72 West Port, dans le quartier de Old Town à Édimbourg.
Une petite librairie indépendante pleine à craquer attirait l'attention des passants sur le trottoir adjacent ; Au moins une dizaine de jeunes attendaient avec plus ou moins de patience en ligne sur la chaussée, prenant soin de laisser la place pour que les badauds puissent circuler librement. À l'intérieur, le double de monde, et un brouhaha comme jamais on n'avait vu dans ce genre d'établissement, donnait une migraine tonnante au jeune homme en caisse.
En général, les Lundis étaient très calmes ; Les étudiants de l'Université à deux pas de là ne se donnaient que rarement la peine de venir chercher leurs carnets ou leurs commandes en début de semaine. Seulement voilà, cette particulière année de 1998, le 1er Mai était tombé un vendredi, et de ce fait la librairie avait fermé pendant trois longs jours, coïncidant avec la livraison de toutes les annales et dossiers de cours de la faculté de droit, qui du coup, avait prit du retard. La société d'édition avait été assez généreuse pour enfreindre ses propres règles et décider de livrer la librairie tôt, ce lundi matin, ce qui n'avait jusqu'alors jamais été le cas ; Et les étudiants en pleine période de révisions, après maints coups de fil dans le vide tout le long week-end, avaient fini par se rassembler et décider d'un commun accord de tous se retrouver là après leurs cours de l'après-midi.
Inutile de dire que s'en était suivi le chaos, le désordre et la panique dans le petit établissement de deux étages, comprimé entre un café et un cordonnier.
‒ J'avais besoin de ces annales ce week-end, vous vous rendez compte du pétrin dans lequel vous nous mettez ? Pestait un étudiant qui, visiblement, avait décidé d'être le porte-parole du groupe.
‒ Eh bien la prochaine fois, commandez vos documents deux semaines plus tôt, et consultez votre calendrier ! Rétorqua le jeune caissier, dont la patience s'amenuisait au même rythme que l'espace vital de la boutique. À vous entendre, il aurait fallu qu'on bosse juste pour vous, le jour de la fête du Travail.
‒ Vous n'avez pas le droit de nous parler sur ce ton !
‒ Je vous causerai comme je vous causerai, tant que vous serez condescendant avec moi. Ça fera 43 Livres.
Outré, l'étudiant paya et récupéra ses papiers, avant de sortir en donnant des coups de coudes, marmonnant pour lui même – et ceux qui voudraient bien lui accorder de l'attention – le déplorable service dont il était la victime. Le caissier soupira, se frotta les tempes des deux index, puis reporta son attention sur les prochains clients. Il cligna des yeux, scanna les deux personnes devant lui, et se força à ne pas se pencher au dessus du comptoir pour constater l'étendue des dégâts. Il se reprit, et attendit qu'ils posent leurs livres sur l'acajou, mais ils restèrent comme figés. À croire que c'étaient eux les employés.
‒ Je peux vous renseigner ? Demanda-t-il et cela sembla les inciter à bouger.
‒ Nous cherchons la propriétaire des lieux, s'il vous plaît, répondit celui à gauche, vêtu d'un kilt passé au dessus d'un chemisier à fleurs, et d'une casquette blanche.
‒ Madame Falworth n'est pas là aujourd'hui, vous pouvez lui envoyer un mail et elle vous répondra rapidement, rétorqua le caissier.
‒ En réalité, nous cherchons une Madame Morales, n'est-elle pas propriétaire des lieux ? Dit l'autre homme, dont le trench coat était si serré autour de lui qu'on aurait dit qu'il allait exploser. Une écharpe rose sortait du col, et le caissier pria pour qu'il y ait un quelque autre vêtement sous ce manteau.
‒ Mademoiselle Morales est bien là, mais elle n'est plus proprio depuis au moins un an. Ce serait à quel sujet ?
‒ Seulement quelques affaires légales, nous sommes notaires, voyez-vous, bégaya l'homme au kilt.
‒ … Je vous l'appelle.
