Résumé :

Les paladins ont remporté une victoire majeure contre l'empire de Zarkon. Réunis avec leurs familles et plus forts que jamais, ils sont prêts à lancer une contre-attaque. Mais pour ce faire, ils ont besoin d'alliés. Des alliés tels que la légendaire New Altéa et son cercle d'espions, l'Entente.

Mais Zarkon ne va pas se tourner les pouces tandis que ses ennemis rassemblent des forces. Il veut mettre fin à la coalition une bonne fois pour toutes et cette guerre est sur le point de devenir une affaire personnelle.

[Saison 3 de Voltron : Duality] [Complète]

Note de l'auteur : Salut tout le monde et bienvenue dans la saison 3 de Voltron : Duality. Si vous n'avez jamais entendu parler de cette série, vous devriez commencer par le commencement avec Another Word for Never. Cette fic et Someplace Like Home sont vitales pour comprendre la trame de cette histoire ; les autres servent à développer le contexte émotionnel, le passé des personnages (notamment de mes personnages originaux) et en général à enrichir l'expérience globale, mais il n'est pas vraiment nécessaire de les lire pour suivre l'intrigue.

Si vous avez lu jusqu'ici, vous le savez sûrement déjà, mais Voltron : Duality ne suit pas du tout l'histoire officielle, surtout à partir de la saison 3 de VLD. Quasiment rien de ce qui se passe dans la série après la saison 1 n'a lieu ici, notamment en ce qui concerne les anciens paladins et les origines de Voltron.

Note de la traductrice : Bonjour à tous. Je vous retrouve aujourd'hui pour le premier chapitre de cette nouvelle saison de Voltron : Duality. Celle-ci comporte 46 chapitres au total, séparé en plusieurs actes. Comme je ne me vois pas finir de tout traduire avant encore deux ou trois ans (mdr), je sépare la publication par acte (à la mode Attaque des Titans Saison Finale).

Ce premier acte comporte donc 15 chapitres, pour une parution hebdomadaire le dimanche.

Concernant les avertissements, un personnage principal va mourir dans cette fic. Une note se trouve en fin de chapitre sur le sujet.

Je reste disponible sur tumblr et par reviews si vous avez des questions, des commentaires, des petits mots sympas, ou simplement si vous voulez échanger sur l'histoire !

Bonne lecture !


Chapitre 1

Une paix précaire

Lance fut réveillé par le bruit de la pluie martelant la vitre.

Il se redressa aussitôt, le cœur battant, et il lui fallut un moment pour comprendre ce qui lui donnait cette impression d'être sur le point d'exploser. De la pluie. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas entendue ? Depuis combien de temps n'avait-il pas visité de planète qui en comprenait le concept ?

Lance se défit de sa couverture, poussant un juron à voix basse quand il s'emmêla les pieds dans les draps, puis il se leva et s'avança doucement dans le salon, évitant soigneusement de marcher sur ses autres occupants. Les derniers jours avaient été… chaotiques, et c'était peu dire. Entre les réfugiés du projet Balméra (des gens comme Val qui étaient farcis de cristaux visant à servir « d'énergie renouvelable » aux Galras) qui essayaient de prendre contact avec leurs familles, l'équipage du château qui voulait découvrir la Terre et le fait que les Mendoza étaient les seuls à disposer d'une maison à Carlsbad, maintenant que le foyer des Holt était sens dessus-dessous…

Ouais. Ils étaient un peu à l'étroit.

Ça ne dérangeait pas Lance. Il avait laissé sa chambre aux mères de Hunk, Eli avait pris celle de Mateo et Karen Holt avait hérité du dernier lit restant dans la chambre de Luz. Shiro et son frère étaient chez la tante de Lance, avec Val et les Altéens. Tous les autres, mis à part quelques aliens qui avaient préféré rester au château-vaisseau pour être prêts en cas d'attaque surprise, étaient rassemblés dans le salon avec Lance. Luz et Mateo dormaient de chaque côté de son sac de couchage, Matt et Pidge étaient blottis l'un contre l'autre au pied des escaliers et Hunk avait eu le droit au canapé simplement parce qu'il était le premier à s'y être endormi la nuit dernière. Personne n'avait voulu prendre le risque de lui marcher dessus alors qu'ils comptaient rester éveillés encore longtemps à jouer à des jeux ridicules.

Lance se dirigea vers le canapé, tapotant le pied de Hunk jusqu'à ce qu'il se réveille en sursaut, se passant une main sur le visage.

— Lance ? Il est quelle heure ?

— Aucune idée.

Lance jeta un œil à la cuisine, mais l'heure sur le four n'était pas visible de là où il se tenait. À en juger la faible lumière grise qui filtrait par la fenêtre, il devait être encore tôt.

— On s'en fout. Écoute.

Hunk pencha la tête et Lance sourit tandis que le tapotement de la pluie comblait le silence. Le son l'allégeait de la tête aux pieds et son pouls accélérait pour battre au même rythme.

Aussitôt, Hunk se redressa, la bouche grande ouverte.

— Lance–

— Je sais !

— Tu vas– ?

— Évidemment. Tu veux venir ? T'es pas obligé.

Mais Hunk était déjà debout. Ils avancèrent sur la pointe des pieds jusqu'à la porte d'entrée, Lance s'accrochant à la manche de Hunk et se mordant la lèvre pour s'empêcher de glousser.

De la pluie.

— J'en reviens pas, murmura Lance une fois qu'il eut enfilé une paire de sandales et ouvert la porte d'entrée.

Hunk jeta un œil en arrière pour vérifier qu'ils n'avaient réveillé personne, mais Lance avait la tête ailleurs. Ça faisait tout juste une semaine qu'ils étaient de retour sur Terre et il avait passé la plupart de ce temps avec sa famille, leur racontant une version allégée de ses aventures, omettant les détails les plus sordides. Ils s'étaient déjà assez inquiétés en apprenant qu'il faisait la guerre, ils n'avaient pas besoin de savoir quoi que ce soit au sujet des monstres zombifiés, de la fureur d'Haggar ou de la fois où il avait sauvé Wyn en se préparant à se sacrifier pour lui.

Bref. La semaine avait été longue. Encore plus pour certains, notamment ceux qui avaient l'ONU à gérer. La veille, l'esprit de Lance était tiraillé entre un jeu de plateau que Mateo voulait lui apprendre, une dispute avec Pidge sur ce qui comptait pour un « extraterrestre humanoïde » et la conversation de Karen avec les autres adultes qu'il essayait de suivre. Il avait compris qu'elle, Allura et Shiro avaient fini par aboutir à une conclusion de leurs affaires avec l'ONU et la plupart de ses pays membres. C'était une bonne chose. Pour fêter ça, ils avaient commandé des pizzas et regardé l'intégralité de Star Wars, ce qui lui avait donné envie de montrer ça aux aliens du groupe.

Meri devait l'avoir vu, non ? Lance ne s'en souvenait plus, mais elle avait vécu douze ans sur Terre. Elle avait certainement regardé tous les films de science-fiction pour s'en moquer. C'était ce que Lance ferait s'il se retrouvait coincé sur une planète qui avait une douzaine de générations d'iPhone de retard.

En tout cas, cette semaine était passée comme dans un rêve. Lance était rentré, il le savait, et il avait pleuré plus d'une fois quand il avait réalisé qu'il avait vraiment retrouvé sa famille. Mais c'était tellement surréel à certains niveaux qu'il s'attendait encore à se réveiller pour découvrir que tout ceci n'était que le fruit de son imagination.

Se retrouver sous la pluie, par contre… Ça, il savait que c'était réel. Il avait rêvé de pluie plus d'une fois depuis son départ, il avait visité des planètes où tombait quelque chose qui ressemblait à de la brume ou de la neige, mais ce n'était pas pareil. Ce n'était pas comparable à ça.

Lance pencha la tête en arrière, laissant la pluie couler sur son visage. L'aube sentait l'herbe mouillée et l'air frais et il ne put retenir le rire qui lui chatouillait la gorge. Il cligna furieusement des paupières, essayant de les garder ouvertes malgré les gouttes qui lui piquaient les yeux.

— Hunk, dit-il quand il entendit des pas éclabousser l'allée derrière lui. On est rentrés.

Hunk se pencha jusqu'à ce que leurs épaules se touchent. Il avait pris le temps de prendre un imperméable et d'enfiler des chaussures, ce qui était intelligent de sa part. La température n'était pas non plus glaciale, mais ils étaient au mois de novembre, il devait être à peine quatre heures du matin et la pluie était froide.

Lance s'en fichait.

Il se débarrassa de ses sandales et enfouit ses orteils dans une flaque, savourant la douce sensation de fraîcheur sur sa peau. Qu'est-ce que ça lui avait manqué.

Il hésita encore un peu, puis traîna Hunk derrière lui, l'éloignant de la maison.

— Viens, dit-il. Il y a un parc où tu peux trouver de super flaques au bout de la rue.

Hunk se laissa faire sans protester et ils passèrent l'heure suivante à sauter dans des flaques et barboter dans la boue. Lance avait l'impression d'avoir rattrapé tous les rires qu'il avait manqués depuis qu'il avait quitté la Terre. Il en avait mal aux côtes quand Hunk le convainquit enfin de rentrer pour aller boire quelque chose de chaud. Son pyjama était trempé, le bas de son pantalon retroussé pour le sauver de la boue qui recouvrait ses pieds et ses mollets. Il avait l'impression d'être à nouveau un enfant, insouciant et sale, le nez bouché par le froid, mais n'avait-il pas le droit de retourner en enfance, même pour un temps ? Allura leur avait tous promis de passer encore une semaine sur Terre ; sept jours de plus avec leurs familles avant que ceux qui le voulaient bien retournent faire la guerre.

