Je dois dire que je n'ai pas la moindre idée de combien de personnes suivaient cette histoire, mais je sais qu'il y en avait au moins quelques unes, alors je suis vraiment désolée pour cette longue pause! Pour être très franche, je craignais de devoir écrire ce chapitre. De pas en arriver à de l'action assez vite. J'ai essayé plusieurs plans différents, mais je devais en passer par cette étape à un moment ou un autre. Donc brefouille voilà, ne vous en faites pas si l'action ne redémarre pas directement, ça va pas tarder :D

Oh, et salut katymyny! J'ai pas mal interprété ton commentaire à l'époque t'inquiète pas ahaha, au contraire merci, rien n'encourage à poster mieux qu'un commentaire. Mais là j'étais vraiment pas sûr de ma suite, ça m'a complètement bloquée! C'est réglé!


Harry commença à entendre la voix dés le premier jour. Il faisait un temps magnifique, ridiculement magnifique pour être dans une situation aussi effroyable, comme si l'océan se moquait de lui. Le navire voyageait à nouveau sur l'eau comme un bateau ordinaire, malgré la nuée de chouettes qui continuaient de voleter parmi les mâts avec les membres d'équipages.

Ce jour là, après presque une semaine pendant laquelle Harry resta tapis dans la cabine de Sirius, le capitaine fini par l'empoigner par le col pour le ficher dehors.

-Je suis un hôte de marque!, protesta Harry en gigotant au bout de son bras. Un Potter ne saurait être exhibé en société dans ces guenilles!

-Oh, la ferme, soupira Sirius en roulant des yeux avant de jeter le garçon sur le pont. Je vais t'en foutre, de la société.

C'est là, la joue et la paume plaquées contre le bois du pont principal, qu'Harry la sentit, dans sa tête. Pas vraiment une voix, mais une sorte... de vibration. Comme si quelque-chose qui provenait de sous le pont tentait de remonter à la surface. Une idée.

Regarde. Ecoute.

Harry écarquilla les yeux, mais avant qu'il ait le temps d'en entendre davantage Sirius le força à se remettre sur pied.

-Si tu continues de te cacher dans ma cabine, on finira par me prendre pour un baiseur d'enfants, bougonna Sirius. Ou pire, un bon samaritain.

Ça, aucune chance, songea Harry avec amertume. Sirius avait ramené des femmes dans la cabine presque tous les soirs, complètement indifférent à la présence de son jeune prisonnier qui dormait au pied du lit. Harry avait mit un point d'honneur à faire comme s'il s'en fichait complètement, mais lorsque c'était Nagini, il ne dormait que face au mur, écarlate. C'était indécent, un comportement digne des animaux. Le garçon aurait fini par devenir fou, une part de lui était presque soulagé d'être jeté à nouveau en pâture à l'équipage sur le pont.

Il leva le menton bien haut, les genoux s'entrechoquant, sous les quolibets de l'équipage qui n'avait rien raté de sa sortie. Mais rien de comparable à ce qu'il s'était passé le jour de son arrivée, personne ne s'arrêta de faire ce qu'il faisait ou ne décida instantanément de l'égorger. Il était prisonnier. C'était horrible, effrayant, mais c'était quelque-chose, et pour la plupart des matelots c'était peut-être suffisant pour ne pas se préoccuper de lui tout de suite. Harry avait à peine eu cette pensée qu'un pirate qui passait lui jeta un crapaud cornu au visage sans aucune raison.

Sirius à ses côtés éclata de rire devant la mine épouvantée de l'enfant. Harry avait une furieuse envie de s'agripper au manteau de Sirius et ne pas le lâcher, mais la dignité le lui interdisait. Il avait quand même douze ans.

Sirius ne lui dit qu'une seule chose avant de l'abandonner.

-Que... que suis-je censé faire?, osa demander Harry en s'efforçant de ne pas avoir l'air sanglotant.

-Mourir, fit Sirius en haussant les sourcils. C'est pas un endroit pour les marmots. Si la mer peut te buter, tu seras mort avant la fin de la semaine.

-Et si elle ne peut pas me «buter»?, rétorqua Harry d'un ton cassant.

-Regarde avec tes putains de yeux et écoute avec tes putains d'oreilles. Ça suffira peut-être.

