Précédemment : Allura, Shiro et Matt veulent aller sauver Keith et les autres, piégés sur la planète galra, mais ne peuvent rien faire tant que la Garde n'a pas rassemblé plus d'informations. Val s'est presque épuisée à la tâche en cherchant à comprendre comment elle et Nyma ont fait pour rejoindre Lance. Nyma l'a forcée à s'arrêter en lui promettant qu'elles pourraient s'y remettre une fois que les autres seraient sains et saufs. Pendant ce temps, Lance et Akira ont quitté le lion rouge, reprenant la route du 301 pour y chercher de quoi soigner Keith.
Ailleurs dans l'univers, Rax et Rolo n'ont pas vu Sam depuis des jours. Rolo a fouillé tout le laboratoire à sa recherche alors que Rax pense qu'il est mort, ce qui les a conduits à se disputer. Rolo est allé reprendre ses recherches, mais à son retour dans la cellule, il a découvert que Rax avait été enlevé par les gardes.
Chapitre 39
Détournement de likurs
La douleur rongeait l'esprit de Thace. Sourde et pulsatile, puis soudainement plus vive, elle le crispait et le déconcentrait. Il savait que s'il la laissait l'envahir ne serait-ce qu'une fois, il s'y perdrait. Il avait vu l'état de ses blessures et savait qu'elles étaient sévères. Certes, pas autant que les dégâts qu'il avait subis lors de sa fuite de l'Empire, mais elles restaient suffisamment mauvaises pour l'empêcher de se battre un moment.
Elles enfonçaient leurs griffes dans sa chair, douleurs fantômes du passé comme du présent. Dès qu'il avait découvert son neveu étalé dans les décombres de l'atrium, brûlé à vif et couvert de sang, il s'était senti comme au bord d'un ravin. S'occuper des blessures de Keith lui avait permis de s'accrocher. Discuter avec Lance et Akira du meilleur endroit où se cacher l'avait ancré dans l'instant. Mais le rugissement des explosifs, le froid glacial de l'espace et l'absence de bruit et de sensation se tapissaient encore dans les coins sombres de son esprit.
Il avait failli périr dans une explosion autrefois.
Il l'aurait refait cent fois pour éviter à Keith d'en faire l'expérience.
Un accroc dans la respiration de ce dernier le tira du brouillard agonisant dans lequel il était tombé après le départ de Lance et d'Akira. Il s'efforça de se redresser, clignant ses yeux fatigués et se rendant au chevet de son neveu.
— Lance ? murmura Keith.
Thace lui caressa doucement les cheveux.
— Lance n'est pas là pour le moment, je le crains. Il n'y a que moi.
Keith le regarda un moment sans comprendre. Son front se plissa, mais il s'appuya contre la main de Thace avec un soupir. L'anti-douleur que Thace avait trouvé dans le kit de premiers secours devait être la cause de sa confusion. C'était un médicament altéen, fait pour convenir au plus grand nombre d'espèces, sans doute. Chez un Altéen, il ne devait pas avoir un tel effet soporifique. Les concepteurs devaient souhaiter que les paladins soient en mesure de rester alertes en attendant des secours, après tout.
Chez un Galra, cependant, cela avait autant l'effet d'un sédatif que d'un analgésique, si bien que Keith avait passé la majorité des quatre dernières heures à somnoler. Il était parfois conscient de la présence de Thace, mais pas tout le temps.
Au moins, il ne souffrait pas.
Thace s'installa confortablement par terre à côté de sa couchette et continua de lui caresser les cheveux, fredonnant une mélodie qu'il espérait apaisante, un grondement sourd s'élevant de son torse. Il s'était très peu occupé d'enfants et Keith était bien trop grand pour ce genre de petits conforts. S'il avait été lucide, il aurait sans doute été vexé de ce traitement infantilisant, mais au cas présent, c'était tout ce que Thace pouvait lui offrir.
Il était blessé, exténué, avec très peu de ressources, mais il comptait bien se battre jusqu'à son dernier souffle pour le protéger. À côté, une berceuse n'était qu'un petit prix à payer.
Lance stoppa Akira juste à la sortie d'une allée.
Akira lui jeta un œil, l'adrénaline faisant battre ses veines.
— Quoi ?
Lance hésita un moment, le regard rivé vers les toits de la ville.
— J'ai un plan.
— Je misais un peu dessus, dit Akira, parce que moi, j'ai rien.
Le coin des lèvres de Lance se releva brièvement.
— Ce n'est pas un très bon plan.
— C'est-à-dire ?
Lance hésita encore un peu, puis détacha son regard du ciel pour se tourner vers Akira.
— Bon, on a besoin de matériel médical, pas vrai ?
— Oui… ?
Akira pencha la tête de côté, cherchant à comprendre où il voulait en venir. Ils avaient déjà écarté l'idée de voler des médicaments, même s'ils trouvaient par miracle un stock dans la chambre privée de Vit. Ils ne savaient pas de quoi Keith avait besoin et prendre le mauvais truc ferait plus de mal que de bien. Il fallait donc du matériel médical, comme une capsule cryogénique ou une unité de soin local comme ils avaient au château.
— Et donc ?
Lance se gratta la nuque.
— Et donc, où va-t-on en trouver ?
— Dans un hôpital militaire ? essaya Akira. Ou peut-être chez tes amis rebelles ? Je sais pas.
— Même si je savais comment entrer en contact avec la résistance, ça prendrait trop de temps pour eux de nous trouver ce qu'on cherche.
Akira secoua la tête, sentant monter la peur et l'anticipation devant le sourire sombre qu'affichait Lance.
— D'accord. C'est donc là que ton plan entre en jeu ?
— Exact.
Lance pointa du doigt une fine tour argentée de l'autre côté de la rue. Elle n'était pas aussi imposante que le bâtiment dans lequel Akira avait trouvé Keith et Lance plus tôt, mais elle était presque aussi prétentieuse avec tous ses ornements de verre, de filigrane et les centaines de cristaux visibles à l'intérieur, brillants comme de grosses étoiles violettes.
— C'est une clinique privée. Elle est techniquement ouverte à tous, mais soyons honnête : personne n'a les moyens de se payer ce genre de soins. Y vont généralement les officiers impériaux, les chefs d'entreprise, etc. On y trouve le meilleur équipement du coin.
Akira jeta un regard un peu blasé à Lance, qui rougit.
— Écoute, si tu veux aller vite, c'est notre meilleure option.
— Oh, non, je sais, dit Akira en levant les mains. Je suis simplement déçu qu'on ne cherche pas à s'introduire dans le penthouse de Vit.
Lance fut bien obligé de sourire, bien qu'il restait crispé.
— Bah… Il est possible que Vit soit là. Je l'ai un peu explosé, après tout.
— Génial, dit Akira. Mais aussi ? Merde. Tu penses que la sécurité va être renforcée ?
— Sûrement, ricana Lance. Après, je peux pas te dire à quel point.
Bon, cela allait certainement poser problème. Akira étudia la clinique, observant les fenêtres pour y déceler du mouvement. S'ils avaient de la chance, le personnel n'allait pas vouloir de tout un tas de soldats grouillant dans les couloirs et gênant tout le monde. Si Vit était bien là, il serait bien sûr entouré d'une équipe de gardes du corps. Peut-être même d'une unité patrouillant son étage. Mais ce serait tout. Peut-être.
Akira ne se fiait pas trop à leur chance.
— Est-ce qu'on sait au moins ce qu'on cherche ?
— Des unités de soin portables, dit Lance. Mirek a réussi à en trouver une il y a quelques mois, alors je sais à quoi ça ressemble.
Il écarta les doigts et leur donna la forme de crochets.
— C'est une sorte de grosse araignée avec une ampoule remplie de quintessence liquide sur le dos. C'est un… likur, je crois ? Si je comprends bien l'étymologie, d'ailleurs, ça fait référence à une créature locale qui était utilisée à leur version du Moyen-Âge. C'est comme s'ils appelaient ça des sangsues.
Akira haussa les sourcils.
— Quelle belle image mentale.
— Je te jure. Mais c'est presque aussi puissant qu'une capsule cryogénique et c'est assez petit pour qu'on puisse en porter plusieurs sans que ça nous empêche de nous battre.
Et c'était ce qu'ils pouvaient espérer de mieux, étant donné leur situation. Akira vérifia que son pistolet était bien rangé dans son étui à sa hanche, prit une profonde inspiration pour se calmer, puis fit un signe de tête à Lance.
— Allons-y.
Rolo veillait sur Rax tandis que les druides conduisaient leurs expériences. Ils se trouvaient dans un nouveau laboratoire ou, du moins, une salle nouvellement convertie en labo, parce que Rolo avait visité l'intégralité des lieux sans jamais remarquer la moindre activité dans la zone. Ça rentrait tout juste dans la limite de sa portée. S'il ne s'était pas tant épuisé à chercher Sam ces derniers temps, il aurait peut-être pu agir au lieu de rester assis là.
