Visiter le Chemin de Traverse avec quelqu'un de totalement novice fut une expérience revigorante, comme le découvrit Olivier.
Ayant pour habitude d'arpenter ces rues pour n'importe quelle occasion, il avait tout simplement arrêté de prêter attention aux détails qui pouvaient valoir le coup d'œil. Solange, elle, n'en ratait pas une miette. Il l'entendait occasionnellement se parler à elle-même, laisser échapper une remarque, puis constater à quel point «c'était une idée parfaitement débile». L'une d'elle concernait la volonté d'avoir un appareil photo pour immortaliser une statue, puis s'ensuivit une dizaine de minutes sur la possibilité de prendre quoi que ce soit en photo ici avec un appareil moldu. La plupart du temps, il ne savait pas s'il devait interférer avec ses réflexions intenses, jusqu'à ce qu'elle se tourne vers lui avec toutes ses questions.
Comme s'il avait toutes les réponses juste parce qu'il vivait ici. Ou alors peut-être était-ce parce qu'il était un sorcier et elle non?
Était-elle une sorcière ou non?
Suggérant le Chaudron Baveur pour y manger avant son départ, ils retournèrent au point de départ, saluèrent Tom de nouveau, et s'assirent. Elle attrapa un menu sur une table connexe et commença à l'analyser avec intérêt. Olivier connaissait déjà plutôt bien les spécialités de la maison, mais un couple de jeunes un peu trop curieux ‒ l'ayant sans doute reconnu ‒ le mirent mal à l'aise et il préféra se réfugier également dans le menu.
‒ La tourte au poulet est comment, ici? Demanda soudain Solange, et Olivier dût cligner trois fois des yeux pour que l'information remonte à son cerveau.
‒ Plutôt pas mal. Pas aussi bonne qu'une Scotch Pie, mais ça fait l'affaire, ajouta-t-il en souriant.
La petit allusion à leurs origines respectives n'échappa pas à la jeune femme, qui hocha la tête d'un air entendu.
‒ Va pour ça, alors. Monsieur Dubois...
‒ Olivier, coupa-t-il tout en hélant Tom.
‒ D'accord, Olivier...
Tom prit leur commande, repartit, et Olivier reporta son attention sur Solange, qui sortit de son sac son exemplaire du Quidditch à Travers les Âges.
‒ J'ai essayé de deviner par moi-même, mais j'ai besoin de savoir maintenant. Quel poste occupez-vous?
Elle se garda de préciser que ses spéculations reposaient entièrement sur les attributs physiques qu'elle avait pu observer chez lui, ainsi que l'état rugueux de ses mains, mais il fallait se rendre à l'évidence. Il aurait pu jouer à n'importe quelle position.
Olivier sembla agréablement surpris à la vue du manuel, et il le tripota machinalement.
‒ Je suis gardien, pour l'équipe de Flaquemare. Mais je suis dans l'équipe de réserve, je n'ai pas beaucoup de temps de jeu.
‒ Vous devez en avoir suffisamment pour ne pas passez inaperçu...
Elle se tourna lentement vers la table des jeunes, qui détournèrent le regard, gênés d'avoir été pris à les observer.
‒ Je crois que je viens de faire peur à vos fans, blagua-t-elle.
‒ C'est...Probablement la seule chose qui n'est pas à la hauteur de mes espérances, dans ce métier, avoua-t-il. Avoir constamment des yeux sur soi, c'est... déconcertant.
‒ ...Moi, j'aurais dit les cognards, rétorqua Solange, terre-à-terre, ponctuant sa remarque d'une gorgée d'eau. Mais chacun sa bête noire, eh?
Olivier se prit à rire à sa blague, et réalisa qu'il n'avait pas ri franchement avec quelqu'un depuis assez longtemps. George ne comptait pas, bien sûr. Sous ses mimiques de Bozo, il restait un frère en deuil, déprimé et souffrant.
Peut-être que c'était ça, le truc. Elle n'avait pas connu la bataille.
‒ Vous êtes une Cracmol, n'est-ce-pas? Demanda-t-il finalement, n'y tenant plus.
Solange fit la moue, et avant qu'elle ne réponde, un serveur arriva avec les plats et deux chopes de Bièraubeurre. Elle prit un élastique sur son poignet pour se faire un chignon, et retira ses lunettes de vue.
‒ Qu'est-ce qui m'a trahie? Blagua-t-elle.
‒ Ce n'est pas forcément difficile de voir que vous n'êtes pas habituée à avoir de la magie autour de vous, mais... Vous ne pouvez pas être juste moldue. Vous ne pourriez pas être là...
La jeune femme pencha la tête, acquiesçant à tout ce que suggérait Olivier.