On aurait dit ce qu'Harry venait d'entendre dans le bois. Une seconde, le garçon en resta coi, mais Sirius repartait déjà.

-Et si ça suffit pas, lui jeta le capitaine dans son dos, hé bien, j'ai été ravi de te connaître.

-Vous... vous n'avez qu'à leur ordonner de ne pas me toucher. C'est vous leur chef!

-Ce sont des pirates, rétorqua simplement Sirius comme si ça valait une explication en soi.

Et Harry se retrouva livré à lui-même.

Il finit par comprendre qu'il pouvait circuler librement sur le bateau. Ils étaient en plein mer, de toutes façons, où aurait-il pu s'enfuir? On le prenait pour un enfant quelconque, s'il devenait agaçant, on le tuerait, et puis voilà. L'équipage passa toute la journée à rire de voir déambuler sur le pont un gamin furieux en guenilles. Harry aurait sûrement pu voler quelque-chose, les vêtements c'était facile. Le froid le glaçait jusqu'aux os quand le bateau s'envolait, et que le vent commençait à hurler dans les voiles. Mais ses quelques morceaux de soie, c'était tout ce qu'il restait de lui. Il devait rester quelque-chose. Sa famille avait disparu, il ignorait même si Père n'avait pas été rattrapé, si Grand-père était vivant, et sa maison avait brûlé. Harry ne supportait pas l'idée que les Potter perdent encore quoi que ce soit d'autre; s'il s'habillait en pirate maintenant, qu'est-ce qui le différencierai encore de n'importe-quel autre des sauvages qui avait fini par hasard sur le bateau de Sirius? Eux aussi avaient sûrement eu quelque-chose d'autre, avant, peut-être même une vie décente quelque-part, et puis ils avaient abandonnés. Harry n'abandonnerait pas. Il savait bien que c'était de la folie, de rester en haillon pour garder sa dignité, mais il était têtu comme une mule.

Il tenta plusieurs fois de se blottir dans un coin et de ne plus en bouger, mais on finissait toujours par le dégager à coups de pieds, pour mettre là une cage remplie de créatures magiques, un tonneau, ou juste pour mettre un coup de pied dans quelque-chose. Finalement, il fut battu par un marin pour avoir demandé un morceau de pain. Le pirate le roua de coups sans même semblé y prendre plaisir et sans que cela fasse lever les yeux à qui que ce soit, puis fouilla un peu le garçon, et ne trouvant rien de plus à lui prendre, se lassa. Harry avait les larmes aux yeux. Mais il n'oublia pas le visage de l'homme. Il le ferait pendre quand Grand-Père les retrouveraient, il les ferait tuer tous, et même Voldemort.

-Viens avec moi, petit, ricana un autre assis sur un tonneau en tentant de saisir Harry au passage. Viens dans ma cabine, je te protégerai!

Ses amis éclatèrent de rire avec lui lorsqu'Harry détala vers le pont supérieur.

Au bout d'un moment, surgissant de nul-part, la voix étrangère résonna à nouveau dans les pensées d'Harry.

-A l'intérieur, murmurait-elle. Retourne à l'intérieur.

-Qui parle?, bredouilla Harry.

-Ils sont trop nombreux. Devient un détail. Et regarde.

Et Harry obtempéra. Parce qu'il était frigorifié, parce qu'il était seul, parce que la voix ressemblait à un adulte et qu'il aurait fait n'importe-quoi pour que quelqu'un lui dise quoi faire. Mais l'idée de sombrer lentement dans la folie le glaçait encore plus profondément que la mort.

A l'intérieur du navire, c'était pire. Magique, sûrement, parce que la coque abritait un véritable labyrinthe dans lequel Harry n'osait pas ouvrir la moindre porte. Au détour d'un couloir, il tomba sur Fenrir, pantalon baissé, occupé à...

Harry en rougit jusqu'à la racine des cheveux.

Fenrir était accaparé par des relations tout juste appropriées avec un jeune garçon de dix huit ou dix neuf ans. Garf, le rouquin qu'Harry avait rencontré le premier jour. Les coups de reins de Fenrir étaient tranquilles, enthousiastes tout au plus, pourtant ils charriaient tant de force que Garf en rebondissait presque contre le mur. Harry n'avait jamais vu de loup-garou faire l'amour, et il ne put s'empêcher de détourner les yeux, même si après tout ce qu'il avait vu ça ne le choquait sûrement pas autant que ça aurait dû.

