Hermione
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"Tu… tu as prévu tout ça ?" demanda Hermione, sous le choc.
Drago tendait toujours la pomme d'amour vers elle, les joues rougies par l'effort et… l'embarras ?
"Oui." répondit-il. "Tu m'as dit que tu étais un peu jalouse de Potter et Chang qui pouvaient avoir un date ici, alors… je me suis dit qu'on pouvait en avoir un, nous aussi. Tiens."
Elle prit la pomme d'un geste automatique et regarda Drago sécher l'herbe par terre avec sa baguette, lancer un sortilège de Chaleur et l'inviter à s'asseoir dans l'herbe.
"Je n'en reviens pas que tu aies organisé ça." admit-elle en prenant place juste à côté de lui.
"Ce n'est pas si extraordinaire." grommela-t-il en haussant les épaules. "J'aurais largement préféré t'emmener dans un salon de thé, comme ceux où les couples vont à la St Valentin, et t'embrasser devant tout le monde sans craindre quoi que ce soit."
"Pas moi." rétorqua Hermione. "Je préfère largement cet endroit, que nous deux. C'est le meilleur date que j'aurais pu espérer pour la St Valentin."
Drago eut un petit sourire fier et se mit à retirer le papier qui emballait sa pomme d'amour :
"Le meilleur parmi les centaines de dates que tu as déjà eu ?" demanda-t-il, et malgré son rire, elle put entendre une petite touche de préoccupation dans sa question.
Drago et sa jalousie. Hermione roula des yeux :
"N'importe quoi, tu sais très bien que je n'en ai pas eu beaucoup." dit-elle. "Deux, en fait."
Drago tourna brusquement la tête vers elle et Hermione crut voir une once de gris camoufler ses pupilles. Elle continua d'une voix lente, prenant un malin plaisir à le voir paniqué de la sorte :
"Ici, et… dans le parc d'Hampstead Heath, à manger des glaces." expliqua-t-elle avec un sourire espiègle.
Les épaules de Drago s'affaissèrent de soulagement.
"On en a eu plein d'autres depuis." pointa-t-il. "Chaque séance de révisions à la Bibliothèque est un date, non ?"
Hermione sourit en entendant la conviction dans sa voix.
"C'est vrai. J'en ai eu vraiment une centaine, alors." dit Hermione. "Ce date là est très ressemblant à celui de Londres, assis dans l'herbe à manger une confiserie."
"Avec une jolie vue." ajouta Drago en contemplant Pré-Au-Lard en face de lui. "Mais cette fois-ci, ta confiserie ne va pas fondre entre tes doigts."
"Arrête de te moquer, cette glace était la meilleure que tu aies goûté de ta vie." fit remarquer Hermione en déballant sa pomme à son tour.
Il ne lui avait jamais vraiment avoué, mais Hermione savait que c'était le cas parce qu'il reparlait souvent de cette glace, ce qui était déconcertant étant donné qu'il avait mélangé deux goûts complètement opposés, café et menthe.
"C'est vrai." concéda Drago. "Je n'aurais jamais pensé manger une glace moldue un jour, et encore moins dans un parc moldu, et encore moins assis dans l'herbe !"
Hermione eut un petit rire lorsqu'il retroussa la lèvre d'écoeurement. Il n'y avait que Drago pour s'insurger d'un acte aussi banal.
Elle croqua dans sa pomme et le jus caramélisé dégoulina sur sa langue.
"Mon Dieu, Drago, cette pomme d'amour est délicieuse !" s'exclama-t-elle, la bouche à moitié pleine.
Drago acquiesça. Le caramel donnait à ses lèvres une teinte rougeâtre. Il s'appliquait, avec une élégance pas très appropriée pour ce qu'il était en train de faire, à lécher ses doigts recouverts de sucre.
"C'est ma confiserie préférée d'Honeydukes." dit-il.
C'était rare que Drago se confie sur ce genre de choses. Ils passaient la plupart de leurs soirées ensemble depuis plus d'une année, pourtant, Hermione avait souvent l'impression de ne pas connaître grand chose sur lui. Il ne se livrait pas autant qu'elle, surtout pas sur les petits détails insignifiants, comme les préférences gustatives, ou sur les souvenirs de son enfance. Chacune des informations qu'il donnait en était plus précieuse, et soigneusement préservée dans un coin de sa tête.
"Alors… comment s'est passé ton rendez-vous avec Skeeter ?"
Hermione lécha le côté gauche de sa pomme en réfléchissant à une réponse appropriée :
"Mieux que je l'espérais." admit-elle. "Si elle s'en tient à la version d'Harry au mot près, alors j'aurai réussi. L'histoire d'Harry sera imprimée mot pour mot dans un journal et tout le monde pourra enfin savoir ce qu'il s'est passé ce soir-là."
"Ce n'était pas trop difficile à entendre ?" demanda Drago, un pli soucieux entre ses deux sourcils.
"Il me l'avait déjà raconté." dit Hermione, un frisson désagréable parcourant ses bras. "Mais ça n'en reste pas moins difficile à entendre. Je pense que si chaque lecteur de cette stupide Gazette pouvait l'entendre raconter ça, plus personne ne douterait. Je ne sais pas comment il a fait pour ne pas fondre en larmes, là, au beau milieu des Trois Balais."
"Et tu as prévenu Théo ?" questionna-t-il.
"Oui, bien sûr." répondit-elle. "Et Harry m'a demandé l'autorisation de parler de son père avant de citer son nom."
Drago haussa les sourcils de surprise :
"Vraiment ?"
Sa question était enroulée de méfiance, comme s'il ne pouvait pas croire un seul instant qu'Harry puisse faire preuve de bonté.
"Harry n'a rien contre Théo, il respecte que je sois amie avec lui." énonça Hermione fermement.
"Pas comme Weasley." commenta Drago.
Hermione déglutit et le caramel la fit tousser. Drago avait revêtu son expression maussade, comme à chaque fois que le nom de Ron était mentionné.
"Ne parlons pas de lui pendant notre cent-deuxième date, s'il te plaît." réclama Hermione d'une voix douce.
Drago ne répondit pas, le regard braqué sur les maisons de Pré-Au-Lard sous ses yeux et la mâchoire contractée par la colère. Sentant que l'ambiance était en train de prendre un tournant dramatique, Hermione chercha désespérément quelque chose à dire pour la diffuser :
"Au fait… j'ai trouvé ce qu'était l'Amortentia." lâcha-t-elle maladroitement.
Il se tourna vers elle avec un sourire qui retroussait la commissure de ses lèvres, et Hermione sut que son humeur avait subitement changé de nouveau.
"Enfin, il t'en a fallu du temps." dit-il pour l'embêter.
"Je n'avais pas beaucoup d'indices." accusa-t-elle. "Tu ne m'a rien donné pour m'aider à chercher."
"Et qu'est-ce que tu as trouvé, alors, ma Miss-Je-Sais-Tout préférée ?" demanda Drago, la seule personne au monde à pouvoir afficher un rictus plein de tendresse.
"L'Amortentia est le plus puissant philtre d'amour au monde." déballa Hermione en essayant de se souvenir de toutes les informations qu'elle avait trouvé sur la potion. "Elle est reconnaissable à sa couleur nacrée, elle est très rare, et considérée comme étant l'une des potions les plus dangereuses, parce que quiconque la boit se voit affecté par une profonde obsession pour la personne qui lui a fait boire. Ce sentiment n'est évidemment pas réel, mais une simple réaction chimique aux composants de l'Amortentia, qui donnent l'impression d'avoir crée du vrai amour, ce qui n'est pas possible."
"Dix points pour Gryffondor." se moqua Drago.
Hermione termina sa tirade en croquant un bout de sa pomme.
"J'ai compris ce que c'était." continua-t-elle. "Mais j'ai du mal à comprendre en quoi ça a pu aider Théo à savoir qu'on était amoureux l'un de l'autre."
Drago eut alors une réaction à laquelle Hermione ne s'attendait pas du tout : ses joues prirent une jolie teinte rose, et il détourna le regard pour se concentrer sur sa pomme. Il avait l'air réellement embarrassé, ce qu'elle adorait autant que ça l'intriguait.
"Oh, mon Dieu, Drago, ne me dis pas que tu m'en as fait boire ?!" piailla-t-elle, la réalisation tellement frappante qu'elle faillit en faire tomber sa confiserie.
Son air penaud se transforma et il éclata de rire. Un vrai rire, le genre qu'il ne pouvait pas contrôler et qui se réverbérait tout autour d'eux.
"Merlin, non !" s'exclama-t-il, hilare. "Comment peux tu me demander une chose pareille ? Tomber amoureuse de moi te paraît tellement improbable que tu penses tout de suite que ça puisse être le résultat d'un philtre d'amour ?"
"Non, bien sûr que non." rétorqua Hermione. "Mais tu es tellement imprévisible que je m'attends à tout avec toi."
"Je ne t'en ai pas donné, et j'en ai pas bu non plus, Merlin." dit Drago en s'essuyant les yeux après son fou rire.
"Alors, comment Théo a su ?"
Drago fut soudain captivé par le reste de sa pomme d'amour.
"Allez, dis moi !" insista Hermione, sa curiosité loin d'être assouvie. "Tu m'as dit de chercher ce qu'était l'Amortentia, ce que j'ai fait, maintenant tu es obligé de m'expliquer comment Théo a pu savoir."
Elle ne pouvait voir que son profil, mais elle était certaine qu'il était en train de rougir. C'était tellement rare qu'Hermione délaissa complètement sa pomme pour le contempler, voulant à tout prix garder cette image imprégnée dans sa mémoire.
"À la fin de la troisième année…" commença-t-il à voix basse. Hermione se pencha vers lui pour l'entendre, persuadée qu'il ne se répéterait pas si elle avait le malheur de ne pas entendre l'intégralité de l'histoire. "Théo m'a fait sentir de l'Amortentia que Rogue gardait dans sa classe. Est-ce que tu sais ce que sent l'Amortentia, Granger ?"
La réponse fusa comme si elle était en classe :
"Elle sent différemment pour chaque personne en fonction des odeurs qui les attirent." récita-t-elle, sans pour autant comprendre le lien avec Théo.
"Exactement." répondit-il avec un petit sourire timide. "Il me l'a fait sentir, et… mon Amortentia sentait les vieux livres à la Bibliothèque, de la fraise, et… le thé à la cannelle."
Hermione ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à dire. Pourtant, c'était rare qu'elle soit à court de mots.
Trois odeurs qui lui correspondaient parfaitement : la Bibliothèque, l'odeur de son shampooing, et son thé préféré.
"Oh mon Dieu." souffla-t-elle. "En troisième année ?"
Ils se détestaient encore à ce moment-là. Ils n'avaient pas échangé la moindre conversation civile, il ne s'était même pas encore assis à la Bibliothèque en troisième année ! Il avait senti son odeur dans l'Amortentia avant même de lui adresser proprement la parole ?
Drago était de plus en plus rouge. Hermione ne comprenait pas pourquoi cette confession était plus contrariante pour lui alors qu'il n'avait pas eu la moindre difficulté à lui annoncer qu'il était amoureux d'elle à Londres l'été précédent.
"Au début, je ne t'ai pas reconnue." poursuivit-il, sur un ton d'excuse. "J'ai mis plus de six mois à comprendre que les odeurs étaient liées à toi."
"Comment ?" demanda Hermione.
"J'aurais dû réaliser que c'était toi à la Bibliothèque dès le début, grâce aux thés à la cannelle. Je n'ai pas fait le lien, stupidement. J'avais un peu oublié que Théo m'avait fait sentir ça en fin d'année… Je n'ai réalisé qu'au Bal."
"Au Bal ?!"
Hermione repensa au moment où ils s'étaient hurlés dessus dans la classe vide, à quel point ils s'étaient rapprochés, quand la tension avait été à son comble, et qu'Hermione, malgré la colère et la protestation, l'avait silencieusement supplié de l'embrasser. Drago devait penser à la même chose, parce que ses rougeurs furent remplacées par un éclat de désir dans ses yeux.
"Pendant notre… conversation, dans la salle de classe, je me suis rapproché de toi, et pour la première fois, j'ai senti tes cheveux." confia-t-il. Il s'était penché vers elle en même temps qu'il parlait, et Hermione fut transportée dans son souvenir comme si elle venait de tomber dans une Pensine. "J'ai senti ton shampooing à la fraise, et j'ai réalisé que c'était toi. Que j'étais amoureux de toi. Je le savais déjà, bien sûr, mais le fait d'avoir une preuve, ça m'a fait paniquer, alors je me suis enfui."
Hermione se souvenait de son départ précipité. Elle avait toujours pensé qu'il avait été rattrapé par la raison. Jamais elle n'aurait pu imaginer un tel scénario.
"Oh mon Dieu… Est-ce que c'est pour ça que tu renifles mes cheveux tout le temps ?" demanda-t-elle, les sourcils légèrement froncés par les réminiscences des derniers mois.
L'éclat dans les yeux de Drago s'évanouit et il recula la tête avec stupéfaction :
"Je te demande pardon ? Je ne renifle rien du tout."
"Si ! À chaque fois que je suis proche de toi, ou que tu me fais un câlin, tu poses ton menton sur ma tête et tu inspires." contesta-t-elle en pointant un doigt accusateur vers lui.
"N'importe quoi !" répliqua Drago avec ferveur. "Je te ferais dire que je viens d'une lignée digne de sorciers puissants, ce n'est certainement pas mon genre de renifler les cheveux de quelqu'un."
Il leva le menton et mangea ce qu'il restait sur son bâtonnet avec une élégance qu'Hermione aurait été incapable de reproduire.
"Je suis désolée de te le dire, Drago Malefoy, mais la ligne de sorciers dignes s'arrête avant toi. Tu es présentement assis par terre dans de l'herbe mouillée, à manger une pomme d'amour sans couverts, et tu renifles mes cheveux dès que tu es près d'eux."