Mais bon, à quoi bon ? Il savait que les druides cherchaient actuellement à séparer la quintessence de Rax de son corps, si bien que la moindre attaque technopathique serait attribué à ce dernier, ce que Rolo ne pouvait supporter. Il pouvait à peine supporter de regarder. Le fait qu'ils reprenaient leurs expériences sur Rax après si longtemps pouvait dire deux choses : soit ils avaient finalement reçu l'effectif et le matériel nécessaires pour accélérer, soit ils avaient presque fini de connecter Rolo à son enveloppe.
Cette idée le glaçait jusqu'à l'os, mais il ne pouvait rien y faire. Sam n'était plus là, peut-être pour toujours. Rolo ne pouvait pas prendre le risque de se déchaîner sans que Rax n'en souffre des conséquences.
Il ne pouvait donc que rester assis là en observateur et espérer que, d'ici la fin, Rax ne s'en irait pas. Rolo se souvenait des hallucinations qu'il avait eues quand il avait été à sa place. Il se souvenait de la facilité avec laquelle il aurait pu se laisser… disparaître. Il se demandait si le fait que Rax avait grandi sous l'emprise de l'Empire et s'était résigné à la captivité et la souffrance allait jouer en sa faveur ou s'il allait simplement accepter la fin qu'on lui offrait.
Rolo serra ses genoux contre son torse en regardant les druides s'activer. Lui et Rax n'étaient pas spécialement proches, mais au moins, ils se tenaient compagnie. Rolo ne savait pas ce qu'il ferait s'il le perdait en plus de Sam. Il ne se pensait pas assez fort pour y survivre.
— Tiens bon, Rax, murmura-t-il.
Il se sentit un peu coupable, mais était trop fatigué pour s'en soucier. C'était peut-être égoïste de sa part d'espérer que Rax s'accrocherait à la vie. Il devrait peut-être espérer qu'il trouve enfin la paix.
Mais Rolo ne pouvait pas se mentir.
Il ne voulait pas être seul.
Le Veilleur s'éveilla quelque part au loin, comme pour lui rappeler que lui serait toujours là, mais ça ne fit que faire sombrer son cœur un peu plus. Tout lui paraissait étouffant, comme s'il était coincé dans un corps trop petit pour le contenir. Ironique, puisqu'il n'était même pas dans son corps en ce moment.
Rax poussa un petit halètement de douleur et Rolo se tourna vers lui aussitôt. Il ne pouvait rien faire. Il devait se le rappeler sans cesse avant de tenter un truc qui le fatiguerait tellement qu'il ne pourrait pas être là pour son camarade de cellule quand il en aurait le plus besoin.
Il devait tenir encore un peu.
Cela prit plus de temps que Rolo ne l'avait anticipé et il était perdu dans ses pensées quand un changement se produisit enfin. La fatigue, le Veilleur, le futur qui ne s'annonçait pas joyeux, Sam et le silence oppressant qui accompagnait son absence… tout ceci l'occupait tellement qu'il faillit ne pas remarquer le changement de pression dans la pièce.
Ce n'était pas une sensation physique : rien dans la pièce n'avait vraiment changé, si ce n'est que les druides s'étaient déplacés devant les écrans et échangeaient à voix basse sur ce qu'ils y voyaient.
Non, ça se rapprochait beaucoup plus de ce que Rolo ressentait quand le Veilleur lui prêtait attention : le poids d'un regard, la pression d'une autre présence dans son espace. Cette présence-là n'était pas malveillante, seulement triste. Rolo se leva, cherchant Rax, mais il était encore trop nébuleux. Il se dit que c'était ça que Sam devait avoir vu quand Rolo partait à la dérive. Rax n'était plus dans son corps, mais son esprit n'avait pas encore pris de forme concrète. Il stagnait dans l'air autour des machines qui les entouraient. Rolo chercha à l'effleurer mentalement et put presque le percevoir.
Puis, d'un coup, la présence se condensa et Rax se tint devant lui, regardant son corps d'un air nauséeux.
— Tout va bien, Rax, dit Rolo en s'approchant de lui.
Il ne chercha pas à le toucher. Rax semblait à deux doigts de paniquer. Il valait mieux y aller doucement.
Rax pivota, les yeux écarquillés en remarquant sa présence. Il regarda les druides, les bras levés comme s'il se préparait à une attaque. Rolo leva les mains à son tour dans un geste apaisant, s'efforçant de garder un ton calme :
— Tout va bien. Ils ne peuvent pas nous voir.
Rax tourna à nouveau la tête vers lui, le souffle court.
— Quoi ? Comment ça ? Qu'est-ce que– Qu'est-ce qui se passe ?
— Pour faire court ? Ils ont séparé nos consciences de nos corps.
Rolo tendit doucement le bras pour passer la main à travers un moniteur proche.
— On n'est pas vraiment dans le monde physique, je pense. Je… Merde, j'en sais rien. Sam comprenait mieux que moi comment ça marche. J'aurais voulu que ce soit lui qui t'en parle. Mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'ils ne savent pas qu'on peut faire ça, dit-il avec un geste en direction des druides. Ce qui veut dire qu'on a l'avantage.
— Quel avantage ? demanda Rax. Nous sommes prisonniers– des sujets tests ! Que pouvons-nous bien leur faire ?
Un sourire étira les lèvres de Rolo et il indiqua à Rax de le suivre dans un coin de la pièce pour qu'ils puissent s'asseoir loin des druides et de son corps.
— Viens, dit-il. Je vais tout t'expliquer, mais c'est une longue histoire.
Keith avait… froid.
Il ne faisait pas…
Il ne faisait pas froid autour de lui.
Ce n'était pas comme une randonnée au cœur du blizzard de Revinor ou la sortie d'une capsule cryogénique.
Lui était froid.
Il était froid, et seul.
Des images confuses lui parvinrent. Lance, debout devant lui. De la fumée dans l'air. Thace qui fredonnait, enveloppé des douces lueurs rouges du cockpit de Red. Shiro, quelque part, sans substance, l'attirant dans une étreinte qui aurait dû lui faire mal.
Keturah.
C'était la présence de Keturah qui lui avait permis de comprendre qu'il rêvait. Il ne dormait pas vraiment, du moins il ne le pensait pas. Il avait du mal à réfléchir et le temps continuait de faire de drôles de bonds qui le laissaient désorienté. Une minute auparavant, Lance était là, puis celle d'après, alors qu'il l'appelait, quelqu'un lui disait qu'il n'était pas là.
Mais ça, c'était en grande partie réel.
Il pensait que c'était réel.
Puis il vit Keturah, la vit se tenant dans le hangar d'un vaisseau galra, les cheveux ébouriffés et les yeux lançant des éclairs alors qu'elle regardait Zarkon et que Zarkon la regardait, chacun refusant de céder.
Un élancement de douleur si vif sortit Keith du rêve. Le fredonnement cessa.
Le fredonnement ?
— Keith ? Tu m'entends ?
Thace.
Keith peinait à remettre les choses en ordre. Lance était parti. Akira… Avait-il vraiment été là ou était-ce aussi un morceau de rêve ? Peu d'importance. Il n'y avait plus que Thace, qui fredonnait. (Keith pensait qu'il le faisait depuis un moment, mais il n'avait remarqué que le silence quand il s'était tu, si bien que c'était difficile d'en être sûr.)
— Keith ?
Keith ouvrit les yeux et une image de Thace dansa devant lui, refusant de se préciser quand bien même il plissait les yeux.
Une main se glissa dans la sienne.
— Peux-tu me serrer la main ? Serre-la si tu peux m'entendre.
Ça, c'était facile. Plus facile que de… que de parler, ou de penser, ou n'importe quoi d'autre. Alors Keith serra, et l'autre main le serra en retour.
— Tu as mal ?
Mal ? Keith se souvenait de la douleur. C'était ce qui l'avait réveillé, pas vrai ? …Non ?
Il n'avait plus mal.
Thace continuait de parler, mais Keith avait repris sa dérive, le lit sous lui se balançant comme le pont d'un bateau aperçu dans les souvenirs de quelqu'un d'autre. Il voulait que ça s'arrête.
Les rêves revinrent peu à peu, une douleur sourde prenant racine dans son torse. Keturah était à nouveau là, et Zarkon, et Lealle, et Alfor. Il les connaissait tous très bien. Il les aimait.
Puis il se vit, petit et brisé, et ce même amour redoubla en intensité.
Repose-toi, dit une voix. Je te protégerai.
La nouvelle leur parvint trois heures après que Nyma eut convaincu Val d'aller se reposer.