Il fit demi-tour.

-Regarde avec tes putains de yeux et écoute avec tes putains d'oreilles, répéta Harry d'une voix blanche. Formidable.

-Le garçon se nomme Garf. Le Rat. Il survit. Il te montrera.

-Taisez-vous, haleta Harry terrorisé pour de bon maintenant. Taisez-vous. Je ne veux pas qu'on me montre ça.

-Il te faut la bague.

Et la voix continua. De murmurer des noms, de faire des promesses idiotes. Harry l'entendait dés qu'il n'y avait pas trop de bruit, à la façon du murmure des vagues venant se briser contre la coque. Comme il ne pouvait se cacher nul-part il décida de rester en mouvement. Malgré tout, ça paraissait presque trop facile, trop clément de la part des pirates de le laisser tranquille comme ça, et il comprit vite ce que ça cachait.

Il n'avait le droit à rien. Tous les hommes ici travaillaient pour avoir leur part de nourriture quand tout le monde se rassemblait dans les cales pour le déjeuner, les meilleurs vêtements, même les meilleurs sortilèges conservés en fiole dans la réserve pour soigner les blessures, permettre de flotter au lieu de se hisser péniblement jusqu'en haut des mats.

Harry crevait de froid, il crevait de faim, et en moins de trois jours il commença lentement à comprendre qu'à ce rythme, il allait simplement mourir dans l'indifférence générale.

Chaque soir, quand Sirius rentrait dans sa cabine, le regard du capitaine balayait la pièce avec quelque-chose de presque inquiet, et se teintait un peu de soulagement quand il trouvait Harry blottit dans le coin le plus éloigné de l'entrée.

Harry s'appliquait à faire comme s'il ne l'avait pas vu et à serrer les dents, mais c'était l'instant le moins terrible de sa journée. Le seul où il se sentait en sécurité, seul avec Sirius, au chaud. Sirius commençait par inspecter ses blessures, avec la même délicatesse qu'il avait pour tous les étranges objets dans sa cabine. Parfois, il chantait une chanson, et Harry cessait de respirer tant il craignait de rater la moindre note. Il le soignait avec la douceur d'une mère, alors que bien souvent, il avait regardé ses hommes rosser Harry sans lever le petit doigt quelques heures plus tôt. Ensuite, il ordonnait au garçon de lui raconter ce qu'il avait vu aujourd'hui. Harry ne comprenait toujours pas en quoi c'était important, et chaque jour se passait un peu plus mal que le précédent, pourtant il donnait chaque détail pour faire durer l'instant autant que possible. Quel homme avait l'air de faire quel travail. Qui avait l'air dangereux ou non. Il guettait quelque-chose dans le regard de Sirius, quand il racontait qu'il avait été battu par tel matelot, ou qu'on lui avait encore reprit le peu de nourriture qu'il avait pu grappiller, mais il ne suscita jamais aucune réaction particulière.

Sirius pouvait être bon. Il pouvait prendre soin de lui, même être gentil. Mais il n'avait strictement aucune pitié.

De temps en temps, après le rapport d'Harry, Sirius posait une main sur le cœur du garçon, et il se sentait à nouveau devenir grand comme le monde. Le capitaine posait ses étranges questions, et Harry murmurait les réponses, plongé dans une transe engourdissante. Sirius utilisait Harry pour savoir ce qu'il se passait autour des côtes de l'Angleterre, pour deviner quel adversaire il risquait de croiser. Il ne s'agissait que rarement d'éviter les ennuis, remarqua Harry, mais la dernière question était toujours la même. Elvarion était en chemin, et qui ou quoi que soit Elvarion, même en transe, Harry ne trouvait aucun moyen pour leur bateau de lui échapper.

-Il se dirige vers nous, ou bien il nous suit, commença à maugréer Sirius au bout d'une semaine. C'est pour très bientôt.

Harry était trop faible pour répondre. Sirius refusait toujours de lui expliquer ce qu'il lui faisait subir, mais en fait, malgré tout le garçon aimait ces instants. Quand tout prenait inexplicablement sens, et qu'il n'avait plus peur. Passé les premières fois, le garçon avait cessé de s'évanouir juste après. Et puis Sirius le délaissait à nouveau et dînait juste devant lui.