Drago eut un petit rire. Il avait du caramel sur la lèvre inférieure et ses cheveux étaient toujours humides à cause de la pluie, décoiffés dans tous les sens, et Hermione ne l'aurait pas dit à voix haute, mais elle avait une légère préférence pour ce Drago-là que pour celui aux manières d'aristocrate.
"D'accord, Granger. Si tu le dis." dit-il avec une soudaine désinvolture. "En tout cas, c'est comme ça que Théo a compris. Tu lui as proposé un thé à la cannelle à la Bibliothèque et il s'est souvenu des odeurs de mon Amortentia."
"Désolée." dit Hermione impulsivement.
Il arqua un sourcil :
"Désolée de quoi ?"
"De lui avoir proposé un thé. J'imagine que tu n'as pas dû apprécier que je partage ça avec lui."
Drago haussa les épaules :
"Ça ne m'enchante pas d'imaginer mon meilleur ami boire un thé avec toi, mais en réalité, ça m'est égal, parce qu'il ne sent pas la même chose que moi, et il ne le sentira jamais." expliqua-t-il. "Ce n'est que du thé pour lui. Pour moi, c'est toi. C'est nous. C'est la Bibliothèque. Personne d'autre que moi ne connaîtra ça."
Il eut un sourire flottant sur les lèvres et Hermione réalisa que cette affirmation était probablement la phrase la plus romantique que quelqu'un ait prononcé à son égard. Elle termina sa pomme d'amour, songeuse. C'était Hagrid qui lui avait acheté ce thé en premier, mais aujourd'hui, il représentait autant leur table reculée de la Bibliothèque à ses yeux que pour Drago. Elle ne le partageait rarement aux autres, même pas à Harry. Peut-être que son subconscient l'avait lié à Drago, aussi.
"Qu'est-ce qu'on est supposés faire pendant un date, en fait ?" questionna-t-il en contemplant les alentours. "Je l'ai organisé pour la St Valentin, mais je ne sais pas vraiment ce qu'on est censés faire après avoir mangé et regardé la vue."
Le coeur d'Hermione s'emballa :
"Tu n'as jamais eu de date avant ?" demanda-t-elle, pleine d'espoir.
"Mis à part la centaine de dates avec la même fille sur une table et sur un banc, non, jamais." répondit-il.
Hermione s'empourpra sans cacher son sourire soulagé.
"Hmm… J'avoue que je ne sais pas non plus, je n'ai jamais fait ça. Mais j'ai vu plein de couples s'embrasser goulument devant moi toute la journée."
"Ah oui ?" demanda Drago avec son sourire en coin habituel.
"Oui, c'était dégoûtant." commenta-t-elle. "Apparemment, c'est ça qu'il faut faire pendant la St Valentin… mais je suppose que tu viens d'une lignée bien trop pure et digne pour oser t'abaisser à embrasser une fille dans l'herbe."
Elle lui lança un regard moqueur en biais, et d'un mouvement trop brusque pour qu'Hermione puisse s'y attendre, Drago lui empoigna les hanches et la fit basculer sur lui. Elle glapit un petit cri pathétique et le reste de sa pomme d'amour valsa dans les airs avant de tomber dans la terre mouillée par la pluie.
"Drago !" scanda-t-elle.
Elle se retrouva allongée sur lui, dans l'herbe trempée, la bouche ouverte de protestation, mais il l'embrassa avant qu'elle ne puisse râler davantage. Aussitôt, son corps se détendit contre le sien.
"Une lignée pure et digne, tu parles." marmonna-t-il contre sa bouche.
Hermione eut un petit rire, qui se coupa bien vite quand il la fit chavirer pour qu'elle se retrouve le dos dans l'herbe. Il se mit au-dessus d'elle et se pressa contre elle, suffisamment fort pour qu'elle ne puisse pas se retourner.
"Qu'est-ce que tu fais ?!"
Il se pencha pour lui embrasser le nez, puis fit descendre sa bouche juste à côté de son oreille :
"Et bien, tu as dit que les couples s'embrassaient à la St Valentin, alors je le fais."
"Drago, ce n'est pas…"
"Quel terme tu as utilisé, déjà ?" demanda-t-il, visiblement très amusé. ""Goulument", c'est bien ça ? Fais voir…"
Il baissa sa tête vers elle, ses cheveux projetant des petites gouttes sur le front d'Hermione.
"Mon dos est trempé…" commença Hermione.
Il la fit taire en l'embrassant de nouveau, et très vite, Hermione oublia la raison de ses plaintes.
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Le lundi soir, au dîner, Harry raconta à voix basse qu'il avait été interviewé par Rita Skeeter pour publier sa version des faits des évènements de Juin dernier aux Gryffondors, qui avaient tous un air ébahi étalés sur leurs visages. Seamus était le seul à prétendre ne pas écouter en engloutissant le plus de bouchées de tourte possible.
"Je suis impatient de savoir ce que va penser Ombrage quand elle verra que tu parles publiquement." commenta Dean avec un sourire d'encouragement.
"C'était ce qu'il fallait faire, Harry." dit Neville. Il était très pâle et ses yeux étaient fuyants. "ça devait être… dur… d'en parler, non ?" poursuivit-il dans un murmure.
"Oui." marmonna Harry. "Mais il faut que les gens sachent de quoi Voldemort est capable."
Seamus fit valdinguer sa fourchette lorsqu'il prononça le nom interdit, mais personne ne remarqua, trop immergés dans l'histoire d'Harry pour lui prêter attention.
"C'est vrai…" approuva Neville avec un hochement de tête. "Et aussi ses Mangemorts… il faudrait que les gens sachent…"
Hermione repensa à cette femme horrible sur tous les avis de recherche de la Gazette, Bellatrix Lestrange, et ressentit un mélange étrange de compassion pour Neville et de haine pour cette femme. Elle tapota gentiment l'épaule de Neville pour le consoler et il lui fit un pâle sourire en réponse.
La séance de Quidditch n'était pas terminée, alors Hermione et Harry attendirent que Ron, Ginny et les jumeaux reviennent avant de remonter dans la Salle Commune. Hermione était en train de revoir son planning de révisions quand elle intercepta le regard d'Harry fixer quelque chose derrière elle. Quand elle se retourna, elle aperçut Cho Chang et son amie Marietta s'asseoir à la table des Serdaigles.
"Oh, j'ai oublié de te demander !" réalisa Hermione d'une voix enjouée. "Comment ça s'est passé, ton date avec Cho ? Comment se fait-il que tu sois arrivé si tôt aux Trois Balais ?"
"Oh, euh…" bredouilla Harry en se servant une seconde part de tarte. "Un fiasco total, en fait."
"Ah bon ?" s'étonna Hermione. "Que s'est-il passé ?"
"Et bien… au début, ça se passait bien." dit Harry, écrasant sa tarte avec sa cuillère sans le réaliser. "On a parlé de Quidditch, la conversation était fluide, elle avait l'air contente. Quand il a commencé à pleuvoir, je lui ai proposé d'aller prendre un café, et elle a voulu aller dans ce salon de thé, à côté du botaniste, chez Pieddodu…"
Hermione grimaça et Harry acquiesça :
"C'était atroce, il y avait des petits angelots qui volaient au-dessus des tables pour jeter des confettis sur les invités. J'en ai même reçu dans mon café !" glapit-il, horrifié. "Enfin bref, on s'est retrouvés assis de Roger Davies et sa copine, et ils ont commencé à se rouler des pelles à côté de nous…"
La grimace d'Hermione s'intensifia et Harry soupira :
"Et tout allait bien entre nous, jusqu'à ce que je mentionne notre déjeuner aux Trois Balais… je lui ai proposé de venir, comme tu me l'avais suggéré, mais elle n'a pas l'air d'avoir trop apprécié. Après ça, elle est devenue froide tout à coup, et elle m'a même dit que Roger Davies l'avait invitée à sortir avec elle quinze jours avant, alors qu'il était juste à côté de nous !" s'écria Harry, de plus en plus scandalisé par ses propres mots. "En train de galocher sa copine !"
"Harry…"
"Et pour couronner le tout !" dit Harry, qui n'avait pas remarqué l'interruption d'Hermione. "Tu sais de quoi elle m'a parlé après ? De Cedric ! Elle m'a raconté leur date de l'année précédente, dans ce même café, et je n'arrêtais pas de me demander, pourquoi elle m'a emmené ici si ça lui rappelait Cedric ? Et pourquoi ne pas accepter l'invitation de Roger Davies, au lieu de me le faire remarquer ?"
Hermione plissa les lèvres en essayant d'élaborer une réponse appropriée, mais Harry était déjà parti dans son récit :
"Et au moment où je pensais que c'était la pire tournure des évènements pendant un date de l'histoire de l'humanité, Cho me demande si Cedric m'a parlé d'elle avant de mourir." conclut-il. "Je ne sais pas si elle espérait un compte-rendu larmoyant des derniers instants de Cedric au beau milieu de ce café, qui ressemblait beaucoup au bureau d'Ombrage, d'ailleurs, mais en tout cas, elle s'est mise à pleurer quand j'ai changé de sujet, en disant que j'étais le seul à pouvoir comprendre sa douleur, et que je devais lui en parler, et je lui ai dit… je lui ai dit que j'en avais déjà parlé, à Ron et toi, et d'un coup, elle s'est mise à me hurler dessus, devant tout le monde ! Elle m'a demandé combien de rendez-vous j'avais après le tien, et j'ai éclaté de rire parce que, franchement Hermione, j'étais complètement perdu, et elle juste… partie ! Elle se lève d'un bond et elle me dit : "À un de ces jours, Harry." Et puis elle s'en va en courant !"
Il termina sa dernière bouchée de tarte et scruta Hermione avec un air désemparé.
"Qu'est-ce qu'il lui a pris ? Qu'est-ce que ça signifie ?"
Hermione jeta un autre coup d'œil à Cho, qui faisait semblant de rire avec Marietta.
"Oh, Harry…" murmura Hermione, attendrie par son meilleur ami. "Je suis désolée, mais tu as manqué un peu de tact."
"Moi ?" s'indigna Harry, choqué qu'elle puisse prendre son parti. "Moi, manqué de tact ?! Tout allait très bien et, brusquement, elle me raconte que Roger Davies l'a invitée à sortir avec lui et qu'elle venait souvent dans ce stupide salon de thé pour s'embrasser avec Cedric. Comment je dois réagir à ça, moi ?"
Hermione aurait tellement aimé que Ginny soit là pour assister à cet acte de réalisation masculine.
"Et bien…" dit Hermione d'un ton patient. "Tu n'aurais pas dû lui dire que tu voulais me voir au beau milieu de la journée."
"Mais… mais…" balbutia Harry. "C'est toi qui m'as demandé de te retrouver à midi et de venir avec elle. Il fallait bien que je le lui dise, non ?"
"Tu aurais dû t'y prendre différemment." poursuivit Hermione. "Tu aurais dû lui dire que c'était vraiment pénible, mais que je t'avais fait promettre de venir aux Trois Balais, que tu n'avais pas du tout envie d'y aller, que tu aurais préféré passer toute la journée seul avec elle, mais que malheureusement, il le fallait bien et s'il te plaît, s'il te plaît, je voudrais tellement que tu viennes avec moi, comme ça ce serait plus vite fini. Et tu aurais peut-être dû lui dire aussi que tu me trouvais très laide." ajouta-t-elle après un instant de réflexion.
"Mais je ne te trouve pas laide du tout !" répondit Harry, déconcerté.
Hermione éclata de rire.
"Harry, tu es pire que Ron… Non, finalement, non." soupira-t-elle au moment où Ron, constellé de boue et l'air grognon, entrait d'un pas lourd dans la Grande Salle. "Écoute… Tu as mis Cho en colère quand tu lui as dit que tu avais rendez-vous avec moi, alors elle a essayé de te rendre jaloux. Pour elle, c'était un moyen de savoir si tu l'aimais vraiment."
"Ah bon, c'était ça, le message ?" s'étonna Harry.
Ron se laissa tomber sur le banc face à eux et attrapa tous les plats qui se trouvaient à sa portée.
"Tu ne crois pas qu'il aurait été plus facile de me demander simplement si je l'aimais plus que toi ?" demanda Harry avec toute l'innocence d'un enfant de dix ans.
"Les filles… ne posent pas souvent ce genre de question." fit remarquer Hermione.
"Eh bien, elles devraient !" répliqua Harry avec vigueur. "Parce que dans ce cas, je lui aurais dit qu'elle me plaît beaucoup et elle n'aurait pas eu besoin de se mettre de nouveau dans tous ses états à propos de la mort de Cedric !"
"Je ne prétends pas que ce qu'elle a fait est raisonnable." répondit Hermione. "J'essaye simplement de te faire comprendre ce qu'elle ressentait à ce moment-là."
Ginny arriva à son tour. Elle était aussi sale et paraissait d'aussi mauvaise humeur que Ron. Hermione n'aimait pas trop parler des fréquentations amoureuses d'Harry en sa présence, alors elle laissa tomber le sujet.
"Tu devrais écrire un livre." dit Ron à Hermione en coupant ses pommes de terre. "Un truc qui donne la traduction des idioties que font les filles pour que les garçons puissent comprendre à quoi ça rime."
"Oui !" approuva Harry avec ferveur.
Pile à cet instant, Cho se leva et sortit de la Grande Salle sans lui accorder un regard.
"Alors, comment s'est passé l'entraînement de Quidditch ?" demanda Harry d'un ton dépité.
"Un cauchemar." répondit Ron d'une voix maussade.
"Allons…" dit Hermione en regardant Ginny. "Je suis sûre que ce n'était pas… "
"Oh, si, si." coupa Ginny. "C'était abominable. Angelina était au bord des larmes à la fin de la séance."
