Chapitre 4 : Couper les branches
Le trajet jusqu'à Philadelphie dura moins de trois heures, et Reese aurait pu en déduire le rayon kilométrique dans lequel se trouvait la base, mais elle n'en avait pas l'envie. L'information traînait dans un coin de sa tête, attendant d'être exploitée, les calculs passaient de temps en temps devant ses yeux, mais le reste du temps, c'était plutôt le visage de Genevieve Adler, la femme du corps de laquelle, vingt-neuf ans plus tôt, elle était sortie, prête à découvrir la vie et à rencontrer sa vraie famille.
Elle, bébé numéro six. Un bébé de trois kilos cent, les joues rosies, la peau fripée, une petite tâche de vin sur le haut de sa petite jambe. Un beau bébé. «Un petit miracle», se rappelle-t-elle avoir entendu son père rapporter.
Elle n'avait pu la rencontrer que dix ans plus tard, lorsqu'un anniversaire surprise avait réuni, à sa plus grande joie, neuf des douze enfants pour lui offrir bouquets de fleurs et petits colliers de macaronis. Les plus vieux lui racontaient leurs projets professionnels, les petites amies et les premiers enfants. Reese avait apporté un album photo sommaire, contenant une dizaine de clichés d'elle sélectionnés par ses deux papas, et elle avait décoré les pages, si tenté que des lignes hasardeuses et des paillettes aient été son idée d'une décoration. Madame «maman» Adler l'avait prise dans ses bras et elle avait senti son parfum de madame, ses cheveux blonds décolorés et bien coiffés lui avaient titillé le nez.
«Ma petite choupette», qu'elle l'appelait. Et l'espace d'une journée, tous les enfants présents s'étaient sentis entourés de frères et sœurs, et la semaine suivante, à chaque récréation à l'école, Reese avait parlé à la maîtresse de ses «Neuf frères et sœurs, Karen et les autres», Karen étant la seule sœur avec laquelle elle avait vécu, issue d'une autre mère porteuse.
Et à présent, Madame «maman» Adler était allongée dans un coffre réfrigérant, froide, sans vie, autopsiée. Assassinée.
Il était très étrange de penser que quiconque ait voulu tuer une femme qui avait voué son existence à donner la vie. Mais la logique, Reese l'avait compris, ne voulait plus rien dire ces temps-ci.
Coulson lui avait demandé si elle voulait voir le corps. Elle avait répondu que non, il était trop malvenu de la voir, pour la troisième et dernière fois, à la morgue. Visiblement, c'était aussi le choix le plus pratique, et le Directeur avait donc décidé d'y envoyer Daisy et Fitz le lendemain, en tant qu'agents fédéraux, dans le but d'effectuer les prélèvements qui révéleraient l'inhumanité de Genevieve Adler. Coulson et May étaient chargés, pour leur part, d'enquêter directement sur la scène de crime pour y trouver des pistes pouvant remonter jusqu'au coupable.
Quant à Reese et Barnes, ils étaient de nouveau sur la route dès leur arrivée à Philadelphie, en direction de New York, en voiture. Apparemment, Barnes avait glissé un mot à qui voulait bien entendre que la jeune femme n'avait rien d'autre à se mettre que les vieux vêtements que le SHIELD voulait bien lui trouver, et elle devait avouer que n'avoir aucun effet personnel rendait les choses parfois compliquées, et souvent déprimantes. On lui avait donc donné la permission d'aller chez la jeune femme pour y récupérer quelques babioles, le tout devant rester très modeste. Bien sûr, ils devaient voyager de nuit, car ni lui, ni elle n'étaient censés se trouver vivants et dehors.
C'était ainsi qu'elle se trouvait à regarder le paysage passer par le carreau de la portière passager, fatiguée mais réveillée. Barnes conduisait le SUV qu'ils avaient loué à un concessionnaire peu regardant des détails, et la radio diffusait de la musique douce, en accord avec l'heure tardive.
‒ Toi... Ça va? Demanda Bucky, main gauche frottant son menton tandis que la droite tenait le volant.