Lance repartait. La question ne se posait pas. Il ne voulait pas partir de chez lui, mais il ne pouvait pas laisser les autres se battre sans lui. Il ne pouvait pas abandonner Blue.

Sur le chemin du retour, sa bonne humeur commença à décliner, malgré les efforts de Hunk pour le distraire, lui racontant ses séjours à la plage, passés à chercher les plus beaux coquillages et à se laisser bercer par les remous. Le problème, c'était que la maison de Lance était le théâtre de désirs conflictuels. Tout là-bas lui donnait envie de rester et d'oublier les horreurs de l'Empire Galra tout en lui rappelant exactement pourquoi ce n'était plus possible.

Presque tout le monde avait pris sa décision. Shiro gardait son rôle de paladin (comme si on en doutait) et Akira, ayant coupé les ponts avec la Garnison, l'accompagnait. Matt ne comptait pas non plus abandonner, tout comme Hunk. Il y avait eu un petit « débat » concernant ce dernier, puisqu'il avait encore dix-sept ans et ses parents voulaient qu'il reste en sécurité, ce qui pouvait se comprendre.

Au moins, Lance avait de la chance sur ce point. Il avait eu dix-huit ans pendant qu'ils étaient dans l'espace à risquer leur vie, si bien que ses parents furent forcés d'admettre que le choix lui revenait. Les Kahale en étaient finalement arrivés à la même conclusion, puisque l'anniversaire de Hunk était dans moins de deux mois. Ils pourraient le garder à la maison, mais tout le monde savait qu'il s'en irait dès qu'il fêterait son anniversaire et le retenir en attendant ce jour ne ferait que créer du ressentiment.

Il n'y avait plus que Pidge qui n'était pas encore sorti·e de l'auberge.

Ils s'y étaient déjà remis quand Lance et Hunk rentrèrent, des voix furieuses leur parvenant de l'étage, filtrant par les planches de ce qui devait être le sol de la chambre de Luz. Les trois Holt brillaient par leur absence et tous les autres rassemblés dans la cuisine et le salon arboraient une expression mal à l'aise, sauf Mateo qui dormait encore.

Luz eut un rire en les voyant, ce qui attira l'attention des adultes.

— Ah, vous voilà, dit Rosario, une main sur le cœur.

La fébrilité dans sa voix tira à Lance une grimace coupable. Forcément qu'elle serait un peu nerveuse après qu'il ait déjà disparu une fois. Elle se força à sourire et prit un ton léger en leur demandant :

— Un petit-déjeuner, ça vous dit ?

Lance baissa les yeux vers ses pieds boueux et poussa un son incertain.

Levant les yeux au ciel, Hunk retira ses chaussures et son manteau et lui fit une pichenette sur le front.

— Reste là. Je vais chercher des serviettes.

Il disparut au coin du couloir, sa voix s'élevant jusqu'à eux :

— Mama est dans la cuisine ?

— Tu as vraiment besoin de poser la question ? répondit Eli, un café à la main et un sourire sur les lèvres alors qu'Akani sortait la tête de la cuisine pour le fusiller du regard.

Hunk rit.

— J'arrive tout de suite. Tiens.

Il lança une vieille serviette à Lance, qui la leva dans un salut avant de commencer à s'essuyer les pieds. Une fois certain qu'il n'allait pas laisser des traînées de boue dans toute la maison, il jeta la serviette dans la buanderie et monta à l'étage pour se changer. La dispute qui s'y déroulait lui parvint plus nettement et il fit de son mieux pour l'ignorer, mais… ce n'était pas facile.

— Tu as quatorze ans, Pidge, disait Karen Holt, le ton lourd de fatigue et de désespoir. Le fait que ces gens s'attendent à ce que tu fasses la guerre à leur place ? C'est… C'est un crime de guerre !

Pidge répondit d'un ton acerbe. C'était une dispute qui s'étirait depuis le début de la semaine et iel perdait de plus en plus patience à chaque réitération.

— Ça va peut-être te surprendre, Maman, mais tu sais quoi ? Zarkon s'en fout totalement de la Convention de Genève !

Lance se jeta dans sa chambre, fredonnant tout haut pour essayer de recouvrir leurs voix.

— Ils ne m'ont pas recruté·e. Je me suis porté·e volontaire ! perça tout de même celle de Pidge.

— Ça ne change rien !

Karen en criait presque, ce qui était de moins en moins rare ces derniers jours, mais ça le choquait toujours autant. Lance avait vu les vidéos qui circulaient en ligne. Karen Holt avait confronté Iverson et l'avait carrément accusé de meurtre sans lever la voix un seul instant. La voir dans cet état, c'était…

Bref. Lance enfila rapidement un jean et se précipita vers les escaliers avant même d'avoir fini de mettre son t-shirt.

— Et toi ! s'exclama Karen alors que Lance passait devant la porte à toute vitesse. Tu es son frère ! Pourquoi tu ne l'as pas arrêté·e ?

— Oh, ch'ais pas, M'man. (La voix de Matt était basse, mais pas moins tranchante que celle des deux autres.) J'avais peut-être mes propres problèmes à gérer ? Désolé d'avoir été kidnappé et torturé par des aliens ; la prochaine fois, j'essaierai d'être un peu moins traumatisé.

Un silence terrible s'abattit sur la pièce et le cœur de Lance se serra douloureusement.

— Matt… dit Karen.

Matt l'interrompit avant qu'elle ne puisse poursuivre.

— Pardon. Mal au crâne.

Lance dévala les escaliers.

Ça n'allait pas fort pour la famille Holt, ces derniers temps. Matt souffrait de migraines quasi-constantes depuis la bataille de la semaine dernière et même s'il passait beaucoup de temps avec les Altéens à « s'en occuper », ça n'avait pas l'air de s'arranger. S'ils savaient ce qui causait les maux de crâne, ils le cachaient bien, mais en tout cas, Matt était fatigué et irritable et les sempiternelles disputes de Pidge et Karen ne l'aidaient pas.

La télé était allumée dans le salon et le cœur de Lance sombra aussitôt. Le volume était bas, mais pas besoin de son pour comprendre ce que dépeignaient les images de bâtiments détruits et de cratères dans les rues. La bannière sous la vidéo proclamait une nouvelle attaque galra, cette fois-ci à Toronto.

— Merde, siffla Lance.

Luz, assise par terre à côté de l'oncle de Hunk, le regarda d'un air scandalisé. Lance lui offrit ce qu'il espérait être un sourire contrit, puis s'empara de la télécommande et éteignit la télé.

Les Galras n'avaient pas laissé tomber la Terre après la bataille. Ils avaient peut-être été repoussés et la rébellion de Kera patrouillait peut-être encore les cieux avec le château-vaisseau, ça restait difficile de protéger toute une planète. Par trois fois dans la semaine, les Galras avaient envoyé un simple vaisseau de guerre qui avait dépêché des chasseurs à la surface pendant que les plus gros poissons s'occupaient de distraire les protecteurs de la Terre. Toronto était la sixième ville touchée par leurs attaques, qui avaient toutes été de courte durée, heureusement, mais des centaines de personnes étaient mortes et des milliers d'autres blessées ou à la rue.

C'était juste une façon mesquine de se venger. Lance en était persuadé. Ces attaques ne pourraient jamais conquérir la Terre ; en fait, ça n'avait fait qu'accélérer les négociations avec l'ONU. La Terre avait tellement besoin de protection qu'elle aurait certainement signé un traité avec les premiers aliens à se montrer. C'était une chance que Voltron soit arrivé à ce moment-là, car les humains n'avaient rien à offrir en retour, mis à part un pacte de non-agression entre leurs alliés et chaque pays disposant d'un programme spatial, en plus de provisions pour les extraterrestres qui comptaient élire résidence à la surface pour contribuer aux opérations de secours.

Les parents de Lance se tenaient debout derrière le canapé, les yeux rivés sur l'écran noir de la télé. Lance les rejoignit avec un soupir, se torturant l'esprit pour trouver des paroles de réconfort.

Sa mère le devança.

— Sommes-nous en sécurité, ici ?

Lance s'arrêta net, le souffle coupé.

— Quoi ?

— Sommes-nous en sécurité, ici, sur Terre ?

Rosario quitta l'écran du regard pour le dévisager, cherchant sa réponse.

— Toutes ces attaques… elles ne vont pas s'arrêter, pas vrai ? Elles sont aléatoires maintenant, mais qu'arrivera-t-il s'ils découvrent qu'on est tous rassemblés ici à Carlsbad ? Et s'ils décident de nous prendre pour cible ?

Des images de la maison en ruine, de sa famille étalée sur la pelouse, sans vie, s'immiscèrent dans l'esprit de Lance et il frissonna.

— Ça ira, dit-il aussitôt. Nos alliés vous protégeront.

— Vraiment ? (Ramon frotta le dos de sa femme dans un geste apaisant.) Est-ce qu'ils en seront vraiment capables ?

— Je…

Lance hésita, le front plissé par une vague de désespoir qu'il essayait de contenir.

— Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?