Hermione et Harry fréquentaient suffisamment les Weasley pour savoir qu'essayer de les réconforter à cet instant serait une grave erreur. Ron martelait son assiette plus qu'il ne piquait dedans, et Ginny semblait sur le bord de la crise de nerfs. Ils attendirent qu'ils terminent leur repas en silence, puis Ron et Ginny annoncèrent qu'ils allaient prendre un bain en même temps, et se chamaillèrent sur qui avait le droit à la salle de bain en premier sur tout le trajet du retour.
Hermione et Harry firent leurs devoirs à côté du feu. Harry révisait la carte du ciel que Sinistra avait donné à faire depuis trois semaines, et Hermione apprenait ses Runes. Fred et George entrèrent dans la Salle Commune et prirent une chaise pour les joindre à leur table de travail :
"Ron et Ginny ne sont pas là ?" chuchota Fred en regardant autour d'eux.
Harry répondit non d'un signe de tête et Hermione leva la tête de son manuel de Runes, intriguée par son ton d'urgence.
"Tant mieux. On a assisté à leur séance d'entraînement. Ils vont se faire massacrer." dit Fred, comme s'il annonçait la fin imminente de la planète. "Sans nous, ils ne valent rien."
"N'exagère pas, Ginny se débrouille bien." intervint George. "D'ailleurs, je me demande comment elle fait alors qu'on ne l'a jamais laissée jouer avec nous…."
Hermione était fatiguée par l'attitude de ces garçons qui ne donnaient pas la moindre attention aux détails.
"Depuis l'âge de six ans, elle force la porte de votre remise à balais, dans le jardin, et vole sur chacun de vos balais à tour de rôle quand vous n'êtes pas là." révéla-t-elle d'une voix ennuyée.
"Oh." répondit George, modérément impressionné. "Ça explique tout."
"Est-ce que Ron a réussi à bloquer un tir ?" demanda Hermione en leur jetant un regard par-dessus "Hiéroglyphes et logogrammes magiques."
"Il y arrive quand il est sûr que personne ne l'observe." répondit Fred en levant les yeux au plafond. "Samedi prochain, il suffira de demander à la foule de lui tourner le dos et de parler d'autre chose chaque fois que le Souafle s'approchera de ses buts."
Il se leva dramatiquement et prit place derrière la grande fenêtre pour contempler la vallée de Poudlard plongée dans l'obscurité.
"Le Quidditch était à peu près la seule chose pour laquelle il valait la peine de rester ici…" dit-il, pensif.
"Tu as des examens à la fin de l'année !" pointa Hermione.
"Je t'ai déjà dit qu'on n'était pas très passionnés par les ASPIC." répliqua Fred sans la regarder. "Les boîtes à Flemme sont prêtes à la commercialisation. On a enfin trouvé le moyen de se débarrasser de ces furoncles, ils disparaissent avec quelques gouttes d'essence de Murlap, c'est Lee qui nous a donné l'idée."
George bâilla longuement et contempla d'un air inconsolable le ciel nocturne chargé de nuages.
"Je me demande si je vais prendre la peine d'aller voir ce match. Si jamais Zacharias Smith nous bat, il ne me restera plus qu'à me tuer…"
"... ou plutôt à le tuer, lui." dit Fred.
"C'est ça, l'ennui avec le Quidditch." remarqua distraitement Hermione qui s'était replongée dans sa traduction des Runes. "Ça crée des tensions et des sentiments hostiles entre les Maisons."
Personne ne lui répondit. Ce ne fut que quand elle leva la tête pour prendre son "Syllabaire Lunerousse" qu'elle réalisa que les trois garçons s'étaient tous les trois tournés vers elle avec des expressions allant de l'écoeurement à l'incrédulité.
"C'est vrai !" insista-t-elle, agacée. "Ce n'est quand même qu'un jeu, ne l'oublions pas !"
"Hermione…" dit Harry en hochant la tête. "Tu t'y connais peut-être très bien en sentiments et en trucs comme ça, mais tu n'as jamais rien compris au Quidditch."
"C'est possible." dit-elle calmement. "Mais moi au moins, je ne fais pas dépendre mon bonheur de la capacité de Ron à défendre ses buts."
Ni Fred, ni George, ni Harry ne surent quoi répondre à ça. Fred et George observèrent le ciel et donnèrent l'impression qu'ils étaient voués à un destin funeste et qu'ils ne pouvaient rien faire pour s'en échapper. Le match des Gryffondors contre les Poufsouffles était programmé pour samedi, mais à les voir, on aurait dit qu'ils avaient déjà perdu.
Ginny refit une apparition vers 22h, les cheveux fraîchement lavés et la mine franchement dépressive. Elle informa tout le monde qu'elle allait pleurer jusqu'à s'endormir et les jumeaux hochèrent gravement la tête comme si c'était une activité tout à fait logique après ce qu'ils venaient de voir. Harry resta campé devant sa carte du ciel pendant de longues heures, les yeux vacants. Il n'y avait plus personne dans la Salle Commune lorsqu'il annonça qu'il allait se coucher à son tour.
"Harry, attends." intima Hermione lorsqu'il se leva pour rejoindre son dortoir. "Je voulais te demander quelque chose."
Les sourcils du concerné se froncèrent et il remonta ses lunettes sur son nez, interloqué par son sérieux.
"Dis-moi ?"
"Est-ce que…" commença Hermione, pas certaine de pouvoir lui expliquer une chose pareille. "Harry, est-ce que tu me fais confiance ?"
"Oui, bien sûr." répondit-il en un clin d'œil. "Toujours."
Hermione fut touchée par sa dévotion. Drago lui aurait probablement posé une dizaine de questions à peine la question aurait-elle franchi ses lèvres.
"Tu sais que je suis angoissée dès que tu vas te coucher, maintenant que je sais que tu as ces… cauchemars ?"
"Je te l'ai déjà dit, Mione, pas besoin de…"
"Je suis ta meilleure amie, je suis inquiète." coupa-t-elle. "Et pour ne plus l'être, j'ai… trouvé un sort, qui me permettrait de savoir quand ton rythme cardiaque est anormalement élevé. Comme ça, je saurai que tu as besoin d'aide."
Harry considéra cette information pendant plusieurs secondes. Il devait être habitué aux idées farfelues d'Hermione, parce qu'il ne parut pas particulièrement surpris.
"Oh." finit-il par dire. Puis, il se recula un peu et montra son cœur d'un geste de la main : "D'accord, vas-y."
Hermione fut tellement choquée par sa réponse spontanée qu'elle ne fit pas le moindre mouvement.
"Quoi ? Je te fais confiance, je viens de te le dire." dit Harry. "Si tu penses que ça peut m'aider, et que ça peut t'aider toi à t'endormir plus sereinement, je ne vois pas le problème."
"Je ne pensais pas que tu accepterais si vite." admit Hermione.
"Je laisse Rogue entrer dans ma tête tous les lundis." grogna Harry en se massant inconsciemment sa cicatrice. "Qui je serais si je le laissais faire, et que je refusais que ma meilleure amie pratique un sort sur moi qu'elle juge utile ?"
Hermione eut un petit sourire ému et Harry l'imita, mais le sien était largement plus crispé, bien qu'Hermione n'avait aucune idée si c'était d'appréhension ou juste de la douleur de sa séance d'Occlumancie un peu plus tôt.
Elle prit sa baguette et se mit face à lui.
"Ça ne fera pas mal." prévint-elle en le voyant se tendre. "C'est un simple sort de diagnostic. Pulsatio Reprehendo." Un jet blanc toucha Harry à la poitrine et il observa le sortilège avec curiosité. Puis, Hermione récita les Runes que Théo et elle avaient trouvées : "Laguz, Wunjo, Gebo, Jera, Ansuz, Eiwaz, Uruz."
"Wow." dit Harry quand Hermione relâcha le sort. "Tu es tellement intelligente, Mione, je n'ai pas compris un mot de ce que tu viens de dire."
Elle haussa les épaules modestement. Harry fit volte-face, lui lança un dernier "bonne nuit !", et remonta les escaliers vers son dortoir. Sans même lui demander ce qu'elle venait de faire. Il plaçait une confiance aveugle en elle.
Hermione se força à s'en rappeler, pour la prochaine fois où il s'énerverait contre elle sans raison.
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Drago
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"Ce match est nul à chier." commenta Drago, élégamment, à l'adresse de Blaise.
Ils étaient dans les gradins de Serpentard, le samedi après-midi, en train d'assister au désastre pur qui était en train de se dérouler devant leurs yeux : Gryffondors contre Poufsouffles.
"Je regarde des matchs de Quidditch depuis que j'ai trois ans." l'informa Blaise de sa voix habituelle, calme et posée, malgré le bruit autour de lui. "J'ai vu toutes sortes de matches, allant du match entre les équipes enfantines de la Ligue des Non-Volants à la finale Bulgarie VS Irlande de la Coupe du Monde de Quidditch. Et je n'ai jamais, et je dis bien jamais, vu un match aussi pourri de toute mon existence."
"Tu sais quoi ? Je pense que si on remplaçait toute l'équipe de Poufsouffle par seulement Crabbe et Goyle, ils gagneraient haut la main." observa Drago, tandis que le Batteur de l'équipe des Gryffondors frappa de toutes ses forces dans le visage d'Angelina Johnson en ratant un Cognard.
"Temps mort !" scanda la voix magicalement amplifiée de Lee Jordan. "Angelina, tu as besoin d'une petite pause ?"
La capitaine des Gryffondors, la bouche en sang, eut le mérite de secouer la tête. Le calvaire du match continua. Drago était plutôt focalisé sur Weasley, qui volait devant les buts mais avait l'air sur le point de s'évanouir à tout instant. Il avait laissé passer treize Souaffles dans les anneaux, ce qui devait être un record de l'école. Il était devenu presque vert.
"Kirke vient de faire une chute sensationnelle de son balai après que Smith lui ai foncé dessus." commenta Jordan d'un ton désapprobateur, probablement déçu par sa propre Maison. "Et Smith se dirige tout droit vers les buts… Allez, Ron tu peux le… non, c'est un quatorzième but pour Poufsouffle…"
Drago éclata de rire en même temps que les gradins des Serpentards et des Poufsouffles explosèrent de joie. Le seul gradin qui n'était pas animé était celui des Gryffondors. Drago mentirait s'il disait qu'il ne se délectait pas du visage emprunt de chagrin de Potter.
"C'est plus du Quidditch, c'est de l'humiliation !" s'écria Blaise, les yeux rivés sur le terrain.
"Ah, Ginny Weasley se lance dans une course-poursuite, suivie de très près par Summerby !" reprit Lee Jordan avec un peu plus d'entrain. "Elle a vu le Vif d'Or, elle ne perd pas sa trajectoire… et… attention, Ginny, pas sur ton balai !"
La rouquine s'était mise à plat ventre sur son balai, la main tendue, à une altitude bien trop élevée pour faire ce genre d'approche. Même Drago ne l'aurait pas tenté. Soit Ginny Weasley était tombée sur la tête pendant l'entraînement, soit elle était la fille la plus téméraire des Gryffondors.
Malgré la lenteur affligeante de son balai, Weaslette réussit à devancer Summerby qui ne put que la regarder, dépité, saisir la petite balle dorée entre ses doigts.
"Elle l'a !" hurla Jordan. "Ginny Weasley a attrapé le Vif d'Or ! Gryffondor récupère cent-cinquante points et clôture la fin du match. Malheureusement, ça ne sera pas assez… Deux cent quarante à deux cent trente, Poufsouffle gagne !"
La tour des jaunes et noirs à côté des Serpentards se mirent à hurler et se prendre dans les bras. C'était une victoire amplement méritée, ils avaient utilisé des techniques bien plus poussées que les maigres tentatives des Gryffondors. Dès que Weasley posa un pied par terre, le stade entier se mit à chanter le refrain de Weasley est notre roi, largement mené par les Serpentards, mais Drago prit grand soin de fermer sa bouche parce qu'il savait que Granger le surveillait depuis sa tour.
"Les Gryffondors ont été une catastrophe, mais même toi dois avouer que Ginny Weasley a un potentiel." commenta Blaise.
Drago baissa lassement la tête vers le terrain, où Weaslette venait d'atterrir avec le Vif d'Or. Elle passa son bras par-dessus les épaules de son frère et ils entrèrent tous les deux aux vestiaires d'une démarche accablée.
"Est-ce qu'elle jouait bien, ou est-ce qu'elle était simplement entourée d'incompétents qui l'ont fait briller ?" demanda Drago, une question rhétorique.
Blaise haussa les épaules et ils quittèrent le stade après vingt minutes de torture. Le match le plus court qu'avait vu Drago de toute sa vie.
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Il dîna avec Blaise, Théo et Pansy. Blaise et Drago passèrent tout le repas à leur raconter dans les moindres détails à quel point le match avait été désastreux, bien qu'aucun des deux n'était sincèrement intéressé.
Il le refit ensuite à Granger dès qu'il entra dans la Bibliothèque, malgré le fait qu'elle avait vu le même match que lui.
"Si tu te moques encore une fois de Ron, je prends mes affaires et je déguerpis d'ici." avertit-elle sèchement quand il se mit à lui décrire la couleur verdâtre que son teint avait pris après le dixième but.
"Oh, relax, Granger, je ne me moque pas de ton précieux Weasley." dit Drago, bien que c'était exactement ce qu'il était en train de faire.
Elle le foudroya du regard et fit semblant d'écrire sa fiche de révisions des antidotes :
"Au lieu de te moquer, aide-moi à retrouver les ingrédients de l'antidote de l'Élixir Éternel."
"Non." répliqua Drago du tac au tac.
Il regarda Granger lever la tête vers lui avec un air de pure révolte inscrit sur ses traits :
"Pardon ?" s'insurgea-t-elle de sa voix haut perchée. "Je te ferais dire que je t'ai fait réviser ton Arithmancie toute la soirée d'hier, et que j'ai même annulé ce que j'avais prévu de faire en Botanique pour pouvoir…"
"Je te n'aiderai pas tant que tu n'auras pas admis que Weasley était nul sur ce terrain."
