Guest : J'admire les gens qui voient le verre à moitié plein, et tu sembles en faire partie :D


La Selkie se tenait debout, au milieu du ponton qui permettait de rejoindre la terre.

Drago avait accompagné Potter et ni l'un ni l'autre n'avait pensé à se munir d'un protège-oreilles ou prévu qu'il puisse avoir besoin d'un chaperon pour rejoindre le château en sécurité. Il sentit sa poitrine s'affoler, aussi bien les battements erratiques de son cœur que sa respiration.

« Tu sens mauvais. Tu as peur. »

Il frissonna. Il hésita à se plaquer stupidement les mains sur les oreilles. Est-ce que ça servirait à quelque chose ? Ensuite, il pourrait courir à perdre haleine, et… Et s'il parvenait à surprendre la créature, il pourrait peut-être la repousser à l'eau pour libérer le passage ? Non, pas s'il gardait ses mains sur ses oreilles. Il pouvait crier, alors. Est-ce que quelqu'un l'entendrait ? Si quelqu'un l'entendait, est-ce que cette personne prendrait le risque de venir l'aider ? Sinon, il pourrait…

« Ton visage est bizarre. »

Il eut le réflexe idiot de lever sa main pour cacher sa joue.

Elle avait sa forme humaine : Les yeux moqueurs et le sourire cruel. Le corps rapide et musclé, les mains préhensiles, avec leurs griffes noires et coupantes, et sa voix redoutable… Elle portait à nouveau son pagne de peau ou de fourrure.

« Et tu es trop maigre. C'est pour ça que tu as froid.

Pourquoi n'avait-il pas encore mis ses mains sur ses oreilles ? Est-ce qu'elle était en train de l'hypnotiser à cet instant précis ? Est-ce qu'elle l'empêchait de se protéger ?

« Tu n'as pas à avoir peur. Tu es celui avec des cheveux longs, non ? »

Drago hésita, davantage surpris par cette question idiote que par les insultes précédentes.

« Je n'ai pas le droit de manger celui avec des cheveux longs.

– Oui, c'est moi… » marmonna-t-il absurdement. Il sortit même sa chevelure coincée sous le col de la cape grise pour prouver ses dires.

Elle s'approcha. Drago voulut reculer, mais un regard dans son dos lui confirma qu'il n'y avait que le vide derrière lui. Il lui fallait gagner du temps. Il dit la première chose qui lui passa par l'esprit :

« Tu as récupéré ta peau de phoque. »

Elle baissa les yeux sur son vêtement. Elle devait surement juger la remarque de Drago aussi pertinente que ce qu'il pensait des siennes.

« Oui, s'exclama-t-elle d'un ton joyeux en relevant le visage. Je ne peux pas nager aussi loin sans elle ! J'en ai besoin pour aller chasser. Il s'agite, tu sais. Et quand il s'agite, ils fuient tous, et moi, je suis obligée d'aller plus loin.

– Ah. » Il n'avait pas écouté sa réponse. Il se demandait vaguement comment elle avait récupéré l'artefact : Mullan la lui avait-elle rendue ? Volontairement ? Sous la menace ? Sous la contrainte de sa voix ? Ou bien avait-elle pénétré le château pour aller récupérer son bien elle-même ?

Elle éclata de rire.

« Tu es bizarre ! affirma-t-elle. Même pour un homme ! Même quand je ne chante pas, tu devrais m'admirer ! Est-ce que c'était toi aussi, celui qui a voulu protéger les autres, le jour où j'ai ramené l'orque ? »

Drago grimaça. Elle semblait réellement avoir du mal à distinguer un individu d'un autre. C'était affreusement déstabilisant.

« Oui, répondit-il tout de même.

– C'était toi aussi, celui qui a transformé la carapace de tortue en barque ?

– Non, ce n'était pas moi, cette fois-là.

– Non, je crois bien l'avoir mangé, celui-là… Et celui qui se transformait en chien, c'était toi ?

– Non, ce n'était pas moi.

