(La coupe de feu) Draco dormiens nunquam titillandus


La première tâche avait lieu le jeudi 24 novembre.

Une arène, avec des gradins dignes d'un Colisée, avait été installée à flanc de montagne, proche du château. Les jumeaux Weasley circulaient dans les gradins pour prendre les paris de chacun sur la survie ou la mutilation plus ou moins sévère des différents participants.

Les quatre champions devaient attendre les explications, puis de passer chacun leur tour, dans une tente à côté. Ils avaient tous reçu un équipement à revêtir avec leur nom. Neville ne pouvait s'empêcher de trouver qu'un polo ne protégerait pas beaucoup d'un dragon.

Il pouvait entendre la voix de Dumbledore s'élever au loin.

« Votre attention s'il vous plaît ! Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bienvenu ! »

Un rugissement de dragon fit sursauter le quatrième année.

« C'est un grand jour pour nous tous. Mais je dois vous mettre en garde… »

Alors que Neville marchait avec anxiété en rond, un oiseau en papier lui passa doucement devant les yeux avant de commencer à tomber lentement comme une feuille.

Le garçon le récupéra tranquillement en vol, et le déplia. C'était indubitablement signé Draco. Quand il eut fini de l'ouvrir, tout ce qu'il vit fut une flèche qui pointait vers son origine.

Neville tourna un instant la tête, ne vit rien, puis observa à nouveau le papier. Il commença alors à le retourner dans différents sens sans trop savoir quoi en faire et repéra que la flèche, un dessin animé, pointait toujours le même endroit précisément.

Il décida alors de suivre l'indication.

Quand il arriva près de l'ouverture dans la tente orientée vers les gradins, et s'arrêta. De l'autre côté, ses amis devaient avoir entendu ses pas, puisque la voix d'Hermione chuchota alors.

« Neville ? »

« Oui. », acquiesça-t-il dans un murmure.

« Comment tu te sens ? Ça va ? » demanda-t-elle. Sa propre voix montrait qu'elle était très inquiète.

Draco répondit avant lui. Il gardait aussi le ton bas, mais était plus agressif. « Réfléchi, Mione, bien sûr que non, il doit affronter un dragon ! »

« Merde ! » jura Harry, avant d'ouvrir subitement la tente et de prendre Neville par surprise dans une étreinte.

De l'autre côté, Hermione et Draco étaient un instant stupéfaits par l'audace, avant de décider d'entrer à leur tour.

« Tu vas réussir, Neville, je suis certain. », déclara le garçon aux yeux verts.

Neville resserra la prise un moment pour se donner du courage et profiter du geste amical de réconfort. « Merci, Harry. »

« La clé, c'est d'être concentré. », expliqua Hermione. Draco roula des yeux derrière elle.

Harry s'écarta et sourit à son meilleur ami comme il pouvait malgré l'appréhension.

N'y pouvant plus, Hermione se jeta au cou de Neville. C'est alors qu'un flash lumineux les prit par surprise, et ils se séparèrent.

Le quatuor eut le déplaisir de voir l'affreuse Rita Skeeter et son photographe entrer par l'arrière de la tente.

« L'amour naissant… oh, comme c'est… mmm… touchant ! »

Elle avançait droit vers Neville et Hermione. Les autres champions observèrent en s'approchant lentement.

« Si jamais les choses tournent mal aujourd'hui, vous aurez votre photo en première page. »

« Comment osez-v… » commença Draco en colère avant de se faire interrompre par Krum qui arrivait dans le dos de l'exécrable journaliste.

« Vous n'avez rien à faire ici. Cette tente est pour les champions. Et les amis. »

Elle sembla reconnaître que celui qui s'adressait à elle était intimidant, en colère et une célébrité du Quidditch paré aux insistances journalistiques.

« Oh, ce n'est pas grave. Nous avons… ce que nous voulions. »

Elle battit en retraite après avoir caressé le visage du champion de sa plume, lui provoquant un air encore plus renfrogné.

Le photographe prit une photo de plus, de Krum, et le duo s'éloigna dans un coin.

« Cette sale… », reprit Draco, coupé une fois de plus par l'arrivée de Dumbledore, des autres directeurs, de Rusard et de Crouch dans leur dos.

« Bonjour, les champions. », commença le plus âgé. « Approchez, s'il vous plaît. Vous avez attendu, vous vous êtes interrogé, et enfin le moment est arrivé. Un moment que seul vous quatre pouvez pleinement savourer. »

Ce n'est seulement qu'alors que Dumbledore sembla remarquer la présence des trois adolescents intrus.

Hermione se tenait encore au bras de Neville, et Harry s'était mis de l'autre côté de son meilleur ami. Draco s'était placé derrière eux, entre Hermione et Neville.