Les lèvres d'Harry frémissaient de mille suppliques, et Sirius le regardait tranquillement, comme s'il attendait que l'enfant implore à manger, ou au moins de dormir dans le lit. Les premières nuits, Harry avait fait ça. Piailler, hurler, vociférer, presque pleuré de désespoir quand Sirius se mettait à déguster son repas à table sans rien lui donner. Maintenant, lorsque Sirius avait fini d'user de lui, le gamin s'allongeait, et ne disait plus un mot. Il refusait de faire ce plaisir à son geôlier. Le soleil et les bleus commençaient à tanner comme du cuir sa peau délicate, et à assombrir son teint pâle à l'image de celui de l'équipage. Sa haine, aussi, durcissait de jour en jour comme une carapace.

Un soir, Harry racontait à Sirius comment il avait réussi à s'emparer du poignard d'un de ses hommes, un type qui l'avait saisi par le bras pour menacer de le jeter par-dessus bord. Finalement, le type n'avait pas précipité Harry dans la mer, mais l'enfant avait prit une bonne raclée, encore.

Le petit brun tressaillit en reculant lorsque, d'un mouvement soyeux, Sirius se leva de son lit et dégaina son propre poignard.

-Tu aurais dû l'empoigner fermement, comme ça, expliqua l'adulte. Quand tu as tous les doigts correctement repliés sur le manche, on peut pas te reprendre le couteau sans te couper la main en entier.

-Pourquoi me le dis-tu?..., maugréa Harry avec méfiance.

-Parce que le petit démon qui jurait de me buter tout mon équipage le premier jour était plus amusant que toi, rétorqua Sirius en s'accroupissant devant le gamin pour pointer la lame contre sa gorge. Il chouinait pas. Toi tu chouines, et j'aime pas les chouineurs. La bête que t'as au ventre, elle te bouffera si tu lui donnes pas les autres à bouffer. Donc tu le sers bien, ton couteau. Et ensuite, un mouvement sec, qui part des hanches... comme ça. Avec toute la force du corps, pas que le bras.

-Ce genre d'apprentissage est à peine digne d'un Moldu. Père... Père ne me le permettrait point, il dirait que la bagarre est la science des voyous. Je... je suis un Potter.

-Harry, soupira Sirius avec agacement. Tu veux tuer? Ou est-ce que tu veux mourir?

Harry leva timidement ses grands yeux vert en haussant les épaules, un peu tremblant face à la lame pointée sur sa gorge.

Puis soudain, son regard devint froid, et il fit émerger son propre couteau d'entre les pans de ses guenilles pour l'abattre sur Sirius – les doigts bien repliés sur le manche. Le capitaine saisit le poignet du garçon juste avant que la lame ne plonge dans sa poitrine. Harry en resta tétanisé, terrifié d'avoir échoué. Il avait dit qu'il avait volé un poignard. Il n'avait jamais dis que le matelot qu'il avait dépouillé l'avait remarqué, ou le lui avait reprit.

Sirius le garda ainsi quelques instants, la mine fermée. Harry n'osait même pas s'excuser – à quoi bon? Il avait essayé de tuer le capitaine. Sirius allait le mettre en pièces. D'une torsion du poignet, il força l'enfant à lâcher son arme, qui tinta en heurtant le sol. Mais Harry ne baissa pas les yeux, même s'il tremblait comme une feuille, il garda braqué dans celui de Sirius un regard brûlant de haine. Évidemment qu'il avait essayé de tuer Sirius. Évidemment. C'était son kidnappeur, l'homme qui l'emmenait au loin pour le vendre comme esclave. Harry savait que c'était stupide, mais la haine avait été plus forte.

Finalement, Sirius éclata de rire en lui lâchant le bras:

-Petit salaud. T'es déjà mieux déniaisé que t'en as l'air, hein?

Avant qu'Harry ait même le temps d'assimiler ce qu'il venait de dire, le capitaine du Sinistros le frappa si fort que le garçon bascula en arrière, du sang perlant au coin de sa bouche. Harry éclata en sanglot en se ramassant sur le sol, misérable. L'ombre de Sirius coula sur lui. D'un petit coup de pied, le capitaine envoya le poignard vers Harry.

-Recommence, ordonna le pirate.

-Que... comment?