Ses parents échangèrent un regard ; ils en avaient déjà discuté. Se crispant, Rosario dit :

— On pourrait venir avec toi. Dans ton château-vaisseau.

— Venir– ça va pas la tête ?

Lance recula, jetant un œil à Eli et Luz qui le dévisageaient. Il baissa la voix.

— Vous voulez que Luz et Mateo connaissent la guerre ?

— La famille de Hunk vous accompagne, fit remarquer Ramon.

— La famille de Hunk n'a pas d'enfants !

Lance tremblait. Il s'en aperçut soudainement et se demanda depuis quand. Merde. Il avait déjà détesté que sa famille se soit retrouvée à bord du vaisseau pendant la bataille, et leurs ennemis s'en prenaient à Carlsbad à ce moment-là. Il ne pensait pas pouvoir survivre à la guerre en sachant sa famille en danger constant.

Rosario lui prit les coudes, attendant en silence qu'il rencontre son regard.

— Est-ce que tu peux nous assurer qu'on sera plus en sécurité ici qu'avec toi ? demanda-t-elle. Si oui, nous resterons là.

Lance hésita, mais la question ne se posait vraiment pas.

— Vous serez plus en sécurité au château-vaisseau, dit-il, retenant sa nausée quand ses parents acquiescèrent, mettant fin à la discussion.

— D'accord. On va faire nos valises.

La pluie continuait de battre contre les murs, mais ce n'était plus aussi réconfortant qu'avant.


— Je m'en vais.

Matt soupira face à l'expression butée de Pidge. Leur mère se figea, sifflant entre ses dents.

— Qu'est-ce que tu viens de dire ?

Pidge leva le menton, les yeux brillants d'une obstination que Matt ne connaissait que trop bien.

— J'ai dit que je m'en vais. Tu m'interdis d'être paladin ? D'accord ! Je vais me trouver un vaisseau galra encore en bonne condition, et dieu sait qu'il y en a plein, et je vais partir à la recherche de papa de mon côté. (Iel croisa les bras.) Ce n'est pas un choix entre me laisser faire la guerre ou me contraindre à rester à la maison. Soit je pars sans personne, soit je pars avec une équipe qui surveille mes arrières.

Karen avait l'air bien trop pâle, comme si elle était à deux doigts de s'évanouir, alors Matt intervint, ignorant l'étau qui lui serrait les tempes.

— Tu ne vas pas y aller seul·e, Pidge. Pas parce que je ne te crois pas capable de t'en sortir, ajouta-t-il aussitôt, parce que Pidge eut l'air de vouloir le frapper. C'est juste que ça n'ira pas jusque-là.

— Hors de question qu'iel soit impliquée dans cette guerre, dit Karen.

Le choc et l'incrédulité l'avaient empêchée de s'exprimer les premiers jours suivants le retour de ses enfants et les négociations avec l'ONU avaient écourté leurs premières disputes, mais maintenant que Karen en avait fini avec tout ça, les choses avaient atteint leur point critique, et Matt ne pensait pas avoir l'énergie de calmer le jeu. Il percevait le désespoir qui commençait à monter dans la voix de sa mère, un désespoir qui s'était amplifié petit à petit à mesure que la réalité de la guerre la rattrapait.

— Je suis déjà impliqué·e !

La voix de Pidge était assez aiguë pour lui percer les oreilles et Matt fit la grimace, fermant les yeux.

— Zarkon m'a forcé·e à me battre le jour où il a kidnappé papa, Matt et Shiro. J'essaie juste de faire en sorte que ça n'arrive à personne d'autre.

— Tu n'es pas obligé·e de faire ça, Pidge. Tu n'es qu'un enfant.

— Je sais !

Pidge se ramassa sur iel-même, se laissant lourdement tomber sur le lit double derrière iel.

— Je sais, ok ? Mais si, je suis obligé·e. Je fais partie des douze personnes à vraiment pouvoir faire la différence. Si je ne me bats pas, des gens vont mourir. Plein de gens. Je ne sais pas pour toi, mais je ne serai pas capable de me regarder en face si je m'arrête là.

— Alors quoi, je suis censée l'accepter ? Accepter que tu risques ta vie ? Que tu sois sur les lignes de front ?

— Non ! (Pidge poussa un faible rire.) Personne n'arrive à accepter ça, Maman. C'est horrible et personne ne devrait avoir à le faire, surtout pas des gosses comme nous. Mais les règles ne sont pas les mêmes dès que ça concerne Voltron. Heureusement, parce que sinon on devrait directement rendre les armes devant Zarkon. On ne peut pas le battre sans Voltron et Voltron ne peut pas se permettre de perdre un paladin.

Karen se pressa le coin des yeux, poussant un long soupir. Après un moment, elle leva la tête, rencontrant le regard de Matt.

— Et j'imagine que tu ressens la même chose ?

Une douleur sourde se mit à battre au fond de lui au même rythme que sa migraine.

— Je déteste ça, admit-il. Je n'ai jamais voulu être soldat et, purée, je n'ai jamais voulu que Pidge en arrive là aussi. Crois-moi, Maman, si je pensais qu'on peut s'en sortir sans iel, je l'aurai enfermé·e dans un placard pour l'empêcher de se battre depuis longtemps. Mais je sais de quoi les Galras sont capables. Quand le lion vert a choisi Pidge, je ne– (Il secoua la tête, ravalant ses larmes.) Je me suis juste dit que ça faisait une personne de plus entre moi et ma possible recapture. Et on avait besoin de monde. Sans Pidge, sans n'importe lequel d'entre nous, on n'aurait pas réussi à rentrer. Sans iel, on pourrait mourir.

Il se tut quand un sanglot s'arracha de la gorge de Karen. Elle pressa une main sur sa bouche et serra son autre bras contre elle pour essayer de contenir son chagrin. Les yeux de Matt se mirent à briller de larmes, le distrayant presque de sa migraine, et il s'avança pour étreindre sa mère.

— Je suis désolé, Maman, bredouilla-t-il. Vraiment. Mais je ne vais pas empêcher Pidge de nous aider.

— Comme si tu le pouvais, fit Pidge en reniflant.

Karen tendit le bras dans sa direction. Iel se leva et se laissa tomber dans leur embrassade, étreignant Karen si fort qu'elle siffla entre ses dents.

— Tu n'es qu'un enfant, Pidge, dit-elle faiblement, presque suppliante.

La main de Pidge passa dans son dos pour trouver le poignet de Matt, l'enserrant dans un étau douloureux.

— Non, dit-iel. Plus maintenant.


C'était bizarre de se retrouver seule dans le lion bleu. Même après trois batailles sans les autres paladins bleus et de nombreuses heures de patrouille et d'entraînement, Nyma ne se sentait toujours pas à sa place. C'était pourtant ce qu'elle voulait, à l'époque où cette idée stupide de voler un lion de Voltron lui était venue à l'esprit. Juste elle et le lion, avec le pouvoir de se rebeller et défier l'Empire Galra.

Bien sûr, elle avait alors imaginé que Rolo serait avec elle. Elle avait imaginé qu'ils seraient ensemble tous les trois, des rebelles affrontant fièrement leur mort certaine, prêts à briller quelques années, s'ils avaient de la chance, avant de partir de la même manière que leur ancien équipage.

Elle s'était imaginée en train de se battre quelque part très loin d'ici.

— Rien à signaler de ce côté, dit-elle, s'arrachant de ce train de pensées qui l'entraînait toujours quand elle songeait à Rolo.

Il était mort, ou du moins elle l'espérait parce que l'alternative, c'était des séances de torture aux mains des druides d'Haggar. Elle inspira, se redressant alors que Blue poussait un grondement réconfortant dans sa tête.

J'aurais dû emmener Beezer, pensa-t-elle, essayant d'ignorer la sensation étrange d'avoir une autre présence dans son esprit.

— Pareil de ce côté, dit Shay.

Elle et Ryner patrouillaient l'hémisphère nord pendant que Nyma et Keith s'occupaient du sud. L'Empire n'avait encore jamais enchaîné deux attaques, mais ce n'était qu'une question de temps. Pour le moment, la Terre était la plus grande faiblesse de Voltron et ils n'avaient pas les ressources nécessaires pour la protéger, même avec l'aide de la rébellion de Kera. Tôt ou tard, Zarkon se rendrait compte qu'un assaut continu finirait par abattre les défenseurs. La Terre et ses alliés pouvaient remporter les 99 premiers raids, ça n'aurait aucune importance si le centième décimait la planète.

C'était ça ou Zarkon s'en prendrait au secteur Kera où résidait la famille de nombreux rebelles. Une attaque là-bas suffirait à éloigner la plupart de leurs alliés et ferait office de punition pour ceux qui avaient osé défier son règne. Et en moins de temps qu'il n'en faudrait pour le dire, ils allaient tous mourir et tout le monde oublierait ceux qui avaient presque vaincu Zarkon.

Nyma avait assisté à ce scénario tant de fois qu'elle connaissait la fin par cœur.

— On va devoir surveiller les environs encore longtemps ? fit-elle d'une voix traînante, faisant tourner Blue dans une spirale paresseuse qui ne l'avança pas plus que les dernières heures passées à fixer le cosmos sans rien y déceler.

— Jusqu'à ce qu'on trouve un truc, oui, gronda Keith. Zarkon ne va pas laisser tomber la Terre aussi facilement. Il faut qu'on soit prêt à l'affronter la prochaine fois.