Il disparut derrière le comptoir, passant une petite porte qui s'ouvrit sur une grande pièce jouant le rôle d'office, de kitchenette et de salle de repos. Au fond, deux bureaux dont l'un était occupé par une jeune femme, plongée dans les papiers.
‒ Solange, désolée de te déranger dans tes affaires hautement importantes...
‒ Evan, il me semble qu'on avait parlé de ces excès de sarcasme, non ? Coupa la jeune femme sans lever les yeux de ses papiers.
‒ Il y a deux types très mal habillés qui veulent te voir, continua Evan, nullement phasé par ce commentaire. Ils disent qu'ils sont notaires, mais je pense qu'au moins l'un d'eux est en fait deux nains essayant de ne payer qu'une seule place de ciné. Je fais quoi ?
Solange Morales leva finalement les yeux et retroussa sa lèvre supérieure sur ses dents dans une mine de pure confusion. Elle sembla réfléchir quelques secondes, puis soupira et ôta ses lunettes de vue pour se frotter le visage.
‒ Okay, envoie les moi. Merci, Evan. Et je repasserai devant dès que possible, ajouta-t-elle plus fort tandis qu'il disparaissait dans le couloir.
‒ Pitié non, je vais finir par me croire dans Fear Factor si je perds encore cinq centimètres carrés d'espace !
Il revint avec les deux gentlemen, et Solange put constater l'étendue des dégâts vestimentaires dont ils avaient été victimes. Evan referma la porte derrière lui avec un regard appuyé, les lèvres pincées.
Elle se leva de son bureau et vint serrer la main des deux personnages avec un sourire aimable et professionnel.
‒ Bonjour, je suis Solange Morales. Mon collègue me disait que vous me cherchiez ?
‒ Bonjour, Miss Morales, répondit l'homme au kilt. Je me présente, Auguste Talbott, et voici mon associé John Barlow. Nous représentons le cabinet de notariat Talbott Associates. Nos informations n'étaient malheureusement pas très actuelles, nous pensions que vous étiez encore la propriétaire des lieux ?
‒ Je l'étais, en effet, confirma Solange en leur montrant les deux sièges devant le bureau où elle reprit place, avant de se lever brusquement. Oh, je vous prie de m'excuser, désirez-vous un thé ?
Ils acquiescèrent tous deux et observèrent la jeune femme mettre en route la bouilloire électrique et préparer deux tasses avec deux sachets d'Earl Grey chacun. Elle posa le sucre et deux petites dosettes de crème sur la table, puis les tasses, et leur servit l'eau. Puis, elle se rassit et leur rendit leur regard curieux, avant de réaliser qu'elle s'était arrêtée en pleine explication.
‒ Veuillez m'excuser, c'est un jour particulièrement chaotique. Ma mère était la propriétaire, jusqu'à sa mort il y a trois ans de ça. J'ai hérité de la boutique, mais après deux ans à diriger tout ça...
Elle fit un geste des deux mains pour désigner le bâtiment.
‒ Enfin, disons que ce n'était pas de mon ressort. J'ai passé les droits de la boutique à la meilleure amie de ma mère, et je co-dirige avec elle. Mais si vous avez la moindre demande notariale concernant notre commerce, je peux tout à fait vous aider ! Rassura-t-elle en secouant les mains devant elle.
Auguste Talbott s'éclaircit la gorge et posa ses mains sur ses cuisses, tandis que son associé remettait ses lunettes sur son nez.
‒ Pour vous dire la vérité, Miss Morales, nous ne sommes pas là pour ce genre d'affaires. Nous ne traitons pas des affaires de... Moldus.
Solange se raidit sur son siège. Elle les observa sous un nouveau jour, et d'un coup leur accoutrement ridicule faisait sens. Talbott sortit sa baguette, et avant qu'elle put se demander où il avait bien pu la ranger auparavant, il la fit tournoyer légèrement, et leurs tenues furent remplacées par de longues robes noires aux coutures violettes.
‒ Permettez ? Fit l'associé en pointant vers la porte, et elle hocha la tête, la bouche entrouverte.
D'un coup de baguette, la porte fut scellée. Les deux mages se tournèrent pour se concentrer sur la jeune femme que son fauteuil allait bientôt avaler.