Ils étaient prêts à frapper.
Val était déjà debout avant même que Shiro ne finisse sa phrase, faisant trois cercles complets avant de se rappeler qu'elle était dans la chambre de Nyma, cette dernière ayant voulu s'assurer qu'elle n'allait pas filer en douce. Ce qui… était raisonnable.
— Quand partons-nous ? demanda Val, se précipitant vers la salle de bains avant de se souvenir que Nyma n'avait pas de brosse.
Elle pivota abruptement et trouva Nyma assise au bord du lit, se passant les mains sur le visage.
— Le lieutenant-colonel Layeni est en train de rassembler la garde, dit Shiro. Vous pouvez nous rejoindre dans la salle de conférence d'ici cinq minutes ?
— On arrive tout de suite, dit Val.
Elle mit fin à l'appel et rangea l'appareil de communication dans sa poche avant de remarquer que c'était celui de Nyma. Shiro méritait des félicitations pour ne pas avoir réagi. Enfin bon, lui et Matt avaient certainement déjà répondu aux appels de l'un ou de l'autre sans que Val ne s'en rende compte elle-même.
— Tu as entendu ? demanda-t-elle à Nyma.
Nyma agita la main pour signifier que oui et Val regagna sa chambre en courant pour se brosser les cheveux et les ramener dans un chignon négligé. Elle enfila son armure en moins de deux minutes et sortit juste alors que Nyma allait toquer.
Val se mit sur la pointe des pieds pour lui offrir un petit baiser chaste.
— Merci.
Elle n'en dit pas plus et Nyma n'était pas suffisamment réveillée pour capter toute la nuance de ce que Val cherchait à lui dire, mais le temps leur manquait. La bataille à venir faisait déjà affluer l'adrénaline dans ses veines, chassant sa fatigue. Elle n'était pas tout à fait reposée, elle le savait, mais c'était mille fois mieux que si elle avait passé les trois dernières heures à entrer et sortir du plan astral pour tenter l'impossible avec sa bilocation.
Elles mirent en tout et pour tout sept minutes à rejoindre la salle de conférence, le temps de passer les contrôles de sécurité supplémentaires. Shiro et Allura les attendaient déjà à l'intérieur, en compagnie de Matt et de Layeni.
— Il n'y a que nous ? demanda Val en prenant place.
Elle ne savait pas quoi en penser. La planète mère ne devait pas être si bien défendue s'ils n'avaient pas appelé toute l'équipe à la rescousse. Mais elle se serait quand même senti bien mieux d'y aller tous ensemble.
Shiro et Allura échangèrent un regard.
— Nous avons reçu un message de Meri il y a une heure, dit Allura. Bref, mais de haute importance. Elle a peut-être découvert où se trouve le père de Pidge.
À côté d'elle, Nyma se raidit et Val lui prit la main.
— Vraiment ? couina Val.
Shiro acquiesça.
— Impossible de vérifier la récence de l'information, mais Pidge et Ryner sont allés y jeter un œil.
— On va leur prêter un coup de main dès que nous aurons récupéré Keith et Lance, dit Matt.
Ses traits étaient tirés, ce que Val avait pris pour de l'inquiétude envers Keith, mais qui était en réalité bien plus compliqué que ça. Il lui offrit un sourire qui n'atteignait pas ses yeux.
— Pour l'instant, ils doivent inspecter les environs, alors ça ne sert à rien d'y aller à plusieurs. Il faut qu'on se concentre d'abord sur cette mission.
Val acquiesça, serrant la main de Nyma. Elle se demanda si Coran avait parlé à Pidge du message du Dignitaire avant son départ. De la possibilité que Rolo soit détenu avec Sam. Il ne l'aurait sûrement pas fait sans la permission de Nyma, mais le fait que Pidge soit peut-être sur la bonne piste changeait la donne.
— D'accord, dit Val. Hunk et Shay vont nous rejoindre ?
— Pour l'instant, partons du principe que non.
Shiro fit apparaître une carte holographique de la planète galra en parlant :
— Ils ont trouvé quelque chose pendant leur recherche d'une migration balmérane. Je ne sais pas ce que c'est, mais Coran m'a paru… distrait.
Il jeta un autre regard à Allura, puis secoua la tête.
— Ils sont au courant de la situation sur la planète mère et viendront nous aider s'ils peuvent, mais apparemment, ce qu'ils ont trouvé requiert leur attention immédiate.
— Ça ne fait rien, dit Layeni. Vous avez vu les rapports de mes hommes. Une présence impériale entoure en effet Daibazaal, mais ce n'est rien que nous ne puissions affronter.
Allura se redressa, d'attaque pour une session stratégique.
— Le lieutenant-colonel a raison. Val, Nyma, vous allez jouer le rôle d'artillerie lourde pour l'assaut principal de la Garde. Il y a un vaisseau de commande en orbite avec trois autres vaisseaux de guerre dans l'armada. Concentrez vos tirs sur eux et laissez la Garde s'occuper des chasseurs.
— Nous vous rejoindrons par un deuxième trou de ver après l'assaut initial, ajouta Shiro. Avec un peu de chance, nous trouverons un point faible où traverser, parce que nous nous dirigerons droit vers la surface. Matt rejoindra Red et la ramènera au château avec Keith, Lance, Akira et Thace à bord. Allura et moi couvrirons leur retraite.
— Simple, mais efficace, dit Val. On est prêts au départ ?
Shiro acquiesça. Matt était déjà sur le chemin de la sortie, le pas rendu leste par une énergie nerveuse que Val ne pouvait que comprendre. Le commandant Holt était à leur portée.
Et Rolo aussi, si le Dignitaire disait la vérité.
Val resta en retrait avec Nyma, consciente de sa propre nervosité.
— Val, dit Nyma.
— Je sais, répondit-elle en lui serrant les doigts. Tu veux en parler à Shiro ? S'il savait–
— S'il savait, il nous dirait d'y aller, dit Nyma, le choc initial commençant à se dissiper.
Elle fronça les sourcils et carra les épaules.
— Il est trop gentil, parfois, tu l'as remarqué ? Il nous manque déjà trois lions. On ne peut pas–
Val la fit taire en portant un doigt à ses lèvres.
— C'est toi qui vois. On peut apporter notre aide à la planète mère ou l'apporter à Pidge. Dans tous les cas, l'un ou l'autre sera en unité réduite. C'est juste un fait quand on affronte l'Empire, pas vrai ? On s'en sortira. On le fait toujours.
Pendant un moment, Nyma resta silencieuse, la regardant comme si elle la découvrait. Puis son regard s'adoucit et elle laissa ses épaules retomber.
— La planète mère d'abord, dit-elle d'un ton ferme. Pidge et Ryner n'ont pas besoin d'aide pour faire du repérage et Rolo m'en voudrait s'il apprenait que je n'ai même pas essayé d'aider Keith quand il en avait besoin.
— Ils sont si proches que ça ?
— Dans la tête de Rolo, peut-être, railla Nyma, tirant Val à sa suite en se dépêchant de rejoindre les autres. Ils n'ont parlé que vingt minutes, mais pendant toute la semaine qui a suivi, j'ai eu le droit à du « Keith, Keith, Keith ». Je ne sais pas s'il est tombé amoureux de ce gamin ou s'il veut l'adopter, mais en tout cas, il ne se défilerait pas.
Nyma n'était pas non plus du genre à se défiler, pensait Val. Peut-être l'avait-elle été, autrefois, mais plus maintenant. Pas depuis que Val la connaissait, honnêtement. Mais c'était plus facile de rejeter la faute sur Rolo. Val n'allait pas lui retirer ça.
— D'accord, dit-elle, appuyant son bras contre celui de Nyma. Allons-y. On verra ensuite où en est Pidge.
Elle n'ajouta rien, ne fit pas la promesse que Rolo serait là et qu'ils allaient le récupérer. Elle espérait que ce serait le cas, désespérément, mais elle avait appris à être cynique et savait que Nyma était cent fois meilleure dans ce domaine.
Mais Meri leur avait apporté une piste.
Et peut-être, juste peut-être, que c'était exactement ce qui leur manquait depuis tout ce temps.
Lance aurait peut-être dû y réfléchir un peu plus longtemps. Il n'avait aucune info sur la clinique, aucun plan des lieux, aucun éclaireur, personne pour surveiller leurs arrières à distance. Il n'aurait jamais cru qu'Arel lui manquerait un jour, mais purée, il aurait été d'une grande aide s'il avait été présent.
— Ok, souffla-t-il.
Lui et Akira s'étaient réfugiés dans un placard du deuxième étage en entendant des pas approcher. Ils étaient passés sans s'arrêter, mais Lance n'arrivait pas à calmer son cœur affolé.
— Je révise ce plan. Il faut qu'on soit malins.