Nyma fit un son moqueur.

— Mouais. Et le temps que quelqu'un se montre, combien de temps on aura passé ici ? Ça sert à rien de se tuer à la tâche.

— Nous sommes tous fatigués, intervint calmement Ryner.

Le regard de Nyma se posa sur l'écran et elle y vit trois expressions qui reflétaient exactement ce qu'elle ressentait. Keith avait beau fanfaronner, Ryner avait beau paraître calme et Shay avait beau vouloir éviter à tout prix de se mêler à cette discussion, ils ressentaient tous la même peur, la même frustration et le même désespoir qui commençait à la rattraper.

Bien. Ça signifiait qu'ils étaient au moins dotés d'un peu de bon sens. Elle commençait à en douter.

— Restons encore un peu, continua Ryner. Le temps de… relâcher la pression. Ça ne sert à rien de rentrer si c'est pour laisser la paranoïa nous ronger sans nous permettre de nous reposer.

— Est-ce vraiment de la paranoïa si c'est justifié ? demanda Nyma, parce qu'elle était bien trop fatiguée pour faire l'effort de prendre des pincettes. Ces attaques surviennent à chaque fois quand on s'y attend le moins, même après avoir changé notre routine. Est-ce qu'on est sûrs qu'il n'y a pas d'espions parmi les forces d'Anamuri ? Ou à bord du château-vaisseau ?

Un grondement s'éleva à la radio.

— Tu es en train d'accuser qui, exactement ? demanda Keith.

Nyma appuya la tête sur son dossier.

— Je n'accuse personne. Je dis juste que c'est bizarre qu'on soit toujours pris par surprise.

Ça, et Nyma savait à quel point les gens pouvaient changer dès qu'il était question de survivre. Sans qu'elle ne puisse la retenir, une image de son vieux voisin Havi apparut dans son esprit. Elle l'avait vu parler aux officiers galras la veille du raid de la boutique de ses parents et il avait pris ses distances par la suite. Elle n'avait aucune preuve que c'était lui qui avait alerté l'Empire, bien sûr, et de toute façon elle ne lui en aurait pas voulu d'avoir cherché à se protéger–

Et Blue n'avait vraiment aucune raison de mettre le nez dans ces vieilles histoires.

La présence qui s'était introduite dans son esprit sursauta quand Nyma prit conscience d'elle et se retira aussitôt, laissant derrière elle la faible impression d'une excuse. Leur lien était toujours trop ténu pour tenir une conversation, mais leurs intentions se transmettaient sans problème, si bien que Nyma savait (même si elle n'en avait pas particulièrement envie) que Blue voulait simplement la comprendre.

Nyma soupira, se sentant soudainement vidée.

— Bref, marmonna-t-elle. Écoutez, il n'y a rien à voir dans le coin, ok ? Faites ce que vous voulez, mais moi je vais rentrer et essayer de–

Brrip !

Nyma regarda bêtement ses scanners, tardant à réagir face au petit point qui venait d'y apparaître. Elle se raidit, se préparant au combat, avant de remarquer qu'il n'y avait pas d'autres vaisseaux.

— Qu'est-ce que… ? Keith, tu vois ce que je vois ?

— Ouep.

L'irritation avait quitté la voix de Keith et le lion rouge fit demi-tour pour rejoindre Nyma et Blue, visiblement agitée.

— Allons voir ça de plus près.

Nyma plissa les lèvres.

— J'imagine qu'un « non merci » ne passera pas…

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Ryner.

Les scans montraient qu'elle et Shay avaient cessé de patrouiller, comme si elles hésitaient à les rejoindre.

Keith se dirigeait déjà vers l'intrus, la mâchoire serrée et les sourcils froncés, si bien que Nyma dut se charger des explications en filant à sa suite :

— On dirait qu'un vaisseau est apparu à la frontière du système solaire.

— Il est seul ? demanda Shay. Est-ce un vaisseau de guerre ?

Nyma fit non de la tête.

— C'est plus petit. Un chasseur, je crois. C'est bizarre.

— Soyez prudents, les avertit Ryner, comme si Nyma n'était pas déjà en train de préparer trois issues de secours différentes. Prévenez-nous si ça devient trop dangereux. On vous rejoint dans deux ticks.

Nyma fit un salut moqueur, poussant Blue à accélérer pour ne pas perdre Keith de vue, dont la vitesse trahissait sa frayeur.

Pas que Nyma puisse le juger pour ça.

En quelques secondes, le vaisseau fut dans leur champ de vision. Ce n'était pas un chasseur, mais un style de vaisseau que Nyma ne reconnaissait pas. En tout cas, il avait un design impérial et il était trop petit pour transporter plus d'une demi-douzaine de soldats. En résumé, il ne représentait pas une grande menace. Nyma parcourut les autres scans, attendant le moment où une armée entière apparaîtrait dans le vide. Après tout, Haggar avait un œuf de Vkullor à disposition et ces créatures étaient censées être des génies de la furtivité.

Non. C'était ridicule. Haggar avait beau nourrir une obsession pour les recherches et être dangereusement brillante, elle ne pouvait pas répliquer la capacité de camouflage des Vkullors et l'installer sur une flotte entière en moins de deux semaines. Ce n'était pas possible.

Pas vrai ?

— Lions…

La voix à la radio la surprit tellement que Nyma faillit ouvrir le feu par réflexe. Le canon au bout de la queue de Red s'alluma également avant que Keith ne se reprenne. Rouge de honte, Nyma afficha le canal de communication qui s'était ouvert, fronçant les sourcils en découvrant l'absence d'image.

— Vous devez être les paladins de Voltron, continua la voix.

Elle était profonde, avec un léger accent, un peu empâtée par la douleur ou la fatigue. Le traducteur indiquait que la langue employée était du galran.

Nyma rencontra le regard de Keith à l'écran et haussa un sourcil.

Il plissa les yeux.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Pourquoi Zarkon vous a-t-il envoyé ?

Zarkon ne m'a pas envoyé, Keith.

Keith inspira brusquement et Nyma était quasiment certaine que le grondement qu'elle entendit provenait du lion rouge. Elle semblait furieuse.

— Comment connaissez-vous mon nom ?

L'étranger eut un petit rire.

— Je pense que la moitié de l'Empire connaît ton nom, Keith. Le Prince qui s'est associé à un prisonnier, qui a trahi ses compagnons et qui a quitté l'Empire pour devenir paladin de Voltron… ? Tu es une célébrité de par chez nous.

— L'Empire, ce n'est pas chez moi, gronda Keith.

— Je ne parlais pas de l'Empire.

Un long silence suivit sa déclaration. Nyma garda un œil sur Keith, qui semblait tiraillé entre la curiosité et la suspicion. Il n'avait pas lâché les contrôles de Red et, si Nyma ne se trompait pas, il avait les doigts sur la détente, prêt à tirer sur leur invité mystère au moindre piège.

Mais il n'en fit rien, ce qui laissa à l'étranger le temps d'activer sa caméra. C'était un Galra qui portait une bonne partie de l'uniforme d'un officier impérial : il manquait le casque, le plastron était craquelé et toute une manche avait disparu. Ce qu'on voyait de sa fourrure était roussi, voire complètement brûlé, avec à la place de grosses cicatrices lisses et brillantes. Des cicatrices récentes.

— Beurk, fit-elle. Qui vous a poussé dans un réacteur en fusion ?

L'homme poussa un petit rire, fermant les yeux en portant une main à son épaule balafrée.

— Les brûlures sont de mon propre fait, je le crains. Le reste est en partie dû à une bonne amie à moi… et sa vingtaine de soldats.

— Super, votre amie. (Keith détendit légèrement sa prise sur les contrôles de Red.) Vous comptez nous dire qui vous êtes et ce que vous faites là ?

L'étranger s'efforça de se redresser, levant le menton.

— Mon nom est–

— Thace drul Vessely, dit Nyma en claquant des doigts. Je me disais bien que je vous avais déjà vu quelque part.

C'était bien le même visage, une fois qu'elle passait outre toutes ses blessures.

Les oreilles de Thace tressautèrent. Puis il soupira.

— Les contrebandiers ? fit-il.

— L'une d'entre eux, en tout cas. Je vous demanderais bien ce que vous êtes devenu, mais je connais déjà la réponse.

— Je suis désolé, je ne savais pas que vous étiez paladin.

Nyma haussa les épaules.

— Ouais. Ça m'a surprise aussi.

— Attends, dit Keith en levant une main. Tu le connais ?

Plissant le nez, Nyma regarda Thace.

— J'irai pas jusqu'à dire que je le connais. On s'est rencontrés une fois. Rolo et moi, on volait des armes, Thace et son amie étaient… tu sais quoi, j'en sais trop rien en fait, mais ils n'avaient vraiment pas l'air de vouloir que leurs petits copains de l'Empire soient au courant. Ce sont eux qui nous ont parlé du projet Balméra, d'ailleurs.

Voilà ce qui fit la différence. Nyma vit le moment où Thace passa d'ennemi potentiel à camarade rebelle aux yeux de Keith. Il pencha la tête de côté et étudia Thace du regard un moment, avant de soupirer.

— Allura et Shiro vont vouloir lui parler.

— On le ramène, alors ?

Keith hocha la tête.

— Et puis, dit-il avec dans la voix une dernière trace de méfiance qui était tout à fait appropriée de l'avis de Nyma. Il a l'air d'avoir besoin de quelques heures en capsule de soin.