Les joues de Granger virèrent au cramoisi. Le regard qu'elle lui lança était tellement noir que les poils de la nuque de Drago se relevèrent en le croisant.
"Hors de question." lâcha-t-elle entre ses dents serrées.
"Allez, Granger, rien que pour moi." insista Drago, bien conscient qu'il était en train de jouer avec le feu.
"Je vais te jeter mon thé à la figure." prévint-elle, et il était sûr qu'elle était sérieuse.
"Ce ne serait pas de la moquerie, c'est simplement un fait." continua-t-il. "Tu serais juste honnête avec toi-même, Granger, et je pense que c'est important d'aligner ses idées avec ses mots."
"Je ne t'écoute plus."
"Dis-le." Puis, il ajouta dans un murmure implorant : "S'il te plaît. Tu auras le droit à une faveur en retour."
Les yeux de Granger furent traversés par un étincelle d'intérêt digne d'une Serpentarde et elle le fixa intensément pour voir s'il mentait.
"N'importe laquelle ?" demanda-t-elle avec une envie peu dissimulée.
"Dans la mesure du réalisme, oui." assura Drago.
"Tu es malade, Drago. Tu devrais aller au département des blessures profondes de la tête à Ste Mangouste pour te faire examiner." dit-elle d'un ton étrangement tranquille.
"Mais…?"
"Mais…" elle lâcha un profond soupir. "Je… je pense que Ron n'était, effectivement… pas au meilleur de sa forme aujourd'hui."
"Et comment tu décrirais son match, en un mot ?" pressa le blond.
La bouche d'Hermione se tordit d'hésitation et elle prit plusieurs secondes pour réfléchir.
"Pas… terrible." finit-elle par lâcher.
Drago s'approcha d'elle pour lui faire un bisou sur le front :
"Merci, Hermione." chuchota-t-il solennellement. "C'est le plus beau cadeau que tu m'aies fait jusqu'à maintenant."
"C'était bien la peine de te tricoter un bonnet pendant des jours alors." répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel face à son immaturité. "Sérieusement, Drago. Huitième étage, tout droit en face des escaliers, dans la pièce avec plein de gentilles dames en blouses vertes."
Drago fut donc d'excellente humeur toute la soirée. Il passa le début de la nuit en compagnie de Granger sur le banc, ce qui le comblait de joie. Il pouvait apercevoir le contour des tours du stade dans l'obscurité, ce qui lui rappelait le match de l'après-midi même. De plus, le fait qu'Hermione préfère passer sa nuit avec lui plutôt qu'en haut à consoler Weasley était d'autant plus satisfaisant.
Granger s'entraîna à l'Occlumancie, mais comme à chaque fois, elle n'était pas très optimiste. Elle se laissait guider par les étapes de méditation que Drago lui donnait, puis abandonnait à mi-chemin en prétextant qu'elle était incapable de continuer. Elle disait que le silence la mettait mal à l'aise, alors qu'elle pouvait passer plusieurs heures d'affilée dans un silence complet lorsqu'elle révisait. C'était incompréhensible.
Ils finirent par abandonner et retournèrent chacun dans leur Salle Commune discrètement.
Lorsque Drago entra dans la sienne, la fête battait son plein, mais ni Théo, ni Blaise n'étaient là. Il croisa Pansy, dont le maquillage coulait déjà d'avoir trop dansé, qui l'informa que les deux étaient partis se coucher parce qu'ils avaient attrapé un rhume. Il but un verre avec elle, puis Drago décida d'aller dans le dortoir aussi et laissa Pansy vaquer à ses occupations.
Blaise dormait, à plat ventre sur son lit en diagonale, la couette à moitié par terre. Le lit de Théo était fermé, mais Drago crut apercevoir un faisceau de lumière, ce qui voulait dire qu'il était en train de lire avant de dormir. Drago prit une douche chaude et fit sa toilette, en rigolant tout seul lorsqu'il se souvenait du match catastrophique de l'après-midi. La panique sur les traits de Weasley refusait de partir de son esprit, tellement qu'il pensa que Rogue allait forcément la voir lors de leur prochaine session d'Occlumancie.
Il se coucha et, comme tous les soirs, médita. Il rangea ensuite quelques souvenirs dans sa bibliothèque mentale, et s'enfonça rapidement dans les abysses du sommeil, un sourire satisfait accroché à ses lèvres.
Drago n'eut aucune idée de comment il avait pu se réveiller alors qu'il dormait si profondément. Peut-être que son corps était aux aguets sans qu'il s'en rende compte, peut-être que son subconscient le maintenait à la surface de la somnolence, au cas-où.
En tout cas, Drago se réveilla dès qu'il entendit le murmure rauque et plaintif de Blaise depuis son lit.
Il se leva d'un bond, se prit les pieds dans sa couverture, trébucha contre sa table de nuit et fit tomber le verre d'eau qui était posé là, qui explosa à ses pieds. Le vacarme qu'il causa suffit à réveiller Théo, qui ouvrit ses rideaux à la volée.
"Blaise ?" appela-t-il. "Putain !"
Drago accourut et se jeta sur le lit de Blaise au même moment que Théo. Blaise était sur le ventre. Il était déjà recouvert de sueur et son corps était parcouru de frissons incontrôlables. Il murmurait des mots que ni Drago ni Théo ne pouvaient comprendre.
"Rennervate !" lança Théo, mais sa baguette tremblait tellement entre ses doigts que rien ne se produisit. "Drago, ta baguette !"
Drago fit volte-face et courut jusqu'à sa table de nuit pour récupérer sa baguette. Évidemment, elle n'était plus là. Il avait dû la faire tomber en se levant de son lit. Il se mit aussitôt à plat ventre pour chercher par terre, le coeur tambourinant contre ses tympans :
"J'arrive !" hurlait-t-il. "J'arrive, Blaise, tiens bon, Blaise ! Où est cette PUTAIN de BAGUETTE ?!"
Il la retrouva sous sa couverture qu'il avait fait tomber dans sa hâte et se précipita de nouveau vers le lit de Blaise, prêt à jeter l'incantation, mais le sort mourut sur sa langue quand il arriva au pied du lit de Blaise : il le regardait déjà, et ses yeux n'étaient pas noirs ou dénués de vie.
"Pas la peine, Dray, je suis réveillé." dit Blaise d'une voix enrouée en se retournant pour se mettre sur le dos.
"Qu-quoi, mais… comment ?" bafouilla Drago.
Blaise passa ses longues mains sur son visage. Son front était luisant et Drago pouvait voir ses veines le long de la peau foncée de son cou. Théo était bouche-bée, la baguette toujours braquée sur lui, comme s'il doutait que Blaise était réellement réveillé.
"Je me suis habitué aux effets de la potion." expliqua Blaise. "J'en ai repris un peu ce soir en espérant que ça ferait l'affaire encore quelques jours, mais la crise a commencé quand même."
"Mais on n'a pas eu le temps de l'arrêter." contesta Théo, les sourcils froncés d'incompréhension. "Comment tu peux être réveillé ?"
"J'en sais rien, j'ai entendu Dray appeler mon nom et ça m'a sorti de ma vision." dit Blaise en jetant un coup d'œil vers Drago, qui était toujours debout devant son lit, hagard. "Je n'étais pas pleinement dedans, c'était bizarre… Comme si quelque chose me tirait en arrière."
"La potion." devina Théo. "Tu avais encore des traces de la potion de Sommeil-Sans-Rêve dans ton système, mais les effets n'ont pas été suffisants pour t'endormir complètement."
"Tu as bu le thé à la lavande ?" demanda Drago.
Blaise secoua négativement la tête.
"Pourquoi ?" questionna Théo.
"Je ne veux pas prendre ce putain de thé." murmura Blaise d'une voix ferme.
"Quoi ?" s'étonna Théo. "Mais pourquoi, si ta mère dit que ça arrête les visions ?"
"C'est justement parce que ma mère a dit ça que je n'en prends pas." dit Blaise. N'importe qui aurait eu l'air d'un enfant boudeur en disant ça, mais de sa bouche, sa phrase paraissait sage et réfléchie. "Elle veut que j'ai ces visions, elle veut que j'ouvre mon Troisième Oeil, ou je ne sais quoi. Qu'est-ce qui me dit que ça les arrête vraiment ? Peut-être que c'est juste du thé de chez Rosa Lee et que ça ne fait rien du tout, et que je vais me retrouver brûlé vivant quand même."
"Ta mère ne mentirait jamais là-dessus." dit Théo.
"Ah oui ?" répondit Blaise avec un rire jaune. "Pourtant, c'est bien ce qu'elle fait depuis ma naissance."
"Ne dis pas ça. Elle voulait simplement te protéger."
Blaise et Théo se fixaient, comme s'ils se défiaient mutuellement d'argumenter. Pour la première fois depuis le début de leur amitié, Drago se retrouva à être l'élément neutre d'une dispute entre les deux.
"Peut-être que tu as raison. Peut-être qu'elle a menti." concéda Drago précautionneusement.
"Drago, tu ne m'aides pas, là." grommela Théo.
"Mais si c'est le cas, et que le thé ne t'aide pas du tout, autant le prendre, non ?" continua-t-il. "Dans le pire scénario, tu as une vision, et dans le meilleur, ta mère dit vrai et le thé fonctionne. Si tu ne prends pas le thé, et que la potion n'a plus d'effet, tu auras une vision quand même. Autant mettre toutes les chances de notre côté."
Blaise lâcha un soupir défaitiste et Drago sut qu'il avait gagné la bataille. Blaise se repassa les mains sur le visage et Drago en profita pour s'asseoir au bout de son lit.
"Où sont les boîtes que ta mère t'a donné ?" demanda Théo.
"Sous mon lit." maugréa Blaise, le visage dans ses mains.
Il en ramassa plusieurs qu'il posa sur la table de nuit et prépara une tasse qu'il remplit d'eau chaude.
"C'est vraiment une malédiction." marmonna Blaise en redressant la tête. "Je suis condamné dans tous les cas. Si je prends ce maudit thé tous le soirs et que je l'oublie malencontreusement une fois ou deux, je suis sûr que mon Troisième Oeil de merde va me faire subir une nouvelle vision aussitôt, et bien pire que les précédentes."
"Un peu comme les Obscurus." remarqua Théo en plongeant le thé dans l'eau bouillante. "Ils répriment leurs pouvoirs magiques jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus les contenir, et ça finit toujours par exploser, malgré tous leurs efforts."
"Tous les Obscurus de l'histoire de la sorcellerie sont morts jeunes." répondit froidement Blaise.
Théo haussa les sourcils en entendant l'amertume de sa voix :
"Ok… désolé." dit-il. "Tiens, ton thé."
Blaise était le plus gros dormeur des trois, largement. Il disait souvent qu'il avait un sommeil de plomb et que rien ne pouvait le déranger pendant qu'il dormait, mais si quelque chose venait à le réveiller tout de même, il devenait alors extrêmement grognon. Drago et Théo le savaient trop bien : si Blaise se réveillait plus tôt que son heure habituelle, ils devaient l'éviter toute la journée. Ce n'était donc pas une attitude inhabituelle, d'autant plus que le réveil en question avait été l'image de lui en train de brûler vivant, c'était donc tout à fait justifié qu'il soit aussi irrité.
Théo s'assit sur son lit et observa Blaise siroter son thé, aussi écoeuré que s'il était en train de boire du jus de chaussette.
"Peut-être que tu pourrais subir les visions petit à petit." proposa soudain Théo, après plusieurs minutes de silence.
"Comment ça ?" demanda Blaise.
"Si le thé fonctionne, tu pourrais en prendre tous les soirs, mais tu choisis des nuits où tu ne le fais pas. Tu subiras une vision de temps en temps, en sachant d'avance quand tu en auras une."
"Choisir d'aller à l'échafaud plutôt que de me faire surprendre." résuma Blaise d'un ton sinistre.
"En quelque sorte. Et tu n'auras pas besoin de la vivre très longtemps, parce que Drago et moi serons là pour te réveiller."
Les traits de Blaise se détendirent un peu en entendant sa proposition.
"Les gars, c'est très gentil de votre part, mais je ne vais pas vous demander ça…"
"Tu n'as pas besoin de le demander." coupa Drago. "On le fera quand même, que tu le veuilles ou non. En plus, comme ça, on sera préparés, parce qu'on saura que tu l'auras. C'est une excellente idée Théo !"
Le concerné hocha la tête pour le remercier.
"On devrait déterminer un jour de la semaine." décida Drago. "On a qu'à dire que tous les samedis à partir de maintenant, tu ne bois pas de thé ou de potion, et on restera à côté de toi pendant la nuit. On connaît le sort, maintenant."
"Et vous allez faire des nuits blanches tous les samedis jusqu'à la fin de votre vie ?" demanda Blaise sarcastiquement.
"Au moins pendant Poudlard. Après ça, ta mère a dit que tu serais plus en mesure de les contrôler." dit Théo, qui avait réponse à tout. "On fera des rondes avec Drago, pour que l'autre puisse dormir un peu."
Drago hocha la tête en agrément. Blaise regarda les deux successivement, à la fois stupéfait et impressionné par leur loyauté.
"Vraiment ?" demanda-t-il à voix basse. "Vous ferez ça pour moi ?"
"Bien sûr que oui, espèce d'idiot." répondit Théo en lui donnant une petite tape derrière la tête. "Tu nous prends pour qui ?"
"Mais Théo… Tes BUSES…" commença Blaise.
"On s'en fout." décréta-t-il sur le champ. Blaise et Drago poussèrent un petit cri horrifié en entendant cette réponse. "Quoi ? Je réviserai pendant la nuit."
Blaise plissa les lèvres et contempla ses deux meilleurs amis.
"Merci, les gars." dit-il, touché.