‒ Je ne le cache pas spécifiquement, qu'on soit clair, mais... Je n'aime pas trop mettre un nom sur ce que je suis. Pour être honnête, je préfère même qu'on dise que je suis une moldue particulièrement bien informée sur le monde magique.
‒ Peu de moldus auraient tenu un boursouflet dans la paume de leurs mains, remarqua Olivier, ce qui tira un esclaffement à Solange.
‒ Cette chose est hideuse, je ne sais vraiment pas comment ça peut être populaire... Très bonne recommandation, au fait.
Il attaqua lui-même son plat de purée et saucisses, et elle le laissa trinquer avec sa Bièraubeurre. Elle lui jetait régulièrement des coups d'œil, le voyant moins inconfortable depuis que les jeunes d'à côté s'étaient levés pour partir. Pourquoi choisir une carrière qui vous mettait sous les projecteurs, si vous n'aimiez pas la popularité qui va avec? Cela la sidérait. Elle n'imaginait pas que David Beckham ait choisi le football uniquement pour l'amour de courir après un ballon. Mais elle n'avait jamais été très à même de comprendre qui que ce soit avec une passion pour un quelconque sport, de toute façon.
‒ Si vous avez autant de temps, j'imagine que c'est parce que votre saison a été annulée? Demanda-t-elle et il hocha la tête, la bouche pleine.
‒ Dès que l'annonce du retour de Vous-Savez-Qui s'est avérée vraie, tous les rassemblements à forte capacité ont été interdits. Cibles trop faciles. Ça s'est aggravé il y a quelque mois, quelques joueurs étaient menacés, alors les entraînements réguliers et les emplois du temps prévisibles n'étaient plus du tout une bonne idée. Ça fait à peine quelques semaines qu'on a repris véritablement les entraînements, et peut-être qu'une nouvelle saison de championnat sera lancée, plus tard.
‒ Avec plus de temps de jeu pour vous, peut-être? Suggéra Solange.
‒ C'est le but, sur le long terme. Enfin, j'espère.
‒ Je l'espère pour vous, aussi. Pour toi. On peut se tutoyer?
‒ Bien sûr.
Olivier leva la tête vers elle pour lui sourire, et remarqua les deux hommes assis au bar, les yeux braqués sur eux, qui esquivèrent rapidement son regard une fois découverts. Il aurait pu penser, encore une fois, qu'il était malencontreusement sujet aux indiscrétions de fans, mais leurs regards n'avaient pas été fixés sur lui. Bizarre, pensa-t-il. Ils lui étaient étrangement familiers, mais il n'aurait pas su mettre le doigt dessus. Il reporta son attention sur le repas, jetant de temps en temps un coup d'oeil aux deux hommes qui ne se tournèrent plus.
‒ Bon, merci beaucoup pour cet après-midi, conclut Solange en sortant de son sac quelques pièces qu'elle déposa sur un petit plateau argenté sur la table. C'était très sympa de m'empêcher de me perdre, et tout le reste.
‒ Non, aucun problème. À vrai dire, c'était plutôt amusant de redécouvrir le Chemin de Traverse sous un nouveau jour. J'imagine qu'on ne se rend jamais vraiment compte quand on commence à trop s'habituer à quelque chose...
Solange hocha la tête, puis passa la bandoulière de son sac sur son épaule, défit son chignon et remit ses lunettes sur son nez. Pendant ce temps, Olivier ne put s'empêcher de remarquer que les deux hommes s'étaient eux aussi empressés de payer leurs consommations, et restaient maintenant assis sur leurs tabourets sans vraiment discuter.
‒ ...Olivier?
‒ Quoi?
‒ Je disais que j'allais de ce côté, répéta-t-elle tout en pointant l'entrée du Chaudron Baveur, côté rue.
‒ Oh. Je te raccompagne!
‒ Pas besoin, je compte visiter un peu Charing Cross avant de rentrer me coucher. Je suis à l'AMBA hôtel, près du métro, alors ça fait une petite trotte, précisa-t-elle.
‒ Bien, dans ce cas... Attends, juste une seconde, Tom?
Olivier tâtonna ses poches, puis s'approcha du bar pour héler le propriétaire.
‒ Est-ce que vous avez de quoi euh..., marmonna-t-il tout en ponctuant sa phrase d'un petit geste de la main, mimant de quoi écrire.
‒ Oh! Sûr, sûr, répondit Tom en lâchant son torchon pour lui tendre un bout de parchemin et une plume autoencreur.
Il griffonna quelque chose rapidement, secoua le parchemin pour que l'encre sèche, puis le tendit à la jeune femme.