Concentre-toi.

J'essaie, Allura. C'est pas facile quand ma tête me donne l'impression d'être un ballon sur le point d'éclater.

Matt ouvrit les yeux et le regretta aussitôt quand la lumière du soleil lui rappela la migraine qui n'avait que s'intensifier depuis le début de leur séance d'entraînement du jour. Cette semaine, il avait surtout été seul avec Meri, mais maintenant que les choses s'étaient arrangées avec l'ONU, Allura les avait rejoints. Apparemment, elle s'y connaissait un peu plus en la matière, mais c'était son père qui en avait fait l'expérience.

Matt soupira, se frottant le front tandis que le peu de concentration qui lui restait lui échappait, le laissant réintégrer son corps sur une petite pente herbeuse du parc près de chez Lance. Le sol était encore ramolli par la pluie de la veille, mais le ciel s'était éclairci à l'aube et la température avait atteint les 21 degrés, si bien qu'il ne restait plus de l'averse qu'un peu de boue séchée sur le chemin et quelques traces sombres à l'ombre où se trouvaient encore des flaques quand Matt, Meri et Allura étaient arrivés.

La quintessence. La Terre en regorgeait ; ses courants ajoutaient de la vibrance aux arbres, à l'herbe et même aux gens qui profitaient de leur après-midi de l'autre côté du parc. C'était le ciel, le pire : il était si vif que ça lui faisait mal dès qu'il osait lever les yeux des buissons qui bordaient l'allée, et il était d'une nuance de bleu que Matt n'avait jamais vue avant, à mi-chemin entre le bleu-vert et la légère blancheur de la quintessence.

— Tu es encore distrait, remarqua Meri. Tu veux faire une pause ?

— Non.

Matt ferma les yeux, en partie seulement pour échapper aux distractions. Depuis combien de temps ces migraines le faisaient souffrir ? Il pensait le savoir, mais il se demandait si ce n'était pas un parti pris trop précipité. Il avait peut-être déjà des migraines avant qu'Haggar ne prenne possession de Shiro et bourre le corps de Matt de quintessence.

Il n'en était pas convaincu.

Après tout, c'était cet afflux de quintessence qui avait altéré son œil gauche, sa teinte noisette devenant d'un bleu cristallin. Un bleu de quintessence, d'ailleurs. Et c'était cet œil qui, soudainement, pouvait désormais voir les courants de quintessence dans le monde qui l'entourait.

Matt était astigmate : sa cornée avait une courbe étrange qui faisait que la lumière ne se fixait pas bien sur ses rétines. C'était une des raisons pour lesquelles il avait toujours préféré les lentilles de contact et avait déjà commencé à en remettre (sa mère avait conservé la paire de rechange qu'il avait laissée à la maison en partant pour Kerberos). Les lentilles étaient plus lourdes vers le bas, ce qui permettait de les orienter et de corriger le flou dont il n'arrivait jamais vraiment à se débarrasser avec ses lunettes. Mais parfois, les lentilles glissaient juste assez pour qu'un de ses yeux se défocalise.

Son nouvel œil lui donnait une impression similaire, sauf que les maux de crâne qui en résultaient étaient bien pires et il ne pouvait pas corriger le flou même en se frottant les yeux et en clignant des paupières. La vision de son œil gauche était perpétuellement surexposée, la couche de quintessence venant se rajouter à la lumière ordinaire, ce qui le déséquilibrait.

— Vous savez, on a des lunettes qui filtrent la lumière bleue sur Terre, songea Matt, gardant les yeux clos en pointant le nez vers le soleil pour se réchauffer le visage.

Il pouvait presque imaginer qu'il voyait toujours de la quintessence virevolter derrière ses paupières. C'était peut-être la sienne.

— Vous pensez qu'on peut en faire qui filtrent la quintessence ? Pour réduire la pression sur les yeux et tout ?

Allura se reprit au dernier moment, si bien qu'au lieu de pousser un soupir excédé, elle prit un air un peu constipé.

— Ralentis ta respiration, dit-elle.

Ce qui signifiait qu'elle lui faisait tout recommencer depuis le début.

C'était sûrement pour le mieux.

Matt inspira, s'efforçant de suivre les instructions d'Allura. Il s'agissait d'exercices de méditation altéens qu'elle pensait capables de l'aider à comprendre le fouillis de nouvelles sensations qui faisaient hurler son cerveau à la mort. Meri l'accompagnait, en partie pour le soutenir moralement, en partie pour apprendre elle-même le fonctionnement des flux de quintessence. Elle avait fait de son mieux pour aider Matt, mais son conseil de « je sais pas, sers-toi de la Force, Luke ? » fut quelque peu contre-productif puisqu'ils avaient déraillé sur le sujet de Star Wars.

Ils n'avaient entamé les exercices de visualisation que depuis dix minutes quand le nouveau téléphone de Matt bipa, indiquant la réception d'un nouveau message. Il n'avait pas encore pris le temps d'en bidouiller les paramètres, puisque de toute façon, une fois dans l'espace, il ne se servirait plus que de la caméra (rarement) et du lecteur mp3 (un peu moins rarement).

Mais sa mère s'inquiétait naturellement de pouvoir garder contact et elle l'avait déjà acheté de toute manière, alors Matt avait accepté sa requête de l'emmener avec lui partout avec le volume à fond.

— Pardon, dit-il à Allura, plissant les yeux pour lire le message malgré la lumière du soleil. C'est Shiro ? Euh…

Il relut le message deux fois, mais la sensation que le monde venait de sortir de son axe ne le quitta pas.

— Tu as coupé ta radio, j'imagine ?

Allura mit aussitôt la main dans sa poche ; à contrecœur, elle s'en était remise au jugement de Meri et avait échangé ses vêtements altéens contre un chemisier et un jean pour sortir en public. Matt suspectait qu'elle allait les mettre au feu dès qu'ils rentreraient au château-vaisseau.

— En effet, dit Allura, le souffle coupé. Pourquoi ? Il y a un problème ?

— Non, répondit Matt, mais… Apparemment, et je cite, « l'oncle de Keith est au château-vaisseau ».

Allura releva brusquement la tête.

— Son quoi ?

Matt leva les mains comme pour se défendre.

— Je ne fais que passer le message.

Il reprit son portable et envoya une réponse rapide.

— Shiro va rejoindre Coran. Il passe nous prendre en chemin.

— Bien sûr.

Allura se leva, s'inspectant d'un air consterné avant d'épousseter son jean d'un air pincé, puis elle fit un signe de tête à Matt.

— On reprendra ça plus tard.


Le nouvel arrivant était toujours dans une capsule cryogénique quand Shiro arriva avec les autres. Lance, Pidge et Hunk étaient toujours dehors ; Matt les avait informés de la situation, mais Shiro n'avait pas voulu attendre plus longtemps, surtout qu'il avait perçu l'agitation de Keith quand il leur avait annoncé la nouvelle. Quelqu'un irait chercher les trois derniers paladins si c'était nécessaire.

L'oncle de Keith dormait dans la salle aux capsules, sa peau se renouant sous forme d'épaisses cicatrices et de zones glabres qui trahissaient un rude combat assez récent. Shiro se demanda s'il aurait reconnu l'air de famille sans toutes ces blessures. Il ne pensait pas que Keith avait encore de la famille, mais Nyma s'était portée garante de Thace et Shiro ne voyait pas pourquoi il aurait menti.

Coran passa devant Shiro, qui s'était arrêté à l'entrée, et alla rejoindre Shay près de la console centrale. Elle parcourait quelques relevés et lui sourit faiblement en remarquant sa présence.

— Ses blessures sont vieilles de plusieurs jours, dit-elle, et il semblerait qu'il a passé du temps dans une capsule de soin moins efficace que les nôtres. Je ne pense pas que nous pourrons effacer complètement ses cicatrices.

Shiro s'éloigna avant d'en entendre plus, rejoignant Keith devant la capsule.

— Comment va-t-il ?

La tension s'échappait de Keith par vagues, visible à ses griffes enfoncées dans la manche de son armure et à ses oreilles plaquées contre son crâne.

— Bah, c'est pas comme s'il était en train de mourir quand on l'a trouvé, alors… bien, j'imagine.

— D'accord.

Shiro se rapprocha, se retenant cependant de toucher Keith pour le moment.

— Et toi, comment tu vas ?

Pendant un moment, Keith se crispa encore plus, jetant un œil par-dessus son épaule comme s'il craignait d'avoir un public. Allura et Meri avaient rejoint les autres près de la console, discutant à voix basse sans leur prêter la moindre attention. Val, Nyma et Ryner étaient dans le fond, hors de portée pour les entendre s'ils parlaient doucement. Il n'y avait que Matt et Akira qui avaient suivi Shiro vers les capsules et Matt offrit à Keith un sourire compatissant en se plaçant à côté de lui, lui donnant un petit coup d'épaule.

Keith se détendit, courbant le dos tandis que Shiro posait une main sur son bras.

— Je suis… surpris, je crois. Je sais pas. C'est mon oncle, Shiro. Je savais même pas que j'avais un oncle !

Shiro resta sans rien dire un moment, observant les traits de Keith. Il ne montrait pas ses émotions comme Lance et Hunk, mais ça ne voulait pas dire qu'il était doué pour les cacher ; pas face à quelqu'un qui le connaissait aussi bien que lui. Ses oreilles qui tressautaient de temps à autre trahissaient son incertitude, ses doigts serrés sur son bras montraient sa nervosité, mais ce que Shiro voyait surtout, c'était la peine qu'il ressentait.