‒ Ha, ça fait des jours et des jours que ça ne va plus, Barnes, commenta-t-elle en ouvrant les yeux, le front collé sur la vitre. Mais je pige. Comme je le disais, on n'était pas proches.
‒ Il n'empêche.
Il sembla vouloir dire autre chose, mais il abandonna, focalisant son regard sur la route. Reese tourna la tête vers lui, un petit rictus moqueur sur le visage.
« T'es vraiment pas habitué à établir les bases d'une conversation, hein? »
Il pencha la tête à droite, l'air légèrement amusé.
‒ S'il y avait bien une chose que je n'avais pas à faire, tout ce temps, c'était parler. Je manque d'entraînement.
‒ Il paraît que t'étais le genre à avoir les mots qu'il faut dans le temps, tu sais.
‒ Je sais. À l'époque, j'étais un mec plutôt sympa à fréquenter.
‒ De nos jours, on appelle ça un gigolo.
Il la regarda avec un air surpris, mais le sourire moqueur qu'elle arborait le détendit. Il fallait qu'il s'habitue à elle, à son humour, à sa façon de vouloir faire causer tout le monde. C'était peut-être ce qui lui fallait, et son psychiatre serait d'accord. Après tout, il allait passer beaucoup de temps avec elle, et il savait déjà qu'elle allait le détester par moments. Être l'officier superviseur d'une recrue qui n'avait pas décidé d'être là était déjà assez compliqué. Ajoutez-y les capacités inhumaines et même Bucky savait qu'il allait avoir des jours sans.
Ils passèrent sous un panneau indiquant New York à une cinquantaine de kilomètres. Il aperçut aussi la station service et fouilla dans le sac qu'il avait posé sur ses cuisses, pour en tirer une casquette. Il la tendit à Reese, qui la mit sur sa tête avec lenteur, incapable de savoir où il voulait en venir.
‒ Il faut qu'on mange, on n'aura ni le temps ni le droit de traîner à New York. Prends ce que tu veux en double, et paye avec ça, lui commanda-t-il en lui tendant un billet de cinquante dollars.
‒ OK, pas d'allergies aux cacahuètes?
Il lui lança un regard en biais qui lui donna à la fois envie de rire et de se cacher sous un rocher, alors elle enfonça le billet dans la poche de son gilet noir, attendit qu'il s'arrête sur l'aire de repos et sortit sans un mot de plus.
Le quartier était paisible, à la croisée d'une diaspora mexicaine et d'un pâté de maison barré de pavillons résidentiels. Le bâtiment dans lequel elle avait élu domicile ne casserait pas trois pattes à un canard, mais il était suffisamment propre pour y habiter sans se sentir plongé dans l'ombre de la pauvreté américaine. Bucky insista pour qu'elle lui montre quelles étaient les fenêtres de son appartement avant qu'ils ne pénètrent dans l'immeuble, et après deux tours autour du bâtiment, ils purent finalement monter jusqu'au troisième étage. Elle se mit sur la pointe des pieds et attrapa une petite clé, cachée dans le creux du montant de la porte, puis elle ouvrit et inspira avec aise. Elle alluma la lumière, mais Bucky se hâta de l'éteindre en lui lançant un regard ahuri. Elle lui rendit la pareille et il se rapprocha d'elle, la main sur sa hanche gauche où elle savait qu'une arme devait se trouver.
‒ Il peut y avoir quelqu'un, pesta-t-il sous cape et elle haussa les sourcils.
‒ La porte était fermée à clé, Barnes.
‒ Et la clé était à portée de main. D'ailleurs, il faudra qu'on reparle de ta manière de cacher des objets correctement.
‒ OK, OK, alors quoi?
‒ Combien de pièces, et où?
‒ Deux portes à droite, la salle de bain et la chambre, le salon est devant et la cuisine est ouverte sur la salle, à gauche. J'ai un placard à balai au fond, ça compte?