"Tais-toi, et bois ton thé." ordonna Théo.
Blaise éclata de rire.
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Pour être certains que la mère de Blaise n'avait pas menti et que le thé marchait vraiment, Drago et Théo décidèrent de rester éveillés à tour de rôle pour surveiller Blaise toute la nuit. Évidemment, lorsqu'il fut profondément endormi, aucun des deux ne se recoucha, trop préoccupé à l'idée qu'il replonge dans l'une de ses visions. Sans même se mettre d'accord, ils restèrent donc tous les deux à son chevet : Drago avait tiré le fauteuil sur lequel Théo lisait souvent et l'avait placé à côté du lit de Blaise, sa baguette posée sur l'accoudoir, prête à être dégainée au moindre symptôme. Théo, lui, s'était assis sur son propre lit, ses jambes pendant dans le vide.
Blaise était endormi depuis une bonne heure quand Drago sentit ses paupières tomber. La pièce était plongée dans l'obscurité, excepté le Lumos que la baguette de Théo projetait sur son livre.
Blaise dormait profondément, Drago pouvait apercevoir son dos monter et descendre au rythme de ses longues respirations. Son profil était un peu éclairé par la lumière de Théo, et il resta concentré dessus, redoutant le moindre signe qu'une autre vision avait commencé : un tressaillement dans ses paupières, une inspiration plus brutale, n'importe quoi, mais Blaise ne bougea pas. Drago resta donc immobile.
Il aurait aimé avoir une distraction, mais il était trop épuisé pour aller chercher un livre et, de toute façon, il peinait à garder les yeux ouverts suffisamment longtemps pour pouvoir lire la moindre ligne. Il laissa vagabonder son regard sur les alentours : la baguette noire de Blaise sur sa table de nuit, les rideaux verts, les fenêtres qui donnaient sur les profondeurs sombres du Lac Noir.
"C'est qui, Sherlock Holmes ?" demanda-t-il quand il aperçut le titre du livre de Théo.
C'était la première fois qu'il parlait depuis que Blaise s'était endormi, sa voix était un peu éraillée. Théo était tellement absorbé par sa lecture qu'il ne leva même pas les yeux pour lui répondre :
"Un détective qui résout des crimes et des enquêtes." expliqua-t-il brièvement.
"Ça doit être chiant." commenta Drago.
Théo voulut lever les yeux au ciel mais ils étaient trop rivés sur les pages pour pouvoir le faire.
"C'est juste le livre le plus célèbre de la littérature anglaise, mais oui, bien sûr, c'est chiant." répondit-il cyniquement.
Drago soupira et se repositionna dans sa chaise pour essayer de trouver une position moins confortable. Parler l'aidait à ne pas s'endormir, mais Théo était trop plongé dans son bouquin pour faire la conversation avec lui. Quelques minutes passèrent, où le brun tourna hâtivement les pages, complètement plongé dans l'histoire.
"Dis, Théo…" questionna Drago. "Pourquoi tu lis des livres moldus ?"
Sa demande eut le mérite d'intéresser Théo suffisamment pour qu'il lève enfin les yeux. Il considéra Drago longuement.
"Tu sais que c'est la première fois que tu me poses cette question depuis que Pansy et toi avez découvert que j'en lisais ?"
Drago fronça les sourcils, étonné par cette réponse.
"N'importe quoi, on t'a forcément demandé pourquoi tu faisais ça."
"Non." refuta-t-il aussitôt. "Vous m'avez demandé comment je pouvais faire ça, mais vous ne m'avez jamais demandé pourquoi je le faisais."
"Oh." dit Drago, pris de court. "Et bien, je te le demande maintenant. Avec… trois ans et demi de retard."
Théo eut l'ombre d'un sourire. Il était à moitié affalé contre son oreiller, son livre entre ses mains.
"J'aime la culture moldue." dit-il en guise d'explication.
"Ça, je sais." répondit Drago en jetant un coup d'œil à la bibliothèque personnelle de Théo de l'autre côté de la pièce, qui débordait de livres moldus en tous genres. "Mais pourquoi celle des Moldus spécifiquement ?"
Tout à coup, le visage de Théo prit une expression sombre. Il se redressa dans son lit et posa son livre sur son lit. Son regard se perdit, comme s'il était soudain happé par des souvenirs. On aurait dit qu'il avait vieilli d'un coup, comme Lupin, ses traits étaient devenus marqués et plein de tristesse. Il ne savait pas si c'était son imagination, mais Drago avait même l'impression de pouvoir distinguer ses cicatrices blanches à travers son pyjama.
Sa pause fut tellement longue que Drago crut qu'il n'allait jamais répondre. Il s'enfonça de nouveau dans son fauteuil et observa Blaise dormir.
Alors, tout à coup, dans le silence pétrifiant du dortoir, Théo déclara doucement :
"Ma mère est morte quand j'avais quatre ans."
Le souffle de Drago se coupa. C'était la première fois, en cinq ans d'amitié, que Théo faisait référence à sa mère. Il ne l'avait jamais entendu ne serait-ce que la mentionner. Il ne réagit pas pour ne pas stopper Théo sur sa lancée.
"Elle s'appelait Natasha." continua-t-il d'un air nostalgique. "Natasha Skye Nott. Elle avait dix-neuf ans quand elle a accouché de moi. Mon père en avait trente-sept."
Drago eut une petite grimace dégoûtée, mais Théo ne la vit pas. Sa tête était baissée et il jouait avec un fil de son oreiller, probablement pour ne pas regarder Drago dans les yeux.
"Elle était scandinave, mais je ne sais pas de quel pays, mon père ne me l'a jamais dit. Elle a été emmenée de force en Angleterre pour l'épouser, parce qu'il devait marier une Sang-Pure et qu'elle appartenait à une lignée respectable. Ils se sont mariés dix jours après son arrivée, et elle m'a eu moins d'un an après."
Drago resta silencieux, premièrement parce qu'il ne savait pas quoi dire, et deuxièmement parce qu'il avait l'impression que Théo n'avait pas envie d'être interrompu.
"Je ne me souviens pas grand chose d'elle." dit-il avec un froncement de sourcils. "J'ai des souvenirs flous. Elle avait de longs cheveux, blonds et bouclés. Elle était douce, de sa peau jusqu'à sa voix. Je me souviens qu'elle me chantait des berceuses pour m'endormir, sur les lyres et les licornes. Elle était… toujours gentille avec moi."
Théo renifla, sûrement pour retenir ses larmes. Drago ne l'aurait jamais admis à voix haute, mais il avait lui-même du mal à réfréner sa propre envie de pleurer.
"Une nuit, peu de temps après mon anniversaire, j'ai aperçu mon père par la fenêtre de ma chambre." poursuivit Théo d'une voix lointaine et éteinte qui ne lui ressemblait pas du tout. "Il était dans le jardin, et il pointait sa baguette sur la terre pour la faire léviter. Je me rappelle que j'avais trouvé ça bizarre. Le lendemain, il m'a annoncé qu'elle était morte. D'un coup, comme ça. Quand je lui ai demandé comment, il m'a raconté qu'elle s'était faite agressée par des hommes sauvages pendant la nuit et qu'il n'avait rien pu faire pour la protéger. Des Moldus."
Drago avait compris que Théo avait eu une enfance difficile, bien pire que Pansy et lui-même, mais il n'aurait jamais pu imaginer que ça puisse être aussi terrible. Entendre que sa mère était morte si abruptement avait dû être traumatisant.
"Il ne m'a rien dit de plus que ça, et je l'ai cru, pendant longtemps. Mon père disait toujours que les Moldus étaient sauvages, instables, dangereux. Qu'ils nous enviaient tellement notre magie qu'ils avaient fait ça pour se venger. Ils me terrifiaient. La nuit, j'essayais de rester éveillé le plus longtemps possible parce que j'avais peur que l'un d'entre eux m'attaque, moi aussi. Mais… quelque chose me tracassait. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi des Moldus pourraient avoir envie de tuer quelqu'un au beau milieu de la nuit, surtout une sorcière aussi insignifiante. Elle parlait à peine anglais, et personne d'autre ne la connaissait, mon père ne la laissait pas quitter la maison sans sa surveillance. Et surtout, pourquoi mon père, qui était supposément un sorcier très puissant, n'avait pas été capable de protéger sa femme de Moldus, s'ils étaient aussi démunis ?"
Drago était abasourdi qu'un enfant puisse être capable d'en arriver à ces conclusions. Il aurait aveuglément cru son père sans se poser plus de questions si Lucius lui avait livré un mensonge pareil. Mais c'était Théo. Nott Sr. ne connaissait manifestement pas suffisamment son fils pour savoir qu'il était bien trop curieux pour se laisser berner de la sorte.
"Pendant plusieurs années, j'ai oscillé entre les hypothèses." raconta Théo. "Je ne comprenais pas comment on pouvait vivre en harmonie avec les Moldus s'ils étaient aussi sauvages que mon père le prétendait. Pourquoi des sorciers se seraient-ils embêtés à vivre en paix avec les Moldus, jusqu'à même se cacher d'eux, alors qu'ils auraient pu les anéantir en un coup de baguette ?"
Il posa sa main inconsciemment sur la couverture de son roman posé sur son lit.
"Donc, j'ai fait des recherches." expliqua-t-il, la même phrase qu'Hermione lui disait quand elle ne comprenait pas quelque chose. "Je me suis intéressé à la culture moldue pour essayer de comprendre leur nature, leur manière de penser. J'essayais de comprendre la raison : qu'est-ce qui aurait pu pousser un Moldu à tuer ma mère ? Comment avaient-ils pu voir mon Manoir, pourtant supposément dissimulé pour eux ? Je négociais avec les elfes de maison quand mon père s'absentait, je leur proposais de faire des tâches ménagères à leur place s'ils me rapportaient des livres moldus, puis je les cachais dans ma chambre. J'ai lu tous les bouquins sur leur médecine, et aucun ne parlait de leur sauvagerie, au contraire, je les trouvais même bien mieux élevés que mon père."
Drago eut un petit rire et Théo leva les yeux vers lui pour la première fois depuis le début de son récit avec un sourire.
"J'ai très vite compris que mon père m'avait menti. Je savais que c'était un sorcier adepte de magie noire, et que je ne voulais pas partager les mêmes points de vue haineux. Je l'entendais cracher sur les Moldus mais je réalisais très vite qu'il n'avait, en fait, aucune idée de quoi il parlait."
La ressemblance avec Lucius était flagrante sur ce point. Ça lui rappelait quand Granger lui avait demandé dans la Volière, en seconde année, "Est-ce que tu as déjà vu des Moldus, au fait ?"
Drago avait été secoué par sa demande, parce que ce n'était qu'à ce moment-là qu'il avait réalisé que, non, il n'en avait en fait jamais vu de près.
"En arrivant à Poudlard, j'ai laissé la question de la mort de ma mère en suspens, et je me suis trouvé une véritable passion pour la littérature moldue." continua Théo. "J'aime beaucoup les romans sorciers, mais aucun n'est aussi prenant que les moldus. Je me suis plongé dedans, sans craindre des représailles si mon père voyait ma collection, parce qu'il n'avait plus accès à moi."
Drago eut l'image du Théo de onze ans, qui dévorait des livres aux couvertures étranges dans le même fauteuil qu'il occupait.
"Mais au fil de l'année, j'ai eu ces sortes de… flashs, dans ma tête." dit Théo, le nez froncé. "Comme des souvenirs éparpillés, des images qui apparaissaient devant mes yeux d'un coup et disparaissaient tout aussi vite."
Drago se pencha pour ne pas perdre une miette de son histoire.
"J'en ai parlé à Blaise, qui m'a dit que c'était sûrement un syndrome post-traumatique après ce que j'avais dû subir dans mon enfance, mais je sentais que c'était quelque chose de… magique. Alors, en deuxième année, quand les flashs ont commencé à me gêner pendant les cours, je suis allé voir Dumbledore pour lui demander ce qui pouvait bien causer ce genre de phénomène." La mâchoire de Théo se crispa. "Il m'a répondu de boire un grand verre de lait chaud et de mieux dormir la nuit."
Drago crispa ses poings contre l'accoudoir.
"Je ne lui ai plus jamais demandé de l'aide." asséna Théo d'un ton plein de rancœur. "J'ai laissé ça traîner sans savoir quoi faire pour les faire s'arrêter. Je voyais mon père, ma mère, j'entendais un cri, un flash de lumière, mais ça n'avait pas de sens, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Ce n'est que l'été avant la troisième année que j'ai enfin compris."
Drago eut un spasme involontaire en se souvenant de ce qu'il s'était passé cet été-là. Il pouvait presque sentir l'odeur des cendres et du sang lorsqu'il était tombé dans l'antre de la cheminée de Blaise.
"J'étais assis à la table où mon professeur de latin faisait cours, dans le grand salon." expliqua Théo. "Je n'écoutais pas vraiment, parce que ça ne m'intéressait pas, je préférais admirer les tableaux de la pièce, le sol en marbre… Quand soudain, mon regard s'est arrêté sur l'une des plaques par terre, juste à côté de la cheminée, et ça m'a frappé."
Drago ne respirait plus, trop happé par son récit pour le faire. Il pouvait voir la douleur passer sur le visage de Théo à mesure qu'il parlait.