— Il faut surtout qu'on avance, dit Akira. Tant que personne ne nous remarque, on va forcément tomber sur les sangsues à un moment ou un autre.
— Ça pourrait prendre un bout de temps et c'est ça qui m'inquiète.
Lance éloigna Akira de la porte et se frotta le front.
— Écoute, je sais que t'es un Red et que foncer tête baissée, c'est bien votre truc, mais là, ça va pas marcher. Le bâtiment est trop grand et il y a trop de monde qui pourrait nous repérer et alerter la sécurité.
Akira ouvrit la bouche, puis la referma en grognant.
— D'accord. Et donc, qu'est-ce qu'on fait ?
C'était ce que Lance cherchait à déterminer, en fait. Ils avaient déjà dû découper le verrou d'une porte de service pour entrer dans la clinique sans se faire remarquer : deux humains, ça se repérait comme le nez au milieu de la figure, armure altéenne ou non. Ce n'était qu'une question de temps avant que des alarmes ne se mettent à sonner de partout, mais Lance n'avait pas une image d'ensemble assez claire pour choisir la marche à suivre.
— Il faut qu'on aille jeter un œil aux panneaux directeurs.
— Quoi ?
— Cet endroit est comme un guichet unique pour les 1% des Galras, expliqua Lance. On trouve quasiment tout dans une seule et même tour. Même possiblement un service de traumatologie, ce qui nous arrangerait, parce que c'est là qu'on va trouver des tas de likurs. Malheureusement, la plupart des autres services du bâtiment n'en ont pas besoin, alors sans directions, on va passer des heures à chercher.
— Alors allons jeter un œil à ces panneaux.
Lance lui jeta un regard amusé.
— Habillés comme ça ? On se fera coincer direct.
Un grand sourire passa sur les lèvres d'Akira.
— Donc, si je comprends bien, tu as besoin d'une diversion.
— N'avertis pas les gardes, dit aussitôt Lance.
Le sourire d'Akira s'accentua.
— Et ne va pas te faire tuer.
— T'as pas confiance ?
— Vraiment pas, dit Lance, sans pour autant pouvoir s'empêcher de sourire à son tour.
Il attendit vingt secondes après le départ d'Akira pour prendre les escaliers réservés au personnel à l'arrière du bâtiment afin de rejoindre le rez-de-chaussée, où se trouvait une énorme fontaine en cristal de Balméra qui jetait des lueurs bleues sur le plafond carrelé. Tout autour se trouvaient des plantes en pot, des bancs dos à des chutes d'eau et des petits bassins avec d'étranges lotus d'un orange éclatant. Lance était persuadé que cet étage ne servait qu'à étaler leur richesse, parce qu'à part les bureaux de la réception contre un mur, les cages d'ascenseur en verre d'un côté de la fontaine et l'escalier dissimulé derrière de simples panneaux gris, il n'y avait rien d'utile dans le coin. C'était juste un stupide jardin botanique.
Lance s'était heureusement rappelé d'amener une cape et s'enveloppa dedans pour traverser la pièce, se servant des buissons et des cascades pour éviter de se faire remarquer par les employés et les visiteurs.
S'il ne savait pas qu'Akira était en train d'opérer sa diversion, il n'en aurait même pas remarqué les signes. Il y avait beaucoup de murmures, des cous qui se tendaient, quelques réceptionnistes qui s'agglutinaient devant les toilettes pour jeter un œil à l'intérieur.
Lance ne perdit pas de temps. Il n'alla pas se planter devant les panneaux directeurs : non seulement ce n'était pas nécessaire, mais c'était aussi trop risqué. Il n'eut qu'à passer de chute d'eau en chute d'eau jusqu'à trouver le bon angle, puis activa la fonction zoom de la visière de son casque pour y voir plus clair. Il scanna la liste des unités, allant de la santé génésique aux soins d'urgence, en passant par le traitement de la douleur, la physiothérapie et quelque chose intitulé « centre de regain de vigueur ».
Voilà bien un truc de riches.
Il y avait quelques éléments prometteurs sur la liste, mais aucun ne l'était autant que le centre de traitements des blessures et brûlures aux dixième et onzième étages. Ils devaient avoir du matériel adapté aux soins ciblés et rapides.
Lance fit demi-tour et retrouva Akira devant la porte de l'escalier, le regardant avec impatience.
— C'est au dixième étage, répondit Lance à sa question silencieuse. On va devoir trouver une salle de stockage.
Il jeta un œil à la cage d'escalier : vide pour l'instant, mais il ne pensait pas qu'elle le resterait longtemps et dix étages étaient longs à monter quand le risque de se faire prendre augmentait à chaque instant. Lance escalada donc la rampe, étudiant les volées de marches qui montaient en spirale. Le jet-pack de son armure était fait pour naviguer en gravité réduite, mais ne pouvait pas tout simplement le propulser à la verticale.
Akira semblait avoir eu la même idée que lui, sauf qu'il ne prit pas la peine de peser ses options. Il monta sur la rampe à côté de lui et s'élança d'un geste, activant son jet-pack, plus petit et moins voyant que celui de Lance, mais non moins puissant. Il se catapulta ainsi deux étages plus haut, bien qu'il faillit rater la rampe. Il se rattrapa d'une main et s'écrasa contre les barreaux en lâchant un grognement de douleur.
Jurant, Lance le suivit (plus prudemment) et passa par-dessus la rampe avant de pivoter et d'aider Akira à se redresser.
— Ça va ?
Akira souffla, faisant voler les cheveux devant ses yeux.
— Ouais. C'est juste la première fois que je me sers d'un jet-pack pour monter un escalier.
Lance leva les yeux au ciel, mais Akira retrouva l'équilibre et ils reprirent leur ascension. Le bruit métallique de leurs bottes percutant les barreaux à chaque étage faisait grimacer Lance.
Alors qu'ils se trouvaient au huitième étage, une porte s'ouvrit un peu plus haut et Lance se figea sur la rampe alors qu'il préparait son prochain saut. Il tendit l'oreille, cherchant à évaluer la distance avec la porte qui venait de claquer et dans quelle direction les pas se rendaient. Des voix basses résonnaient dans la cage d'escalier, l'écho empêchant Lance de comprendre ce qu'elles disaient. Akira tira sur son bras et le ramena contre le mur. Ils attendirent ainsi, les yeux rivés sur la volée de marches la plus haute qu'ils pouvaient voir de leur position.
Une autre porte s'ouvrit et se referma, coupant les voix, et Lance put reprendre sa respiration.
— Viens, dit-il à Akira. Il faut qu'on se dépêche.
Cependant, un petit carillon retentit et une voix féminine indiqua calmement le lancement du protocole Verket. Lance avait la distincte impression de savoir ce que cela voulait dire. Il sauta, passant la rampe et montant le dernier demi-étage à pied, tandis qu'Akira bondissait tout droit sur la porte, sortant son pistolet.
— On joue notre va-tout ? demanda Akira.
Lance invoqua son bayard.
— Si tu entends par là qu'on fonce dans le tas en espérant ne pas se faire abattre, alors c'est non.
Akira plissa le nez, mais le suivit dans le couloir, arme pointée devant lui sans tirer. S'ils pouvaient gagner encore assez de temps, juste assez pour trouver une salle de stockage… Lance vérifia la présence de verrous numériques aux portes qu'ils dépassaient, se disant que le matériel onéreux devait être gardé sous clé.
Ils passèrent devant plusieurs portes numérotées, d'autres déverrouillées et une qui devait mener aux toilettes. Alors qu'ils arrivaient vers le fond du couloir, Lance rencontra le regard d'un Galra à l'uniforme lavande à travers le panneau transparent de la porte du fond. Il se figea, observant la confusion, puis l'effroi s'emparer des traits de l'homme.
— Merde, siffla Lance, prenant Akira par le bras et le ramenant en arrière.
— Quoi ?
Lance émit un son plaintif, se demandant ce qu'il pouvait lui répondre sans l'inciter à « jouer son va-tout ».
— Rien. Disons juste qu'on va devoir sauter quelques étapes.
Akira le dévisagea, puis pivota et regarda la porte avec le panneau transparent. Il jura et ils partirent en courant.
— Tu n'es pas sérieux.
Rolo appuya sa tête contre le mur en poussant un long soupir.
— Je sais que ça paraît fou.
Rax le dévisagea, incrédule, puis tendit la main d'un geste brusque. Elle traversa le bureau derrière lequel ils se cachaient, devenant brumeuse là où la chair rencontrait le métal.
— Es-tu certain que je ne suis pas simplement mort ?
Un rire monta dans la gorge de Rolo, mais il le coinça entre ses dents. Ce pauvre gosse en avait assez vu sans que Rolo n'en rajoute en lui montrant à quel point tout ceci le dépassait.