Il discerna l'ironie dans ses paroles mais ne releva pas. Son incompétence seule avait suffi à lui couper le souffle. Il fit le tour de l'appartement, arme dégainée, tout en se rappelant qu'elle n'était pas un agent, qu'elle ne pouvait pas savoir, mais il n'avait jamais vu tant de stupidité et de manque de jugement. Une femme qui vivait seule devrait au moins avoir un instinct de préservation.
‒ R.A.S, grogna-t-il, et aussitôt la lumière fut et Reese déboula dans le salon, délestée de ses chaussures.
‒ Bon, j'ai absolument besoin d'aller aux toilettes, tu m'excuseras...
Il ne dit rien de plus, et tandis qu'elle disparaissait dans la salle de bain, il ferma les rideaux et entreprit de jeter un œil dans le frigo. Il s'attendait à y trouver toutes sortes de plats bourrés de moisissures, de lait criant au suicide et certainement deux ou trois légumes fanés, mais en l'ouvrant, il n'y trouva qu'un écho et une bouteille de ketchup à moitié vide. Le congélateur était plein de petits plats tout faits, quant à la vaisselle, elle était bien rangée dans les placards. Rien ne disait que quelqu'un habitait là, et il en était de même pour toute la maison, d'après ce qu'il vit ensuite. Les coussins étaient bien à leur place sur le canapé, la poussière s'était déposée naturellement sur les meubles, mais il n'y en avait pas tant que ça. Le lit dans la chambre était fait, et la panière de linge sale était vide. Il alla dans le hall pour récupérer les deux sacs de sport qu'ils avaient amené pour transporter ses affaires, et les posa sur le lit. L'absence de la moindre photo dans l'appartement lui parut bizarre, mais après tout, elle n'avait pas l'air d'avoir de famille proche ou de vie en dehors de son travail.
‒ Tu peux utiliser la salle de bain si tu veux, j'ai fini, annonça Reese derrière lui et il se tourna du spectacle de sa chambre immaculée.
‒ Tu es sûre que c'est ton appartement? Ça ne ressemble pas à tes quartiers de la base..., se moqua-t-il, et elle leva les yeux au ciel.
‒ Ha ha. C'est très simple, je n'avais pas envie de revenir d'une semaine de travail, complètement exténuée, pour retrouver un appart' sans dessus dessous. Alors je nettoyais avant de partir. Bon, j'imagine que tu ne veux pas perdre de temps, alors je vais remplir ces deux petits sacs lugubres avec...Ma vie entière.
Elle œilla les sacs avec peu d'entrain, et Bucky préféra sortir de la chambre pour la laisser faire. Il l'entendit ajouter tout bas «Mais c'est pas comme si ça n'allait pas tenir, c'est ça le plus triste.», et une petite partie de lui se sentit compatissant. Lui non plus n'avait pu remettre la main sur grand chose après avoir ré-émergé. Certains souvenirs auraient été plus faciles à conserver s'il avait eu un totem pour les fixer.
Dix minutes plus tard, Reese revint dans le salon et posa ses sacs dans l'entrée, avant de se diriger vers la cuisine.
‒ Café? Demanda-t-elle nonchalamment en sortant deux tasses d'un placard au dessus de sa tête.
‒ On n'a pas le temps, mieux vaut partir tout de suite, contesta-t-il en se levant du canapé sur lequel il était resté immobile, comme en veille.
‒ Oh, pitié. C'est bientôt le matin, on n'a pas dormi de la nuit, et probablement pas de la nuit d'avant non plus. Tu vas conduire, parce que bien évidemment tu ne me laisseras jamais le volant, et toi et moi savons très bien que tu es un surhomme, ou je ne sais quoi, mais en toute honnêteté, sans café, moi je ne suis même pas la moitié d'un humain.
Elle fit une pause dans sa tirade, cuillère de café soluble en l'air, consciente de l'ironie de ce qu'elle venait de dire. Elle secoua la tête.