-C'était pas trop mal. Mais tu le tenait pas bien. Réessaye de me buter, je te dis, c'était bien.

-Non, balbutia Harry.

-Pourquoi?

-Parce que j'ai mal! Vous m'avez presque cassé le poignet!

Il était en train de geindre comme un petit garçon, auprès de l'homme qu'il venait d'essayer de poignarder! Mais il n'y avait personne d'autre. Il n'y avait personne d'autre à qui conter ses horribles journées, personne d'autre pour prendre soin de ses blessures, pour le regarder comme Sirius le regardait. Personne d'autre auprès de qui être un enfant.

-Des gars te ferons bien plus mal si tu sais pas te défendre, tu le sais ça?, lui expliqua Sirius étonnamment doucement. Ils s'arrêteront pas quand tu chouineras. Quand t'essayes de tuer un homme, faut le faire bien, ou pas du tout.

-Je le ferai bien, quand je te finirai!, hurla enfin Harry en se remettant sur ses genoux.

-Bien, c'est mieux, ça. Retiens bien ce que tu ressens là, faut que ça vienne dés que t'es en danger.

-SILENCE! T'es un homme atroce! T'aime bien me faire croire que tu vaux mieux que les autres, mais tu cognes pareil, tu agis en animal pire qu'eux, tu me gardes ici juste pour t'amuser! Je te tuerai! Je te tuerai!

Tout en parlant, il frappait Sirius à coups de poings de toutes ses forces, furieux, en larmes. Mais il avait beau se déchaîner, il n'était qu'un gosse frappant frénétiquement sur le torse d'un homme adulte. Finalement, Sirius le rejeta au sol d'un simple mouvement, l'air de presque s'ennuyer.

-Je te tuerai capitaine, corrigea-il tout de même.

-Quand je serai grand, mugit encore Harry, je te retrouverai et je te ferai la peau!

-J'en serais très fier, fit Sirius en écartant une mèche de cheveu du visage rougeaud de l'enfant. Pour l'instant, dors, si tu n'as plus envie de tuer.

Et là-dessus, il se mit au lit et tourna le dos à Harry, malgré le poignard qui gisait encore entre eux sur le sol. Harry savait qu'il était en train d'être éduqué, même maintenant. Il savait même qu'à sa façon, Sirius était doux avec lui – ou que tout pourrait être bien pire en tout cas – et ça le mettait dans une rage folle. Pourtant, comme Sirius s'y attendait, Harry ne reprit pas le couteau et ne tenta rien. Il se pelotonna contre le chien géant, sur le sol, et sanglota silencieusement, furieux. Patmol le laissa se blottir contre son ventre sans le repousser, habitué, et cala la tête du garçon au creux de son cou avec délicatesse.

C'était stupide, songea Harry alors que le chien léchait ses larmes brûlantes. Si Sirius mourait, Harry serait plus en danger que jamais sur le Sinistros, c'était une idée idiote de le poignarder. Mais une rage dévorante empêchait même le garçon de dormir, et Sirius était le seul de ses ennemis à être vraiment là. Harry ne supportait pas d'être un gamin faible et sans défense, qui ne pouvait que se rouler en boule aux pieds de son bourreau. Il voulait se battre. Il voulait résister, reprendre le pouvoir, sur absolument tout le monde. Mais il ne pouvait qu'y penser en serrant les genoux contre son torse, dans ses guenilles. C'était insupportable. Intolérable. Est-ce que c'était ça, qu'avait ressenti Père toutes ces années, en passant de cachettes en cachettes pour fuir Voldemort? Comme cela qu'il s'était senti, lorsque sa femme avait disparue une nuit sans un mot, lorsque son père avait cessé de le regarder comme un homme? Seul, parfaitement impuissant dans le noir, sans avoir pu faire quoi que ce soit d'autre que regarder les autres lui prendre un par un par les morceaux de sa vie, et de sa dignité? Père était devenu morne et faible. Que deviendrait Harry?

Au bout de quelques minutes, le manteau de Sirius atterrit sur les épaules d'Harry. Le garçon pu cesser de trembler – Patmol ne dégageait aucune chaleur – et doucement, ses sanglots faiblirent à mesure qu'un agréable engourdissement gagnait ses muscles endoloris. La voix profonde de Sirius s'éleva dans la cabine. Quand il parlait doucement, son timbre se faisait si chaud qu'Harry avait l'impression que c'était lui qui chassait le froid de ses os.