– Lui, je ne sais plus si je l'ai mangé ou non… »

Elle s'était suffisamment approchée pour libérer le passage du ponton. Il hésita cependant à prendre ses jambes à son cou. Non pas qu'il la pense capable de respecter son engagement à ne pas dévorer le détenu aux cheveux longs, mais il imaginait facilement un instinct animal la poussant à poursuivre une proie qui s'enfuyait…

Alors qu'il observait la jetée qui menait au château et calculait combien de secondes il lui faudrait pour la parcourir s'il courait aussi vite qu'il en était capable, il sentit soudain une main sur sa joue et se figea. Son souffle s'affola à nouveau.

« Chut, murmura-t-elle. Calme-toi… Ça va aller… »

Il sentit ses yeux s'écarquiller et cette fois, sa respiration se bloqua dans sa gorge. Il avait déjà entendu cette voix, ces mots, cette phrase !

Elle caressa doucement les dents sur sa joue, sur sa pommette, jusqu'à sa tempe…

« Je vais ramener un morse, affirma-t-elle enfin d'un ton joyeux. Je te laisserai le gras ! Tu pourras en manger une partie, et on enduira ton corps avec le reste ! Ça te rendra beaucoup plus résistant et peut-être même moins laid ! »

Par à-coups, il parvint à tourner son visage vers elle.

Elle souriait toujours joyeusement, comme si l'idée la réjouissait… Puis son sourire commença doucement à se faner, attendant une réaction qui ne venait pas.

« D'accord », se força-t-il alors à répondre, et aussitôt, le sourire s'épanouit à nouveau, resplendissant.

Elle ôta sa main de son visage, et Drago put respirer à nouveau normalement.

Il l'observa dénouer la peau autour de ses hanches, rougit légèrement en apercevant ses fesses nues, puis elle posa la tête de phoque sur la sienne, et il vit les yeux de l'animal s'animer. Elle glissa les bras dans les pattes de bête, et les griffes noires s'agitèrent, encore plus longues et acérées que les ongles de l'humaine. Puis elle plongea de la jetée, et il vit le reste de la transformation s'opérer pendant qu'elle était dans les airs, la queue de l'animal enserrant ses jambes et la peau noire faisant disparaître la dernière fraction de peau blanche en quelques microsecondes. Elle pénétra dans l'eau sans provoquer une éclaboussure, à peine quelques ronds dans l'eau.

Il continua à observer la mer, s'attendant à la voir surgir à nouveau… Au bout d'un moment, il regarda plus loin, s'imaginant qu'elle avait déjà dû parcourir une certaine distance… Puis il dirigea à nouveau ses yeux vers la zone où elle avait disparu, craignant de voir ses yeux rieurs se moquer de lui… Enfin, il compta nerveusement les secondes, en tentant de se convaincre que si elle ne réapparaissait pas d'ici une minute, alors c'est qu'elle était vraiment partie… Non, disons cinq minutes… Il ignorait combien de temps un phoque pouvait rester sous l'eau sans reprendre sa respiration. Il ignorait si la réponse était pertinente pour estimer la capacité d'apnée d'une Selkie.

Au bout d'une dizaine de minutes, il estima toutefois que la voie était libre. Il trottina vers le château en jetant des regards nerveux dans son dos, et sans oublier de remettre ses cheveux dans son col. Il remonta dans les appartements directoriaux, où il s'empara aussitôt d'un bloc de post-it magiques et de la plume à Papote. Il écrivit à Mullan que le Directeur lui avait donné une importante quantité de travail à accomplir et qu'il fallait remettre au lendemain leur visite du château, puis il alla coller le bout de papier sur sa porte.

Il passa tout de même l'après-midi à sursauter au moindre bruit, craignant que la Major ne vienne lui reprocher de s'être à nouveau aventuré sur la plage.

A 18h, il enfila de nouveau la cape grise, respira profondément son odeur pour se donner du courage, puis cacha sa joue avec ses cheveux et redescendit jusqu'au rez-de-chaussée. Il lui faudrait demander à Potter où était cachée la réserve de protège-oreilles de la prison. Il lui faudrait suggérer qu'il en reste toujours quelques exemplaires, ici, à côté de la porte. Une petite commode ferait l'affaire. Ça, et une sonnette qui pourrait prévenir l'ensemble du château qu'il y avait un problème. Un tapis pour s'essuyer les pieds et une arche de séchage magique ne seraient pas non plus de trop. Et des lampes pour sortir, des capes de secours, des gants et des chauffe-mains. Et d'autres lampes pour éclairer un peu ce hall lugubre. Avec des rideaux pour habiller un peu le lieu. Et des tableaux.

