(La coupe de feu) Commémoration


Albus Dumbledore était las ce matin.

Il avait été levé aux premières lueurs de l'aube par Madame Pomfresh qui l'informait que Severus était revenu. Ce n'était guère une surprise que l'espion ait besoin de soin après une rencontre qui aurait probablement dû lui coûter la vie.

C'en était davantage une de découvrir qu'il était, de fait, vivant, et peut-être plus encore d'apprendre qu'il avait été assez raisonnable pour se faire soigner, et ne même pas s'en charger personnellement, avant de venir faire son rapport.

Albus s'était précipité à l'infirmerie. Il devait savoir comment ça s'était passé, et il devait voir l'état de son espion revenant. Celui qui n'était plus aussi jeune et émotif que dans ses premières années d'espionnage avait-il réussi à convaincre Voldemort pour ainsi revenir, ou était-il parvenu à fuir ? Plus tôt il lui parlerait, plus vite il aurait la réponse.

Il l'avait trouvé caché derrière des rideaux de confidentialité, assis sur un lit, bras croisé et bougonnant. Lily était à côté de lui et ne lui permettrait simplement pas de se lever.

« Ça n'a tout simplement aucun sens. », avait-il râlé dès que le directeur eut passé les rideaux. « Je vais très bien, et il n'y a aucune raison pour que je reste ici. Je peux faire mon rapport dans votre bureau, ce qui serait bien meilleur pour la confidentialité, et me soigner dans mes appartements sans risquer qu'un élève passe et s'interroge. »

Albus avait simplement été amusé. Oui, Severus était au moins suffisamment en état pour avoir cette attitude têtue et un peu enfantine. « Tu connais Madame Pomfresh depuis tes onze ans. Y a-t-il une personne au monde envers qui tu as davantage confiance pour prendre soin de ta santé ou de celle des autres ? »

Severus avait détourné la tête face au regard pétillant du directeur. Il n'avait pas répondu. Il n'y avait rien qu'il aurait pu répondre sans blesser l'amour propre d'au moins une personne présente.

Poppy avait croisé les bras sévèrement. Même si Severus était un collègue proche, et aurait pu être un bien meilleur médicomage qu'elle s'il l'avait voulu, il restait actuellement son patient. Elle était toujours attentionnée avec ses patients, mais aussi stricte et intransigeante, spécialement en présence de cas récalcitrants. « Alastor Maugrey est mon seul autre patient, Severus. Lily, laissons-les s'expliquer entre eux. » L'infirmière se détournait déjà, tandis que Lily la rejoignait. « Ne fatigue pas mon patient, Albus, je te préviens ! » conclut la femme âgée de mauvaise humeur.

Albus s'était contenté de pouffer un peu, mais dès qu'il fut assuré d'être seul avec Severus, il avait retrouvé tout son sérieux.

Severus, sans autre choix que de faire son rapport en ce lieu, avait agité sa baguette pour placer son Muffliato, afin de les préserver de toute écoute clandestine.

« Comment ça s'est passé ? Beaucoup de dégâts ? » avait aussitôt questionné le vieil homme avec toute la rigueur que la situation lui imposait.

« À votre avis, Albus ? Il n'aime pas qu'on lui tienne tête, et il n'aime pas non plus que l'on s'aplatisse de peur devant lui pour implorer son pardon comme tant de personnes font. Pas toujours du moins. Il n'aime pas grand-chose. C'est ma chance d'avoir eu un père qui n'aimait pas grand-chose non plus, je connais ce genre d'individu. »

« Je doute qu'on puisse comparer un moldu qui n'aime pas grand-chose avec le Seigneur des Ténèbres. »

« Crois-moi, Albus, je les connais. Ils sont très différents, à n'en point douter, mais mon expérience avec lui s'avère très pratique pour traiter avec l'autre. Quoi qu'il en soit, parlons de la seule chose qui t'intéresse, car tu n'es venu que pour cette réponse, n'est-ce pas. Il n'est pas l'heure de tourner autour des jours : il me croit. »

« Tu es vraiment de retour alors ? Nous avons réussi, l'espion reste ? »

« Oui, Albus. »

« Comment l'as-tu convaincu ? Comment t'a-t-il accueilli ? Les craintes de Neville étaient-elles infondées ? »

Alors Severus lui avait raconté.

La nuit de l'espion, de l'agent double, triple ou quadruple selon le temps qu'il faisait dehors ou la mélodie chantée par le rossignol à la fenêtre d'Hagrid, avait été particulièrement horrible. Ça avait été une véritable, au sens propre, séance de torture.