-Y a bien longtemps, à terre, il y a eu un gamin de ton âge qui s'appelait Reg. Il avait belle mine, des cheveux noirauds comme t'as, et un grand sourire canaille.

-Qu'est-ce que tu fais?

-Je te raconte une histoire.

-Je n'en veux pas, de ton histoire de pirate.

-Ben tu l'auras quand même. C'est pas une histoire de pirate, c'est une histoire de frères.

-Silence, je te dis.

-Parce que Reg avait un grand-frère. Et le grand, il protégeait le petit de tout ce qu'on pouvait imaginer. Leurs parents étaient froids et méchants comme la teigne, la baguette toujours à la main pour une rossée.

Harry cessa de protester. Les parents de Reg lui faisaient penser à Grand-Père. Et Harry adorait vraiment la voix de Sirius.

-Il y avait des punitions pour tout. Avoir parlé trop fort, avoir ris, avoir une mauvaise note, même rien que pour avoir regardé de travers. Mais Reg ne prenait jamais un coup de baguette. Son frère s'interposait à chaque fois, sans jamais permettre de retrouver le garçon avec ne serait-ce qu'un bleu. Et puis un jour, les Mangemorts vinrent les trouver.

Harry tressaillit et remonta la couverture sur ses épaules, soudain presque sûr de sentir la main de Severus Rogue plaquée sur sa bouche.

-Ils voulaient Reg, continua Sirius, comme toutes les mauvaises personnes de ce monde, parce que c'était aussi un très bon sorcier, Reg. Reg eu très peur, et voulu accepter de les rejoindre, mais son grand-frère le lui interdit. Reg devait rester son trésor, après tout. Rester bon. Les Mangemorts repartirent, en jurant qu'ils n'en resteraient pas là. Alors, le grand-frère combattit les Mangemorts, de longues années. C'était un étrange combat, vraiment. Les Mangemorts savaient toujours où trouver le grand-frère et ses amis, ils devançaient tous leurs plans, faisaient du mal à leurs êtres chers même quand ils les cachaient aux confins du monde. Mais pas à Reg.

Le ton de Sirius restait parfaitement uni, comme si rien de tout ça n'avait d'importance, mais Harry était blotti contre Patmol, la propre forme animale du capitaine. Et le chien grognait, lui. De peine? De colère?

-Et puis un jour, le grand-frère découvrit que Reg était un Mangemort, presque depuis le début. Il informait les serviteurs du seigneur des ténèbres des plans de son grand-frère et ses camarades, il le faisait depuis des années.

-Elle est idiote, cette histoire, protesta presque timidement Harry. Reg... il n'aurait jamais rejoins les Mangemorts, son frère les combattaient. Tu as dis que Reg était quelqu'un de bien.

-J'ai dis qu'il était quelqu'un de gentil. Très gentil. C'est pas pareil. Reg aimait son grand-frère plus que tout au monde, bien-sûr, il ne lui voulait aucun mal. Mais il avait peur. Peur de leurs parents, des Mangemorts qui venaient le menacer chez lui toutes les semaines, de Voldemort, d'absolument tout. Et peur de perdre son grand-frère. Il avait fait promettre aux Mangemorts qu'on ne lui fasse aucun mal.

-Reg était un héros, aussi, alors. Comme un agent double. Il avait juste peur que l'on s'en prenne à son grand-frère, il essayait de le protéger à son tour. Tu racontes mal. Change d'histoire.

-Et un grand verre de lait frais, avec ça? T'aura celle histoire-là, ferme-la un peu. Les informations de Reg firent tuer des dizaines de personnes. Et finalement, quand les Mangemorts lui apprirent qu'ils comptaient s'en prendre à son frère, maintenant que tous les autres étaient morts ou disparus, Reg ne protesta pas. Il avait encore trop peur, tu vois. Il n'avait jamais apprit à se défendre. Il leur dit tout ce qu'ils voulaient savoir, et son grand-frère finit par être emprisonné. Tout en haut de la plus haute tour d'un terrible château. Le grand-frère n'eut même pas peur, au début. Il rit lorsqu'ils refermèrent la cellule et jetèrent la clé. Mon bon petit-frère va venir, dit-il, parce qu'il a fait tout ça pour me protéger, comme moi je le protégeais. Il viendra, et alors, je lui pardonnerai. Mes autres frères viendrons, croyait-il, mes camarades pour lesquels j'ai tout sacrifié. Mais personne ne vint. Personne ne vint et le grand-frère continuait à rire, tout seul. Lentement, son rire s'enrailla, se brisa, devint fou. Il ne riait plus que pour se rappeler l'homme qu'il était avant, le con qui protégeait Reg.