"Je me suis souvenu." dit Théo, et Drago ne savait pas s'il avait l'air plus soulagé ou horrifié par ça. "J'ai été frappé par le souvenir reconstitué que je ne voyais qu'en flashs depuis l'année précédente. J'avais quatre ans. Je n'arrivais pas à dormir, je crois que j'avais faim, alors j'ai décidé qu'au lieu d'appeler un elfe de maison, j'allais descendre aux cuisines moi-même. J'ai descendu les marches du grand escalier, et j'ai entendu mon père qui criait. Je ne me souviens plus exactement ce qu'il disait, mais il était furieux. J'ai hésité à remonter, mais j'ai entendu la voix de ma mère, comme étouffée par les larmes, alors je me suis approché de la porte entrouverte pour vérifier qu'elle allait bien. J'ai passé ma tête entre les portes du grand salon, et j'ai vu…" Les traits de Théo se contractèrent un peu lorsqu'il se souvint de ce moment. "Ma mère, au centre de la pièce, le visage strié de larmes, et mon père, dos à elle, la tête penchée vers la cheminée. Ma mère le suppliait en pleurant. De quoi, je n'en ai aucune idée. Mon père tremblait de fureur. Elle le suppliait, encore et encore, et tout à coup, il s'est retourné, un flash de lumière verte a explosé dans la pièce, et le corps de ma mère est tombé en arrière."
Une onde de choc traversa le corps de Drago de la tête aux pieds. Des grosses larmes roulaient sur les joues de Théo et s'écrasaient sur la couverture de son livre, mais il était trop porté par son histoire pour les essuyer.
"Son corps était caché par la causeuse, mais je pouvais voir ses jambes. Elle ne bougeait plus. J'ai dû lâcher un cri de terreur, ou il m'a vu, je n'en sais rien, mais mon père m'a trouvé et s'est approché de moi. Même à quatre ans, je savais qu'il était ivre. Il avait les yeux tout bouffis et il puait l'alcool. Je me souviens à quel point j'étais terrifié de subir le même sort. Il m'a dit que j'allais devoir oublier tout ça, il a pointé sa baguette sur moi, et il a murmuré une incantation. J'ai cru qu'il allait lancer le même sortilège qu'il venait de lancer à ma maman, parce qu'il était vert aussi, mais ce n'était pas ça, c'était…"
"Un Sortilège d'Amnésie." termina Drago, les pièces du puzzle se reconstituant enfin dans sa tête. "Oubliettes."
"Exactement." répondit Théo. Ses yeux étaient brillants de larmes. "Il a cru que j'allais oublier cette scène à jamais, mais je pense qu'il était trop ivre pour le lancer correctement. Le souvenir n'a pas complètement disparu de ma mémoire. À partir du moment où j'ai développé ma magie, mon cerveau a rejeté la barrière mentale qu'il avait mal dressée, et je me suis rappelé de ce qu'il avait fait."
Les pommettes de Théo devinrent un peu roses et il baissa de nouveau la tête sur ses couvertures :
"Ce soir-là, quand je suis arrivé par la cheminée de Blaise… je vous ai menti. Je vous ai dit que mon père m'avait convoqué dans son bureau pour me demander si j'avais avancé dans mes leçons, mais ce n'est pas ce qu'il s'est passé. J'étais tellement furieux… c'est moi qui suis allé dans son bureau, et je lui ai demandé s'il avait tué ma mère."
Le cœur de Drago loupa un battement et il s'accrocha davantage sur le fauteuil.
"Il a nié." cracha Théo. "Ça m'a rendu tellement furieux que je lui ai balancé tout ce que j'avais vu. Il n'en revenait pas, il était persuadé que son sortilège d'Amnésie avait tenu. J'ai dit que j'allais le dénoncer au Magenmagot, et il a pris sa baguette pour me punir. J'ai essayé de me défendre, mais je n'étais rien contre mon père, avec deux ans de pratique à Poudlard. Après… tu connais la suite. Je me suis enfui par la cheminée et j'ai atterri chez Blaise, et je ne lui ai plus jamais reparlé."
Drago relâcha l'expiration qui était comprimée dans ses poumons. Effectivement, il s'en souvenait à la perfection, chaque détail était imprimé dans son esprit au fer blanc. Il encaissa la quantité d'informations magistrales que Théo venait de lui donner. Il essaya d'imaginer un Théo de quatre ans, avec ses bouclettes couleur châtaigne bien peignées, le visage parfait de l'innocence. La pensée que ce garçon puisse avoir vécu toutes ces horreurs lui donna la nausée.
Théo attendait sa réponse, un peu craintif, comme s'il redoutait sa réaction. Ses joues étaient ruisselantes de larmes et ses doigts tremblaient. Drago ne savait pas quoi dire. Par où commencer. Il n'arrivait pas à mesurer et exprimer à haute voix l'abomination qu'il venait d'entendre. Alors, à la place, il dit la première chose qui lui vint en tête :
"T'es putain de courageux, Théo."
Le concerné haussa mollement les épaules et utilisa la manche de son pyjama pour éponger ses larmes.
"Tu l'es." insista Drago avec ferveur. "T'es putain de courageux. J'aurais été incapable de faire un tiers de tout ce que tu as fait."
"Je n'ai rien fait, je n'ai même pas pu la défendre." marmonna Théo d'une voix penaude.
"Tu avais quatre ans." trancha Drago brutalement. "Tu n'aurais rien pu faire. C'est ton connard de père le coupable, il mériterait de pourrir derrière les barreaux d'Azkaban."
Théo hocha la tête en agrément.
"Tu n'as rien à voir avec cet homme." poursuivit Drago, porté par ses émotions, et pour une fois, il s'en fichait pas mal que sa voix tremblait. "Tu m'entends ? Rien. Il a voulu rejeter ça sur les Moldus pour que tu les haïsses, mais tu ne t'es pas laissé manipuler comme n'importe qui l'aurait fait, et moi le premier."
Théo voulut objecter, mais Drago ne lui laissa pas le choix et continua avec force :
"Ta maman a eu une vie courte, mais elle t'a aimé, Théo. Et tu en portes les traces, encore aujourd'hui. Tu n'as rien pris de ton père, tu as tout pris de ta mère, sa douceur, sa gentillesse, sa pureté. Comment Merlin t'as pu te retrouver dans cette Maison, ça me dépasse."
Un sourire vint éclaircir les traits du brun :
"Ne le dis à personne, mais j'ai… un peu demandé au Choixpeau de me mettre là."
Le Drago de onze ans aurait été outré par cet aveu, mais l'actuel ne fut pas surpris.
"Pourquoi ?" demanda-t-il.
Les yeux de Théo étaient brillants quand il répondit :
"Pour être avec vous."
Le cœur de Drago se serra. Ils échangèrent un sourire. Il aurait aimé se lever pour l'étreindre, mais il était figé. Figé d'horreur par son récit. Théo renifla une dernière fois, puis reprit son livre et fit comme s'il ne venait pas de confier la partie la plus sombre de son existence.
Drago détourna le regard et le posa sur le lit de Blaise. Il était allongé sur le côté, dos au lit de Théo, le visage à peine éclairé par la faible lumière de la pièce. Il était réveillé. Théo n'avait pas remarqué qu'il avait ouvert les yeux, qu'il avait entendu leur conversation.
Une unique larme coulait sur sa joue.
C'était la première fois que Drago voyait Blaise pleurer de sa vie.
.
.
Le lendemain, au petit-déjeuner, Blaise, Théo et Drago racontèrent à Pansy ce qu'il s'était passé la veille, en taisant bien sûr le récit de Théo.
"Et donc ? Est-ce que le thé a marché, au final ?" demanda Pansy d'un ton inquisiteur.
Blaise eut un petit soupir exaspéré, comme s'il craignait qu'elle ne pose cette question.
"Oui." finit-il par admettre, avec réticence. "Mais qu'est-ce qui me prouve qu'il marche vraiment ? Peut-être que mon Troisième Oeil était juste fermé cette nuit."
Drago entendit Théo s'esclaffer discrètement dans ses céréales en entendant cette phrase. Blaise aussi visiblement, parce qu'il lui frappa l'arrière de la tête, la faisant valdinguer dans son bol. Quand il se redressa, il était aspergé de petites gouttes de lait.
"C'est possible." dit Pansy, qui devait être habituée à ce genre de spectacle, parce qu'elle les ignora somptueusement. "Mais le seul moyen d'en être sûr, c'est de continuer à le boire tous les soirs."
"Sauf les samedis." rappela Drago.
"Hmm. C'est tout de même étrange qu'il n'y ait pas d'autres moyens de fermer le Troisième Oeil, se rendre imperméable aux visions… je vais regarder dans mon manuel de Divination une nouvelle fois pour être sûre de ne pas avoir laissé passer quelque chose."
"Mais on a épluché ce manuel de long en large depuis Noël !" se lamenta Théo. "Et j'ai lu tous les livres liés à la Divination que tu m'as passé, aucun ne parle de ça !"
Pansy resta songeuse, caressant distraitement le pelage d'Eris qui était en boule sur ses genoux. Soudain, son visage s'illumina :
"Je sais ce qu'on peut faire !"
"Quoi ?" demanda Blaise, plein d'espoir.
"On devrait aller demander conseil à Professeure Trelawney !"
L'expression de Blaise s'affaissa aussitôt.
"Ah." répondit-il, franchement déçu.
"Je suis sûre qu'elle saura t'aider." dit Pansy, qui trépignait déjà sur le banc à cette idée. "On ne peut pas vraiment la voir aujourd'hui, parce qu'elle reste enfermée dans sa tour les week-ends, mais demain, on a qu'à aller la voir après le cours de Divination !"
Drago jeta un regard en biais à Blaise, qui n'avait pas vraiment l'air enchanté par cette perspective.
"Je viendrai aussi." annonça-t-il impulsivement. "J'ai envie de savoir ce que cette vieille chouette peut nous raconter."
Il esquiva la serviette que lui lança Pansy à la dernière seconde. En réalité, il s'était proposé pour accompagner Blaise, pas vraiment parce qu'il était intéressé, mais il ne pouvait pas vraiment le dire à voix haute au risque d'énerver Pansy. Blaise lui fit un petit sourire de gratitude.
"Moi aussi." ajouta Théo.
"Hors de question." asséna fermement Pansy.
"Quoi ? Mais pourquoi ?" demanda-t-il, outré par son refus.
"Parce que je te connais, Théodore Nott." répliqua-t-elle sèchement.
Plus que jamais, ce nom inspira à Drago un profond dégoût après avoir écouté l'histoire de Théo et de son père. Il se promit intérieurement de ne plus jamais l'appeler comme ça, même pour l'énerver.
"Tu vas te moquer d'elle et de la Divination."
"Promis juré, je ne dirai rien." répliqua-t-il en mettant ses mains en évidence pour prouver qu'il ne croisait pas les doigts. "Je serai un petit ange silencieux et je laisserai ta précieuse Divination tranquille."
Pansy le fusilla du regard, mais ne protesta plus, ce qui signifiait sûrement qu'elle le laissait venir.
Le courrier arriva à ce moment-là. Ébène ne se montra pas, mais Blaise reçut sa Gazette quotidienne. Il l'ouvrit et lut quelques articles, mais rien ne devait l'intéresser ce jour-là, parce qu'il reposa le journal bien vite et retourna à sa dégustation d'œufs au plat. Pansy prit le journal et l'ouvrit à la dernière page. Elle lâcha alors un cri perçant qui fit sursauter l'intégralité des élèves de la Grande Salle :
"Oh, Merlin, Merlin, Merlin !" hurla-t-elle. "Je n'en reviens pas !"
"Quoi ?!" demanda Blaise, une main sur le cœur.
"C'EST ELLE !" s'écria Pansy, sans même réaliser que toute la table des Serpentards l'observait avec des airs assassins. "Rita Skeeter, elle est revenue ! Ce sont ses horoscopes ! Oh, merlin Merlin, merci d'avoir écouté mes prières !"
Eris s'était levé d'un bond et regardait tout autour de lui pour trouver la personne qui avait osé attaquer sa maîtresse, mais quand il ne trouva personne, il se remit en boule et posa son museau sur le poignet de Pansy qui lisait la page à toute vitesse :
"Enfin un horoscope correct ! Plus de Célestia Valpan ! Enfin !"
"Qu'est-ce qu'elle dit aujourd'hui ?" demanda Drago.
Pansy passa ses mains sur la page comme pour la déplier, toussota, et lut d'une voix majestueuse :
"Scorpions : Votre journée aux abords tranquilles va finalement vous surprendre, quelqu'un que vous n'avez pas vu depuis longtemps va refaire apparition dans votre vie, pour votre plus grand plaisir. Santé : Un léger mal de tête vous empêchera de profiter pleinement de votre soirée. Amour : Célibataires, n'hésitez pas à faire un pas en avant vers la personne qui détient votre coeur, vous pourrez être surpris. En couple, avez-vous vérifié ses hiboux dernièrement ? Votre partenaire pourrait cacher quelque chose…"
Drago eut un petit rire. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu Pansy lire un horoscope avec tant d'enthousiasme. Elle passa ensuite aux Gémeaux pour Drago, et l'informa qu'il n'allait pas aimer son repas du soir et qu'il devait faire attention à couvrir ses oreilles s'il sortait aujourd'hui, et termina par les Vierges :
"Vierge : Ne laissez pas votre travail vous aveugler plus-que-nécessaire, vous aurez largement le temps de tout boucler avant la fin de la semaine."
Pansy lança un regard appuyé en direction de Théo.
"Santé : Petite mine ce matin, avez-vous bien dormi ? Amour : Célibataires, il est temps de vous réveiller ! En couple, vous êtes dans les nuages, gare à la chute.
Et si vous avez des cheveux bouclés et que votre nom de famille commence par un G, nous verrons si vos paris fous auront le succès que vous espérez."
Pansy fronça les sourcils et relut plusieurs fois le paragraphe.
"C'est étrange, cette dernière phrase, vous ne trouvez pas ?" demanda-t-elle sans quitter le journal des yeux. "Ce n'est pas son style d'écriture."
Elle n'attendit pas de réponse et passa à l'horoscope des Sagittaires pour Daphné. De l'autre côté de la Grande Salle, Drago vit que Granger était cramoisie. Potter, à côté d'elle, lui montrait la Gazette à la même page que Pansy était en train de lire. Elle haussa vaguement les épaules et Potter lâcha l'affaire.