‒ Si un jour tu repasses à Londres, n'hésite pas à m'envoyer un hibou. Tu... Tu as un hibou?
‒ Je ferai en sorte, affirma-t-elle. Et puis qui sait, je pourrai peut-être voir un match de Quidditch un de ses quatre!
‒ Je te tiens au courant?
‒ Deal. Eh, ça compte comme un autographe, ça?
Devant son air perdu, elle ricana, et lui donna une tape sur le bras, avant de partir en lui faisant un signe de la main.
Il ne se souvint pas vraiment s'il y avait répondu ou pas, mais lorsqu'il reprit ses esprits, il se rendit compte que les deux hommes s'étaient levés. Il tendit le plateau avec l'argent de leur repas à Tom, tout en les observant du coin de l'œil. Ils sortirent finalement côté Chemin de Traverse, et il lâcha un soupir soulagé, visiblement moins tendu maintenant que tout avait l'air d'être normal. Il avait pensé à la suivre pour vérifier qu'elle n'aurait pas de soucis, mais ce n'était plus nécessaire.
Peut-être qu'il devrait juste déposer les vêtements de sa mère avant la tombée de la nuit, après tout.
Et puis rien ne l'empêchait de vérifier ce soir que Solange était bien rentrée.
Il était bientôt minuit, et Solange s'assurait qu'elle n'avait rien perdu des nombreux documents et objets qu'elle avait reçus dans la journée. Assise en nuisette sur la chaise du bureau de sa chambre d'hôtel, le contenu de son sac à main éparpillé devant elle, elle pouvait sentir la brise du mois de Juin sur ses épaules et ses doigts de pieds. La ville était plutôt silencieuse, de ce côté-ci du quartier de Charing Cross. Le fait d'avoir été placée dans une chambre du dernier étage y jouait pour beaucoup. L'hôtel n'était pas très fourni pour un début d'été, mais après tout, c'était le milieu de la semaine.
Elle rangea méthodiquement ses affaires, se leva, s'étira, puis décida de prendre un thé avant d'aller se coucher. Ouvrant tous les placards de la chambre, elle se rendit compte qu'on ne lui avait pas laissé de bouilloire, et fronça les sourcils. Devait-elle le signaler illico? Elle ne voulait pas passer pour une voleuse au cas où, mais il était tard... Cela dit, elle avait vraiment envie de sa tisane. Elle passa un peignoir et attrapa sa clé de chambre, et enfila ses pantoufles jetables en molleton, puis sortit dans le couloir. Elle avait quelques tournants à passer avant d'apercevoir les ascenseurs, mais elle préférait cette disposition. Elle était trop habituée au calme total la nuit, si bien qu'entendre le moindre bruit la réveillerait en sursaut. Rien que les bribes de conversations qu'elle entendait provenir du hall auraient suffi à l'empêcher de fermer l'œil.
Elle n'avait plus qu'un virage avant le hall des ascenseurs, lorsqu'un mot la coupa net dans son avancée. Elle se plaqua contre le mur et tendit l'oreille, pas sûre d'avoir rêvé ou non.
‒ ...Aurait été plus rapide avec un Imperium...
‒ Bien sûr, pour que toute une cavalerie d'Aurors débarquent? T'as oublié qu'on peut plus utiliser de sortilèges Impardonnables sans être repéré!
‒ Alors quoi? On fait toutes les chambres jusqu'à ce qu'on la trouve? On sera foutus dehors avant la fin du couloir!
‒ T'as qu'à oublietter les moldus qui seront dans les chambres, t'es un sorcier ou pas? Rappelle-toi, si tu vois un sac à main marron ou une veste rayée, c'est probablement elle.
Solange expira avec horreur, et au bruit des pas des deux hommes dans le couloir, elle décida de retirer ses chaussons et de repartir, au plus vite sur la pointe des pieds, dans sa chambre. La description collait bien trop avec sa tenue du jour pour qu'elle prenne le risque de croire à une coïncidence. Elle sursauta au bruit de la première porte qui se déverrouilla derrière elle, tourna à un angle, et ouvrit la porte de sa chambre le plus silencieusement possible. Elle alla pour la fermer, mais au dernier moment jeta sa main dans l'entrebâillement avec un juron. Si la porte claquait, ils seraient alertés. Elle devait passer inaperçu jusqu'à ce qu'ils arrivent.
Elle se jeta sur ses vêtements, mais au bruit des portes qui s'ouvraient dans le couloir, elle savait qu'elle n'aurait pas le temps de se changer. Elle pourrait peut-être tenter l'escalier de service, de l'autre côté de son étage.
L'espace d'une seconde, elle se demanda pourquoi elle fuyait, pourquoi elle paniquait tant: Ce n'était peut-être rien de bien méchant?
