(La coupe de feu) Des jours funestes
Severus se dirigea rapidement vers le bureau du directeur. Il avait écarté la chose devant Karkaroff, mais il savait que c'était bien réel, et il devait en référer à Albus. Et il y avait encore cette histoire de polynectar, de meurtre, de nom dans la coupe et de sélection par cet objet confus.
Il entra dans le bureau, sans frapper, et trouva le vieux directeur assis dans son trône, les coudes sur la table et la tête dans ses mains, dans une expression de grande fatigue. Il était rare de voir le sorcier excentrique montrer sa faiblesse.
Albus était loin d'être infaillible, mais il avait toujours cette tendance à vouloir représenter le monde sorcier avec le plus de dignité possible.
Depuis sa victoire contre Grindelwald, et peut-être même avant aussi, le grand sorcier avait pris l'habitude de se placer comme une référence de puissance, d'intelligence et de sagesse.
Le professeur Dumbledore devait être vu comme le Merlin des temps modernes, et un politicien apte à diriger une guerre. Ces deux figures semblaient légèrement contradictoires dans l'esprit de Severus, mais chaque fois qu'il s'attardait à cette pensée, il réalisait que ça ne l'était pas tant que ça.
Les actions du prince des enchanteurs avaient été loin d'être parfaites, et il avait combattu auprès de rois dans des guerres. Il n'avait pas dirigé, mais avait tout de même tenu un rôle de proche conseillé.
« Ah, Severus. », soupira le vieil homme.
Pour une fois, Severus s'assit en face du bureau sans rechigner, avec un calme contrôlé et une tenue toujours aussi noble. Il n'était peut-être pas rentré dans la meilleure humeur qui soit, il n'était pas en colère contre le directeur, et ce dernier ne semblait pas en état de recevoir une pluie de pics acerbes.
Du reste, Severus était là pour faire son rapport, guère pour se disputer. La situation nécessitait de la complicité entre les deux sorciers, ce dont ils étaient parfaitement capables.
« Laquelle de toutes les nouvelles récemment obtenues vous met dans un tel état, Albus ? »
« Un ensemble de toutes. », soupira encore le directeur. Le puissant sorcier se redressa pour s'adosser dans son fauteuil, les bras reposant sur ses accoudoirs, la tête orientée vers le plafond et les yeux fermés, ses petites lunettes posées sur son bureau. « Que m'apportes-tu ? »
« Que savez-vous déjà ? »
Le vieux sorcier prit le temps de réfléchir un peu avant de prendre sa décision. « Commence d'abord, Severus. Nous verrons pour mes ennuis plus tard. J'aurai bien besoin de tes conseils, mon jeune ami. Mes vieilles pensées ne sont plus ce qu'elles étaient. »
Severus roula intérieurement des yeux. « Vous êtes dans la fleur de l'âge, Albus. La marque deviendra bientôt aussi nette qu'au temps du Seigneur des Ténèbres, et Karkaroff l'a remarqué également. »
« Que fera-t-il ? »
« Il a peur. Je ne pense pas qu'il y retournera. Il s'est bien trop compromis à la fin de la Première Guerre, quand il a donné tous ces noms, et qu'il a racheté sa liberté. Il a trahi la cause, bien qu'il puisse discuter ce fait au vu de sa gestion de Durmstrang s'il en prenait la peine, mais surtout il a trahi les "nôtres", et cela le Seigneur des Ténèbres ne l'acceptera pas. Plusieurs sont à Azkaban suite aux dénonciations de Karkaroff. »
« Donc qu'arrivera-t-il pour lui lorsque vous serez appelés à nouveau ? »
« Je pense qu'il fuira. Il n'a pas d'autres solutions. »
« Non… mais tu as fait plus que lister quelques noms, Severus. Je t'ai ouvertement défendu comme notre espion. Partiras-tu, comme lui ? Resteras-tu simplement ici derrière les protections de Poudlard ? »
« Je ne suis pas un lâche. »
Albus abaissa son visage et remit doucement ses lunettes pour bien faire face et observer son jeune collègue. La discussion devenait sombrement sérieuse, et nécessitait plus d'attention de sa part que celle requise pour écouter un rapport et poser quelques questions tout en réfléchissant.
« En effet. Tu es plus courageux, et de très loin, qu'Igor Karkaroff. Parfois, je pense que nous trions trop tôt. Cependant, tu peux nous aider de nombreuses façons, Severus. »
« Cela fait des années que nous savons qu'il reviendra un jour. Des années que je m'assure de pouvoir reprendre mon rôle d'espion, Albus. Je n'en aurais pas un autre, pas après tout ce que j'ai dû faire pour préserver les apparences. Et je ne serais jamais plus utile ailleurs qu'avec cette tâche. Tu le sais comme moi. »
« Encore faudrait-il que tu puisses survivre à ta première rencontre avec Voldemort, Severus. »
Ce sujet ne méritait aucun attardement supplémentaire, aucun ajout, argument ou prolongation de la discussion n'était nécessaire, bienvenue ou utile. Ils avaient d'autres choses à aborder.