— Pas encore. En fait, on est dans une meilleure situation que ce matin. Euh… sans vouloir t'offenser. J'aurais préféré que tu subisses pas tout ça, crois-moi, mais puisque c'est notre seul moyen de sortir, on a plus d'options maintenant que je suis plus tout seul.
Rax retira sa main et l'enveloppa autour de ses genoux, fronçant les sourcils en regardant Rolo.
— Tu veux riposter. Comme tu l'as fait avec Sam, quand vous…
Il laissa sa phrase en suspens, mais il n'y avait pas beaucoup de choses auxquelles il pouvait faire référence. Rolo lui avait résumé rapidement ce que lui et Sam avaient fait, notamment la destruction du premier laboratoire, sans trop entrer dans les détails puisqu'il ne savait pas quand les druides allaient finir leurs expériences ni quand Rax retournerait dans son corps. Ils auraient le temps d'en reparler plus tard, quand Rax aurait compris comment sortir de son corps à volonté.
— C'est pas exactement ce qu'on va faire, je pense, dit Rolo. À ce stade, je suis pas sûr que ça changerait grand-chose et on peut pas se permettre de s'attirer leurs foudres. Mais on peut rassembler des informations. Fouiller un peu partout, essayer de comprendre ce qu'ils font, ce qu'ils ont fait de Sam…
Rolo marqua une pause, son cœur se serrant à nouveau en pensant à Sam. Le Veilleur s'était retiré, mais c'était impossible de l'ignorer totalement lorsqu'il était si loin de son corps.
— Sam a dit qu'il a réussi à se connecter au système des paladins. Il n'a pas su dire s'il avait pu leur faire passer son message clairement, mais qu'il allait recommencer ou que je pourrais tenter moi-même, puisque ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils m'envoient au combat, moi aussi. Si je peux leur dire où l'on se trouve…
— Shay viendra.
La voix de Rax était douce, serrée par l'émotion, et Rolo se risqua à poser une main sur son épaule. Le Balméran leva les yeux pour le regarder.
— Si ma sœur sait où me trouver, elle viendra.
— Ils viendront tous, dit Rolo. Les enfants de Sam font aussi partie de Voltron et j'aime croire que certains d'entre eux me considèrent comme un ami. Je sais qu'ils sont tous trop gentils pour laisser qui que ce soit pourrir ici. C'est pour ça qu'on doit rassembler des informations pour eux. Ça va sûrement te demander du temps pour t'y habituer, mais au bout d'un moment, tu seras capable de sortir de ton corps à volonté et t'éloigner de la cellule, ou d'ici quand on t'y emmène pour des tests. Sam est plus doué que moi pour passer les fichiers au crible, mais je t'apprendrai tout ce que je peux. On verra ce qu'on peut trouver avant que je–
Il s'interrompit quand Rax se figea, sa silhouette commençant à se brouiller.
— Ah, vrekt. On dirait qu'ils ont fini pour aujourd'hui. C'est rien. Résiste pas. Je vais rester avec toi sur le chemin du retour. Tu pourras pas me voir, mais je serai là.
Rax soutint son regard un moment comme s'il cherchait à évaluer sa sincérité. Puis il acquiesça et disparut sans un mot. Rolo se déplaça à son chevet en un clin d'œil, arrivant juste à temps pour entendre l'accroc dans sa respiration alors qu'il revenait à lui et à son corps endolori. Rolo lui serra le poignet, répugnant le fait que ce réconfort soit plus pour lui que pour Rax, qui se ratatina sur lui-même alors que des sentinelles approchaient pour le forcer à se relever.
— Allez l'installer, dit une druide.
Rolo pensait qu'elle s'appelait Decora. Elle semblait être aux commandes, alors il avait retenu sa voix.
— Puis allez chercher le sang-mêlé. Nous devons être partis dans vingt minutes.
Rolo sentit sa bouche s'assécher et il se rapprocha de Rax tandis que ce dernier se raidissait. Ils partaient ? Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Rolo voulait attraper Decora par le col et lui soutirer des réponses, mais c'était une envie stupide. Les prisonniers ne posaient pas de questions, surtout quand ils étaient incorporels.
Mais ils déménageaient, ça, c'était clair, et l'urgence qui se dégageait du ton de Decora le mettait mal à l'aise. Quelque chose avait changé. Quelque chose de gros.
Et le changement n'apportait jamais rien de bon aux prisonniers de l'Empire.
L'adrénaline battait dans les veines de Matt alors qu'il attendait le top départ à l'arrière du cockpit de Black. Il n'avait pas regretté de laisser Keith partir avec Red avant ce jour, alors qu'il n'avait qu'une envie, celle de foncer droit sur le buisson de ronces qui lui picotait l'esprit pour lui rappeler que son co-paladin était blessé et en danger.
— La Garde est prête au combat.
Layeni parlait d'un ton militaire, presque désintéressé, mais Matt savait qu'il ne fallait pas s'y fier. Il avait été témoin de ses interactions avec Akira. Elle avait beau se montrer beaucoup plus sérieuse que lui, elle ne se faisait pas moins de souci pour son entourage. Son pragmatisme était simplement sa façon de le montrer.
— On est juste derrière vous, dit Val. C'est parti.
— Bien reçu, dit Allura. Nous attendons votre signal.
Shiro coupa son micro tandis que Layeni et Val acquiesçaient et pivota pour trouver le regard de Matt dans la semi-obscurité.
— On va les sauver, dit-il.
Matt sourit, parce que s'il y en avait bien un qui était plus inquiet que lui, c'était Shiro. Lui et Allura étaient allés prendre des nouvelles de Keith et de Lance à deux nouvelles reprises depuis qu'ils avaient mis en place leur plan d'attaque, mais ce n'était qu'à leur retour, alors qu'ils attendaient le décollage, que Matt avait remarqué leur changement d'attitude.
— Ils se sont séparés ?
Shiro jeta un œil à Allura comme pour déterminer ce qu'il pouvait dire à Matt.
— À en croire les pensées de Lance, oui, répondit-il. Mais à cette distance, c'est difficile de déterminer s'ils se sont beaucoup éloignés les uns des autres.
— Allons d'abord chercher Keith, décréta Allura. Thace est toujours avec lui, il pourra nous dire ce qui se passe. Au pire, tu pourras prendre Red et ramener Keith au château-vaisseau pendant que Shiro et moi allons chercher Lance et Akira.
Matt acquiesça, bien que tout ceci le mettait mal à l'aise. Pourquoi Lance et Akira étaient-ils partis ? Personne n'avait réussi à les appeler, mais pour avoir déjà été la cible de la pseudo-télépathie de Shiro et d'Allura, Matt savait que Lance aurait dû capter qu'ils arrivaient à la rescousse. Le fait qu'ils soient quand même partis sous-entendait une urgence que les paladins noirs n'avaient pas saisie. Keith était peut-être blessé encore plus gravement qu'ils ne l'avaient compris. Suffisamment pour que Lance et Akira préfèrent ne pas attendre des secours qui pourraient arriver trop tard.
C'était l'explication la plus logique, qui ne fit que resserrer le nœud dans son estomac.
— On va devoir attendre combien de temps ?
Un muscle tressauta dans la joue de Shiro, trahissant son impatience. (Bien. Au moins, Matt n'était pas le seul à avoir l'impression qu'il allait exploser.)
— Ils vont avoir besoin de temps pour semer la pagaille, dit Shiro, s'efforçant de garder un ton raisonnable. Avec un lion de Voltron, ça ne devrait pas être long, mais il faut s'assurer que notre arrivée soit la plus discrète possible.
Matt avait bien sûr déjà entendu ça des milliers de fois : ils comptaient sur l'effet de surprise pour trouver une ouverture leur permettant d'accéder à la surface sans problème. On avait beau le lui répéter, ça ne rendait pas la pilule plus facile à avaler, mais à quoi s'attendait-il ? Ce n'était pas comme s'ils pouvaient simplement jeter le plan par la fenêtre et braver la flotte sans réfléchir.
Il devait patienter et espérer qu'ils atteindraient la surface à temps.
Akira et Lance étaient encerclés.
Au début, seul un membre de la sécurité les avait repérés, portant un uniforme, mais pas d'armure, avec un petit pistolet qu'il savait à peine tirer. Ils l'avaient neutralisé et caché dans la pièce la plus proche, heureusement vide, mais pour combien de temps ?
Après ça, ils étaient tombés sur deux autres membres de la sécurité, puis de vrais soldats étaient apparus dans le couloir. Toujours pas d'alarme : il ne fallait surtout pas déranger les invités qui profitaient de leur journée spa. Même ici, tout était chic et prétentieux, avec de la musique douce à peine audible et des fresques murales dépeignant ce qui devaient être les moments de gloire du règne de Zarkon. Même la pièce dans laquelle ils avaient caché le garde ressemblait plus à une suite d'hôtel de luxe qu'à une chambre d'hôpital. Remarque, c'était peut-être une salle d'attente privatisée.