« Que faites-vous ici, tous les trois ? »

Hermione sembla hésiter, mais ce ne fut pas le cas des deux autres.

« Nous souhaitions bonne chance à Neville. », affirma Harry.

« Des petits mots d'encouragement avant que vous ne l'envoyiez à sa mort. », déclara Draco. Il n'avait pas souvent l'occasion de parler au directeur, pour ainsi dire jamais. Son parrain n'était même pas là pour le réprimander, alors il ne manquerait pas l'occasion de critiquer le vieux fou.

« Nous partons, pardon. », fit Hermione avant de tirer Draco par le poignet pour l'entraîner dehors.

« Je ne peux vraiment pas… », tenta Harry, mais il n'eut pas le temps de terminer.

« Non, Monsieur Potter, vraiment pas. », affirma le directeur.

Harry rejoignit ses amis à l'extérieur.

Neville se retrouvait à nouveau seul.

« Barty, le sac. », appela Dumbledore.

Crouch s'avança. « Les champions, faites cercle autour de moi. »

Il les replaça lui-même dans l'ordre qu'il préférait. Fleur juste à sa droite, puis Krum, Cédric et enfin Neville.

Ensuite, il ouvrit légèrement le sac qu'il tenait, juste la place de passer une main, et le tourna vers Fleur.

« Miss Delacour, s'il vous plaît. »

Hésitante, l'adolescente plongea doucement sa main. Elle la ressortit en tenant un minuscule dragon vert par la queue. Il avait la taille de tenir dans la paume d'une main.

« Vert gallois. », déclara Crouch.

Neville n'en revenait pas de la chance de la Française.

« Monsieur Krum. », fit l'homme en se tournant vers le bulgare. « Le Boutefeu chinois, ouch. », ajouta-t-il une fois que l'attrapeur eut extrait son dragon.

Ni Krum ni Karkaroff ne semblaient inquiétés alors que le jeune homme avait tiré l'un des plus dangereux dragons.

Crouch se tourna vers Cédric qui plongea sa main à son tour. « Le suédois à museau court. »

Neville pâlit en réalisant que Cédric était le second chanceux. Il savait exactement quel dernier dragon pouvait être dans ce sac.

« Ce qui nous laisse… », continua Crouch en se tournant enfin vers le plus jeune.

Neville déglutit. Comment pourrait-il en sortir la minuscule créature sans se blesser la main ?

« … le Magyar à pointe. », conclut l'homme.

Dumbledore, à côté de Neville, semblait bien plus inquiet par la sélection du jeune garçon.

Crouch expliqua la tâche aux champions. « Ceux-ci sont les miniatures de quatre authentiques dragons. Il a été donné à chacun d'eux un œuf d'or à défendre. »

Neville se sentait de plus en plus mal. Ils allaient affronter des femelles protégeant leurs œufs !

« Votre objectif est simple : prendre l'œuf. Vous devez réussir. Car chaque œuf contient un indice sans lequel vous ne pouvez espérer participer à la seconde tâche. Des questions ? »

Il n'y en avait aucune.

Dumbledore s'avança à nouveau alors que Crouch reculait.

« Très bien, bonne chance à vous. Monsieur Diggory, au coup de canon vous pourrez… »

Le coup de canon retentit, Rusard ayant abaissé la mèche à l'instant où il en avait entendu le mot.

La tente trembla, surprenant tout le monde. Neville nota que Karkaroff semblait bien plus perturbé que Krum ; il semblait que cet homme inquiétant soit lui-même un peu craintif.

La foule appelait. Cédric s'avança et quitta la tente.


Neville attendit. Longtemps. C'était insupportable.

Plus le temps passait, et plus l'air lui semblait lourd.

Il était dans le calme, mais il ne parvenait pas à rester paisible.

Après Cédric, Fleur y alla.

Puis Krum.

Les luttes de chacun lui paraissaient interminables.

Tout ce qu'il avait était les bruits des combats, et les exclamations de la foule, tantôt ravie, tantôt encourageante, tantôt inquiète.

Il y avait des rugissements. Surtout durant le tour de Krum.

Le plus calme fut celui de Fleur.

Il était même sûr d'avoir distingué des aboiements lors de l'épreuve de Cédric.

Enfin, la voix de Dumbledore annonçait l'inévitable.

« Trois de nos champions ont d'ores et déjà affronté leur dragon. Et chacun d'eux pourra donc passer à la tâche suivante. Et maintenant, notre quatrième et dernier concurrent ! »

Neville savait que c'était son tour.

Il se leva, comme s'il se préparait à aller à l'échafaud, et s'avança sur le chemin qu'il devait emprunter.

Il espérait que leur plan marcherait.