« Neville Longbottom a entendu, et vu, Karkaroff me parler de la marque. »
Albus s'inquiétait à présent de manière plus visible. « Comment le prend-il ? »
« Aussi mal que l'on pourrait s'y attendre. Et à la fois avec détermination. Il ne le veut pas, mais il sait que quelque chose de terrible se passe, et il se prépare au moins émotionnellement à y faire face. J'ai bon espoir qu'il n'ira pas vers le danger au-delà de la nécessité. »
Le directeur hocha la tête doucement. « Un peu comme toi. », confessa-t-il doucement. Il reprit avec plus de force, mais sa fatigue était bien notable. « Je viens d'avoir une discussion avec lui. »
« Il m'a dit. Une affaire de cauchemars. », confirma le professeur.
« Je pense que ces cauchemars ont une signification plus grande qu'il n'y paraît. »
Severus observa le directeur, attendant que l'homme développe, ou qu'il ne le fasse pas mais annonce alors le sujet clôt. Cela ne servirait à rien de le presser pour obtenir des réponses. Albus ne répondait que s'il le voulait bien, et Severus avait appris à le laisser divaguer et garder ses secrets.
Cela l'énervait toujours quand le vieil homme gardait des informations cachées, mais il savait se retenir en dehors des moments où il jugeait la situation bien trop critique pour accepter aisément de se faire manipuler.
Il y avait tout de même des occasions où le jeune sorcier préférait crier et se défouler sur le vieil homme trop cachottier.
Albus reprit par lui-même après un petit temps dans le silence. « Il a vu Bartémius Crouch junior dans son rêve. Avant l'attaque à la coupe du monde de quidditch, et il affirme l'y avoir formellement reconnu. »
Severus avait l'impression qu'un courant d'air froid venait de s'incruster dans le bureau du directeur par une quelconque ouverture et leur soufflait dessus pour leur glacer les os. Il savait bien sûr que ce n'était certainement pas le cas.
« Et nous savons que Bartéminus Crouch junior est mort à Azkaban. », prit-il soin de rappeler. « Ces rêves ne sont que des produits de son imagination. »
« Son rêve lui revient régulièrement, avec quelques nuances légères d'une fois sur l'autre. Il y voit Voldemort, à moitié humain d'après ses dires, et Peter Pettigrow aussi semblable que possible à celui que vous avez vu l'année dernière. Severus, je crains que ces rêves ne soient annonciateurs de quelque chose de terrible. »
« De nombreuses choses terribles arrivent ces derniers temps, Albus. Et elles n'ont nullement été produites par ces rêves. »
Albus regarda son cadet par-dessus ses petites lunettes lunaires, avec une dureté qu'il montrait rarement à quelqu'un d'autre qu'à son espion et homme de confiance.
Le maître des potions concéda stoïquement. « Je garderais cela à l'esprit. »
« Il y a plus à faire que de garder cela à l'esprit, Severus. Je serais amené, en temps normal, à me contenter que tu te souviennes juste de cela dans un coin, mais la situation est trop grave. Ce ne sont pas des coïncidences. Ça ne peut pas.
« Nous savons tous les deux pourquoi le fils de Barty est devenu un Mangemort. Neville ne l'a jamais rencontré, jamais aperçu, et il le voit dans un rêve, puis à la coupe du monde ? Ce ne peut pas être un hasard si Barty est tué alors que Neville identifie clairement son fils auprès d'un Voldemort qui semble entouré de Peter.
« L'année dernière, le jour même où Peter a été démasqué et s'est enfui, Sybill Trelawney avait fait une prophétie devant Neville… »
Severus ne put retenir sa grimace de dégoût à la mention de la femme. « Les mots prononcés par cette femme n'ont aucune espèce d'importance. »
Le regard du directeur se durcit une fois de plus, davantage encore. « Tu es le sorcier le plus mal placé pour proférer de tels propos, Severus. Pour l'avoir déjà entendue parler de cette manière, tu sais que c'est reconnaissable, qu'on ressent la magie derrière les mots énoncés, qu'ils sont véritables. »
« Il s'agit là d'une prophétie autoréalisatrice, Albus. », éluda le plus jeune. « Et rien ne garantit avec ces termes que Neville doive affronter le Seigneur des Ténèbres. »
« Les quelques mots que tu as entendus ont suffi à te convaincre qu'elle avait un pouvoir avec, Severus. Tu le savais à l'époque, ne fais pas celui qui l'ignore aujourd'hui. Et je t'assure que la suite de sa première prophétie est bien plus explicite, et comme je te l'ai déjà dit, corresponds à ce qui s'est passé.
« Même si elle est autoréalisatrice, elle se réalise bel et bien. Si tu n'es toujours pas convaincu que Neville n'a pas le choix, du moins l'a perdu à partir du moment où Voldemort a décidé de s'en prendre à lui pour supprimer un futur adversaire, écoute plutôt le sujet de la seconde prophétie de Sybill.