‒ ...Enfin, tu m'as comprise. Moi, je vais boire ce café. Que tu me regardes faire ou que tu te joignes à la fête, peu m'importe, mais c'est gratuit. Du café gratuit, ça ne se refuse pas.
Bucky observa Reese remplir sa tasse d'eau bouillante sans un son, puis soupira et s'assit sur l'un des tabourets du bar qui séparait la cuisine du salon. Elle se permit un demi sourire et posa la tasse qui lui était réservée devant lui.
‒ Pas de sucre, j'imagine? Marmonna-t-elle en mettant deux carrés dans sa tasse.
‒ Pourquoi?
‒ J'ai toujours imaginé que les mecs taillés comme toi mangeaient les œufs crus et buvaient du café sans sucre.
‒ ...Deux.
Elle eut une mine surprise, mais attrapa deux carrés blancs qu'elle laissa tomber dans la tasse du soldat avec une moue amusée. Il s'autorisa un semblant de sourire, lui aussi. À cette heure-ci, tout paraissait calme et paisible, et il but la moitié de son café d'une traite, tout en la regardant ranger ses ustensiles.
‒ Alors, ça fait quoi d'être le meilleur ami de Captain America? Demanda Reese en se haussant sur le tabouret à côté de lui.
‒ Depuis que je suis revenu, on n'a pas vraiment eu le temps de renouer la belle amitié des temps passés. Même si lui ne voit pas la différence, ajouta Bucky avant de replonger le nez dans sa tasse.
‒ Mais cette histoire, ça date des accords de Sokovie, non? C'était il y a quoi, deux ans? Vous n'avez pas eu le temps de vous remettre à la page?
‒ Si tu soustraies les quelques mois que j'ai passés en sommeil cryogénique, et les mois restants à être ballotté entre Le SHIELD et le W- Enfin, le centre où on m'avait mis... Disons que nos emplois du temps ne collaient pas des masses. Et puis, être en cavale chacun de son côté n'aide pas.
‒ Attends, t'es retourné au frigo? Mais pourquoi? S'éberlua Reese.
‒ C'est compliqué...
Bucky se tut soudain et tourna la tête vers la porte, alerté par le grincement de la première marche des escaliers. Reese ne l'avait pas entendu, mais le brusque changement d'attitude du soldat lui avait fait comprendre que quelque chose n'allait pas.
‒ Quelqu'un monte, annonça Bucky en portant la main à son arme. Va dans la chambre. Ne fais pas de bruit.
Elle inspira à fond et avança à pas légers vers la porte de la chambre. Se retournant, elle vit Barnes sortir son arme et approcher de la porte, plus furtif qu'une lionne à la chasse. Il porta toute son attention à l'inconnu du porche lorsque celui-ci posa le pied sur la dernière marche. Un léger soupir suivit. Était-il blessé? Il avait l'air de souffrir, pensa Bucky. Il n'en serait que plus facile à mettre hors d'état de nuire.
Alors qu'il levait son arme et posait la main sur la poignée de la porte, trois coups résonnèrent sur celle-ci. Il se tourna vers Reese, sourcils froncés. Elle aussi semblait intriguée: Quel genre de criminel toquait à la porte?
« Reese? C'est toi, fripouille? »
La voix était vieille, rugueuse, fatiguée. Reese écarquilla les yeux, et soudain pointa le sol sous ses pieds en mimant les mots «Propriétaire». Il serra la mâchoire et sembla réfléchir à la possibilité de tuer le vieillard, puis comme un coup de fouet, les mots «INNOCENT» et «INTERDIT» claquèrent dans son cerveau. Les alarmes de sa conscience s'étaient déclenchées. Il entendait à la démarche de l'homme derrière la porte qu'il n'était pas dangereux pour lui, qu'il serait facilement maîtrisable. De plus, les yeux de Reese lui indiquaient qu'elle ne le voulait pas mort.
Alors il réfléchit. Il n'y avait qu'une solution possible, et lui qui n'était pas beau parleur n'allait peut-être pas bien s'en tirer, mais il fallait qu'il essaye. Il leva la main vers la jeune femme pour l'inciter à rester cachée, puis ouvrit la porte.