— Quel endroit pourri, marmonna Akira alors qu'une deuxième escouade de soldats arrivait en face.
Il ne savait pas si Vit était vraiment là, accompagné d'un bataillon complet de soldats, ou s'il les avait dépêchés ici dès qu'il avait appris que des humains s'y trouvaient. Akira pensait que lui et Lance devaient être haut placés sur sa liste d'ennemis les plus recherchés.
— T'avais pas des grenades ? lança-t-il par-dessus son épaule à l'attention de Lance, qui abattait les soldats les uns après les autres depuis le couvert inégal d'un petit comptoir.
Lance s'en contentait, Akira couvrant ses arrières avec son bouclier, cherchant à tenir assez longtemps pour que Lance puisse leur créer une ouverture afin de pouvoir continuer leur recherche de la sangsue machin chouette.
Lance poussa un glapissement outré.
— Je vais pas exploser un hôpital, Akira, ça va pas la tête ?
— C'est pas un hôpital, dit Akira. J'aurais pas dit ça, sinon. C'est plutôt une sorte de… centre de soins VIP.
Il pivota et trouva Lance en train de le fusiller du regard.
— Pas d'explosions, dit-il d'un ton sévère qui lui rappela Takashi. Mais prépare-toi à courir quand même. J'ai presque fini et je vois plusieurs portes verrouillées qui pourraient mener à ce qu'on cherche.
Akira fit un OK de sa main, mais les soldats de son côté s'enhardissaient et il dut se concentrer entièrement sur eux pour les retenir avant que l'un d'entre eux n'ait le parfait angle de tir pour causer de vrais dégâts.
Dix secondes plus tard, Lance pivota, ajoutant sa puissance de feu à celle d'Akira, et lui siffla d'y aller. Akira quitta l'alcôve du côté du comptoir aussitôt, tirant sur les pieds des soldats en reculant. Il avait beau vouloir une solution toute faite pour se débarrasser de leur compagnie, il n'avait pas non plus envie de toucher des patients ou le personnel médical par erreur, même si la clientèle était bel et bien constituée d'enfoirés pleins aux as. Ils atteignirent la porte que Lance avait indiquée et Akira rangea son pistolet pour mieux tenir son bouclier pendant que son coéquipier se concentrait sur son bayard pour lui faire prendre la forme d'une hache à lame de plasma.
Akira poussa un sifflement admirateur, puis grimaça lorsque des lasers se mirent à pleuvoir de plus belle contre son bouclier, le faisant tituber.
— Joli, fit-il. Et maintenant, cher public, voyons voir ce qu'il se trouve derrière la porte numéro une.
Lance ricana, hachant le verrou et poussant le battant de la porte.
— C'est un placard, dit-il dans un éclat de joie. Pour des fournitures médicales, en plus. On va devoir fouiller un peu pour voir s'il y a ce qu'il nous faut.
Akira jeta un œil par-dessus son épaule.
— On barricade la porte ?
Lance acquiesça et Akira le suivit à l'intérieur, l'aidant à faire glisser une étagère métallique devant la porte. Les flacons en verre qui se trouvaient dessus frottèrent les uns contre les autres dans un tintement qui lui tapa sur le système, mais il n'avait pas trop le choix que de le supporter. Ils ne pouvaient pas chercher ce dont ils avaient besoin en affrontant une marée de soldats et ne pouvaient de toute manière pas se battre indéfiniment sans faire courir de risque aux civils dans le bâtiment.
Sortir d'ici allait poser problème, mais ils s'en préoccuperaient le moment venu.
— Ok, fit Lance, poussant quelques chariots qu'Akira retourna contre la barricade pour la solidifier. Maintenant… il faut trouver un truc qui ressemble à un croisement métallique contre-nature entre un Métroïde et un Facehugger.
Akira plissa le nez.
— Il faut que quelqu'un ait une discussion avec Zarkon sur le design de ses produits.
Ce commentaire lui valut un bref sourire de Lance, qui était déjà en train de fouiller l'espace de rangement, ouvrant tiroirs et placards, inspectant les bacs remplis de bandages, de rubans adhésifs et d'objets enroulés dans du papier protecteur. Akira l'imita, le cœur battant à tout rompre alors que le bruit étouffé des lasers derrière la porte laissait place à des voix énervées et un bruit déchirant de métal, leur barrière commençant à vaciller.
— Tout est verrouillé de ce côté, dit Akira, testant quelques tiroirs le long d'un mur.
Lance abandonna aussitôt ses recherches pour le rejoindre, bayard en main. Il abattit sans hésiter la machette sur le joint qui séparait les tiroirs et le châssis pour en débloquer l'ouverture.
— Ce sont des médicaments, l'informa Akira, remarquant le froid qui émanait du premier tiroir.
Apparemment, même les médicaments extraterrestres n'étaient pas tous conservables à l'air libre. Le tiroir d'en dessous était cependant à température ambiante et contenait aussi des cachets en tout genre.
Lance repartit de son côté. Ce fut Akira qui trouva en premier ce qu'ils cherchaient : une demi-douzaine de sangsues en métal dans des boîtiers au couvercle transparent, aussi grosses que sa main écartée, avec six pattes grêles repliées comme celles d'une araignée morte. Un trou au dos de chaque appareil allait avec les ampoules de quintessence rangées dans le tiroir du dessous.
— Il nous faut un sac, marmonna Lance, plaçant trois sangsues en équilibre contre son torse.
Il regarda autour de lui et acquiesça quand Akira vida le paquet de verres en plastique. Lance se débarrassa du boîtier des likurs pour qu'ils puissent tenir à l'intérieur et eut tout juste la place pour les trois. Au moins, le sac en plastique était résistant et tenait à la ceinture d'Akira. Ils remplirent un autre sac avec cinq ampoules de quintessence, chacune enveloppée dans un tas de bandages pour éviter qu'elles ne se cassent dans leur fuite (qui s'annonçait compliquée).
Lance le prit à sa ceinture avant d'invoquer son bayard, adressant un sourire sauvage à Akira.
— Prêt à affronter toute une armée ?
— Encore ? se plaignit Akira avec un faux soupir. Quand y a pas le choix…
Lance ricana et ils se préparèrent à sortir, Akira attendant son décompte. Quelqu'un criait des ordres de l'autre côté de la porte d'une voix de plus en plus forte, coupante et énervée après les soldats qui n'arrivaient apparemment à rien. Malheureusement, la foule en armure visible par l'interstice de la porte n'annonçait rien de bon, et pas pour les soldats en train de se faire enguirlander.
— Ça ne va pas être possible, dit Akira. Je sais que c'est moi qui voulais foncer dans le tas, mais je ne vois pas comment on va réussir à passer.
— Ouais, dit Lance. Tu as raison. Merde.
Il s'éloigna de la porte, le visage plissé par la concentration. Il fit un cercle lent sur lui-même, cherchant un truc qui pourrait leur servir. Akira espérait qu'il allait trouver un plan, parce que sa seule idée à lui, c'était de prendre des médicaments extraterrestres au pif et prier pour tomber sur une sorte de super sérum qui leur permettrait de sortir de là.
Un tremblement secoua tout le bâtiment, mettant sur pause l'élaboration de son plan de se transformer en Capitaine America intergalactique, et il se précipita vers la porte juste à temps pour voir les rangs ennemis sombrer dans la zizanie.
Derrière lui, Lance éclata soudainement de rire, un son désespéré qui se mêlait à une bonne dose de soulagement alors qu'il portait une main à son casque.
— Arel ?
Akira n'entendit pas la réponse, mais Lance remarqua sa confusion et appuya sur un bouton pour activer le haut-parleur.
— …jamais su faire preuve de subtilité, disait une voix avec sarcasme.
Arel donnait l'impression qu'il aurait largement préféré être en train de nettoyer des souliers plutôt que de leur parler, mais Lance souriait à pleines dents et Akira jeta un autre regard à la pluie de lasers qui tombait dans le couloir, faisant fuir ceux qui s'y trouvaient.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
— Arel a intercepté des appels au sujet d'une attaque à l'hôpital, dit Lance. Et apparemment, il a aussi installé un traceur dans notre appareil de communication–
— Qui ne marche qu'à courte distance, insista Arel d'un ton indigné. Je vous aurais trouvé beaucoup plus tôt si vous n'aviez pas décidé de quitter la ville avec votre machin rouge vif que vous appelez vaisseau.
Le sourire de Lance s'agrandit encore plus.
— Bref, on dirait qu'il a décidé d'organiser notre sauvetage.
