L'atmosphère, quoique détendue, conservait une certaine intimité.
Drago avait fini par se détendre, et même si ses sarcasmes restaient acérés, il y avait quelque chose de moins défensif dans sa posture. Harry, lui, savourait chaque instant. Il ne pouvait s'empêcher de remarquer les détails : la façon dont Drago passait distraitement une main dans ses cheveux ou son doigt sur son nez lorsqu'il réfléchissait ; ce léger sourire en coin lorsqu'il trouvait une réplique particulièrement cinglante, ou encore l'ombre de vulnérabilité qui apparaissait parfois dans ses yeux clairs.
Quand la conversation s'essouffla doucement, Harry jeta un coup d'œil à l'horloge et se redressa.
— Je devrais y aller, dit-il. On dirait que j'ai envahi ton espace assez longtemps pour une soirée.
Drago haussa un sourcil mais ne protesta pas, même si, au fond, il appréciait cette compagnie inattendue.
— Pour deux soirées, c'est la seconde fois..
Harry sourit, attrapant sa veste posée sur le dossier du canapé.
— Oui, c'est vrai. Mais tu es étonnamment accueillant pour quelqu'un qui râle de ma présence.
Harry rit doucement, et alors qu'il se dirigeait vers la porte, il s'arrêta, hésitant un instant.
— Écoute, si ça te dit, on peut faire ça à nouveau. Pas forcément demain, mais quand tu as le temps, l'envie.
Drago le regarda un instant surpris, avant de détourner les yeux.
— Je te tiendrai au courant, répondit-il d'un ton neutre.
Harry hocha la tête, acceptant la réponse pour ce qu'elle était, puis ouvrit la porte. Avant de sortir, il se tourna une dernière fois.
— Bonne nuit, Drago.
— Bonne nuit, Potter.
Lorsque la porte se referma derrière lui, Harry ne put s'empêcher de sourire, un sourire qui, cette fois, était pour lui seul. Il avait toujours eu l'intuition que Drago et lui auraient pu devenir de très bons amis. Cette soirée le lui prouvait. Et il sentait qu'il pouvait continuer à creuser, à comprendre. Drago avait ce quelque chose qui le captivait : une beauté farouche, un mystère inaccessible, et pourtant une humanité désarmante.
Et s'il était honnête avec lui-même, Harry savait que ce qu'il ressentait était plus qu'une simple curiosité.
De l'autre côté de la porte, Drago restait immobile, fixant le vide. La soirée n'avait pas été ce qu'il avait imaginé, mais il devait admettre qu'elle lui avait fait du bien, à sa manière étrange. Cela lui changeait de ses rendez-vous avec Pansy et Blaise. C'était déjà ça.