Il fut accueilli par un regard surpris, puis déçu.
‒ Ah, vous êtes pas la gamine, vous, marmonna le vieil homme, dont la poigne se resserra sur sa canne en bois sombre.
‒ Non. Reese est...
‒ Morte, oui gamin, je regarde la télévision plus que je ne sors, avec l'âge. Je sais ce qui se passe au dehors. Sur le moment, je me suis dis que ce n'était peut-être qu'un rêve. Ça explique pas pourquoi t'es de ce côté de la porte.
Le regard méfiant, la poigne de fer sur sa canne, il dégageait une aura que seul un vétéran de l'armée pouvait avoir.
‒ C'est vrai, je suis désolé. Je m'appelle Jack, je suis le ‒ Bucky fit une pause. J'étais le petit ami de Reese. Avant tout ça.
‒ La gamine avait un beau?
‒ On ne se voyait pas souvent. Mon travail, et le sien, vous devez le savoir, Monsieur...?
Reese, cachée derrière la porte, pouvait facilement imaginer le hochement de tête du vieil homme. Plusieurs fois, elle avait fini par rentrer tard le soir, et il l'attendait pour l'aider à porter sa maigre valise à l'étage, et maugréait qu'elle avait une tête à faire peur et qu'il y avait des lasagnes toutes prêtes chez lui. À vrai dire, les plats qu'elle avait stocké dans son congélateur n'avaient presque jamais servi.
« Henry. T'as fait tes classes, gamin? »
Bingo. Bucky sourit légèrement, et répondit par l'affirmative.
‒ Infanterie. J'étais sniper.
‒ Combien de tours?
‒ Trop pour les compter.
Henry hocha à nouveau la tête, le regard dans le vide. Il ne cherchait pas à jeter un œil dans l'appartement, ne l'observait pas lui, ne cherchait pas à imprimer son visage dans sa mémoire. C'était un vieil homme en deuil, un pied dans le passé, un pied dans le regret.
‒ Je ne vais pas vous embêter trop longtemps, je prends quelques affaires et je m'en vais, assura Bucky, et cela sembla réveiller le vieil homme.
‒ Prends ton temps. Quand tu auras fini, je veux bien récupérer la clé. Il faut que j'appelle ses parents pour déblayer le reste.
‒ Vous voulez de l'aide pour descendre?
Henry chassa cette idée d'un geste nonchalant de la main, et posa sa canne sur la première marche des escaliers. Bucky s'apprêtait à refermer la porte, quand il attira son attention.
‒ Gamin. Crois pas trop ce que tu entends dans les infos. Elle était peut-être pas très courageuse, mais c'était une gentille gosse.
‒ Je sais, acquiesça Bucky avec un petit sourire.
‒ Tant mieux.
Il descendit, et le soldat put fermer la porte. Il s'attendait à voir la jeune femme près de lui, mais elle était restée en retrait, adossée au mur du salon, les mains posées à plat dans son dos et les pieds croisés. Elle ricana un temps.
‒ Il a raison. Je suis une lâche.
‒ Rester immobile, ne pas te jeter devant lui et révéler ton secret, ça demande du courage.
‒ Si tu le dis. On finit ce café et on y va?
Il la regarda passer près de lui et retourner à la cuisine, faisant fi de n'avoir pas entendu la boule dans sa gorge.
‒ Ouais. Mais tu devras passer par la fenêtre, toi.
‒ Fais chier.
Bucky reçut l'ordre de rejoindre directement la base, après son autorisation spéciale. Bien entendu, il n'était pas encore temps de le voir se promener partout. Dans ce monde globalisé, on n'oubliait plus le visage de personne, encore moins celui de criminels centenaires liés aux plus grands héros de la Terre. Mais il ne prit rien de tout cela à cœur, conscient de sa place dans le nouveau monde. Il avait rempli sa part du marché et avait aidé sa nouvelle protégée à récupérer un bout de son ancienne vie pour une meilleure transition vers la nouvelle, ou du moins il l'espérait.
