(Le maraudeur fugitif) L'explication


Le lendemain avait lieu le premier cours de potion depuis qu'Harry avait appris qu'une déclaration de son beau-père avait suffi à condamner son parrain.

Il n'était, pour la première fois peut-être, pas impatient. Loin de là.

Il faillit trébucher lorsqu'il entendit la voix du maître des potions à l'instant où il posa le pied dans la salle de classe.

« Potter, retenue. »

« Q-quoi ?! »

« Vous m'avez très bien entendu, Potter. Vous restez à la fin de ce cours. »

« Pourquoi ! Je n'ai même rien fait encore ! »

« Me contredisez-vous, Potter ? Vous resterez en retenue avec moi jusqu'à ce que vous ayez appris le respect. Dussiez-vous aller vous coucher après le couvre-feu. »

« Mais… »

« À votre place. », imposa l'homme.

Ce qui surprenait le plus les élèves dans cette étrange entrée en matière, était que le professeur n'avait même pas l'air particulièrement énervé, ni froid.

Il était au contraire plutôt calme, et ce n'était pas le calme menaçant dont il était capable de faire preuve, non, juste la neutralité imperturbable que la plupart de ses élèves considéreraient comme étant sa manière d'être de bonne humeur.

Il n'était pas particulièrement de bonne humeur, Draco pouvait le savoir, mais il n'était certainement pas de mauvaise humeur.

Pendant tout le cours, le maître des potions resta calme et sembla attacher un intérêt tout particulier à ignorer Potter.

Harry, de son côté, se contentait pour la plupart du temps de fusiller le professeur de son regard le plus noir — celui que Neville considérait avait été appris en imitant Severus — ou de s'efforcer de détourner la tête si l'homme était orienté vers eux.

Harry interrompait la leçon aussi souvent qu'il le put, coupant avec humeur le discours de l'enseignant.

Severus ne le releva pas, sauf pour signifier que Gryffondor perdait 5 points supplémentaires sur le ton qu'il employait pour poursuivre sa classe avec calme, imperturbable.

Harry était d'autant plus énervé par l'étrange agissement du professeur qui s'efforçait justement de rendre son cours le plus normal possible.

L'adolescent décida qu'il voulait échouer l'aspect pratique de la leçon. Aidé par le stress très élevé que son attitude et celle de son beau-père provoquait aujourd'hui sur son meilleur ami, le garçon entreprit de bâcler la tâche.

Rien n'attirait la colère de Severus.

En désespoir de cause pour énerver le maître, Harry tenta exprès d'ajouter tout ce qui lui passait sous la main dans le chaudron, sans même prendre la peine de lire la recette.

Neville appela à l'aide à l'instant où ses yeux s'écarquillèrent en voyant son ami plonger par poignée des ingrédients aléatoires.

Sans même prendre la peine de se retourner vers eux, Severus fit s'évaporer leur chaudron par un petit mouvement de baguette.

Il leur imposa un zéro, et ne leur donna nulle autre consigne pour s'occuper jusqu'à la fin du cours. Heureusement, cette fin n'était pas si éloignée.

Pendant toute la leçon, Lily était restée assise sur la chaise installée pour elle dans le coin de l'avant de la salle, et lisait, sans prêter la moindre attention aux étranges attitudes de Severus et Harry.

Quand le professeur déclara la fin de la séance, aucun élève ne se fit prier pour partir.

Harry n'avait pas envie de bouger. Il ne voulait pas que son immobilisme soit considéré par Severus comme une obéissance à son ordre au début du cours annonçant qu'il devait rester pour une retenue, mais il n'avait pas la moindre motivation a effectuer un seul mouvement. Il ne rangea rien non plus.

Pendant que tout le monde partait, Severus restait debout, droit à observer les mouvements de ses élèves, et ignorait toujours Harry.

Lily se leva également, prit sa sacoche pleine de bocaux, et partit vers l'infirmerie. Sa démarche souple et sa longue robe blanche la faisaient toujours ressembler à un fantôme. Qu'elle fut généralement juste ignorée ou observer religieusement en silence avait tendance à accentuer cette impression.

Dès qu'ils furent seuls, la porte se ferma doucement.

Ils restèrent en silence un petit moment, avant que Severus ne daigne se détourner de son immobilisme pour aller s'asseoir à son bureau.

Saisissant ce mouvement de cape, Harry serra le poing. Il était toujours ignoré. Il releva un air furieux vers le maître des potions, et le vit occuper à annoter des parchemins. Sûrement corrigeait-il quelques copies.

Mais Harry ne voulait pas lui adresser la parole. Alors il se garda bien de se rappeler à lui, même si l'envie de lui crier dessus devenait très forte.

Enfin, Severus parla.

« Tu m'ignores. »

Les ongles d'Harry s'enfoncèrent douloureusement dans ses paumes. C'était lui qui l'ignorait maintenant ?! Oui, c'était le cas, mais que Severus l'avait ignoré pendant toute la leçon avait été bien plus flagrant pour tout le monde.

Harry ne dit rien.