Il sortit.

Il fut rassuré d'apercevoir Runcorn et deux autres silhouettes sur l'embarcadère, et partit les rejoindre en prenant garde de marcher sans montrer le moindre signe de hâte ou de peur.

L'attente fut plus longue que lors du lundi précédent. Peut-être même plus longue encore que la première fois où Drago avait attendu Potter dans le canapé, en se rongeant les sangs. Au fur et à mesure que la nuit tombait, le froid s'intensifiait, et Drago, grelottant, s'approcha de plus en plus du feu de campanule du Major. Il estima toutefois avoir fait le bon choix en descendant. S'il était resté seul là-haut, rien ne l'aurait empêché de se mordre les doigts jusqu'à les arracher.

Ça aurait déçu Potter de voir le résultat.

Enfin, ils entendirent la corne de brume, et les trois Surveillants plaisantèrent sur l'emploi du temps décidément imprévisible et insupportable de leur Directeur. Le bateau s'approcha du quai, et Potter et les deux marins sautèrent à terre pour aider à l'amarrage. Drago l'observa faire, à la lueur bleutée du feu magique. Ses belles mains agiles qui semblaient aussi douées pour agiter une Baguette que pour n'importe quel travail manuel… il n'était même pas étonné que Potter soit capable de cette corvée : Après tout, le Survivant était un prodige dans chacun des domaines qui pouvait l'intéresser.

Quand il releva la tête et le remarqua, Drago sut immédiatement que quelque chose n'allait pas. Potter lui adressa un sourire heureux mais inhabituel, puis vient toucher les mains glacées qui serraient la cape contre son corps.

« T'es transi de froid, fit-il remarquer. Rentre. J'arrive tout de suite. Je dois aider à décharger tout ça. »

Drago hocha la tête mais resta sur le quai, observant les hommes qui remplissaient de provisions alimentaires ou d'autres choses les petits wagons qu'ils envoyaient d'un geste de baguette rejoindre les cuisines du château. Comme les fois précédentes, Potter semblait avoir été gâté lors de son passage sur le chemin de Traverse : Quand la corvée du déchargement fut terminée, il fit léviter hors de la cabine une nouvelle quantité de cadeaux et hommages qui vint doucement le rejoindre en flottant. Enfin, il salua joyeusement le capitaine du ferry et les deux marins, et le bateau effectua la manœuvre de départ.

Il se tourna à nouveau vers Drago.

« Tu sais que si tu fais une hypothermie, je vais finir par m'énerver », plaisanta-t-il en prenant le chemin du Château, éclairant la route avec un Lumos éthéré.

« J'ai pris une cape, se défendit Drago en lui emboitant le pas.

– Vu ce que celle-ci protège, tu aurais pu tout aussi bien venir à poil. »

Ils se dirigèrent vers le monte-charge, que Drago appela de sa clochette d'or. Une fois en sécurité dans la cabine, il observa le visage de Potter à la lumière plus franche des lampes halogènes. Comme il l'avait suspecté sur le quai, quelque chose n'allait pas. Il lui souriait, bien sûr, mais d'un sourire qu'il ne lui connaissait pas.

« Quoi ? demanda l'observé, moqueur.

– Rien. » prétendit Drago.

Dans son état normal, Potter lui aurait réchauffé les doigts. Il aurait profité de l'exiguïté de la cabine pour le peloter. Il se serait excusé en plaisantant de son retard.

Ils rentrèrent dans le logement du Directeur sans qu'il n'ait rien fait de tout cela.

« Comment ça s'est passé ? osa-t-il finalement demander après avoir accroché la cape au porte-manteau de l'entrée.

– Bien, mentit Potter sans une hésitation. T'avais raison sur le fait de ne pas y aller uniquement le lundi : Rita Skeeter m'attendait sur les docks, et j'ai été obligé de transplaner pour lui échapper. Du coup, j'en ai parlé avec Kathleen, et on a réussi à échanger plusieurs séances avec d'autres patients, ce qui fait que… »

Il répondait sans vraiment le regarder, trifouillant dans les paquets cadeaux dont on l'avait encore couvert.