Drago intercepta alors un regard complice entre Théo et Hermione, et il se demanda, encore une fois, ce que ces deux-là avaient bien pu manigancer.
.
"Imagine la Bibliothèque. Tu es assise à la table ronde, tu lis un paragraphe de ton manuel de Métamorphose. Il fait presque nuit, et tu as un thé à la cannelle à côté de toi. Tu arrives à sentir la cannelle ?"
"Hmm." répondit faiblement Granger.
"Bien. Pense à cet endroit, fort, ne pense à rien d'autre que ça. Tu peux le faire ?"
Elle hocha la tête.
"Maintenant, je veux que tu inspires et que tu expires profondément. Suis moi, d'accord ? Un, deux, trois, expiration. Un, deux, trois, inspiration."
Il vit sa cage thoracique monter et descendre en même temps que ses instructions.
"Comment tu te sens ?" demanda Drago.
"Parfaitement stupide."
Elle ouvrit les yeux et toute la préparation mentale que Drago venait de mettre lentement en place s'écroula lamentablement. Il soupira et se repositionna contre le dossier du banc. Il faisait tellement froid ce soir-là de Février que même leurs protections magiques combinées n'empêchaient pas complètement le vent de s'immiscer à travers. Les doigts de Drago étaient glacés.
"Je suis désolée, je n'y arrive pas !" piailla Hermione, agacée. "Ce n'est pas faute d'essayer !"
"Il suffit juste de vider ta tête." fit-il remarquer.
"Facile à dire." répliqua-t-elle. "Je ne sais pas pour toi, mais la mienne est remplie !"
Drago oublia sa mauvaise humeur quand il entendit ce commentaire et éclata de rire. Contre toute attente, elle le suivit.
"Désolée, je suis tendue." murmura-t-elle une fois calmée. "L'Occlumancie m'angoisse un peu."
"Je comprends, j'étais pareil au début." dit Drago pour la rassurer. "Tu sais ce qu'on pourrait faire ? Tu pourrais essayer de visualiser tes pensées, et les enlever de ta tête, comme si tu les mettais dans une Pensine."
"Je ne sais pas comment faire ça." répondit-elle.
"Moi non plus, mais on peut essayer. Pense à un souvenir, n'importe quoi."
Elle ferma les yeux et prit quelques secondes pour réfléchir.
"Une fois que tu l'as, pose ta baguette sur ta tempe et tire la pensée."
Granger fronça les sourcils. Elle resta impassible quelque temps, puis, d'un geste lent et consciencieux, elle leva sa baguette, la posa sur sa tempe, et la tourna légèrement sur elle-même. Un éclat de lumière traversa alors sa peau et vint s'enrouler autour du bois. C'était la même texture qu'un Patronus, comme un filament argenté et vaporeux. Hermione et Drago le contemplèrent en admiration. Etant donné qu'il n'y avait de Pensine pour le stocker, la pensée finit par se diluer toute seule et s'évapora dans la nuit.
"Wow." lâcha Drago.
"C'était magnifique." dit-elle en regardant sa baguette comme si la pensée y était toujours accrochée. "Harry m'avait raconté quand Dumbledore avait fait ça, mais je n'avais pas imaginé ça comme ça du tout."
"Est-ce que ça t'aide à visualiser ton esprit ?" demanda Drago.
"Pas vraiment." confia Granger avec une pointe de déception dans sa voix. "Comment tu fais, toi ?"
"J'imagine toutes mes pensées et je les enferme dans des livres dans ma bibliothèque mentale." expliqua-t-il. "Personne d'autre que moi ne peut entrer. Je la ferme et je la cache lorsque Rogue s'introduit dans ma tête."
Il se rendit compte en le disant qu'il avait l'air d'un fou. Il se tut, embarrassé, mais Granger le regardait avec cette curiosité dévorante qui illuminait tout son visage :
"Ça doit être incroyable." souffla-t-elle, admirative. "J'aimerais tellement voir ça."
"Tu peux le voir, en fait." réalisa Drago. "Tu n'as qu'à entrer dans ma tête."
Hermione fut clairement surprise par cette invitation spontanée. Elle le regarda avec un air d'incrédulité mélangé à cette curiosité qui donnait envie à Drago de déverser tous ses secrets.
"Je peux faire ça ?" questionna-t-elle.
"Tu n'as pas besoin d'Occlumancie pour pratiquer la Légilimancie." expliqua-t-il. "Elles sont utilisées pour la même chose, mais elles sont propres à elles-mêmes."
Mais Granger secoua la tête :
"Non, je ne te demandais pas ça par rapport à l'Occlumancie… Tu accepterais de faire ça ? Me faire entrer dans ta tête ? C'est… plutôt intime, non ?"
Ses joues étaient un peu rouges et Drago ébaucha un sourire sans le vouloir.
"Hermione, les trois quarts des bouquins dans ma tête contiennent des souvenirs de toi. J'ai commencé l'Occlumancie pour te protéger, et tous les soirs depuis, j'enferme des moments que j'ai passé avec toi pour les garder et les consulter, encore et encore. Si tu n'as pas le droit d'entrer dans ma tête, qui le pourrait ?"
Les joues de Granger s'enflammèrent davantage. Drago décréta, à cet instant, que le fait qu'elle rougissait quand elle était gênée était la chose la plus mignonne chez elle.
"Et bien, c'est…" commença-t-elle avec hésitation. "C'est très… gentil. Si je réussissais à trier mes pensées, je t'inviterai volontiers aussi."
Drago eut un petit rire :
"Entrer dans le cerveau d'Hermione Granger, le rêve de tout élève de Poudlard." dit-il pour la faire rougir encore plus. "Je trouve que la Légilimancie est plus difficile que l'Occlumancie, mais ça ne sera peut-être pas ton cas. Tu dois me fixer dans les yeux et lancer Legilimens. Une fois que tu auras fait ça, tu seras projetée à l'intérieur de ma tête."
La main de Granger se crispa contre sa baguette :
"Mon Dieu, je ne m'habituerai jamais à la magie." lâcha-t-elle. Elle pointa sa baguette avec hésitation vers lui. "Euh… tu es prêt ?"
Drago hocha la tête avec un sourire. Rogue ne lui demandait jamais s'il était prêt avant d'entrer de force dans sa tête.
Granger plongea alors son regard chocolat dans le sien et, sans ciller, elle lança clairement :
"Legilimens !"
Drago avait subi des centaines d'intrusions de la part de Rogue depuis qu'il avait commencé à expérimenter l'Occlumancie. Il avait toujours comparé ça à une aiguille, sournoise et douloureuse, qui entrait dans ses tempes et le faisait grimacer d'horreur. Sa présence dans sa tête était désagréable, pesante, comme une ombre qui se promène, un insecte venimeux qui se nourrissait de ses pensées. Drago n'avait connu que les intrusions mentales de Rogue. Depuis l'année précédente, il rêvait souvent de celles du Seigneur des Ténèbres, les imaginant plus violentes et agressives encore.
Il ne savait pas qu'il y avait une autre manière d'entrer dans son esprit.
Avant que Granger ne le fasse.
Là où l'aiguille de Rogue l'irritait douloureusement et que sa présence emplissait son cerveau comme un seau d'eau glacé, Granger entra dans sa tête… doucement. Avec précaution, comme si elle craignait de lui faire mal au moindre mouvement. Elle n'avait rien de l'aiguille, elle était plutôt comme une boule de chaleur, tiède et lumineuse. Elle illumina l'esprit de Drago, tout comme lorsqu'elle entrait dans la Bibliothèque, ou qu'elle venait le rejoindre sur le banc. Sa présence était familière, tellement que Drago se demanda si elle n'avait pas toujours appartenu là. Après tout, Drago avait plié son cerveau pour elle, peut-être qu'il pouvait reconnaître la raison tout seul.
Il s'attendait à ce que son corps réagisse de lui-même, qu'il se braque par automatisme, qu'il tente de la rejeter comme il s'était entraîné à contrer Rogue, mais ce fut le contraire. Il fut irradié par sa magie, chaude et réconfortante, et la laissa entrer dans la moindre protestation.
Elle avança vers la porte de sa bibliothèque mentale. Il ne savait pas si elle le faisait lentement parce qu'elle peinait à la Légilimancie ou si elle ne voulait pas le brusquer. Connaissant Granger, il penchait plutôt vers la deuxième option. Lorsqu'elle arriva devant les portes, Drago les déverrouilla mentalement, et Granger entra.
"Oh." dit la voix d'Hermione dans sa tête.
Des étagères immenses s'étalaient devant eux, remplies de livres de toutes les couleurs. Chacun d'entre eux avait un titre sur la tranche qui se rapportait à un souvenir en particulier. Granger s'approcha et effleura quelques-uns, sans les prendre. Elle posa sa main sur la petite réplique de la table qu'ils partageaient tous les soirs. Il y avait un thé à la cannelle oublié posé au centre, et Drago crut l'entendre rire en la voyant.
Elle resta longtemps devant l'étagère la plus massive de toutes, qui croulait sous tous les volumes : la sienne. Elle lut chaque titre avec la même curiosité que lorsqu'elle découvrait un nouveau sort, ou une leçon en classe. Elle prit celui qu'il avait nommé "Hampstead Park" et l'ouvrit, dévorant chaque souvenir comme si elle les voyait pour la première fois.
Puis, sans prévenir, Granger disparut, comme une bulle de savon qui éclate. La bibliothèque mentale de Drago perdit tout de suite sa chaleur.
La seconde d'après, ils étaient revenus sur le banc, au milieu des vents glacés. Quand Drago ouvrit les yeux, il était empli d'un sentiment de fierté à l'idée qu'elle ait vu cet endroit de lui, le plus secret de tous, mais ce sentiment s'éclipsa bien vite quand il aperçut Granger : elle était penchée en avant, les mains sur les côtes. Sa baguette était tombée par terre.
"Hermione ?" appela Drago en se penchant vers elle.
"Tout va bien." dit-elle avec une grimace, et il sut qu'elle mentait sur le champ.
"Non, ça ne va pas." dit-il abruptement. "C'est la Légilimancie, tu as utilisé trop de magie."
Elle hocha timidement la tête :
"C'est la première fois que ça m'arrive." confia-t-elle.
Drago la connaissait suffisamment pour reconnaître une certaine déception dans sa voix, comme si elle doutait de ses capacités, alors qu'elle venait de produire un niveau de magie que la plupart des professeurs de Poudlard n'arriverait même pas à faire.
"Je t'emmène à l'infirmerie." décréta Drago en se levant à moitié.
"Non !" s'écria Hermione en lui attrapant le bas de son pull pour le retenir. "Non, ça va, je dois juste reprendre mon souffle."
Elle pencha la tête en arrière, faisant dégringoler une cascade de boucles brunes sur ses épaules, et Drago contempla la peau de son cou s'étirer à chaque inspiration difficile. Sa main était accrochée à son pull, comme pour le retenir.
"Je n'aurais jamais dû te proposer de faire ça, c'était stupide…" commença-t-il, le coeur tambourinant douloureusement contre ses côtes comme s'il manquait de souffle, lui aussi.
Granger baissa suffisamment la tête pour le fixer :
"Ne dis pas ça. Je ne regrette pas du tout d'être entré dans ta tête, je n'ai simplement pas mesuré la quantité de magie que j'ai utilisé."
Elle lui fit un sourire pour le rassurer, mais il était trop occupé à analyser les veines violettes qui ressortaient sur la peau fine de son poignet.
"Je n'imagine pas tout le travail que tu as dû faire pour créer ça." continua-t-elle dans un souffle.
"Il y a des souvenirs de Blaise, Pansy et Théo, mais je n'aurais jamais trié quoique ce soit si ce n'était pas pour toi." confessa Drago.
"Merci." dit Granger, des larmes d'émotion perlant aux coins de ses yeux.
"Tu n'as pas besoin de me remercier. Je fais ça pour te protéger." dit Drago avec assurance.
Cette phrase aurait suscité une réplique acerbe de sa part à n'importe quel moment de la journée, mais le fait qu'elle ne réponde pas prouvait qu'elle avait toujours mal. Drago dégagea une mèche de cheveux qui était devant ses yeux et elle posa sa joue contre sa paume. Elle était brûlante.
"Je suis épuisée." chuchota Granger, comme s'il ne l'avait pas remarqué.
"Tu as pratiqué l'une des formes de magie les plus difficiles, sans entraînement, et pendant plusieurs minutes. Je n'ai jamais réussi ne serait-ce que deux pas dans l'esprit de Rogue, et toi, tu t'es promenée. Tu m'étonnes que tu es épuisée. Viens, je te ramène à ta Salle Commune."
"Pas la peine, je…"
"N'essaye pas de m'en empêcher, Granger." coupa Drago fermement en se levant du banc. "Si tu ne veux pas aller à l'infirmerie, je comprends, mais il est hors de question que je te laisse rentrer toute seule, et encore moins monter sept étages."
Il se plaça devant elle et tendit la main pour l'aider à se lever. Il la vit hésiter à la prendre, voulant sûrement lui montrer qu'elle était parfaitement capable de le faire seule, mais quand elle prit sa main et se laissa hisser, il comprit qu'elle avait capitulé. Granger luttait pour ne pas fermer les paupières et tituba un peu contre lui. Drago prit le sac d'Hermione qu'il passa sur son épaule droite et ramassa sa baguette par terre :
"Tiens. Appuie-toi sur moi."
Elle le fit sans protester, une autre preuve qu'elle était vraiment dans un état de fatigue avancé. Il passa son bras autour de sa taille pour la soutenir, et ils empruntèrent la porte dérobée qui restait toujours ouverte.
Le Château était plongé dans le silence, et toutes les torches du Hall avaient été éteintes après la fin du couvre-feu. Drago ne savait pas l'heure qu'il était, mais il espérait que Granger aurait assez de temps de sommeil pour récupérer.