— On m'a ordonné d'organiser votre sauvetage, le corrigea Arel. Ne va pas croire que je fais ça pour vous.
La pique était évidente et Lance perdit son sourire.
— Arel… Keith n'est pas avec nous.
— Quoi ? Vous avez décidé de vous séparer maintenant, comme des idiots ?
— Non, il– il est blessé. Tu n'as pas vu ça sur tes caméras ? Il… Il y a eu une explosion. C'est pour ça qu'on est là. On avait besoin de likurs.
Un grand silence accueillit sa déclaration, puis Arel jura.
— J'espérais qu'il jouait la comédie. Bon, attendez. Les autres cherchent un moyen de vous extraire. Je vais rester en contact avec vous, mais tenez-vous tranquille un moment. (Il marqua une pause.) Vous vous êtes mis à couvert, j'espère.
Lance pencha la tête vers la barricade, qui n'était déjà pas très stable au départ et semblait désormais à peine capable de supporter deux coups avant de s'effondrer.
— Eh, plus ou moins.
Akira s'éloigna de la porte et sortit son pistolet au cas où. C'était difficile de comprendre ce qui se passait de l'autre côté, mais les Impériaux avaient l'air de galérer. Quelques minutes plus tard, quelque chose s'écrasa contre leur barricade, la faisant avancer de quinze bons centimètres et vaciller de façon précaire. Quelqu'un grogna, puis un silence assourdissant retomba.
— Vous êtes encore en vie, là-dedans ? fit la voix d'Arel.
Il attendit la réponse de Lance, qui tint plus du juron qu'autre chose, avant de passer la tête à l'intérieur. Il les observa tour à tour, avec leurs sacs accrochés à la taille, puis fit signe en direction du couloir.
— Venez. Ce calme ne va pas durer.
Akira ne protesta pas. Il laissa Lance se faufiler en premier dans la barricade défoncée, puis le suivit, ne marquant qu'une brève pause en voyant une masse de sentinelles qui affrontaient des soldats en uniforme. Vit en personne se trouvait à l'arrière du groupe, fulminant et hurlant des ordres. Tout un côté de sa tête était balafré, la fourrure coupée à ras ne cachant rien du bout qui manquait à sa petite oreille. La blessure ne semblait vieille que de quelques heures à peine et Akira se demanda si Vit était bien venu ici pour se faire soigner, finalement.
Arel sourit en les poussant à presser le pas.
— N'allez pas le raconter, mais il se peut que je me sois inspiré des histoires que Maka et les autres enfants m'ont racontées au sujet de votre groupe.
— Ce sera notre petit secret, dit Lance.
Un air amusé traversa le visage d'Arel un court instant avant qu'il ne se concentre à nouveau sur la mission en cours. Une poignée de Galras en uniforme médical se détachèrent du groupe qui se serrait les uns contre les autres, terrorisés, rejoignant Arel, Lance et Akira alors qu'ils fonçaient en direction des escaliers. Ils ne descendirent pas au rez-de-chaussée, allant au contraire au dernier étage, portés par des pistolets qui tiraient des câbles. Un vaisseau les attendait sur le toit, petit et sans signe distinctif, un logo inconnu fraîchement peint à la va-vite sur le côté. La peinture s'était étalée près de la queue, comme si elle n'avait pas eu le temps de sécher avant le décollage.
— Montez ! rugit Arel, poussant Lance devant lui en direction du vaisseau.
Il les laissa dans l'espace de cargo, rejoignant le cockpit, et Akira se laissa tomber à côté de Lance, le cœur battant à tout rompre sous le coup de l'adrénaline.
— C'était marrant, dit-il.
Lance le fusilla du regard et détacha le sac rempli d'ampoules de quintessence de sa ceinture, les inspectant une par une à la recherche de craquelures.
Arel se joignit à eux peu après le décollage, retirant sa capuche et les observant tour à tour.
— Ok, expliquez-moi tout depuis le début. Vorsek est blessé, c'est ça ? Salement ?
— Il s'appelle Keith, dit Lance, le ton plus sec que froid.
Il fusilla Arel du regard jusqu'à ce que ce dernier se détourne, prenant place sur une des chaises placées contre les murs. Lance se leva pour s'installer en face de lui.
— Oui, salement, reprit-il. Il n'est pas mourant, mais bien amoché. Il a été pris dans une explosion, tu te rappelles ?
Il tapota le sac sur ses genoux, les ampoules de quintessence luisant faiblement à travers.
— Tu pourras ramener le reste à la résistance. J'ai l'impression que vous allez en avoir besoin.
Le regard d'Arel s'attarda sur la lumière, puis passa au sac qu'Akira avait passé sur ses propres genoux en se redressant, sans prendre la peine de quitter sa place par terre. Il cligna des paupières, puis se tourna à nouveau vers Lance.
— C'est plutôt de toi dont on va avoir besoin.
— De moi ?
Arel acquiesça.
— Et de Vor– de Keith.
Il marqua une pause et soupira.
— Tout s'est accéléré depuis ce matin. Les troupes de Vit sont partout et ont déjà lancé les hostilités. Il y a des blessés un peu partout… mais le peuple se rebelle. Il se rebelle grâce à vous. Parce que Voltron est de son côté.
Lance retira son casque et passa ses doigts dans ses cheveux plein de sueur.
— C'était l'objectif, pas vrai ?
Arel joignit les mains.
— Retrouvons votre cachette avant de parler du reste.
Tout avait bien commencé.
Nyma avait mis de côté tout ce qui pouvait la distraire. Rolo, Sam Holt, Pidge et Ryner, Meri : toutes ces pensées avaient été reléguées dans un coin sombre de son esprit, loin de son attention. Blue avait cherché la sonder et l'esprit de Val formait un nuage lourd d'inquiétude, mais Nyma les avait forcées à se concentrer sur le problème actuel : l'armada.
Ce n'était pas la plus grosse qu'ils aient jamais affrontée, ça non, mais elle ne faisait pas rire non plus, surtout qu'ils n'avaient qu'un seul lion pour le moment. Val était à l'artillerie de support et surveillait les scanners tandis que Nyma pilotait et maniait le canon principal. Elles détruisirent deux vaisseaux armés avant que quiconque n'ait l'occasion de réagir, puis se dirigèrent droit sur le vaisseau de commande en orbite basse autour de la planète. L'attaquer ferait forcément venir du monde pour défendre les chefs.
Et, en effet, tous les chasseurs éparpillés dans la zone se tournèrent vers la traînée destructrice que Nyma avait créée sur leur passage et convergèrent comme un nuage de skalgarts rougeoyants défendant leur nid. Ils se jetèrent sur le lion bleu, absorbant ses lasers dans une tentative pitoyable de sauver les derniers navires d'assaut et le vaisseau de commande, qui se retirait dans la panique.
La Garde se déversait du trou de ver derrière Blue, abattant les chasseurs impériaux un par un. Blue cessa de chercher à faire dans la précision, s'enfonçant au cœur de l'armada en y creusant de gros trous. Les forces impériales les assaillirent, rendant coup pour coup. S'ils n'avaient prévu qu'un simple assaut frontal, la Garde et Blue auraient couru à leur perte. Nyma ne pouvait plus avancer avec tant de chasseurs qui l'entouraient. Ici et là, un coup de chance lui permettait d'abattre une tourelle, mais tout ce qui était plus gros que ça restait à distance, armes activées et prêtes à contre-attaquer.
Nyma retint son souffle, regardant les scanners à travers les yeux de Val et comptant les secondes jusqu'à ce que la majeure partie de la flotte soit rassemblée autour d'elles. L'arrière-garde était déjà affaiblie, les Impériaux trop préoccupés par Blue pour surveiller l'arrivée de renforts potentiels. Ils s'étaient habitués à ce que les lions se séparent ces derniers mois. Avant ça, ils auraient attendu l'arrivée des autres, mais la guerre se poursuivait sur trop de fronts différents pour que les paladins puissent souvent s'apporter du renfort. De ce que les Impériaux en savaient, Blue et la Garde seraient les seules armes de Voltron dans ce combat.
Val et Nyma virent l'ouverture qui se profilait au même moment. Les derniers chasseurs restés à leur place s'éloignaient pour remplacer ceux que Blue avait déjà réduits en miettes. Il restait des satellites qui avertiraient le vaisseau de commande de l'arrivée de Black, mais sans personne à côté pour répondre à l'alerte, ils auraient dix à quinze secondes pour passer à travers les mailles. Pour le lion noir, c'était amplement suffisant.
— Shiro ! aboya Nyma. C'est le moment ou jamais.
Un trou de ver s'ouvrit aussitôt, sa vive lumière brûlant les yeux de Nyma alors qu'elle faisait faire une vrille à Blue pour se dégager d'un groupe de chasseurs cherchant à s'écraser contre ses canons.