Et était-ce vraiment surprenant ? Keith était resté seul pendant plus d'un an et avant ça, il n'avait que son père, qui méritait à peine ce titre. Il n'avait pas eu ce qu'on pouvait qualifier de famille depuis la mort de sa mère… ce qui remontait à quoi, douze ans ? Treize ?

Shiro n'arrivait pas à concevoir ce que ça faisait de découvrir plus d'une décennie plus tard qu'il y avait bien quelqu'un qui n'avait jamais pris la peine de se montrer.

— C'est le frère de ton père ? Ou celui de ta mère ? demanda Matt.

Keith le regarda de travers, comme s'il ne comprenait pas du tout pourquoi Matt lui posait la question.

— Celui de ma mère… ?

— Dans ce cas… il fait partie de l'Entente ?

La capsule cryogénique bipa, indiquant que le cycle allait prendre fin, et Keith se crispa.

— C'est ce qu'il a dit.

L'Entente. Shiro jeta un œil au trio d'Altéens, se demandant si leur conversation tournait autour du sujet. Meri était-elle au courant de son existence ? Eux-mêmes n'en avaient entendu parler pour la première fois que quelques semaines plus tôt. Il s'agissait d'un mouvement de résistance qui œuvrait au moins en partie au sein de l'Empire Galra.

Quelques indices laissaient penser que l'Entente n'était pas sans rapport avec des Altéens survivants, et même avec cette planète appelée New Altéa.

— Tu lui fais confiance ? demanda Shiro à Keith.

Keith eut un rire.

— Comment je pourrais ? Je ne sais rien de lui.

Keith baissa la tête, observant la silhouette endormie de Thace du coin de l'œil.

— Vous savez pourquoi il a décidé de se montrer maintenant ?

— Il n'a rien dit avant d'entrer dans la capsule ? demanda Akira, surpris.

Keith fit non de la tête.

— Il a dit que ce serait plus simple d'attendre les paladins noirs. Il nous a simplement dit qu'il faisait partie de l'Entente et qu'il a un message pour Voltron. Et que c'est mon oncle.

— Logique, fit Akira avec ironie.

Il jeta un œil à Shiro, puis carra les épaules.

— Ok, tu veux qu'on la joue comment ?

— Quoi ?

Keith fronça les sourcils et se tourna vers Matt en quête d'explication. Matt haussa les épaules.

— Je veux que vous jouiez quoi comment ?

— Bah, ça, dit Akira avec un geste vers la capsule de soin, assez maladroit puisqu'il avait les deux mains dans les poches de son jean. Ce truc avec ton oncle. Tu veux qu'on lui foute un poing à la figure ? Parce que ça m'irait parfaitement.

Un soupir et un rire se disputèrent la place sur les lèvres de Shiro et il les retint tous les deux.

Akira…

Akira pivota et marcha à reculons vers la capsule, se mettant devant Shiro, Keith et Matt avec un air innocent.

— Quoi ? Tu sais que je suis doué pour chercher la bagarre. (Son regard sombre se posa sur Keith.) Pas de coups ? D'accord… une séance d'interrogatoire, alors ? Je crois qu'à nous quatre, on peut lui poser tellement de questions à la fois qu'il n'aura pas le temps de mentir. Ou… bon, je sais qu'on réserve traditionnellement le discours de la pelle aux amoureux, mais j'ai toujours pensé que c'était trop limité.

Les oreilles de Keith se redressèrent doucement, la peur et la peine momentanément oubliées face à la confusion qu'Akira avait le don de créer.

— Le… discours de la pelle ?

— Ouais, dit Matt avec un grand sourire. C'est quand une fille présente son nouveau petit ami à son père, qui le prend à part et lui dit… (Il adopta une voix basse et bourrue et son interprétation de papa poule fit rire Shiro ; de toute évidence, il ne pouvait pas s'inspirer du commandant Holt.) « Si tu fais du mal à ma fille, tu vas le payer cher. »

Akira ricana.

— Ouais, voilà, si tu veux t'enfoncer dans les stéréotypes.

Keith les regarda l'un après l'autre, les sourcils froncés.

— Et c'est quoi le rapport avec une pelle ?

— Ça implique que le père va tuer le petit ami et enterrer son corps quelque part où personne ne pourra le trouver, s'empressa d'expliquer Shiro, parce qu'Akira avait l'air sur le point de sauter sur l'occasion de s'étendre sur des détails bien plus macabres. Et on ne va pas menacer cet homme dès son réveil.

— On n'est pas obligés de faire ça dès son réveil, marmonna Matt d'un ton bourru.

Akira ne fit que hausser les épaules, balayant les paroles de Shiro d'un geste de la main (comme d'habitude).

— Ce ne sont pas des menaces, Takashi. C'est un avertissement.

Shiro soupira une nouvelle fois, mais Keith rit, ce qui fit bien sûr prendre la grosse tête à Akira. Shiro regrettait sérieusement de les avoir présentés l'un à l'autre. Ça ne faisait qu'une semaine et ils étaient déjà en synergie dans leur bêtise. Il ne voulait même pas imaginer ce que ça donnerait quand ils combattraient ensemble pour la première fois.

— Merci, dit Keith, les oreilles encore frémissantes d'amusement. Mais Shiro a raison. On devrait au moins l'écouter avant.

Et tu veux être celui qui lance les hostilités, dit Akira avec un hochement de tête. Je te comprends, gamin. Fais-moi signe si tu veux que j'intervienne.

— Je… je m'en souviendrai.

La capsule cryogénique siffla encore une fois et Akira recula à contrecœur quand Coran indiqua que le cycle prenait fin. Matt resta près de Keith, prêt à le défendre bec et ongles, et Shiro serra l'épaule de Keith dans un geste qu'il espérait apaisant. Thace n'avait montré aucun signe d'animosité, ce qui signifiait qu'il était peut-être bien celui qu'il prétendait. Shiro voulait y croire, en tout cas. Avoir un proche qui n'était pas mort ou un enfoiré de première serait bon pour Keith.

Personne ne bougea d'un cil alors que de la vapeur s'échappait de la capsule et que l'indicateur de température se mettait à monter. Puis Nyma marmonna un juron et s'en approcha, rattrapant Thace qui en tombait.

Val l'imita aussitôt, prenant son autre bras et l'aidant à se redresser alors qu'il s'arrachait au brouillard du sommeil artificiel. Il était plutôt gracile pour un Galra, mais sa taille était digne de son espèce et Val semblait ridiculement minuscule à côté de lui : du haut de son mètre quatre-vingt, elle atteignait à peine son épaule alors qu'il s'appuyait sur elle.

— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle.

Thace leva la tête, la dévisageant un moment.

— Je vais bien. Veuillez m'excuser. Qui êtes-vous ?

— Val Mendoza. Je faisais partie du projet Balméra, alors si j'ai bien compris, je vous dois un peu la vie.

Elle eut un faible sourire et ajouta :

— Enchantée.

Cela sembla rompre le charme qui maintenait tout le monde en place et Allura s'empressa d'aller se présenter à Thace, Coran et Meri derrière elle. Shay se retira au fond de la pièce où se tenait toujours Ryner et elles observèrent la scène avec prudence. Shiro resta avec Keith, qui s'était figé, les yeux écarquillés sur son oncle.

— Salutations, Thace de l'Entente, dit Allura d'un ton formel. Je suis la princesse Allura d'Altéa, paladin du lion noir. Voici Takashi Shirogane de la Terre, également paladin du lion noir.

Elle fit un geste en direction de Shiro, qui lâcha l'épaule de Keith le temps d'une courbette polie. Ses parents n'observaient plus avec la même insistance les coutumes japonaises depuis qu'ils avaient emménagé aux États-Unis, mais Shiro avait passé assez de temps au Japon et avait assez de famille qui venait lui rendre visite pour que l'étiquette reste dans sa nature, surtout à des moments comme celui-ci où il ne savait pas quoi faire d'autre. Il avait appris que les poignées de mains étaient généralement mal reçues, créant de la confusion, voire de la suspicion, et que les saluts militaires étaient vraiment à éviter.

— Vous vouliez nous parler ? demanda-t-il après s'être redressé.

Pendant un moment si bref que Shiro faillit le manquer, Thace regarda Keith. Puis il se tourna à nouveau vers Allura. Il se détacha de Val et Nyma, se redressant sur toute sa hauteur – qui était plutôt considérable. Il devait faire au moins deux mètres cinquante, soit une tête de plus que Nyma, qui était d'habitude la plus grande de la pièce. Quelques réfugiés galras étaient d'une taille similaire, mais ils restaient généralement dans leur coin, mis à part Zuza et Tev (des adolescents qui n'avaient pas terminé leur croissance) et Zelka (une femme d'âge mûr qui faisait quand même trente centimètres de moins que Thace).

— Oui, dit Thace. Je suis un membre de l'Entente, un agent infiltré dont le but est d'apprendre les secrets de l'empire de Zarkon et d'ouvrir la voie vers sa chute éventuelle.

Matt croisa les bras.

— Niveau infiltration, c'était bien joué. On dirait que vous avez explosé la moitié d'un vaisseau de guerre.

— Pas tout à fait la moitié, dit Thace.