‒ Miss Morales, nous savons qu'en qualité de Cracmol, vous n'avez pas beaucoup de proximité avec le monde magique, commença Talbott. Mais, saviez-vous tout de même que, depuis plusieurs mois, le Ministère menait une lutte acharnée pour rechercher et neutraliser le dit Tom Jedusor, plus connu sous le nom de... V... Voldem-mort ?
Visiblement, quelqu'un avait mangé du courage ce matin, se dit-elle. À ce qu'on lui avait dit, mieux valait ne pas prononcer le nom de Tu-Sais-Qui. Elle hocha de nouveau la tête – Même les cracmols avaient reçu des lettres du Ministère de la Magie, avec les mesures de sécurité de base, et les dernières informations, au cas où.
‒ Nous sommes ici pour vous informer qu'il y a deux jours, ce samedi 2 Mai, L'école de Poudlard a été attaquée par ...V-Voldemort, et qu'en suivit une bataille au cours de laquelle il fut définitivement neutralisé.
‒ Vous-Savez-Qui est mort ?! S'exclama Solange, réalisant soudain la gravité de cette visite. Mais... Comment ?
‒ Le jeune Harry Potter lui a donné le coup de grâce, bien que l'histoire soit trop compliquée pour être résumée ainsi. Nous déplorons malheureusement beaucoup de victimes... C'était une nuit très difficile pour beaucoup...
‒ C'est pour cela que nous sommes là, Miss Morales, continua l'associé quand il vit Talbott s'éteindre au souvenir des faits. Nous sommes dans le grand regret de vous annoncer qu'au cours de cette bataille, votre père a succombé à l'attaque de Voldemort.
C'était définitivement un coup de froid. Son cœur ne se brisa pas, elle ne ressentit pas de tristesse, et contrairement à ce qu'elle aurait pu penser des années auparavant, elle n'avait pas non plus de satisfaction à entendre cette nouvelle. Mais il y avait tout juste trois ans qu'elle avait perdu la seule personne qui comptait dans sa vie, et qui l'avait élevée. Savoir que quelque part, elle avait encore un père avait été un maigre réconfort, mais cela s'arrêtait dorénavant là. Elle était orpheline.
Elle se rendit compte qu'elle avait momentanément perdu le fil de la situation, et cligna des yeux lentement.
‒ Je vois. Désolée, cela va vous paraître méchant, mais je n'ai probablement vu cet homme que deux fois dans ma vie, et j'étais trop jeune pour en garder un quelconque souvenir, donc...
‒ Nous sommes au courant de ce détail, ne vous en faites pas. Nous avons cependant été engagés par votre père pour l'exécution de son testament, et il se trouve que vous en êtes l'unique bénéficiaire, Miss Morales.
‒ ...C'est une mauvaise blague ?
Talbott sortit de nouveau sa baguette et tapota deux fois la surface du bureau, pour y faire apparaître deux rouleaux de parchemin scellés et une lettre cachetée.
‒ Pas du tout, Miss. Et je ne peux que saisir votre étonnement, bien sûr. Mais il faut que vous compreniez que votre père n'avait aucune famille vivante, ou si c'était le cas, il ne nous en a jamais fait part. Et un homme tel que votre père a amassé énormément de possessions, tout au long de sa vie. Des possessions qui lui étaient chères, et qu'il ne voudrait probablement pas voir tomber dans de mauvaises mains, compte tenu de sa réputation. Il a sans doute supposé qu'il valait mieux vous faire bénéficier de tout cela. Voulez-vous que nous commencions par ouvrir ce testament ?
Solange regarda autour d'elle, puis ne trouvant pas ce qu'elle cherchait – une ou deux bouteilles de whisky auraient été agréablement bienvenues – elle exprima son accord et se vit happée dans la lecture complète du testament de son père.
Au bout de cette liste, comprenant un manoir, un compte chez Gringotts contenant une petite fortune, et de nombreuses babioles matérielles diverses, elle se vit invitée à signer son accord, qu'elle fit rapidement avec la plume que lui tendit John Barlow.