Les mots «Sortilège Impardonnable» résonnèrent dans sa tête, qu'elle secoua vivement. Aucun sorcier digne de confiance n'envisagerait d'utiliser ceux-là. Jamais.
Elle passa son sac à main au dessus de sa tête, en bandoulière, laissa son sac de voyage planqué sous le lit avec ses vêtements du jour, attrapa ses chaussures et se rua sur la poignée de la porte.
‒ Oubliettes!
Elle s'arrêta, le cœur dans la bouche. La voix venait de trop près. Ils étaient déjà dans son couloir, donc ils la verraient sortir, et là... Elle ne courrait jamais assez vite pour éviter un sortilège. Les mains tremblantes, elle cacha ses chaussures sous son lit, et envisagea de s'y glisser également, mais ce serait probablement le premier endroit que les hommes inspecteraient pour la trouver. Elle n'était plus si sûre qu'avoir laissé la porte entrouverte ait été une bonne idée. La seule autre issue était de s'enfermer dans la salle de bain. Ou de se jeter par la fenêtre, remarqua-t-elle avec cynisme.
Oh.
La fenêtre.
Elle était déjà ouverte, et le dernier étage était bordé d'un fin liseré de pierre.
Elle n'avait vraiment pas d'autre choix.
Si elle arrivait à repousser la fenêtre, elle pourrait faire croire qu'elle était sortie en trombe.
‒ Alohomora!
La voix était juste à côté. Étouffant un gémissement, Solange entrebâilla la fenêtre, monta pieds nus sur le rebord, et se hissa droite comme un i sur le côté, les mains crispées sur la pierre du mur. Elle tâtonna pour trouver l'encadrement dans son dos, de la main gauche, et poussa la fenêtre pour la refermer. Un flash aveuglant s'échappa de la pièce d'à côté, la poussant à s'éloigner à petits pas de sa chambre, et de ce fait, la mettant au milieu de nulle part, face au vide. La poitrine prête à exploser, elle tenta de se concentrer sur ses talons, et pria pour ne pas regarder en bas. Elle n'espérait qu'une seule chose, et c'était de pouvoir retourner à l'intérieur, seule et en un seul morceau.
‒ Higgs!
Solange sursauta, et son pied glissa légèrement vers l'avant. Ils étaient dans sa chambre.
‒ La porte était ouverte.
‒ C'est vide? T'as vérifié la salle de bain?
Elle entendit la porte claquer et préféra se concentrer sur sa respiration, et sur son équilibre.
‒ Oi! Y a des fringues sous le lit!
Si elle tombait maintenant, elle leur faciliterait le travail. La place en dessous était complètement déserte, en tout cas pendant la microseconde où elle avait osé regarder en bas. L'appel du vide était plus puissant qu'elle ne l'aurait imaginé, et son corps allait bientôt souffrir de multiples crampes tant crispation la prenait.
‒ Tu crois qu'elle nous a entendu arriver? Demanda Higgs, avec une voix bourrue.
‒ Puisque quelqu'un ici ne sait pas ce qu'est un sortilège informulé, c'est probable! Répondit l'autre avec un accent de Manchester lui donnant l'air encore plus sarcastique.
‒ Lâche-moi un peu la grappe! Ses pompes sont là, elle a pas pu aller bien loin...
Solange vit l'un des hommes obscurcir la fenêtre, une silhouette grande et carrée, comme elle les imaginait tous deux. Elle s'arrêta de respirer et de penser. Son cerveau était anéanti sous les méandres d'informations, de réactions chimiques et d'explosions à répétition, incapable de formuler une idée cohérente.
À croire que toute sa famille était vouée à mourir jeune.
Elle sentit un picotement dans le haut de sa gorge, et malgré ses meilleurs efforts, elle fut horrifiée de sentir ses muscles se tendre pour tousser. Aucun son ne sortit pour autant de sa bouche. Elle n'eut pas le loisir de s'en faire la réflexion, qu'à la manière d'un oiseau trop curieux, quelqu'un passa au-dessus de sa tête et flotta devant elle. Elle hurla – bien qu'encore une fois, aucun son ne passa ses lèvres – et fléchit les genoux, désirant plus que tout pouvoir s'accroupir et s'enrouler sur elle-même pour disparaître. La forme flottante attrapa son bras et la poussa contre la façade. Solange agrippa la manche et s'en servit pour ne pas tomber.
Ses yeux bondirent du béton de la rue à la manche qu'elle tenait, revêtue d'une chemise à carreaux, et finalement la main calleuse et la personne à qui elle appartenait. Elle mima son prénom dans le silence et Olivier hocha la tête.