Il n'y avait aucune émotion dans sa voix et cela fit taire tout le monde, mais ses oreilles tremblaient d'amusement et celles de Keith se relevèrent ; par curiosité, se dit Shiro. Il se méfiait encore, mais il s'ouvrait à la possibilité que cet homme ne mentait pas sur son identité.

— Mais oui. Ma dernière mission concernait un contingent de créatures cybernétiques améliorées. J'imagine que vous avez reçu mon avertissement à leur sujet ?

— C'était vous ? demanda Ryner, plus intriguée que sceptique.

Thace hocha la tête et elle sourit.

— Alors nous devons vous remercier une fois encore. Votre message a sauvé de nombreuses vies.

Thace ferma les yeux, sa posture se relaxant.

— Les troupes déjà déployées sur Terre mises à part, il y avait quatre contingents prêts au départ et un laboratoire qui en assemblait d'autres.

Il marqua une pause tandis que Meri murmurait un juron, puis il reprit :

— L'un d'entre eux a eu le temps de partir, supposément pour la Terre, avant que je puisse l'arrêter. J'ai détruit tout le reste au prix de ma couverture et…

Une de ses oreilles se mit à battre violemment et il fit la moue, ne terminant pas sa phrase.

— Ça en valait la peine, mais je dois maintenant prendre ma retraite de ma vie d'espion.

Keith ricana, ce qui attira encore une fois le regard de Thace. Il fit mine de dire quelque chose avant de se raviser.

— Quoi qu'il en soit, c'est notre chef des services secrets qui m'envoie de la part du Haut Conseil de New Altéa.

Allura inspira brusquement, tendant la main derrière elle pour se raccrocher au poignet de Coran.

— New Altéa, dit-elle d'une voix étranglée. Alors les rumeurs sont vraies ?

Thace hocha la tête.

— Pendant dix mille ans, nous avons attendu notre heure, rassemblant nos forces et préservant nos cultures. Nous avons résisté là où nous le pouvions, mais aucune planète ne peut se dresser seule face à la puissance de Zarkon. Mais maintenant que Voltron est de retour, le temps est venu de se battre. Le Conseil vous invite formellement, paladins noirs de Voltron, à venir à New Altéa pour établir un traité d'alliance.

Shiro n'eut pas besoin de se tourner vers Allura pour sentir son choc et sa joie. Ses émotions venaient le caresser comme les vagues d'un vaste océan, une partie provenant du lien qu'ils partageaient avec le lion noir, une autre faisant écho en lui par pure empathie. Cela faisait des semaines qu'Allura essayait de contenir son espoir. Les rumeurs au sujet de New Altéa lui avaient promis quelque chose qu'elle pensait perdu ; pas de revoir ses proches, mais leurs descendants. La culture que Zarkon avait tenté d'éradiquer avec tant d'ardeur.

Qu'on lui fasse cette offre avec tant de nonchalance (malgré le ton et le langage formel employés par Thace) devait lui sembler trop beau pour être vrai.

— Nous serions honorés de vous accompagner, dit Shiro, faisant un pas en avant pour laisser à Allura le temps de se reprendre.

Elle lui adressa un sourire reconnaissant, battant furieusement des paupières, et Shiro lui répondit d'un signe de tête. Il hésita, regardant Shay.

Elle était venue leur faire une proposition quelques jours plus tôt. Les survivants du projet Balméra avaient tous les mêmes cristaux synthétiques implantés dans leur corps, comme Matt et Val, et puisque les humains produisaient un excès de quintessence, ces cristaux avaient tendance à pousser. Pour une croissance minimale, ce n'était qu'une source de douleur, mais les laisser sans surveillance pouvait s'avérer fatal.

Jusqu'ici, Shay était la seule soignante capable de s'occuper des cristaux sans avoir à enfermer les victimes dans une capsule faite pour drainer l'excès de quintessence. Elle s'était portée volontaire pour retourner à son Balméra, une fois leur répit temporaire terminé et quand les autres paladins seraient rentrés au château, pour aller demander à des volontaires de l'accompagner sur Terre pour l'aider à soigner les survivants. C'était un plan risqué, surtout pour les Balmérans qui se porteraient volontaires, mais on ne pouvait pas forcer les gens qui avaient été kidnappés par des aliens et fait l'objet d'expériences macabres d'aller vivre de leur plein gré sur une planète étrangère jusqu'à ce qu'un remède soit trouvé, si tant est qu'il en existait un. Que Matt et Val aient choisi de rester à bord du château-vaisseau était déjà un miracle.

Le plus gros problème à l'heure actuelle, c'était que quitter la Terre la rendrait vulnérable. La rébellion de Kera n'était pas assez puissante pour la défendre toute seule et une fois que Voltron serait parti, Zarkon n'allait pas attendre longtemps avant d'accomplir sa vengeance.

Un regard à Allura lui indiqua qu'elle pensait à la même chose. Si New Altéa avait la puissance militaire, des techniques de fortification ou assez de main-d'œuvre pour défendre la Terre, ce que les paladins avaient plus de chance de trouver là-bas qu'ailleurs, alors forger une alliance devait passer en priorité.

— Nous viendrons, dit Allura en se redressant. Quand pouvons-nous partir ?

— Immédiatement, dit Thace. Cependant… Il y a une zone de protection autour de New Altéa. Il est impossible d'y ouvrir un trou de ver directement ; il sera repoussé vers une zone neutre.

Shiro fronça les sourcils.

— Je comprends. Jusqu'où peut-on s'en approcher ?

— À environ trente-deux céliphéros. (Thace marqua une pause, remarquant leur confusion.) Si je ne me trompe pas, ça correspond à trois jours terriens pour nos vaisseaux les plus rapides.

— Trois jours ? répéta Matt avec un juron. Et trois autres pour le retour.

Six jours loin de la Terre, et ce à condition que New Altéa soit d'accord pour envoyer aussitôt de l'aide, ce qui était peu réaliste, comme Shiro l'avait appris après une semaine à discuter d'un traité de non-agression avec l'ONU.

— Nous ne pouvons pas laisser la Terre sans protection aussi longtemps.

— Qu'un petit groupe, alors, dit Allura en acquiesçant. J'irai avec Coran et Meri. Les autres peuvent rester ici. Vous serez un peu désavantagés sans le château, mais vous aurez toujours les lions pour repousser les forces de Zarkon.

Shiro allait exprimer son accord quand Matt intervint.

— Je viens aussi.

Shiro pivota, fronçant les sourcils.

— Quoi ?

— Je viens aussi, répéta Matt, avec un regard éloquent aux Altéennes. On trouvera peut-être quelqu'un pour nous aider.

— Aider à quoi ?

Un éclair de compréhension passa sur le visage de Meri et Allura hocha la tête.

— C'est… c'est une très bonne idée. Un… projet, ajouta-t-elle à l'intention de Shiro, ignorant son regard. Ça fait quelques jours qu'on essaie d'accomplir quelque chose, mais on préfère ne rien dire tant qu'on ne sera pas sûrs que ça puisse fonctionner.

Elle œilla Val, qui dévisageait toujours Matt comme si elle essayait de percer ses secrets. Il se tortilla devant son attention, détournant les yeux.

Ça concernait donc les cristaux.

— D'accord. (Shiro jeta un regard autour de lui, attendant de voir si d'autres voulaient intervenir.) Ce sera donc vous quatre, plus Thace.

— Et Keith, dit Thace.

Keith se crispa.

— Moi ? Pourquoi ?

Il y avait une hésitation dans la courbe des oreilles de Thace qui ne se montrait pas dans sa voix ni dans son expression, et celles de Keith se plaquèrent en arrière en retour.

— Ta mère m'a demandé de te ramener.

— Ma– (Keith se coupa, plissant les lèvres avec hargne.) Ma mère est morte.

— Non.

Thace prit une inspiration qui lui souleva les épaules, puis joignit les mains dans son dos.

— Elle est bien vivante et elle veut te voir.


— Tu penses que tu seras de retour quand ?

Matt fourra un dernier justaucorps altéen dans son sac de sport avant de le fermer et de se tourner vers sa mère et Pidge. Il avait surtout pris des vêtements terriers (ça lui changerait d'avoir des vêtements familiers), mais il ne pouvait pas nier que les tenues altéennes prenaient moins de place.

— Je ne sais pas, dit-il à Pidge. On va prendre Red, alors le voyage devrait prendre moitié moins de temps, mais bon… Peut-être dans quatre jours, et j'espère dans moins d'une semaine au maximum. Thace dit qu'on pourra se servir des chaînes de communication sécurisée de New Altéa pour vous contacter si ça prend plus longtemps que prévu.

Pidge hocha la tête, visiblement résigné·e. Iel avait mal pris la nouvelle de ce voyage, surtout qu'iel avait raté l'opportunité d'y disputer sa place, mais iel en comprenait l'enjeu. Leur mère, par contre…

— On ne pourra pas t'appeler ?

Matt fit non de la tête en prenant la sangle de son sac.

— Le château-vaisseau n'est pas paramétré pour transmettre des messages avec la bonne clé de cryptage. Vous pourrez recevoir les nôtres, mais ce sera à sens unique.

— C'est– (Elle soupira, se frottant les yeux.) J'imagine que je ne pourrai pas te convaincre de ne pas y aller ?

— Désolé.

Matt passa un bras autour de ses épaules et lui embrassa la joue.