« Ah, la voilà ! s'exclama-t-il gaiment en dénichant une bouteille dans le lot. Quand je suis passé au Chaudron Baveur, Tom a vu les sacs du Libanais, et il m'a dit que ça accompagnerait bien ! »

Drago n'était pas bien sûr qu'il soit pertinent d'insister. Potter semblait vouloir agir comme si de rien n'était. Il accepta finalement de jouer le jeu.

Il s'avérât que ce que Potter avait cru être un vin blanc était en fait de l'arak, un eau-de-vie beaucoup trop alcoolisée compte tenu de la taille des verres qu'ils avaient remplis. Contrairement à Drago, Il parvint à finir le sien, hilare, le visage rougi et les yeux brillants, pour ne pas gâcher. Le reste du repas se déroula donc dans une ambiance quasi festive, chaque bouchée de chaque plat – et encore une fois, ils étaient nombreux – semblant être un spectacle formidable pour le Sorcier à l'esprit embrumé. Drago lui-même avait un peu trop chaud pour pouvoir prétendre que l'alcool n'avait eu aucun effet sur lui.

« Je suis pas bourré, prétendit pourtant Potter en dépiautant consciencieusement un baklavas au moment du dessert. Je suis juste un peu pompette.

– Est-ce que tu bois souvent, Potter ?

Potter, répéta celui-ci en imitant la voix de Drago et en ricanant. Non. La dernière fois où j'ai bu un alcool fort, c'était à Noël. » Il resta silencieux quelques secondes, puis s'exclama : « Ah, tu te souviens ?! On était allés dans ta cellule et on avait baisé ! »

Drago frissonna à ce souvenir. Ça n'avait pas été la pire de leurs relations sexuelles. Au contraire, même. Il n'empêche que ce « on était allés », comme si Drago avait eu voix au chapitre était un peu déstabilisant.

« T'étais tellement sexy, putain… marmonna Potter en suçotant ses doigts pleins de sucre. J'avais pas eu le droit de regarder avant la fin… Mais à la fin, j'avais le droit, et putain, j'y pense encore. Je crois que c'est à peu près l'une des seules fois où je t'ai fait jouir, hein ? Quand je pense que…

– Non.

– Hein ? » Il détourna son attention de sa petite bouillie de pâtisserie et observa Drago avec ses yeux brillants, aux paupières alourdies par la boisson.

« Trois ou quatre jours après, tu m'as masturbé, lui rappela Drago, un peu mal à l'aise. Ici, précisa-t-il en désignant une chaise. Cette fois-là aussi, j'ai joui.

– Ah oui, admit Potter en regardant la chaise. Deux fois, hein ? Je suis un putain de Don Juan… »

Oui. Et pourtant, Potter prononçait ça avec une espèce d'ironie malheureuse. Drago se demanda si Potter connaissait véritablement l'histoire de la pièce et le personnage. Il n'avait pas commandé l'ouvrage, préférant se focaliser sur la littérature Britannique. Une petite sélection d'œuvres européennes pourrait compléter intelligemment la bibliothèque, se dit-il en étudiant pensivement le meuble.

« Je t'avais traité de trainée, je me souviens, continua Potter d'un ton monocorde. Et de petite chose sale. Je trouvais ça marrant.

– C'était marrant », confirma Drago en continuant de calculer le nombre d'ouvrages que le meuble pourrait encore accueillir… Peut-être… Peut-être remiser les ouvrages pratiques de magie de tous les jours dans un placard, puisqu'ils ne servaient jamais. Baisser encore les romans moldus d'un étage. Les étagères du haut pourraient accueillir la littérature classique. L'espace le plus accessible resterait destiné aux livres sur les Détraqueurs et autres créatures des Ténèbres, et aux deux albums photos.

Le silence s'éternisait. Drago tourna la tête et s'aperçut que Potter l'observait, la tête penchée sur le côté, un sourire triste aux lèvres.


Et c'est la dernière fois que j'évoque le rangement de la bibliothèque de Harry :D
C'est, comme le fait qu'il devienne beau aux yeux de Drago, un truc que je trimbale depuis le chapitre 17, avec les romans moldus qui descendent progressivement les étages pour être de plus en plus accessibles... Un petit signe que Drago devient un peu plus tolérant.

Les relations sexuelles évoquées dans ce chapitre se trouvent chapitre 19 et 27, et effectivement, Harry avait insulté Drago sur le ton de la plaisanterie cette fois-là.