Le jeune homme posa un doigt sur sa bouche pour lui signaler de ne pas faire un bruit, puis se pencha légèrement, tentant d'apercevoir ce qui se passait à l'intérieur.
‒ … dans les escaliers, moi je continue à fouiller les chambres. Elle a peut-être reçu de l'aide.
‒ C'est une sacrée emmerdeuse, celle-là. Elle a l'air maline, pour une Cracmol !
‒ Son père était malin aussi. Ça l'a pas aidé sur la fin.
Olivier se redressa et inspira longuement. Ils n'avaient pas eu l'air de penser à vérifier l'extérieur, qui aurait pu croire qu'elle passerait par la fenêtre? Mais mieux valait ne pas faire de vague et partir en silence, plutôt que de risquer un duel. Il reporta son attention sur Solange, à qui il montra du doigt le balai, puis elle. Il n'eut pas à faire plus de mimes pour qu'elle comprenne où il voulait en venir, et n'eut pas à s'inquiéter qu'elle ne veuille pas accéder à sa demande. Cependant, les yeux légèrement exorbités, elle semblait prendre conscience de toutes les façons dont elle pourrait mourir.
Il se rapprocha d'elle et attendit qu'elle pose ses mains de chaque côté de ses épaules, puis sentit l'une d'elles glisser en travers de son torse pour pouvoir laisser tomber son poids sur son dos. Elle n'avait nulle part où mettre ses pieds, mais elle eut la présence d'esprit d'emboîter leurs genoux. Il ne s'attarda pas plus, et posa une main rassurante sur celles de Solange, contre son sternum, avant de s'élever au delà du bâtiment.
Retourner sur le Chemin de Traverse semblait être la meilleure solution; Non seulement il s'agissait d'un terrain connu, mais s'il pouvait en plus la cacher chez George et user de ses connexions...
Ils arrivèrent en peu de temps à destination, Olivier ayant privilégié la rapidité au confort – Solange avait serré sa cage thoracique tellement fort qu'il pourrait avoir un bleu. Il l'aida à descendre en premier, puis toqua à la porte juste à côté de la devanture orange de Weasley, Farces pour sorciers Facétieux, jusqu'à ce que la lumière jaillisse au travers des carreaux martelés.
‒ Capitaine? Quand j'ai dit OK pour des leçons de Quidditch, je ne voulais pas dire à minuit...
‒ On a un problème, coupa le plus vieux en pointant du doigt la jeune femme en nuisette derrière lui.
‒ Oh. Oh. Entrez.
Ils montèrent les marches du vestibule quatre à quatre, et George referma la porte derrière Solange. Il la regarda ensuite de la tête aux pieds et leva les mains devant lui, comme s'il portait une grosse boîte.
‒ Qu'est-ce qui s'est passé, au juste? Est-ce que tout va bien?
La jeune femme sembla vouloir tout lui raconter, mais ne fit qu'imiter un poisson pendant cinq secondes, avant de s'énerver et de pointer sa gorge. Olivier, qui avait pris soin de poser son balai là où il ne tomberait pas, prit part à la scène et sursauta en poussant un juron.
‒ C'est ma faute, attends – Finite!
Un drôle de hoquet sortit de la bouche de Solange, et elle ouvrit de grands yeux menaçants.
‒ C'est toi qui m'a fait ça? Parvint-elle finalement à s'exclamer.
‒ Tu as crié la première fois que je t'ai surprise, c'était simplement une mesure préventive, se justifia Olivier en rangeant sa baguette.
Elle n'avait pas de quoi être outrée, car elle se souvint avoir effectivement voulu hurler, plus tôt. George n'ayant pas toutes les informations, celui-ci paraissait bien plus alarmé.
‒ Une mesure préventive? Quel genre de petit sauvage psychopathe es-tu ?!
‒ Deux types ont essayé de l'enlever dans sa chambre d'hôtel, je l'ai réceptionnée en équilibre sur la rambarde de la fenêtre, j'ai dû improviser pour qu'on puisse filer en douce!
‒ Deux types? Deux types comment?
‒ Des sorciers. Je les ai peut-être vus au Chaudron baveur au dîner, ils avaient l'air louche. Est-ce que tu peux prévenir quelqu'un?
‒ Je vais réveiller Percy pour qu'il voit Kingsley, il pourra peut-être nous envoyer un Auror. Asseyez-vous, et Olivier, fais chauffer de l'eau pour le thé.