— Ne t'inquiète pas pour moi. Apparemment, New Altéa est l'endroit le mieux protégé de tout l'univers. Je n'aurai pas le temps de te manquer.

Karen hocha la tête, puis fonça vers la sortie. Matt la regarda partir, le cœur serré. Elle n'était jamais à l'aise à bord du château-vaisseau, toujours à se dépêcher de terminer ce qu'elle avait à faire avant de ressortir, même quand il s'agissait de dire au revoir à Matt pour son voyage à New Altéa. Un léger mal de crâne battait à ses tempes, lui rappelant pourquoi il devait partir, et il soupira.

— Tu vas te renseigner sur leur technologie, hein ? dit Pidge. Tu veux bien me ramener un robot ou deux à décortiquer ?

Matt eut un petit rire.

— Je suis prêt à voler le téléphone de quelqu'un s'il le faut, promit-il. Et puis, si tout se passe bien, ils enverront d'eux-mêmes leurs outils sur Terre et tu pourras mettre ton nez là où tu voudras.

Iel lui frappa le bras, puis hissa son deuxième sac (qui contenait son portable, une caméra digitale, une liseuse remplie de plus de livres qu'il ne pourrait jamais lire en un an et plein d'autres petits plus qu'il aurait bien voulu avoir lors de l'année écoulée).

— Je compte bien recevoir un portable extraterrestre pour le Cyber Monday.

— Je ne crois pas qu'on s'offre des cadeaux au Cyber Monday.

— Peut-être, mais on se doit chacun un ou deux anniversaires, alors on va dire que ce sera mes quinze ans en avance.

Matt secoua la tête, suivant Pidge dans le couloir en direction de l'ascenseur. Il regarda longuement son dos, se préparant mentalement, et il se força enfin à dire ce qu'il ruminait depuis le début de la journée.

— Hé, Pidge ?

— Mm ?

— Tu as déjà piraté des vaisseaux galras sans avoir besoin de t'y infiltrer, pas vrai ?

Iel s'arrêta net, les épaules crispées, sans se retourner.

— Oui.

Matt ferma les yeux un bref instant. Et dire qu'il voulait être subtil… Mais bon, le sujet devait préoccuper Pidge autant que lui.

— Pidge, écoute.

— Hors de question que j'arrête tout, si c'est ce que tu t'apprêtes à me demander, l'interrompit-iel. Je suis un paladin, tout comme toi.

— Je sais bien. Mais tu comprends pourquoi maman agit comme ça, pas vrai ? Elle a peur. La dernière fois qu'elle t'a vu·e, tu n'étais qu'un enfant. Purée, à ses yeux, tu l'es toujours. Et peut-être que ce terme ne colle plus tellement, mais ça ne veut pas dire qu'on peut te mettre en danger tout le temps.

— Je suis en danger que je sois à bord d'un vaisseau galra ou non, Matt. Tu le sais très bien. (Iel pivota, le regard noir.) Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Tu veux que je me planque au château en permanence ? Que je laisse Ryner tout faire sous prétexte qu'elle est là et qu'on n'a pas besoin d'être deux pour former Voltron ? Tu sais que plus on est nombreux, plus on est forts.

Matt leva les mains.

— Oui, je sais. Et je ne te demande pas de tout arrêter. Je ne vais pas te faire ça, parce que maman a aussi essayé de me convaincre que je ne devrais pas être paladin.

Cela calma la colère qui montait en Pidge et iel fronça les sourcils.

— Ah bon ?

— Oui.

Avec un sourire bancal, Matt se tapota le genou. Il portait une gaine sous son jean, plus confortable que l'orthèse à charnières qu'il s'était faite pour l'entraînement pour suppléer celle intégrée à son armure de paladin. Il était allé l'acheter avec sa mère quand elle l'avait vu boiter après une longue journée passée sans soutien.

— Je suis handicapé, après tout. Entre mon genou, les cristaux et le stress post-traumatique, maman me rabâche sans cesse qu'un corps militaire éthique m'aurait déjà déchargé pour des raisons médicales.

— Un corps militaire éthique ? (Pidge plissa le nez.) Alors elle s'acharne encore là-dessus, hein ?

— Si par là tu veux dire qu'elle ne peut pas rester cinq minutes dans la même pièce avec Coran sans me faire croire qu'elle va lui mettre une baigne, alors oui, soupira Matt. Je la comprends. Vraiment. On est ses enfants et il lui faut quelqu'un à blâmer pour ce qui s'est passé.

Pidge leva les yeux au ciel.

— Elle peut blâmer Zarkon et Haggar.

— Je sais, Pidge. Mais elle–

Il secoua la tête et fit avancer Pidge, essayant de ne pas songer à la tempête qui se préparait entre Coran et Karen.

— Ce n'est pas le problème. Ce que je veux dire, c'est qu'elle a du mal à se faire à la situation. Ce n'est pas un crime. Alors peut-être que quand ce n'est pas nécessaire que tu te battes… tu pourrais rester au château ? Histoire d'éviter de lui causer un infarctus tous les jours ?

— Quatre fois par semaine, ce serait mieux ?

Matt eut un petit rire.

— Bah, ce serait déjà ça. Ça veut dire que tu veux bien y réfléchir ?

Pidge haussa les épaules. L'idée ne lui plaisait pas, mais au moins iel ne l'envoyait pas balader, ce qui dépassait déjà toutes ses attentes. Matt lui tapota le dos, puis passa devant iel et se précipita au coin du couloir menant à l'ascenseur, devant lequel Karen les attendait déjà. Ils descendirent au hangar du lion rouge et Matt rangea les sacs dans une trappe du cockpit. Coran et Meri étaient occupés à installer des couchages supplémentaires contre le mur. Les lions avaient chacun deux couchettes intégrées. Avant, ils n'en avaient qu'une, mais une deuxième était apparue quand ils avaient choisi d'autres pilotes.

Curieusement, même le lion bleu n'avait que deux couchettes, même s'il comptait désormais quatre paladins. Il voulait peut-être qu'ils se relayent pour dormir si la situation le demandait ?

En tout cas, le voyage jusqu'à New Altéa était censé durer environ trente-six heures, donc il allait falloir dormir à un moment donné. Normalement, il y aurait toujours Keith ou Matt pour piloter, avec une ou deux personnes pour leur tenir compagnie, mais ils avaient prévu le cas où les cinq passagers (Thace, Allura, Coran, Meri et Wyn) voudraient tous dormir en même temps.

Matt sortit du cockpit pour dire un dernier au revoir à tout le monde et vit que Keith et Thace s'étaient placés à des côtés opposés du hangar, la silhouette imposante de Red formant comme une barrière entre eux. Dès qu'il était sorti de l'ascenseur, Matt avait senti cette tension qui provenait surtout de Red, dont la queue battait nerveusement par terre. Elle gardait la tête basse pour laisser ses passagers faire les allers-retours nécessaires, mais ça ne faisait aucun doute : elle surveillait Thace. Elle sentait la méfiance de Keith à son égard et restait sur ses gardes.

Matt observa Thace s'approcher avec des coussins plein les bras et entreprendre de monter la rampe. Un grondement bas s'éleva de la gorge de Red, le faisant s'arrêter.

Red… pensa Matt, frustré, et Red lui renvoya une vague d'indignation.

Nous ne l'aimons pas.

Tu veux dire que Keith ne l'aime pas, et Keith ne le déteste pas non plus. C'est juste… Matt souffla. C'est compliqué.

Pas compliqué. Il n'était pas là quand on avait besoin de lui. Il n'était pas celui qu'il aurait dû être.

Cette pensée fut accompagnée d'un éclair de douleur et d'une série d'images confuses. Zarkon y avait une place prédominante, notamment aux côtés de Keturah, l'ancien paladin rouge. Elle avait péri en voulant venger la mère d'Allura, qui avait trouvé la mort sur la dague de la garde royale de Zarkon. Matt eut un aperçu de cette dernière bataille : Keturah et Red étaient seules à se battre, entourées d'ennemis ; des lasers illuminèrent le cockpit, puis il n'y eut plus que l'obscurité, la solitude et la douleur.

Red gronda encore une fois, avec moins de force.

Je n'accorde pas ma confiance aussi facilement.

Et vrekt, Matt ne pouvait pas la convaincre de changer d'avis. Mais l'atmosphère restait glaciale quand Keith monta enfin à bord du lion, lançant à Thace un regard vindicatif avant de s'installer aux contrôles, leur tournant le dos. Thace ferma les yeux avec un petit air triste.

Le voyage allait être long.


Note de la traductrice : Au sujet des avertissements, pour tous ceux que ça inquiète, vous trouverez plus d'informations sur tumblr. (Pas de spoilers spécifiques, mais ça détaille combien de personnages principaux vont mourir, quand approximativement et qu'est-ce que l'auteure entend par « principaux ».) Si vous craignez quand même un spoiler indirect, il y aura également des avertissements au début de chaque chapitre, comme d'habitude, alors vous saurez éventuellement à quel moment un personnage mourra (qu'il soit principal ou secondaire).

Si après avoir lu la note sur tumblr, vous aimeriez plus de détails (par exemple si vous voulez savoir exactement qui va mourir ou si un personnage en particulier va survivre), vous pouvez m'envoyer un message (non-anonyme) sur Tumblr ou FFnet et je vous répondrai en privé. Tout ce que je vous demande, c'est de ne pas répandre l'information à ceux qui ne veulent pas être spoilés.