Harry avait complètement arrêté de respirer. Le silence dura longtemps, après ça, si longtemps qu'Harry aurait pu croire que Sirius s'était endormi. Mais Patmol gardait les yeux grands ouverts, plongés dans l'obscurité comme s'il y voyait des choses connus de lui seul. Pour la première fois, Harry osa le caresser. Le chien le dévisagea d'un regard qui indiquait sans équivoque qu'il envisageait de le déchiqueter, et l'enfant comprit que personne, peut-être, n'avait jamais fait une chose pareille sur ce bateau. Mais finalement, Patmol posa son énorme tête sur les genoux d'Harry sans lui faire de mal.

-Quand je suis ressorti d'Azkaban, finit par lâcher Sirius dans le noir, je n'ai pas disparu en mer tout de suite. J'ai fais voile sur Londres, pour retrouver mon petit-frère.

-Je m'en moque.

Il avait envie de faire du mal à Sirius, et il ne pouvait peut-être que comme ça, avec des mots. Mais le garçon ne tint pas une minute avant de se redresser pour demander fébrilement:

-Pour tuer Reg? C'est ça, tu l'as tué, pour te venger?

-Non. Je lui en voulais pas. Je voulais qu'on lui fasse pas de mal, je lui aurais jamais reproché d'avoir fait ce qu'il fallait pour ça. Reg pouvait être faible, si ça le gardait en sécurité, il pouvait même être un Mangemort. Mais quand j'ai retrouvé sa trace, les Mangemorts avaient finis par le tuer quand même. Parce que Regulus n'avait jamais apprit à résister à quoi que ce soit.

-Il est mort à cause de toi, osa asséner Harry. Tu aurais dû mieux le connaître, c'est tout.

-Ouais.

-Il fallait mieux le protéger. Il n'aurait pas eu peur des Mangemorts. Je n'en ai même pas eu peur, moi, quand ils sont venus me prendre. J'en ai même tué plusieurs.

-Nan.

-Je te dis que si, un Potter ne ment p...

-Nan, fallait pas mieux le protéger. Mon frère. Si t'apprends à un gamin la faiblesse, il sera en sécurité qu'avec toi. Si tu lui apprends à être fort, il sera en sécurité où que tu sois.

Sirius se retourna sur le dos en soupirant.

-J'aurais dû le battre. Tous les jours. Ferme ta petite gueule noble et dors, maintenant.

-Je ne veux pas le faire, bredouilla brutalement Harry en s'écartant de Patmol pour lui tourner le dos.

-Alors dors pas et ferme ta...

-Devenir fort. Je ne veux pas si ça signifie devenir une bête.

-T'en es déjà une, Harry. On en est tous. Tu tueras, tu voleras et tu baiseras comme tout le monde. Y a que ça de vrai, ça et la mer. Le reste, les noms de famille et les bijoux, c'est des conneries.

-Je préfères mourir que renoncer à ma dignité.

-Nan. T'es pas le genre.

Harry ne répondit rien. Il n'avait pas du tout aimé cette histoire, et il ne voulait plus rien entendre, finalement. Il ferma les yeux, et essaya de penser à chez lui, au manoir Potter, mais seuls des souvenirs de cravaches et de regards suintants de déception lui revinrent. Il s'endormit ainsi, en se demandant s'il avait même ne serait-ce qu'encore un endroit où rentrer, et si son grand-père était en train de sillonner la mer à sa recherche avec le Ministère.

La nuit aurait dû s'arrêter là. Mais, peut-être des heures et des heures plus tard, une voix lointaine se fraya un chemin dans le sommeil du garçon.

-Harry, susurrait-elle. Harry Potter.

Harry rouvrit faiblement les yeux en entendant son nom, un nom que seul Sirius était censé connaître sur ce navire. Il faisait encore nuit.

Et ce n'était pas la voix de Sirius.