George disparut à l'étage, et le silence se fit pesant. Olivier passa dans la cuisine, tandis que Solange faisait le tour du salon, les bras croisés. Ses jambes finirent bientôt par trembler trop furieusement pour qu'elle reste debout. Elle s'assit sur le bord du canapé et expira tout le reste de l'adrénaline qui embrumait encore son esprit. Le tintement de la céramique dans la cuisine, et le ronron d'une conversation à l'étage lui servirent de point d'ancrage à la réalité. Ses talons lui faisaient mal, le béton brut de la façade avait éraflé sa peau. Les articulations de ses mains étaient aussi endolories, et son cœur semblait écrasé par une pression dans sa poitrine, au point qu'elle pourrait pleurer.
Personne n'aimait ressentir de la peur, encore moins celle qui nous prenait quand on pensait mourir. Solange n'était vraiment pas fan de la sensation.
Olivier posa une tasse devant elle, et lui fit un demi-sourire sur une mine compatissante.
‒ Y aurait pas plus fort ? Tenta la jeune femme.
Il posa sa tasse sur la table également, et ôta sa chemise, ne laissant que son T-Shirt bleu marine.
‒ Ce serait avec plaisir, crois moi. Mais mieux vaut que tu sois en état de raconter à l'auror tout ce qui s'est passé, expliqua-t-il tout en déposant la chemise sur les épaules de la jeune femme.
Elle renifla et passa ses bras dans les manches, et ferma quelques boutons, puis marmonna un merci. Elle décida qu'un thé n'était pas si mal, posé sur ses genoux pour la réchauffer.
George descendit, avec à ses pieds celui qui devait s'appeler Percy. Solange reconnut l'homme qui, plus tôt dans la journée, se trouvait complètement saoul dans la boutique de son frère. Il avait l'air beaucoup plus frais, et après un rapide signe de tête à Olivier, il posa les yeux sur elle et les laissa collés là tandis que le joueur de Quidditch indiquait leurs tasses sur le comptoir de la cuisine.
‒ Elle- Vous êtes...? Pardonnez-moi, je m'attendais à quelqu'un de bien plus... Jeune.
Percy Weasley était sans doute le premier sorcier à relever ce détail à son propos. La plupart des moldus se faisaient une certaine idée – une bien mauvaise idée – de sa mère, tombée enceinte à dix-sept ans. Qu'auraient-ils bien pu dire s'ils avaient su que son père en avait quinze à l'époque? Les gens normaux ne pouvaient que savoir qu'il s'agissait d'un bien malencontreux accident de parcours, car qui voudrait d'un enfant, à peine sortie du lycée?
Les sorciers ne voyaient aucun mal à commencer leur vie dès leurs dix-sept ans. Il semblait logique de tracer son avenir dès la sortie de l'école, de se marier tôt, de faire des enfants à l'aube de leurs vingt ans. De mourir jeune ou caricaturalement vieux. Peut-être le fait de vivre à une époque où personne n'était sûr de survivre, quel qu'il soit, avait crée cette urgence. Cela avait déteint sur sa vie, indubitablement. Orpheline et gérante d'une librairie à vingt-deux ans. Des parents morts avant même leurs quarante ans. Et si elle devait escalader des bâtiments pour éviter d'être enlevée, qui seul savait jusqu'à quel âge elle-même vivrait?
‒ J'ai vingt-deux ans, je ne pense pas pouvoir me qualifier pour les réductions sénior..., marmonna-t-elle avant de prendre une gorgée de thé.
‒ Et si elle compte pouvoir un jour en profiter, tu devrais peut-être te grouiller d'aller réveiller Kingsley, Perce.
Celui-ci hocha la tête machinalement, tapota l'épaule de son frère, et disparut. George fit couler l'eau encore chaude dans sa tasse, puis pencha la tête sur un côté, main dans la poche. Solange se sentit observée, et leva les yeux vers lui. Sous la lampe de la cuisine, elle constata que l'une de ses oreilles était décharnée. Il pointa vers ses pieds avec sa tasse.
‒ Je dois avoir une paire de chaussettes propre, et un pantalon de pyjama. Je ne dis pas qu'il s'agit d'un engagement à long terme, on n'a qu'à dire que c'est pour te récompenser d'avoir tenu un boursouflet?
Il avait bien choisi son corps de métier, pensa Solange tout en sentant les coins de sa bouche s'étirer malgré sa morosité. Elle accepta l'offre avec plaisir, et il les lui fit parvenir d'un coup de baguette. Elle déplia les chaussettes, regarda ses pieds, et les reposa.
‒ Est-ce que vous avez une trousse de secours dans un placard quelque part? Et une serviette?
Olivier fronça les sourcils et baissa les yeux vers les jambes de la jeune femme, machinalement.
‒ Tu t'es fait mal? Où ça? Aux pieds?