Des Endoloris et des Legilimens alternés, ou même simultanés afin de pousser à bout son occlumancie… et cela n'avait été que la trame principale des tourments. Il y avait aussi eu de nombreux autres sorts. On ne revient pas ensanglanté après seulement deux sorts qui ne touchent qu'à l'esprit et au mental.

Severus était certain que ça ferait hurler de rire Sirius s'il l'apprenait, chose qui n'arriverait jamais.

Il avait confié au directeur quels souvenirs, et quelles modifications, avaient été vues par le Seigneur des Ténèbres. Il avait notamment dû créer intégralement toute la scène des événements après la révélation de Neville sur le retour de Voldemort. Inventer le souvenir de toute pièce lui avait particulièrement déplu, et il préférait de loin quand il n'avait que quelques éléments ou des petits détails à corriger, ou même quand il pouvait laisser la scène telle qu'elle était.

Pour bien faire, il avait déposé dans une petite fiole le souvenir entièrement fabriqué d'une discussion avec Albus qui se serait déroulée avant qu'il ne rejoigne Voldemort quelques heures plus tôt, afin que le directeur puisse voir ce qu'il y avait mis précisément.

En somme, ce souvenir mettait en scène un Albus mécontent de découvrir que la marque avait annoncé le retour futur de Voldemort sans que Severus ne lui en parle durant toute l'année, et qui avait pris la décision de placer Lily et Harry dans un autre foyer tout en refusant de dévoiler lequel à son espion. C'était aussi là que Dumbledore aurait donné son accord — ou ordonné — pour que Severus retourne auprès de Voldemort, en tant qu'espion bien entendu.

« Le Seigneur des Ténèbres fera évader ses Mangemorts d'Azkaban avant quoi que ce soit d'autre. », avait déclaré Severus. « Il pourrait également faire infiltrer le ministère. »

La guerre ne serait pas ouverte chaudement immédiatement. Chaque camp voudrait s'y préparer.

Et c'était exactement ce qu'Albus ferait, dès maintenant.


Le tournoi terminé, les deux écoles étrangères allaient repartir. Mais avant leur départ, Albus avait un discours à faire. La grande salle, toujours malléable, avait été aménagée pour installer tout le monde sur des chaises face à l'estrade, où seul Dumbledore siégeait. Élèves comme professeurs observaient la minute de silence. De graves événements avaient eu lieu, une fin tragique et funeste que l'issue de ce tournoi.

Les étendards qui ornaient le plafond n'étaient ni Gryffondor, ni Serpentard, ni aucune autre maison. C'était ceux noirs du deuil, ornés d'un grand « P » blanc pour Poudlard, et de quelques étoiles. Il n'y avait nul ciel de Poudlard en ce jour, et les voûtes de bois étaient parfaitement visibles pour celui qui lèverait les yeux.

Enfin, Dumbledore parla.

« Aujourd'hui, nous connaissons un épouvantable malheur. »

Le directeur se leva doucement.

« Cédric Diggory était comme vous le savez particulièrement travailleur, infiniment honnête et droit, et plus important encore, un ami fidèle. Fidèle et loyal. Je pense donc que vous avez le droit de savoir comment il est mort. »

Il s'avança jusqu'au pupitre où il dispensait habituellement ses discours et annonces.

« Eh bien, Cédric Diggory a été tué par Lord Voldemort. Le ministère de la magie ne souhaitait pas que je vous le dise, mais ne pas le dire aurait été une insulte à sa mémoire. Le chagrin que nous éprouvons devant ce drame affreux me rappelle, nous rappelle, que même si nous venons d'autres pays et parlons d'autres langues, nos cœurs battent à l'unisson. À la lumière de ce qui s'est passé, les liens d'amitié que nous avons tissés cette année deviennent plus importants que jamais.

« Souvenez-vous-en, et Cédric Diggory ne sera pas mort en vain. Souvenez-vous-en et vous honorerez la mémoire d'un garçon qui fut généreux et sincère, courageux et fraternel, jusqu'à son dernier souffle. »


Pendant que les élèves de Durmstrang et Beauxbâtons préparaient leurs bagages, Neville se rendit au bureau du directeur. Il avait tenu à y aller seul, pour discuter d'une question qui lui oppressait l'esprit depuis sa rencontre avec Voldemort.

Harry n'avait de toute manière pas été vraiment enclin à l'accompagner. Depuis l'annonce que Severus retournait espionner, et que le garçon et sa mère devraient vivre ailleurs, le Gryffondor parfois Serpentard était maussade et restait le plus souvent enfermé dans leur dortoir, à ne rien faire souventefois, à lire parfois.