Elle ne détourna les yeux qu'un instant, mais cela suffit à ce que tout déraille. Il y eut un autre éclat de lumière, rouge cette fois-ci, qui s'éteignit après seulement quelques instants. À la radio, il n'y avait que des cris.
Elle se retourna, cherchant le lion noir du regard, et le trouva juste alors qu'une autre détonation le secouait. Blue rugit en compassion à la douleur de sa sœur, Shiro jura et Allura cria le nom de Matt.
Une troisième explosion creusa un trou dans le flanc de Black et Nyma additionna deux et deux. Les satellites. Les satellites avaient été programmés pour exploser. Mais pourquoi ne l'avaient-ils fait qu'au contact du lion noir ?
Ce n'était pas le moment de se poser de questions. Alors que Nyma était occupée à observer la scène d'un air choqué, les forces impériales avaient convergé sur la Garde. Le ciel autour de Blue s'était soudainement dégagé, lui laissant la voie libre jusqu'au vaisseau de commande. Nyma faillit s'emparer de l'occasion, sauf que la panique lui venant subitement de Val attira son attention sur la Garde. Si les pilotes de Layeni arrivaient avant à s'en sortir, ils se retrouvaient soudain surmenés, leurs rangs déchiquetés méthodiquement par des coups rapides à des points clés de leur formation.
Nyma jura, répondant à la supplique silencieuse de Val en allant leur porter secours. Le vaisseau de commande ouvrit le feu sur leurs arrières, mais les défenses de Blue suffisaient à s'en protéger.
— Retirez-vous ! rugit Nyma, abattant des vaisseaux ennemis à tour de bras.
— C'est trop tôt, gronda Layeni. Nous pouvons tenir encore un peu.
Nyma fonça dans un navire d'assaut qui allait s'en prendre à l'escouade du lieutenant-colonel.
— Je vous dis de vous retirer. Je dois rejoindre le lion noir avant qu'il ne finisse réduit en bouillie et je ne peux pas le faire tout en continuant à vous couvrir.
— La mission–
— Est terminée.
Nyma tendit le bras vers la radio, mais Val la devança, contactant Coran pour lui demander d'ouvrir un trou de ver derrière la Garde. Il apparut avant que Layeni n'ait fini de tergiverser.
— On reviendra, dit Nyma, la frustration rendant sa voix tranchante. On doit préserver nos forces autant que possible jusque-là.
Layeni finit par céder, aboyant des ordres à la Garde jusqu'à ce qu'elle commence à se retirer, disparaissant par le trou de ver. Quelques chasseurs impériaux les suivirent, mais Nyma n'y prêta pas attention. Ce n'était rien que le château ne pouvait pas gérer et elle s'inquiétait plus pour Shiro, Allura et Matt. Elle n'avait plus rien senti dans le lien depuis la première explosion et rien entendu de cohérent à la radio : des jurons de Shiro, des cris étouffés d'Allura, qui soit avait été éjectée de son poste, soit était allée aider Matt.
— Attention aux bombes, l'avertit Val.
Nyma plissa les lèvres en regardant le trou formé dans le flanc du lion noir.
— Les bombes peuvent aller se faire foutre.
Blue rugit, montrant son accord, et le canon sur son dos, au-dessus du poste habituel de Nyma dans la tourelle, bougea. Ça faisait toujours drôle à Nyma de ressentir Blue comme une extension de son propre corps, mais ce n'était pas le moment de s'appesantir dessus : elle prit les contrôles et appuya sur la détente.
Elle ne décela aucun effet visible à l'écran, mais plusieurs lumières sur les radars de Val s'éteignirent en vague, les satellites privés de leur alimentation. Avec un peu de chance, cela aurait désactivé les alarmes de proximité ou les chronomètres qui les transformaient en bombes.
Elle fonça, se préparant au pire, mais le plan improvisé de Blue semblait avoir fonctionné : les satellites rebondirent sur son bouclier et le peu qui explosèrent le firent de façon isolée, rien à voir avec les détonations qui avaient secoué le lion noir, que des petites flammèches qui s'éteignaient l'instant d'après.
Le lion noir était en train de dériver quand Nyma l'atteignit et la flotte impériale avait abandonné la poursuite de la Garde, comme elle s'était retirée. Toute une armada s'apprêtait à les encercler et ils n'avaient pas le temps de faire dans la dentelle. Nyma positionna Blue sous le lion noir, à l'opposé du trou de ver qui avait éclos au-dessus d'eux. Elle rentra la tête et poussa Black à travers en la suivant de près.
Le vortex se referma derrière eux, rasant le bout d'un navire d'assaut, rougeoyant toujours de l'énergie d'un laser qu'il s'apprêtait à tirer.
— Shiro ! s'écria Val, sa voix brisant la concentration de Nyma. Est-ce que ça va ?
— On s'en remettra, dit Shiro d'une voix tendue. Merci pour le coup de main.
Nyma tourna les yeux vers le petit flot de vaisseaux de la Garde qui rentraient au château.
— C'est rien. Je crois qu'on a de plus gros problèmes, de toute façon.
— Et je crois que tu as raison.
Le choc commençait à se dissiper quand elle se posa dans le hangar principal, Val appelant le personnel médical à leur arrivée. Nyma atteignit le bas de la rampe de Blue au même moment que Shiro sortait de Black, soutenant Matt. Shiro semblait secoué, mais indemne, tandis que Matt boitait. Un filet de sang coulait du front d'Allura, qui les suivait de près. Les paladins noirs semblaient livides et l'instinct naturel de Nyma l'aurait poussée à s'éloigner le plus possible pendant qu'ils laissaient Matt aux bons soins de Val et d'un médecin avant de se diriger vers la sortie.
Mais cette fois-ci, Nyma les suivit, son sentiment d'horreur ayant laissé placé à une colère sourde.
— Ils étaient au courant.
Ce fut Layeni qui le dit en premier, son masque serein se brisant alors qu'elle rencontrait les trois paladins à la porte.
Shiro s'arrêta, le visage dénué de la moindre émotion.
— Pardon ?
— Ils étaient au courant, siffla Layeni, le guidant dans un coin tranquille, loin de l'entremêlement de vaisseaux endommagés et de pilotes paniqués cherchant à compter les morts et les disparus.
Cinq minutes. Même pas. Combien de personnes avaient perdu la vie en si peu de temps ?
Nyma se remémorait son ancien équipage. Talla, Eryx, l'explosion survenue trop vite pour faire ses adieux.
— Ils n'auraient pas dû savoir que nous venions, continua Layeni, la voix éraillée. Ce n'est pas possible.
— Pourtant, ils le savaient, dit Allura.
Elle regarda Shiro, qui la regarda en retour, et Nyma sut qu'ils pensaient tous les trois à la même chose.
Layeni carra les épaules.
— Quelqu'un nous a vendus.
— Il semblerait, oui, dit Shiro.
Layeni acquiesça.
— Je vais trouver le coupable et m'assurer qu'il paie pour toutes les vies que nous avons perdu aujourd'hui.
Allura la prit par le bras avant qu'elle ne puisse partir en trombe et elles s'éloignèrent un peu, échangeant sur un ton bas mais non moins houleux. Shiro resta où il était, les dents serrées, le regard aussi dur que du luxite.
— Combien de personnes étaient au courant de notre plan ? demanda Nyma, se glissant à côté de lui.
Shiro ne la regarda pas, mais elle sentit son attention changer de direction.
Elle laissa le silence se prolonger, sans quitter des yeux le dos de Layeni.
Son chagrin et sa fureur étaient convaincants. Nyma avait du mal à ne pas y croire. Mais ils s'étaient servis de la pièce sécurisée pour une bonne raison. Ils n'avaient pas parlé du plan au reste de la Garde.
Ils s'étaient montrés prudents.
Et Nyma ne faisait tout simplement pas assez confiance à Layeni pour l'absoudre de tout soupçon juste parce qu'elle savait jouer les personnes bouleversées.
Elle pivota donc, soutenant le regard de Shiro.
— Il est temps d'en finir, dit-elle. On ne peut plus prendre de risques.
Shiro ferma les yeux, mais il était pragmatique de nature. Il avait beau être doux dans ses meilleurs moments, avait beau être noble, son temps dans l'Arène l'avait changé. Il savait mieux que quiconque qu'il fallait parfois se montrer dur. Qu'il fallait parfois prendre les décisions nécessaires pour survivre. Nyma avait décelé ça en lui depuis le début et ne fut pas surprise quand il finit par acquiescer.
— On va fouiller et voir ce qu'on trouve, murmura-t-il. Il faut qu'on soit sûrs. Mais je te le promets, je ne laisserai pas passer ça.