‒ Pourrai-je faire usage de vos services pour certains détails, Messieurs ? Demanda-t-elle tandis que le parchemin disparaissait. Puisque vous connaissez mieux que moi le détail de tout ça, j'aimerais que vous mettiez en vente tout ce qui peut l'être, rapidement. Le manoir en premier.
‒ Ne voulez vous pas aller le voir, avant de prendre une telle décision ? S'étonna Talbott, visualisant certainement dans son esprit la valeur de la propriété en question.
‒ Comme vous pouvez le constater, je ne vis pas dans le monde des Sorciers, Monsieur Talbott. Je ne vois pas l'intérêt d'y avoir un Manoir.
Celui-ci pencha la tête en avant d'un air entendu, bien que visiblement secoué par tant de laxisme. Barlow quant à lui tapota la lettre cachetée sur la table.
‒ Ceci nous a été remis par la Directrice de Poudlard, le professeur Minerva McGonagall. L'école est en phase de reconstruction, mais bientôt, une cérémonie en hommage aux défunts aura lieu, et elle aimerait vous y rencontrer, expliqua-t-il tout en retenant un sourire quand il vit les yeux de la jeune femme s'écarquiller. Sachant que votre père passait le plus clair de son temps là bas, il y aura également certaines de ses affaires à récupérer là-bas, et il serait bien que vous y jetiez un œil avant que ce ne soit trié et authentifié par nos soins... Vous savez, au cas où vous souhaiteriez conserver quoi que ce soit.
Elle ouvrit l'enveloppe et déplia la lettre, révélant une écriture manuscrite parfaite. Elle se demanda un instant si telle était le genre d'enveloppe que recevaient les enfants sorciers de onze ans, pour leur annoncer leur rentrée à Poudlard.
La cérémonie était déjà fixée pour trois semaines plus tard, et elle se demanda si elle devait vraiment s'y rendre. Il était précisé qu'elle serait attendue par la directrice elle-même à dix heures, devant les portes du domaine de l'école.
‒ Je n'ai pas vraiment les moyens d'aller jusque là-bas, cela dit, raisonna Solange avec une moue pensive.
‒ Nous avons pensé à cela, ne vous inquiétez pas. Je viendrai personnellement vous chercher, et nous transplanerons directement devant le domaine. Je vous raccompagnerai également dès que vous le souhaiterez, assura Barlow.
Solange était tiraillée par cette idée. La sensation d'avoir été plongée à froid dans un bain d'huile bouillonnante faisait lentement chemin en elle. Une question fit irruption au milieu de tous ses doutes.
‒ Comment a-t-elle su ?
‒ Plaît-il ? Couina Talbott à demi levé de sa chaise, se préparant à partir.
‒ Le professeur McGonagall, comment sait-elle que j'existe ? Répéta Solange lentement.
‒ Oh, et bien, ce sera probablement une bonne question à lui poser lorsque vous la rencontrerez. Nous n'avons personnellement rien dit à ce propos, lorsque nous sommes passés constater la mort de votre père.
Solange se contenta de cette réponse, et les remerciant pour leur visite, elle attendit qu'ils se soient changés de nouveau avant de les escorter vers la sortie. Evan leur jeta un œil suspicieux, tout en rendant la monnaie à une énième étudiante, puis il se permit une pause en la suivant dans le bureau.
‒ Alors, c'était bien des notaires, ou alors est-ce qu'ils réclamaient des dons pour l'armée du salut ? Plaisanta-t-il les bras croisés sur son T-Shirt noir.
‒ Ils avaient un style plutôt original, en effet, mais c'était bien des notaires.
‒ Inhin. Ça concerne la boutique ?
‒ Non, ce sont des affaires personnelles, ne t'en fais pas, répondit-elle avant de reprendre ses papiers comme si rien ne s'était passé.
Evan fit la moue, puis sortit de nouveau, laissant Solange contempler de plus près l'enveloppe cachetée du sigle de Poudlard, adressée dans une parfaite écriture « à l'attention de Mademoiselle Solange Mariella Morales Rogue. »