Draco n'était pas tellement de meilleure humeur. Il abordait sa baisse de morale de manière différente, en restant toujours dans la cour, généralement à l'ombre d'un arbre ou d'un autre, jamais fixé, que ce soit en s'asseyant sur la terre entre ses racines, en se perchant en hauteur entre ses branchages, ou simplement en trouvant un banc qu'il métamorphosait régulièrement lui-même à partir d'une pierre, d'une feuille ou d'une brindille tombée là.

Il lisait, beaucoup. Il ne parlait que peu. Il avait l'air calme, à la fois tranquille et imperturbable, paisible et silencieux, aussi dormant qu'une eau stagnante, et l'expression aussi lisse qu'une statue taillée dans un bloc de glace ou de marbre.

Ginny et Hermione le rejoignaient de temps à autre, et il partageait avec elles ses pommes vertes qu'il récupérait on ne sait où et qui emplissaient si souvent son sac, mais il ne leur adressait pas la parole, et leur répondait le plus simplement possible chaque fois qu'elles attendaient de lui une réponse… quand il la donnait.

Ron avait abandonné de parler à Harry, mais il se battait encore parfois pour apporter la légèreté et la bonne humeur auprès des filles et du Serpentard. Ce n'était pas les jumeaux, en deuil de leur camarade Cédric, qui allaient s'en charger.

Voir les jumeaux Weasley déprimer était un rare spectacle. Et aucunement plaisant. Mais Fred et George ne se laissèrent pas abattre, et malgré leur chagrin, ils distribuaient encore leurs farces et attrapes.

Plusieurs fois, Draco répondit grossièrement à Ron « d'aller se faire foutre ». C'était assez direct et sec pour faire comprendre qu'il voulait la paix. Et ça changeait un peu pour Ron de se le faire dire par le Serpentard noble et plein de traits d'esprit agaçants plutôt que par sa petite sœur vive et peu délicate. Ron restait simplement là.

Neville était le seul qui parvenait à s'approcher d'Harry. Peut-être Draco aurait-il eu du succès également s'il avait tenté, bien que le dortoir des garçons de Gryffondor n'était pas vraiment un lieu auquel il avait accès, mais Ron n'était définitivement pas assez proche de cet ami pour avoir sa chance.

Neville allait et venait, en électron libre, entre les différents groupes séparés de ses amis. Il n'était gêné par l'attitude d'aucun d'entre eux, et sa présence calme et douce était toujours la plus bienvenue pour accompagner les deux prostrés. Ils ne sortaient pas de leur nouvelle attitude, mais ils se détendaient plus facilement auprès de Neville.

Mais pour l'heure, le garçon avait lui-même autre chose en tête. Il donna prudemment le mot de passe, et monta l'escalier que la gargouille lui dévoila en pivotant. Il toqua à la porte, et la voix bien connue du directeur l'autorisa à entrer.

Le vieil homme sourit amicalement en voyant l'adolescent sage. « Bonjour, Neville. Comment te sens-tu ? »

Neville hocha la tête en salutation, et s'approchait du bureau pour s'asseoir à l'un des sièges. « Bonjour, monsieur le directeur. Mieux déjà, merci. »

L'enfant prit place sur la chaise.

« Tu dois être très perturbé d'avoir vu Cédric Diggory mourir sous tes yeux. N'hésite pas à m'en parler, à n'importe quel moment. »

« Merci, monsieur le directeur. »

Il était clair que le garçon n'était pas là pour ça. « As-tu une question à me poser ? »

« Oui, monsieur. Dans le cimetière, lors de ma lutte contre Voldemort, il s'est passé quelque chose d'étrange. Je n'ai pas simplement fui, et je n'aurais pas pu fuir sans aide. »

Le regard du directeur devint curieux, mais il n'interrompit pas.

« Nous nous sommes affrontés. Je suis parvenu à lancer un sort, un Expelliarmus, et Voldemort a contré avec un Avada Kedavra. Les deux sorts se sont percutés et nos baguettes se sont mises à vibrer. On a été entouré d'un halo lumineux et… »

Cette fois, Dumbledore coupa. C'était involontaire, bien sûr, mais quand Neville entendit le souffle de voix glisser « Priori incantatum. », il s'arrêta et observa le directeur avec une certaine curiosité.

« Qu'est-ce que c'est, monsieur ? »

« Tu as vu tes parents, cette nuit-là, n'est-ce pas ? »

Neville fut surpris un bref instant, le temps de se souvenir qu'il était assis face au plus puissant sorcier de leur temps, un vieil homme sage aux multiples connaissances. « Oui. Il y avait Cédric, qui m'a demandé de ramener son corps, mes parents et ma grand-mère. Ils m'ont dit quelques mots, et m'ont dit qu'ils allaient le retenir pendant que je devais aller chercher le portoloin. Et puis, il y avait aussi… »

« Oui, Neville ? »

« Le… le vieux jardinier que j'avais vu être tué par Voldemort dans mon cauchemar. »

Le directeur paru inquiet. « Tu es certain que c'était lui ? »

« Assurément. Aussi certain que c'était Bartémius Crouch Junior. »

« Je vois. » Le directeur s'enferma dans ses pensées. Il avait à réfléchir.