Dès leur arrivée, Reese reprit la direction de ses quartiers pour y déposer ses sacs préalablement fouillés par deux agents, et Bucky s'en alla quant à lui vers les bureaux pour faire son rapport. Il y trouva l'équipe au complet, Coulson et May, ainsi que Fitzsimmons et Daisy. L'ambiance n'était pas à son fort, même lui pouvait le sentir. À son entrée, Coulson lui fit un sourire comme il en avait l'usage, à la fois triste et résigné.
‒ Où est Guerin? Demanda May, sans la sécheresse qui faisait habituellement transparence dans sa voix.
‒ Elle pose ses affaires, elle devrait redescendre dans peu de temps.
‒ C'est une mauvaise idée de le lui dire maintenant, sans qu'on connaisse la raison de...Tout ça, interjeta Daisy pour rebondir sur une discussion dont il n'avait pas été le témoin.
‒ Elle ne réagit pas bien aux secrets, surtout si ça la concerne. On va faire deux pas en arrière sur tous ses progrès, contesta Simmons et Coulson hocha la tête.
‒ Je suis d'accord, dissimuler des informations pourrait nous nuire autant qu'à elle. Il faut le lui dire.
Bucky fronça les sourcils, mais n'osa pas demander de quelle situation il retournait. Il se contenta d'observer tandis que le silence se faisait, puis le directeur soupira et demanda à tous de sortir. Il demanda cependant à Barnes de rester, et il le rejoint de l'autre côté de la table interactive au centre de la pièce.
‒ Vous êtes son superviseur depuis peu, alors je me doute que vous ne pourrez pas m'aider à la comprendre ou à la cerner, mais j'avoue que je ne sais pas quoi faire.
‒ Vous avez de nouvelles informations? Demanda Barnes tout en mettant les mains dans son dos en position de repos.
‒ May et moi sommes allés creuser auprès des enfants Adler, après avoir reçu les résultats d'analyse de Fitz. La mère porteuse était bien une inhumaine, même si nous n'avons aucune idée de ses pouvoirs; C'est elle qui a transmis le gène à Reese, et tout logiquement, à tous les autres enfants qu'elle a portés.
‒ J'imagine que vous voulez les retrouver, surtout s'ils n'ont pas tous subi de terragénèse.
‒ Là est le problème, on n'en aura pas l'occasion. Quelqu'un a effacé toute la lignée des Adler. Pour la plupart, les dossiers parlent d'accidents, mais il y a beaucoup trop de coïncidences si l'on recoupe toutes les informations sur la douzaine d'enfants qu'Adler a eu, sans compter son propre meurtre. Et celui qui les tue n'a aucune pitié. Il a également massacré les enfants de leurs enfants. Il ne reste plus rien de cette famille.
Coulson fit un signe de la main, et les photos de dix hommes et femmes jaillirent en transparence devant le bureau, dans un halo holographique. En dessous, en plus petit, Barnes observa les photos de jeune enfants, et il sentit son cœur se serrer.
« Comment ça, plus rien? »
Barnes se tourna vers la voix qui venait de pénétrer son espace vital, et vit Reese, derrière lui, fixant les photos en surbrillance. Daisy voulut faire disparaître l'écran, mais Coulson l'en dissuada d'un mouvement de la main. Plus de secrets, vit-elle transparaître dans le regard qu'il lui lança.
‒ Ce sont mes frères et sœurs, et leurs enfants. Vous voulez dire qu'ils ont tous...
‒ Je suis vraiment désolé, Reese. La personne qui a tué votre mère a décidé de ne pas s'arrêter tant qu'il n'aura pas effacé toute sa lignée, annonça Coulson.
‒ Il est probable qu'il ait également fait fuiter les informations du crash pour voir si tes frères et sœurs contacteraient tes parents, suggéra Daisy avec une pointe d'inconfort.
‒ Mes parents, ma sœur, est-ce que...