Il s'assit sur la table basse devant elle et posa sa tasse. Il s'apprêta à se pencher pour attraper son pied, mais Solange plaqua sa main sur son front pour l'en empêcher.
‒ Oui, mais avant de regarder, est-ce que je peux mettre le pantalon?
Olivier perdit tout contenance et écarquilla les yeux, et elle vit passer l'incompréhension, puis l'éclair de lucidité, et enfin la pudeur maladroite d'un homme ayant oublié un instant à qui il s'adressait. Il glissa sur le côté de la table basse pour se relever, répétant «bien sûr, bien sûr» sous le regard plein de pitié de son acolyte.
‒ Tu pardonneras à Olivier son côté rustre et positivement dénué d'éducation, nous sommes en présence d'un individu ayant passé plus de temps dans des vestiaires qu'en société. Sans compter tous ces cognards, ajouta George avec un petit tintement de langue. Capitaine, tournes-toi et comptes jusqu'à trente, tu veux bien?
Leur hôte en fit de même, et bien que sa nuisette la couvre jusqu'au bas des genoux, elle fut reconnaissante pour ce soupçon d'intimité. Elle enfila le pantalon de pyjama, rentra sa nuisette dedans, fit trois ourlets – elle ne portait pas des talons hauts pour rien – et annonça que la voie était libre. George se tourna avec deux pouces en l'air, mais Olivier détala dans la cuisine sans montrer son visage.
‒ Comme prévu, la taille n'est pas très adaptée, mais...
‒ Non, ça ira très bien, rassura-t-elle en se rasseyant. On n'y peut rien si mes vêtements sont pris en otage à l'hôtel... Oh non, Monsieur Barlow! Je dois le voir demain matin, je n'ai pas son numéro de téléphone pour le prévenir!
‒ De toute façon, tu ne trouveras pas de téléphone dans cette maison. Barlow, tu dis?
‒ Mon notaire, du cabinet Talbott et Associés. Je ne me souviens plus de leur adresse non plus, mais ils sont dans le coin-
‒ Je peux trouver ça, laisse-moi quelques minutes pour les contacter, rassura George en s'éloignant vers le dessous de l'escalier où se cachait une petite pièce.
Olivier se rassit sur la table basse et présenta le torchon mouillé avec un sourire pincé. Il était assez différent, comparé à son attitude dans la journée. Il avait l'air mal à l'aise, et c'était bien la dernière chose qu'elle voulait; Après tout, il lui avait sauvé la mise.
‒ Il faut nettoyer ça rapidement, ça peut s'infecter. Est-ce que je peux...? Demanda-t-il en pointant ses pieds.
‒ Je peux le faire toute seule, vraiment, débattit Solange en soulevant tout de même son pied gauche.
‒ J'ai l'habitude de traiter ce genre de bobos, ça arrive souvent aux joueurs. On n'y pense pas comme ça, parce qu'on joue en vol, mais... Quoi?
La jeune femme secoua la tête et attrapa son thé pour cacher son sourire. Le regard insistant de son infirmier improvisé finit par avoir raison d'elle.
‒ Tu as dit «bobo».
‒ J'ai dit bobo. C'est un terme tout à fait respectable, non?
Il sourit du coin des lèvres et sortit sa baguette. Sans prononcer un mot, il l'agita, et elle entendit George pousser une exclamation. Une petite boîte fonça droit sur eux, et il l'attrapa d'une main. Pendant qu'Olivier cherchait un désinfectant, elle entendit son ami maugréer à propos d'une crise cardiaque. Elle nota qu'il pouvait pratiquer des sorts informulés.
‒ Merci.
‒ C'est à ça que servent les amis, n'est-ce-pas? Entendit-elle George dire avant de le voir réapparaître avec un hibou à la main.
Elle ne voyait pas l'intérêt de dire que son seul ami jusqu'à maintenant était Evan, et qu'il y avait peu de chance qu'il la récupère un jour d'un toit sur un balai. Elle ne releva pas non plus l'extrême rapidité avec laquelle ils déclaraient être ses amis. Olivier posa son pied par terre après avoir enfilé la chaussette, et souleva l'autre.
‒ Et ça vous arrive souvent de devoir sauver vos amis de ce genre de situation? Demanda Solange pour oublier la sensation de picotement sur son talon.
George laissa s'envoler le hibou par la fenêtre. Il sembla réfléchir à la question quelques instants, finit son parcours adossé contre une grosse horloge ancienne, et ouvrit enfin la bouche:
‒ Eh bien, à y réfléchir, beaucoup depuis Harry.
‒ ...Harry Potter?
‒ Celui-là même. J'aimerais dire que faire partie de l'Ordre a conduit à ces situations, mais pour être honnête, on lui sauvait déjà la mise avant même le début de sa deuxième année à Poudlard.