Mais Neville, d'ordinaire patient, ne voulait pas perdre son objectif premier parce que l'autre revenait dans la discussion.

« Monsieur, quel est ce "priori incantem" que vous avez évoqué ? »

Le vieil homme redressa la tête vers l'adolescent. « Priori incantatum, Neville. C'est un phénomène magique très rare. Et pour cause : il n'apparaît que lorsque l'on essaye de faire s'affronter deux baguettes jumelles. Elles ne peuvent agir l'une contre l'autre, vois-tu, alors lorsque leurs propriétaires les forcent à combattre, les baguettes se relient. L'une d'elles, une seule, finit par être obligée de régurgiter les sorts qu'elle a jetés, du plus récent au plus ancien. »

« Je ne comprends pas comment cela a fait apparaître ces fantômes de ma famille. »

« Si l'un de ces sorts était un sortilège de la Mort, un écho du défunt apparaît. Il conserve l'apparence et la personnalité de la personne, mais je t'assure, Neville, qu'on ne peut faire revenir les morts. »

« Je sais, professeur. »

« Tu es plus sage que beaucoup de sorciers adultes, Neville. J'ai toujours admiré cela, et à la fois ton grand cœur et ton courage. Je t'ai fait courir de grands risques cette année, et j'en suis navré. Des temps sombres s'annoncent. Bientôt, nous aurons tous à choisir entre le bien et la passivité. »

« La passivité est la plus grande alliée de Voldemort, n'est-ce pas, professeur ? C'est parce que beaucoup de sorciers ne font rien que Voldemort parvient à plonger notre monde dans les tourmentes que vous avez déjà connues lors de la Première Guerre. Je vous assure, professeur, que j'ai déjà fait mon choix. »

« Je le sais. »

Cela ressemblait à une conclusion.

« Merci pour votre temps, professeur. »

Neville se leva pour partir.

« Neville… »

Le garçon se retourna. « Oui, monsieur ? »

« Avec ton accord, je discuterais avec Severus au sujet de tes cauchemars. Peut-être viendrons-nous avec une solution pour toi l'année prochaine. »

À la mention du maître des potions, Neville ne sourit pas. Il ne pouvait pas être rassuré par la proposition avant de savoir… « Monsieur, est-ce que le professeur Snape est revenu ? » Sans le vouloir, Neville tremblait. Il avait tenté d'avertir l'homme de ne pas y retourner, mais l'espion n'avait pas écouté. Et il était parti avec la bénédiction de Dumbledore.

« Oui. Il va bien. »

Neville laissa enfin s'échapper ce souffle de soulagement. Ils n'avaient eu aucune nouvelle du professeur depuis son départ, ne l'avaient vu nulle part, pas même lors du discours du directeur. Il s'autorisa enfin à apprécier la proposition.

« Si vous trouvez quelque chose, pourquoi ne pas commencer au plus tôt ? Dès cet été ? »

« Je crains que ce soit impossible, Neville. Dorénavant, vous devez conserver le moins de contact possible avec Severus. Cela vaut aussi bien pour toi que pour Harry. Vous ne feriez que le mettre dans une situation des plus délicates. »

« Nous pourrions au moins prévenir Harry, il se fait un sang d'encre depuis le départ de Severus ! »

Dumbledore secoua négativement, doucement, la tête. « Severus va consacrer entièrement la fin de cette période à ses Serpentard, à la surveillance des devoirs et à leur correction. Il n'a pas le temps de s'occuper d'Harry. Du reste, il n'en a plus le droit. Je sais que ton ami pourrait avoir du mal à comprendre, mais j'ai confiance en toi pour voir l'importance de rester éloigner de votre professeur. »

Neville hocha tristement la tête. « Je comprends, monsieur. Je comprends votre point de vue et celui de Severus, mais je connais aussi celui d'Harry. » Il regarda le directeur avec assurance. « Ce n'est pas juste pour lui. Permettez-lui au moins de savoir. Et oui, il ira directement voir Severus, mais c'est son droit. Un élève ne peut-il pas aller voir un professeur ? Il n'y a pas d'ordonnance restrictive. Ce n'est pas parce qu'il n'est plus son tuteur qu'ils ne peuvent plus se voir. »

« Severus ne l'accueillera pas bien. », soupira le directeur.

« Cette affaire est entre eux. Merci, directeur. Au revoir. »

Neville sortit du bureau respectueusement. Il alla directement au dortoir Gryffondor.