« Elle a prédit le retour du serviteur du Seigneur des Ténèbres auprès de lui, elle a prédit que Peter arrêterait de se cacher cette nuit-là, et c'est bel et bien ce qui s'est passé. Je suis d'accord avec toi que la plupart des tentatives de divinations de Sybill sont de peu d'intérêt et régulièrement erronées, mais elle a un vrai pouvoir, qui se réveille rarement, mais qui est bien présent.
« Votre marque des ténèbres est à nouveau présente, Severus. Le retour de Voldemort est proche. Toutes ces choses sont liées. Ça l'est forcément. Il me manque juste un détail, une petite chose que je ne parviens pas à trouver. »
« Le fait que Bartemius Crouch junior est mort, peut-être ? » suggéra le maître des potions. « Néanmoins, quelqu'un a réellement lancé un sortilège de confusion très puissant sur la coupe de feu, une personne présente à Poudlard, pouvant se déplacer librement pour déposer le nom de Neville dans la coupe, de présent lors de la sélection, et d'apte à suivre Crouch dans la forêt pour l'Avada. Un être qui pourrait être n'importe qui à partir du moment où il utilise du Polynectar. »
Albus sembla surpris. « Tu as une piste à ce sujet ? »
« Je suis certain que quelqu'un en prépare, oui. Et je ne suis pas le seul à l'avoir remarqué. Non seulement, c'est un moyen très efficace pour se cacher dans la foule de Poudlard, à condition de bien connaître la personne — à moins que celle-ci soit peu connue de son entourage actuel — ; mais il pourrait aussi bien être utilisé à de rares occasions en ne se présentant à Poudlard, qu'à des moments bien spécifiques ou en y séjournant à plein temps, si tant est que la personne dont l'apparence est prise soit accessible pour prélever ses cheveux, mais dans l'incapacité d'être présente au même moment que l'usurpateur à un endroit.
« Cela expliquerait bien des choses, à commencer par pourquoi nous est-il impossible de savoir qui est coupable, car tous semblent innocents. Nous n'irions certainement pas accuser les élèves, et aucun des professeurs, d'une quelque école que ce soit, ne ferait cela tel que nous les connaissons.
« Le fantôme de Mimi Geignarde a remarqué du polynectar dans des canalisations. J'ai tenté d'en apprendre plus à ce sujet en l'interrogeant, mais elle ne sait pas grand-chose d'autre. Tout au plus est-elle utile pour confirmer mes soupçons et laisser glisser l'information à Neville. »
Albus soupira. « Nous savons donc ce que nous devons chercher, mais cela revient encore à chercher une aiguille dans une meule de foin. L'on perd bientôt sa route à chercher trop de voies. »
Severus désigna la pensine sur le côté. Si le directeur voulait jouer à ce jeu, ils seraient deux. « Si tu veux te noyer, à quoi bon te torturer à chercher en eau peu profonde. C'est ce que je pense chaque fois que je te vois pencher au-dessus de tes pensées, à revisionner tes souvenirs à la recherche du moindre petit détail que tu aurais manqué. »
Le directeur se prit une fois de plus la tête dans les mains. Son jeune ami venait de toucher la corde sensible qui le torturait depuis longtemps. « On passe notre temps à chercher ce qui nous manque, sans vraiment savoir ce que c'est… », murmura-t-il avec lassitude. Il se redressa. « Les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur. J'ai passé trop de temps à visionner mes souvenirs, il est vrai. Comment t'y prendrais-tu pour trouver le coupable ? »
« Il faut rester attentif et bien observer chacun. Celui qui se déguise sous polynectar commettra une erreur tôt ou tard. Tuer Crouch en était peut-être une. Quelqu'un agira hors de caractère, un jour ou l'autre. Même le meilleur acteur ne peut pas toujours jouer le rôle d'un autre à la perfection en permanence. Si quelqu'un agit étrangement, nous pourrons le considérer comme suspect. »
« Chercher le prévisible en chacun, c'est nier l'irrationnel de tous, leur poésie, leur absurdité, leur libre arbitre… Et notre coupable se méfiera et redoublera d'attention maintenant qu'il a tué, s'il voit que nous redoublons d'efforts pour le débusquer. Chacun sait qu'on ne trouve personne quand on cherche, mieux vaut ne pas avoir l'air de chercher, se comporter comme si de rien n'était. Comme ce que nous faisons depuis le début de l'année… »
« Sans qu'aucune réponse ne nous vienne, Albus. Tu ne trouveras rien en restant enfermé dans ton bureau au-dessus de tes souvenirs. Tâche au moins de sortir un peu maintenant, et pas seulement pour te disputer avec le ministre. Fais l'effort de chercher "avec ton cœur" plutôt qu'avec "tes yeux" si tu y tiens, mais fais quelque chose. La vie de Neville pourrait en dépendre, et tu ne laisserais rien arriver à ton précieux garçon-qui-a-survécu, n'est-ce pas ? »
Severus n'attendit pas la réponse avant de partir. Ils savaient tous les deux à quel point il avait été sarcastique, et combien il était inutile de s'attarder dans une dispute.