Il sortit sa baguette et arriva dans l'arène rocheuse. Les blocs de pierre lui permettraient d'avoir des endroits où se cacher du dragon ou esquiver ses flammes s'il en arrivait jusque là.

Il repéra l'œuf avant le dragon.

Il pointa sa baguette et prit une respiration.

Ses trois amis, tous les trois parmi les meilleurs élèves du cours de sortilèges, avaient passé du temps à l'aider à enfin réussir à lancer le sortilège d'attraction.

C'était trop facile de récupérer l'œuf de cette manière.

« Accio œuf d'or. »

Rien ne se passa. Pourtant, il était sûr d'avoir réussi.

« Accio œuf d'or ! »

La seule chose qui se produisit, fut le son des quelques cailloux roulant vers le sol sur sa droite.

Il eut tout juste le temps d'apercevoir la dragonne embusquée avant que celle-ci n'ouvre la gueule pour cracher son feu.

Neville courut se réfugier derrière le rocher le plus proche. Il esquiva de justesse les flammes et réalisa malgré sa panique qu'il n'avait pas été touché et s'en était sorti indemne.

Mais le combat ne faisait que commencer.

Il se rappela et comprit. Bien sûr, c'était trop facile. Le sortilège d'attraction était un enchantement de niveau 4, et relativement courant. De ce fait, des contre avaient été trouvés, et de nombreux lieux ou objets avaient été protégés des effets du sort. C'était certainement le cas de l'œuf d'or.

Il ne lui restait plus qu'à se débarrasser de la dragonne pour pouvoir atteindre l'œuf.

S'il avait eu besoin d'entraînement intensif, de beaucoup d'aide, et d'explications supplémentaires de la part des trois meilleurs élèves de Flitwick, il avait trouvé seul la tactique à aborder.

En soi, l'idée d'appeler ce dont il aurait besoin n'était pas la sienne, mais celle de Maugrey et Harry. En revanche, pour ce qui était de l'approche avec la botanique, il était celui qui avait effectué le plus de recherche. Et même s'il était aussi fou qu'Hagrid, il pensait bien avoir la solution à ses problèmes.

C'est avec l'aide de Lily qu'il avait réuni ce dont il aurait besoin. Cependant, puisqu'il n'était pas censé être préparé, ils avaient laissé les ingrédients bruts et il devrait effectuer le mélange lui-même, dans le feu de l'action.

Sans compter que tout était resté au château, puisque, encore une fois, il ne devait pas avoir sélectionné à l'avance ce qu'il utiliserait. Il serait trop étrange s'il le sortait juste de derrière un rocher ou de la foule.

« Accio Salvia apiana ! Accio sang-dragon ! »

Il savait que ces deux ingrédients mettraient du temps à arriver.

Il continua de se cacher de la créature dangereuse extrêmement agressive. Il tentait également de rester éloigné des œufs. Plus il serait proche, plus la dragonne serait énervée.

Pour se calmer l'esprit, il se remémorait ses connaissances de botanique, notamment sur les plantes associées aux dragons.

Il y avait eu l'artemisia dracunculus, communément appelée estragon. Plante herbacée vivace semi-persistante de la famille des Astéracées, elle avait des propriétés de condiment, avec un fort parfum, et des propriétés médicinales. Bien que l'herbe soit un ingrédient intéressant en potion, Neville avait écarté la possibilité de s'en servir ici.

Les plantes au nom vulgaire de serpentaire, tel que arum dracunculus ou dracunculus vulgaris, les aristoloches comme aristolochia serpentaria et aristolochia reticula, ou encore la serpentaire rouge aussi dîtes renouée bistorte scientifiquement appelée polygonum bistorta, et encore tant d'autres avaient toutes des propriétés plus ou moins intéressantes pour lutter contre les dragons.

Notamment, correctement préparées, ou incorporées dans la bonne potion, elles permettaient de guérir les morsures des serpents et dragons comme le Dent-de-vipère, mais si Neville avait besoin de soin, le professeur Snape les lui apporterait après la tâche. Neville devait juste ne pas se faire toucher par ce dragon non venimeux.

L'autre propriété de ces plantes pourrait en intéresser plus d'un dans sa situation actuelle, mais Neville ne voulait pas blesser le Magyar. Encore moins préparer un poison spécifiquement conçu pour tuer les serpents et dragons.

Sans compter que de toute manière, s'il lançait une fiole pendant que la dragonne avait la gueule ouverte, il était fort probable que le poison finisse brûlé avant d'être avalé.

Ce qui serait soit totalement inefficace pour se débarrasser de la bête, soit extrêmement dangereux pour tous.

Il avait eu suffisamment de cours de potion sur la dangerosité des éléments volatils pour ne pas vouloir risquer de mêler une fiole de poison à une flamme de dragon.