Olivier fut le plus surpris par cette réponse. Solange se contenta de hocher la tête, mais le joueur de Quidditch pivota sur la droite, le pied de la jeune femme toujours sur sa cuisse.
‒ Ce n'est pas Ron qui l'a aidé à venir à l'école en voiturevolante?
‒ Oui, mais on l'avait déjà secouru de chez ces barjos de moldus pendant l'été... Avec la même voiture, d'ailleurs.
‒ Vraiment? Ça ne me dit rien!
‒ On ne te l'a jamais raconté? On a dû arracher les barreaux de sa fenêtre, et le faire grimper dans la voiture au premier étage. Son oncle est même tombé dans le vide, sur ses buissons heureusement. Maman nous aurait taillé un nouveau short si la simple vue de Harry ne l'avait pas calmée... Mère indigne.
‒ Il avait des barreaux à sa fenêtre?
‒ Seulement pour quelques temps, il avait été puni à cause de Dobby, une histoire de gâteau flottant.
‒ Ah, d'accord alors. Les moldus ont de sacrés méthodes pour éduquer leurs enfants...
Olivier se rendit compte que ses paroles pouvaient paraître insultantes, et s'apprêta à s'excuser auprès de Solange. Il se ravisa quand il la découvrit endormie, menton sur la poitrine au fond du canapé. Il enfila la chaussette sur son pied, et le reposa sur le sol en silence. George lui fit signe de le suivre dans la cuisine, tasses vides dans les mains.
‒ Je ne sais même pas par où commencer, c'est quoi cette histoire?! S'exclama George de sa plus petite voix.
‒ Franchement, ça me dépasse aussi. Des enlèvements en plein Londres, comme ça? Je pensais que c'était fini!
‒ Non, la situation est plus chaotique que ce qu'on pense, les Aurors n'arrêtent pas pour contrôler les dégâts que ce crétin de serpent chauve a laissé derrière lui.
‒ Je suis bien d'accord, mais de là à enlever des Cracmols?
George lui lança un regard insistant.
‒ Est-ce qu'ils enlevaient une Cracmol, ou une Rogue?
‒ Tu crois que... Non, elle n'a rien à voir avec lui, elle ne le connaissait même pas!
‒ Peut-être, mais ça reste son enfant. Et le sorcier lambda ne peut pas se payer les services de notaires comme Talbott et Associés, fit remarquer George tout en désignant le hibou qui venait d'arriver du menton.
Il déplia le bout de parchemin qu'amenait l'animal et le fit lire à Olivier.
‒ Tu vas avoir du monde chez toi demain, George. Désolé, j'aurais pu l'amener autre part.
‒ Tu rigoles? Dans tous les cas elle peut valoir tout et rien auprès des mauvaises personnes, l'Ordre l'avait dans le collimateur. Au moins, elle sera en sécurité au milieu d'une foule de sorciers.
Percy réapparut dans un crack sonore au milieu du salon, et les rejoint sur la pointe des pieds après un tour sur lui-même.
‒ Kingsley sera là demain matin, dès qu'il le pourra. Vu de qui on parle, il préfère gérer l'affaire lui-même.
‒ Il en pense quoi, Kingsley?
‒ Enlèvement pour rançon, selon lui. C'est opportun d'enlever quelqu'un qui va justement hériter d'une petite fortune sous peu, commenta Percy tout en se servant une tasse de thé.
Olivier posa le regard sur Solange, qui s'était avachie sur le côté dans son sommeil. Il avait de la peine pour elle. Elle avait tout juste trempé un orteil dans le monde des sorciers, et avait fini sur le rebord d'un bâtiment dès sa première nuit. Que tout ceci ait un rapport avec son père semblait injuste, surtout quand elle avait si peu de lien ou de ressemblance avec lui.
‒ Oh, Olivier! Siffla George pour attirer son attention. Tu restes ici cette nuit?
‒ Tu crois que c'est nécessaire? Je ne veux pas vous gêner...
‒ Je préfère que tu sois là, pour être franc. Tu la connais mieux que nous, elle sera plus à l'aise si tu es là. Et puis la cavalerie voudra te parler demain matin.
‒ Je vais préparer les lits, chuchota Percy.
Il monta en silence, tasse à la main, et George tapota l'épaule d'Olivier. Celui-ci tentait toujours de comprendre comment ce genre de violence pouvait encore arriver. Il vit George étaler un plaid sur Solange et repensa à sa silhouette, penchée dans le vide. Ça aurait pu mal finir.
Tant qu'ils n'avaient pas de réponses, cela le pouvait encore.