‒ Ils n'ont rien, nous les avons placé sous surveillance jusqu'à nouvel ordre, ne vous en faites pas.
Reese sentit son cœur ralentir considérablement. Elle n'avait pas vu ses frères et sœurs depuis des années, et là encore, elle ne pouvait compter leurs rencontres que sur les doigts d'une main. Mais il s'agissait tout de même de sa famille, son sang. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi on voudrait l'annihiler, allant jusqu'à tuer les enfants. Certains n'avaient pas encore dix ans...
« Attendez. Il manque deux enfants. »
Reese se rapprocha de l'écran holographique sous les yeux interloqués des trois agents, et fit glisser son doigt jusqu'à s'arrêter sur le visage de l'un de ses grands frères.
‒ Lui. Dylan. Il a deux enfants, deux petits garçons. Sa femme ne pouvait pas tomber enceinte, il a demandé à mes parents de l'aider pour une demande de GPA.
‒ GPA? Demanda Barnes le sourcil levé.
‒ Gestation pour Autrui. Une mère porteuse. Ils ont eu recours à une autre femme que Madame Adler bien sûr, et il a eu deux enfants. Ryan, et...
‒ Ryan et Joshua, nés en 2011 à Kansas City, lut Daisy à haute voix de sa tablette. On a des traces des enfants, mais on dirait que la plupart des documents officiels ont été effacés. Je lance un recherche pour tenter de les localiser, eux ou leur mère.
Daisy sortit du bureau, et Coulson posa une main sur l'épaule de Reese, avant de la suivre. La liste des membres de sa famille se tenait toujours devant elle, leurs yeux fixés sur elle. Bucky s'avança sans bruit pour se trouver à sa droite, les bras dans le dos.
« C'était des inconnus. »
Reese brisa le silence et renifla. Bucky lui lança un regard en biais.
‒ Je les ai vu trop peu pour les considérer comme ma famille, mais je me souviens, quand j'étais gamine... J'aimais dire que j'avais une tonne de frères et sœurs, des neveux et des nièces aussi âgés que moi. C'était cool d'appartenir à autre chose qu'au couple homosexuel à qui tout le monde lançait des regards mauvais.
‒ Vous vous ressemblez. Tous, vous avez les mêmes yeux. J'imagine que les gènes de votre mère étaient plus forts que ceux de tous vos pères.
C'était une manière très douce de reconnaître la validité de sa tristesse, et elle fut reconnaissante à Barnes d'avoir trouvé les bons mots. Elle hocha la tête et lui accorda un faible sourire, et posa sa main sur le haut de son bras gauche. Cela ne dura pas longtemps, mais Bucky remarqua qu'elle avait été la première à toucher sa prothèse sans que cela ne soit pour le diagnostiquer ou pour le désarmer. Elle n'avait probablement pas fait attention à la différence de température ou de matière sous la manche de son shirt à manches longues.
‒ Barnes, si ces deux gosses sont encore vivants, je veux les aider.
‒ Je crois que la négociation va être compliquée, Guerin. Tu es loin d'être prête.
‒ Je m'améliore de jour en jour. Daisy a peut-être laissé tomber mon entraînement, mais ça ne m'a pas empêché de m'entraîner sans elle.
‒ Guerin, les règles étaient -
‒ Si tout le monde avait suivi les règles, ni toi ni moi ne serions là où nous sommes aujourd'hui. Et Steve Rogers non plus, si je me souviens bien de mes cours d'histoire.
C'était un coup bas, pensa-t-il. Il n'était pas question que Coulson la laisse participer à une seule mission. Le but de son entraînement n'était même pas de faire d'elle un agent, mais de désamorcer une potentielle menace. Les dents serrés, un mouvement latéral de la tête fit son apparition malgré lui, et il soupira.
« Je ferai ce que je peux, mais je ne te promets rien. »
Il sortit et prit le chemin opposé à Coulson et Daisy. Reese serra les dents, et fixa la photo de son frère Dylan.
Elle ne laisserait pas tomber les deux gosses.