« Et tu m'évites. »

Harry serra les dents, et accentua son regard noir. Il ne savait même pas qu'il le pouvait encore, mais apparemment si.

« Tu étais soigneusement occupé à jouer avec Sirius Black pendant les vacances et à tout faire pour m'adresser le moins possible la parole. Pensais-tu vraiment que je ne remarquerais pas tes regards noirs depuis le retour de tes camarades ? Je peux t'affirmer que ceux qui pensent que j'ai des yeux dans le dos se trompent, mais je reste assez attentif pour savoir quand quelqu'un m'observe. »

Harry décida de rester solidement muré derrière son silence.

« Tu peux me parler du problème qui occupe ton esprit, ou tu peux décider de rester assis ici à ne rien faire jusqu'au couvre-feu. »

Après cela, Severus ne dit plus rien.

Harry supporta cette situation un certain temps, une demi-heure s'écoulant avant qu'il ne s'en rende compte. Puis, il décida soudainement qu'il pouvait très bien sortir un livre de son sac.

À peine eut-il attrapé l'ouvrage que toutes ses affaires s'envolèrent vers le bureau de Severus, son livre compris, se dérobant à sa main.

« Bien, ce n'est qu'une soirée à supporter après tout. », cracha-t-il.

« N'en sois pas si certain, Harry. Cela reprendra tous les soirs jusqu'à ce que tu m'aies parlé. Ce qui comprend les week-ends, toute la journée. Même ce samedi. Ta présence n'est certainement pas indispensable à la victoire de Serpentard contre Serdaigle. »

« Tu ne pourras pas me forcer à venir. »

« Dans ce cas, Monsieur Rusard t'attendra à la sortie de chacun de tes cours pour t'accompagner à ma salle de classe. Et si tu ne veux pas sembler être un enfant faisant une grande crise de nerfs, tu feras mieux de le suivre sans le forcer à te tirer par le bras. Quant à ce qui est des week-ends, le professeur McGonagall sera évidemment avertie, et t'escortera elle-même. »

« Tu ne peux pas faire ça ! »

« Je suis ton professeur, et ton tuteur. Il y a peu de choses que je ne peux pas me permettre de faire. De plus, même si tu n'es pas dans ma maison, je reste l'un des quatre chefs de maison, ce qui me donne davantage de droits. Et si le professeur McGonagall est officiellement la directrice adjointe et s'occupe de toute la paperasse, je t'assure que le directeur m'accorde une confiance aussi élevée. »

Durant deux heures, le seul bruit audible était le son de la plume de Severus grattant les parchemins de ses élèves incompétents.

Harry se vanterait certainement d'être aussi têtu que Severus. C'était en tout cas la pensée qui occupait son esprit pendant qu'il ruminait.

Il était difficile de rester aussi tendu et énervé aussi longtemps dans le calme et le silence. La situation elle-même mettait l'adolescent en colère, mais après une heure de plus il commençait à trouver que malgré la tension qu'il s'efforçait de maintenir entre lui et son beau-père, l'atmosphère dégageait quelque chose de calme et d'apaisant.

Il n'en voulait pas.

À 20 heures, il avait faim. Ou plutôt, son corps et son estomac criaient à la famine, mais il n'avait de toute manière pas envie de manger.

À 20 h et 9 minutes, son ventre grognait fortement. Severus l'ignorait.

À 20 h 14, il décida de signaler sa présence, et l'absence de repas. Sa voix parue moins agressive et plus calme qu'il ne l'aurait voulu. « Tu vas m'empêcher de manger ? »

« Tu apprendras vite à te sustenter davantage le midi si tu désires que nous poursuivions cette situation plusieurs soirs. »

« Tu dois veiller à ma santé ! »

« Ce n'est pas quelques repas en moi qui vont te tuer. Je pourrais toujours te prescrire des potions ou t'envoyer à Madame Pomfresh en dehors de cette retenue si le besoin s'en fait ressentir. »

À 20 h 43, Harry n'en put plus.

« Qu'est-ce que tu veux ! » geignit-il plus qu'il ne cria.

Severus posa enfin sa plume et releva pour la première fois la tête. « Simplement que tu me parles. »

Les deux s'observèrent dans les yeux un petit moment avant qu'Harry ne détourne le regard, sentant les larmes menacer d'y monter.

Severus se leva alors, et s'approcha de l'adolescent. Il resta debout devant lui, alors que les larmes commençaient à couler le long des joues du garçon qui maintenait son visage bas et détourné.

« Harry. », appela-t-il doucement.

Le garçon secoua la tête. Il ne voulait pas parler.

Severus se pencha et lui saisit délicatement le visage d'une main pour le tourner vers lui.

« Harry, parle-moi. »

« Non. », articula le garçon d'une petite voix marquée par les pleurs.

« Je ne désire que t'aider, Harry. Tu ne vas ostensiblement pas bien, et ce n'est pas t'enfermer, t'isoler et fuir les problèmes qui les résoudra. Si tu ne trouves pas la force de les affronter, laisse-nous te soutenir ou te conseiller, ou même lutter pour toi et t'aider à te relever. Si tu ne nous dis rien, je ne peux rien faire pour régler ce qui te tracasse. »

« Tu ne voudrais pas ! » tenta-t-il de crier, tout en repoussant violemment le bras de Severus. Il observa à nouveau le sol.