Neville s'était rabattu sur une approche pour le moins… exotique.

La plupart des sorciers, y compris les dragonologistes, avaient généralement une optique de rapport de force. Essayer de tuer le dragon, ou de le maîtriser physiquement éventuellement violemment.

Neville savait qu'il prenait d'énormes risques en tentant une tactique inédite.

Le sang-dragon était un ingrédient de potion rare, qu'ils n'avaient pas étudié jusqu'à présent. Il n'était pas d'origine animale, mais bien végétale.

Il s'agissait d'une substance résineuse rougeâtre produite par diverses espèces végétales, en général tirée d'arbres monocotylédones du genre Dracaena. Lorsqu'ils étaient blessés, ces arbres produisaient la résine phénolique afin d'endiguer la propagation de pathogènes.

Cette matière était employée depuis des siècles, et des botanistes et potionnistes découvrirent que les propriétés variaient d'un arbre à l'autre. Toutes n'étaient pas magiques.

Mais si cet ingrédient était principalement employé à des visées médicales, il en existait un autre emploi méconnu.

La sauge blanche, ou sauge sacrée, n'avait rien à voir avec les plantes de dragons. Mais mêlée au sang-dragon, elle pouvait avoir un usage pour le moins particulier.

Neville priait Merlin pour que sa théorie fonctionne.

Les deux ingrédients arrivèrent dans sa main.

Sans perdre un instant, il versa le contenu du flacon de sang-dragon sur les bâtons de sauge blanche.

« Incendio. », murmura-t-il en pointant sa baguette vers le bout du bâton, employant la puissance adéquate pour allumer une bougie.

« Diffus fragrantia. », ajouta-t-il. Il s'agissait d'un sort trouvé par Harry, bien que Neville ne sache pas si Harry l'avait vraiment trouvé dans un livre ou sortit de son imaginaire en accolant encore une fois des mots latins.

Le sort était censé répandre plus rapidement et à plus forte dose le parfum dégagé par l'encens qu'il venait de produire.

Et de ce que Neville commençait à percevoir, le sort fonctionnait assez bien.

Il prit ensuite son courage à deux mains.

Il se releva lentement de sa dernière cachette, et fit un mouvement délibérément lent et calme pour s'éloigner davantage des œufs tout en montrant sa baguette, les deux mains en l'air.

Il laissa tomber sa baguette au sol.

La dragonne sauta agressivement pour se placer entre lui et ses œufs, et rugit de manière effrayante et mécontente.

Il se tourna pour continuer de lui faire face, et recula doucement.

Encouragé par l'apparent effet de la fragrance, puisqu'après tout la dragonne n'avait pas encore attaqué à nouveau, il lança vers le sol, au pied du dragon, l'un des deux bâtons d'encens.

Le Magyar semblait se calmer progressivement, mais s'avançait à présent lentement et agressivement, comme un prédateur à l'affût, de l'adolescent.

Neville resta immobile. Il tentait de discipliner sa respiration. Et de ne pas laisser sentir sa nervosité. Il savait que c'était peine perdue face à un animal avec des sens aussi développés que les dragons, mais il espérait que la créature comprendrait qu'il ne lui voulait absolument aucun mal.

Il retint son souffle quand la dragonne protectrice se trouva juste devant lui, tout proche. Il tendit lentement la main qui tenait le second bâton d'encens.

La dragonne grogna, et ouvrit la gueule.

Le garçon détourna le regard, ferma intensément les yeux, et rentra sa tête dans les épaules.

La dragonne referma sa gueule et ne cracha pas de feu. Elle se frotta le museau contre le bâton.

Neville entendit un bruit sourd.

Prudemment, il ouvrit un œil et le tourna lentement vers la créature. Cette dernière s'était endormie devant lui.

Il se sentait soulagé à un point qu'il n'imaginait pas possible. Il était vivant, et la dragonne neutralisée pour un temps.

Il avait eu un plan de secours, mais l'avait abandonné à partir du moment où il avait lâché sa baguette, et ce n'était pas un plan beaucoup plus sensé : appeler de l'estragon, et vérifier si « l'herbe à dragon » méritait autant son nom que les herbes aux chats.

Certaines légendes semblaient attestées que oui, mais Neville n'avait pas voulu tester à moins d'y être contraint, puisque la dragonne aurait pu réagir de manière bien trop erratique.

Le plus doucement possible, il se baissa pour poser le bâton devant l'animal, puis entreprit de la contourner en toute discrétion.

Il récupéra l'œuf, puis partit aussi subrepticement qu'il était venu, très peu désireux de réveiller la dragonne endormie.

Il ne fallait jamais réveiller un dragon qui dort.