"Je n'aurais jamais dû te proposer de pratiquer de la Légilimancie sur moi." répéta Drago dans la pénombre, sa voix à peine au-dessus d'un murmure pour ne pas réveiller les tableaux autour d'eux.
"Je vais bien." répliqua obstinément Granger.
"Ah oui ? Et pourquoi tu trembles, alors ?"
"J'ai froid."
"Menteuse. Tu es drainée de toute ton énergie. Je suis sûr que tu ne pourrais même pas jeter un Lumos."
Ils traversèrent le Hall et montèrent les escaliers. Granger avait du mal à lever les jambes suffisamment haut pour atteindre les marches d'au-dessus, Drago devait pratiquement la soulever pour qu'elle puisse monter.
"Je vais te porter." décida-t-il en passant une main sur le bas de son dos.
"Je peux monter toute seule !" répliqua Granger dans un chuchotement agacé.
Drago était tombé amoureux de la fille la plus têtue du pays. Il poussa un profond soupir :
"Ah oui ? Si je te lâche, tu ne vas pas t'écrouler par terre ?"
Granger observa les marches qu'il restait, sept étages, et plissa les lèvres.
"... non." dit-elle, avec un peu moins de conviction.
"Si tu continues de boiter d'ici le troisième étage, je te porte. Fin de la discussion."
Elle ouvrit la bouche pour contester mais il lui posa un doigt sur la bouche pour l'arrêter avant qu'elle ne puisse prononcer un mot :
"Et si tu ne veux pas, je te porte jusqu'à l'infirmerie. C'est clair ?"
Elle roula des yeux :
"D'accord." grommela-t-elle contre son index.
Ils continuèrent l'ascension des escaliers. Drago pensa que c'était probablement le plus lent qu'il fut pour gravir les étages de Poudlard depuis qu'il était arrivé en première année, y compris la fois où Pansy avait acheté ces talons ridicules et qu'elle s'était entraînée à monter et descendre pour prouver à Blaise et lui qu'elle était capable de marcher aisément avec. Drago l'avait comparée à un canard, et Pansy ne lui avait pas parlé pendant une semaine.
Quand ils arrivèrent au second étage, cependant, Granger était tellement essoufflée qu'elle dut s'arrêter quelques minutes. Elle s'appuya contre la rampe de l'escalier et pencha la tête en avalant des grandes goulées d'air. Ses jambes tremblaient. Drago se passa une main dans les cheveux en faisant les cent pas autour d'elle.
"Putain, Hermione, je suis désolé…"
"Ça va." mentit-elle une nouvelle fois. Est-ce qu'elle pensait vraiment qu'il allait la croire ?
"Viens." dit-il en lui montrant le couloir du deuxième étage, faiblement éclairé par quelques torches encore allumées. "Viens t'asseoir."
Elle se laissa guider. Dès qu'elle arriva dans l'angle du couloir, Hermione fit glisser son dos le long du mur et ferma les yeux. Son corps était traversé par des frissons. Drago connaissait cette sensation, il l'avait déjà ressentie plusieurs fois quand Rogue insistait trop fort lors d'une séance, c'était comme si son corps entier était composé de plomb et que le moindre pas lui coûtait un effort insoutenable.
Elle avait posé sa tête sur le mur, les yeux fermés, sous un tableau d'un homme qui dormait contre son âne. On aurait dit qu'elle dormait, excepté qu'elle avait toujours du mal à reprendre un souffle convenable. Drago fouilla dans son sac et trouva la tasse de thé qu'elle trimballait partout. Il pointa sa baguette dessus et murmura :
"Aguamenti."
Il lui tendit la tasse d'eau fraîche et Hermione ouvrit à peine les yeux. Elle engloutit la moitié en une seconde.
"Ça va mieux." dit-elle d'une petite voix éteinte. "Ça va, je peux marcher."
Il l'aida à se relever et elle ne prit même pas la peine de refuser son aide. Elle s'agrippa à lui de ses dernières forces et ils avancèrent tout doucement vers les escaliers. Si Drago n'avait pas été dans un tel état de culpabilité, il aurait pu admettre que sentir le corps d'Hermione pressé contre le sien était loin d'être désagréable, mais la peur qu'elle vacille l'empêchait d'y penser.
Ils arrivèrent en bas des marches, et Drago chercha mentalement une phrase pour proposer à Granger de la porter sans être trop abrupt, quand soudain, un faisceau de lumière apparut derrière eux. Avec un réflexe que Drago n'aurait jamais eu, même au meilleur de sa forme, Hermione le repoussa, fort, le faisant reculer sur quelques mètres.
À la même seconde, une voix horripilante retentit alors dans leur dos :
"Décret numéro vingt-trois. Tout élève surpris à marcher dans le Château après l'heure du couvre-feu se verra sanctionné de deux heures de retenue, dans le bureau de la Grande Inquisitrice."
La voix déclencha un frisson le long de la colonne vertébrale de Drago. Il eut l'impression que tout son sang tomba brutalement dans ses jambes. Il n'y avait qu'elle pour causer une réaction pareille rien qu'en parlant. Il savait qui il allait voir en se retournant, mais ça n'empêcha pas son visage de se contracter tout seul dans une grimace d'horreur lorsqu'il aperçut une petite femme au bout du couloir, habillée de rose de la tête aux pieds, avec un sourire incrusté sur son visage de crapaud. Sa baguette était atrocement courte et pointée directement sur eux, tenue par ses gros doigts boudinés et vernis d'un rose pétant.
Ombrage.
Elle s'approcha aussi vite que ses petites jambes le permettaient. Drago n'avait jamais vu une professeure afficher tant de joie à l'idée d'avoir surpris des élèves en train de manquer le règlement. Mais quand elle reconnut Granger qui se tenait maladroitement contre le mur pour ne pas tomber, ses petits yeux noirs s'illuminèrent encore plus.
"Tiens, tiens, Miss Granger." lança-t-elle avec un claquement de langue sévère contre son palais. "Qu'est-ce que vous fabriquez donc ici, au beau milieu de la nuit ?"
"Je…" bredouilla Hermione. Elle devait avoir un point de côté, parce que sa main était agrippée à sa hanche.
Ombrage s'approcha, son sourire devenant presque carnassier à chacun de ses pas. Granger plissa les yeux lorsqu'elle projeta sa lumière trop fort sur elle. Drago se retint de toutes ses forces de ne pas lui arracher des mains.
"C'était moi, Professeure." dit-il, en se plaçant entre le bout de la baguette d'Ombrage et Hermione. "C'était moi. Granger m'a surpris pendant que je me baladais dans les couloirs."
Ombrage baissa sa baguette et son visage se radoucit, du moins, aussi adouci qu'il le pouvait. C'était la première fois qu'elle posait les yeux sur lui depuis qu'elle les avait surpris, peut-être n'avait-elle même pas remarqué qu'il se tenait là.
"Voyons, Malefoy…" susurra-t-elle d'un ton doucereux.
"Ce n'était pas elle, Professeure Ombrage." continua Drago, essayant d'être le plus convaincant possible.
"Malefoy, votre sens de la loyauté m'épate, croyez-le, mais j'ai peine à imaginer que vous puissiez faire une entorse au règlement scolaire. Je sais à quel point vous êtes un élève studieux…" roucoula Ombrage.
Elle contourna Drago pour pouvoir braquer sa baguette sur Granger de nouveau :
"... ce qui n'est manifestement pas le cas de cette jeune fille." poursuivit-elle, sa voix soudain plus proche du sifflement du serpent que d'une voix humaine. "Alors ? Expliquez-vous !"
Mais Granger avait déjà du mal à tenir debout, encore moins parler. On aurait dit qu'elle était sur le point de s'évanouir.
"J'étais…" dit Granger, mais une quinte de toux l'empêcha de parler distinctement.
"Elle était en ronde de préfets, Professeure." coupa Drago. "Elle m'a surpris quand juste quand vous arriviez."
"Elle vous a menti, Malefoy." dit Ombrage, une ombre d'euphorie cruelle passant sur son visage. Ses yeux étaient rivés sur Hermione comme un animal guettant sa proie. "C'est Padgett et Shade qui sont en ronde ce soir, je les ai croisées il y a moins de vingt minutes. Miss Granger n'a rien à faire dans ce couloir, et elle mérite d'être doublement punie, non seulement pour le dépassement du couvre-feu, mais aussi pour son mensonge."
Elle abaissa sa baguette et enroula ses griffes autour du poignet de Granger, sa Granger, et Drago vit rouge. Son pouls s'emballa, et toute pensée rationnelle s'échappa. Il enfonça sa main dans la poche de son uniforme pour prendre sa baguette avec l'intention de jeter un puissant Petrificus Totalus entre les deux yeux d'Ombrage.
"Malefoy."
Drago sursauta en entendant Granger l'appeler de la sorte. Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle l'avait appelé par son nom de famille. Ça l'arrêta net. Ils échangèrent un regard, et celui de Granger était lourd d'avertissement. Elle était sur le point de tourner de l'œil mais elle ne voulait pas qu'il s'incrimine. Elle le sauvait, encore et toujours. Putain de Granger.
Ombrage ne comprit rien de ce message silencieux, elle avait dû croire qu'Hermione lui en voulait de l'avoir "dénoncée". Un nouveau sourire vilain étira ses lèvres roses :
"Merci, M. Malefoy, pour votre vigilance." dit-elle de son faux ton mielleux qui hérissait les poils de la nuque de Drago. Elle n'avait pas lâché Granger des yeux. "Vous pouvez retourner dans votre Salle Commune."
"Professeure Ombrage, il y a erreur." insista Drago d'une voix étranglée. "Granger n'a rien fait de mal…"
"Oh que si."
Elle tira Hermione en avant par le poignet et l'estomac de Drago se retourna à cette vision :
"Où… où l'emmenez-vous ?" demanda-t-il.
Ombrage marchait déjà le long du couloir, traînant derrière elle une Hermione affaiblie avec une force surprenante.
"Dans mon bureau."
"Quoi ? Maintenant ?" s'étrangla Drago.
"Et bien, oui." jubila Ombrage. "Si Miss Granger est capable de se promener dans les couloirs à une heure si tardive, j'imagine qu'elle ne s'opposera pas à rester éveillée deux heures supplémentaires ?"
En entendant ça, Granger s'agita soudain, comme si elle venait seulement de comprendre ce qui était en train de lui arriver :
"N-non !" cria-t-elle. "S'il vous plaît, pas dans votre bureau, Professeure Ombrage, s'il vous plaît…" supplia-t-elle.
Elle essaya de se débattre, mais le peu de force qui lui restait lui permettait à peine de remuer les mains. Le cœur de Drago loupa un battement en entendant la terreur résonner dans chacun de ses mots. Il savait qu'Hermione et Théo avaient la même aversion pour les retenues, mais il n'y avait pas que ça qui l'angoissait, il y avait autre chose, Drago pouvait le sentir. Il ne savait pas ce qui l'attendait dans ce bureau, mais visiblement, ça suffisait à effrayer Granger à un point auquel il avait rarement assisté.
"S'il vous plaît, je ferai autant de travail supplémentaire que vous le souhaitez, mais pas dans votre bureau, s'il vous plaît…" implora Hermione.
Elle pleurait, maintenant. Drago ne sentait plus ses mains. Elles avaient déjà atteint la moitié du couloir, il pouvait apercevoir les joues trempées d'Hermione dès qu'elles passaient à côté d'une fenêtre. Il courut pour les rattraper :
"Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que vous allez lui faire ?" demanda Drago avec horreur.
"Ce n'est plus votre problème, M. Malefoy." dit Ombrage, sans même prendre la peine de tourner la tête vers lui. "Vous pouvez retourner dans votre Salle Commune, je m'occupe de la vermine."
Une onde de choc traversa Drago en entendant le dernier mot. Il s'accrocha au mur avec l'impression de s'être pris un Stupéfix informulé.
"Pa-pardon ?" bredouilla-t-il.
"Rentrez vous reposer, M. Malefoy. Tout est sous contrôle." assura Ombrage.
Elle tira Hermione vers l'avant, qui continuait de sangloter, l'écho de ses pleurs s'enfonçant en lui comme un couteau dans sa chair.
Drago se demandait quand il allait se réveiller, parce qu'il était sûrement dans un cauchemar. Mais plus les secondes passaient, plus l'image de Granger qui s'éloignait de lui en pleurant restait imprimée sur ses prunelles. Elles se rapprochaient inexorablement du bureau d'Ombrage et Drago n'avait aucune putain d'idée de comment sortir Granger de là.
Il accourut derrière elles en deux grandes enjambées, le coeur battant à tout rompre :
"Prenez-moi !" lança-t-il désespérément. "Prenez-moi à sa place, elle n'a rien fait de mal !"
Ombrage se retourna et agita sa main avec un grand sourire, comme s'il lui faisait une farce extrêmement drôle. Il y avait une lueur sadique dans son expression qui glaça le sang de Drago.
"Personne ne sera au courant pour ce petit… arrangement, d'accord ?" proposa Ombrage.
La tête de Granger valsa sur le côté. Son corps ne tenait plus, elle était complètement amorphe, comme une poupée de chiffon, pâle comme la mort.
Drago lista les sorts qu'il pouvait lancer à Ombrage pour l'empêcher d'emporter la fille qu'il aimait dans cet endroit qui semblait lui faire si peur. La Professeure ouvrit la porte de son bureau et Drago fut pris d'une impulsion, il leva sa baguette, la pointa sur l'arrière de la tête d'Ombrage, l'incantation interdite sur le bout de la langue… Il pourrait lui effacer la mémoire après… Il pourrait se justifier auprès du Ministère plus tard… Il suffisait juste qu'il prononce le sort, qu'il délivre Granger de ce monstre… Il le pensait très fort… Doloris, Doloris, Doloris…
Mais avant qu'il n'ouvre la bouche, Ombrage referma la porte de son bureau, et Drago se retrouva seul dans le couloir, le cœur aux bords des lèvres.