« Tu ne peux pas savoir si tu ne m'en parles pas et que je ne te le dis pas. Je n'ai pas la moindre idée de ce qui te dérange. Peut-être as-tu raison, mais qu'en sais-tu avant d'en avoir parlé ? Et peut-être pourrais-je t'aider malgré tout d'une manière différente de celle à laquelle tu t'attends. Qu'importe ce qui te préoccupe, Harry, soit sûr d'une chose : je ferais toujours tout pour que tu sois en sécurité et heureux. »

L'adolescent releva brusquement la tête. « Tu y as pensé lorsque tu as accusé Sirius d'être un meurtrier à son procès ?! »

Severus soupira. « J'ignore d'où tu tiens cette information, Harry, mais elle est fausse. »

« Je ne mens pas ! »

« Je n'ai pas dit que tu l'étais. Disons qu'une certaine nuance t'a échappé. Je n'ai pas dit qu'il était un meurtrier, j'ai dit qu'il pourrait l'être, du moins qu'il en était capable. Il faut que tu saches qu'un témoin prête serment de dire la vérité, Harry. Je n'avais d'autre choix que de répondre honnêtement aux questions qui m'étaient posées. Je connais assez bien Sirius Black pour savoir comment il agit et en général comment il pense. J'ai aussi une preuve que ce que j'affirmais était vrai, bien que je ne l'ai nullement évoqué. »

« Je sais à quel point tu le détestes, tu voulais cela ! »

« Non, certainement pas. Je n'aime pas Black, mais si je préférais vraiment qu'il soit à Azkaban et condamné plutôt qu'avec toi, crois-tu que je lui aurais permis d'entrer ici, et d'y rester jusqu'à la fin des vacances ? Crois-tu que je l'aurais supporté aussi longtemps, douze ans à venir dans son manoir pour te voir, sans jamais commencer moi-même les démarches pour son arrestation ? »

Harry ne cherchait plus à retenir ses larmes tandis qu'elles coulaient à flots sur son visage. « Pourquoi as-tu fait ça, alors ? »

« Je te l'ai dit, je n'avais pas le choix. »

« Tu avais ce choix ! Tu as toujours le choix ! »

« Je ne mentirais pas, Harry. L'honneur est une des rares choses qu'il me reste, avec toi, Lily et Draco. Je n'accepterais de le perdre que pour l'un de vous ou pour une cause plus grande que de savoir si oui ou non Sirius Black mérite Azkaban. Je suis un homme de parole, Harry Potter, je ne salirais pas cette vérité sans une raison très importante. Sirius Black était condamné dans tous les cas… »

« Il ne l'était pas, puisque c'est ton témoignage qui l'a fait tomber ! »

« Sais-tu comment et pourquoi il a suffi de cela pour qu'il soit jugé coupable ? »

Le garçon secoua négativement la tête.

« Parce que certaines personnes voulaient qu'il tombe. Il suffisait du moindre argument. Ce procès était, comme ton parrain l'a dit, une parodie de justice. Ils auraient trouvé autre chose si je n'avais pas déclaré ça. De plus, je ne l'ai pas dit parce que j'en avais l'intention. La question m'a été explicitement posée : est-ce que oui ou non, je pensais Sirius Black capable de tuer. Je ne mentirais pas pour lui, en tout cas pas dans cette situation-ci. Dans une autre peut-être. Espérons que je n'en ai jamais besoin. »

« Pourquoi tu n'as pas menti ? Tu n'as pas pensé à moi, seulement à Sirius ? »

« J'ai pensé à tout. Y compris au fait qu'ils auraient de toute manière une excuse pour le condamné. Si je mentais pour le couvrir, je ne serais plus non plus jugé digne de confiance. Tout le monde savait que je ne pouvais pas honnêtement le couvrir. Quiconque connaît un tant soit peu Sirius sait qu'il est impulsif et sanguin. Un mensonge n'était pas le bienvenu. »

« Qui ? Qui voulait qu'il soit condamné ? »

« Harry, ça n'a pas d'importance. La vengeance ne résout rien. »

« Ils le mériteraient ! »

« C'est ce genre de raisonnement qui fait que ton parrain a été accusé de meurtre et est maintenant un fugitif. Veux-tu être dans les mêmes conditions ? »

« … non. », avoua-t-il.

« Ce ne serait, en effet, pas souhaitable. Maintenant, Harry, je te conseille de ne te préoccuper que de tes cours, et de ne pas t'inquiéter pour Sirius Black. Il a toujours aimé le plein air de toute façon, ça lui fait du bien. »

Harry laissa un petit sourire se glisser sur son visage. « Je peux manger alors ? »

« Par tous les moyens, Harry, fais donc. Minerva et Albus me tueraient s'ils apprenaient que j'affamais un étudiant. »

Aussitôt, Dobby apparut avec un sandwich à donner au garçon.

« Tu mangeras sur le chemin vers ton dortoir, Harry. Je te raccompagne. »