(L'Ordre du Phénix) Les raisons de Fudge


Il y eut rapidement une autre réunion, dès le lendemain. Les adolescents avaient dû s'éloigner de la salle et monter à l'étage. Grâce aux jumeaux, qui avaient créé une paire d'oreilles magiques, reliées par un fin fil, permettant d'écouter à distance les conversations, ils avaient tenté d'espionner la discussion de l'Ordre. Malheureusement, le chat d'Hermione joua avec cette oreille solitaire pendue au bout d'un fil qui lévitait devant la porte close. L'animal avait fini par décrocher l'oreille et l'emporter avec lui. Les adolescents n'avaient guère pu entendre beaucoup plus que quelques échanges de politesses entre Sirius et Severus, comme Harry en connaissait tant.

« Il n'y a que moi qui aie du mal à croire que Snape fasse partie de l'Ordre ? » questionnait Ron alors que les enfants descendaient pour le déjeuner.

« Oui. », déclara Ginny posément tandis que les jumeaux transplanaient, encore une fois, pour surprendre leur mère. Neville et Harry songeaient qu'ils feraient mieux de s'y habituer très vite. Cela semblait être une plaisanterie récurrente.

Cette fois, quelques membres de l'Ordre étaient restés pour déjeuner. Mis à part Maugrey, Neville et Harry pouvaient voir deux nouvelles têtes : un grand homme chauve à la peau foncée, d'âge moyen, en vêtement bleu sombre ; et une jeune femme aux cheveux étrangement roses, et au sourire joyeux et facétieux. Harry ne s'attarda pas longtemps à les étudier, et préféra se concentrer sur sa mère qui contemplait encore la cheminée avec un air nostalgique et songeur. Sirius et Remus épiaient aussi Lily avec quelques inquiétudes. Neville, en revanche, n'était parvenu à dissimuler l'interrogation dans son regard alors qu'il observait ces nouveaux personnages, et l'homme inconnu sembla le remarquer. Il se redressa bien droit, et se présenta chaleureusement. Sa voix grave parut sortir Lily de sa rêverie, et elle se retourna vers l'assemblée avec un regard vif et éveillé. Le sourire doux qu'elle envoya à Harry le laissait croire qu'elle allait parfaitement bien.

« Bonjour jeunes gens. », déclama-t-il à tous avant de porter son attention presque exclusivement sur Neville. « Je suis Kingsley Shacklebolt, employé du ministère, et plus précisément auror. C'est un ravissement de vous rencontrer, Neville Longbottom. On m'a transmis que vous ressembliez à votre mère, mais je vois que vous avez grandi pour prendre davantage de votre père. C'étaient des collègues de talents, et je suis certain que vous leur faites honneur. Ceux qui vous connaissent le disent tous. »

« Enchanté de vous rencontrer, auror Shacklebolt. » Neville tourna le regard vers la femme à côté de qui Ginny avait pris place pendant que les jumeaux grognaient en douce en direction du chat d'Hermione qui se tenait majestueusement à l'entrée de la salle, vraisemblablement très fier de lui ou contenté de son repas à base d'oreille enchantée. La femme lui sourit avec entrain et la partie basse de son visage se mua en bec de canard, sous les rires de Ginny. Neville était impressionné. « Comment faites-vous cela ? »

Elle lui fit un clin d'œil. « Je suis métamorphomage, ce qui signifie que je peux changer ma figure facilement, ou même toute mon apparence, avec une simple pensée, sans sorts ou potions. C'est assez pratique pour les déguisements. Et non, tu ne pourrais pas l'apprendre. Les métamorphomages sont rares, et c'est un don exclusivement de naissance, au contraire des animagi. Mon nom est Tonks. Et comme tu me vois, je suis aussi une auror. Nous, on te croit, au sujet du retour de Voldemort. »

« Comme ça ? » demanda Neville, tout autant interloqué que Harry qui observait maintenant avec pleine attention la femme.

« Oh. », fit-elle comme si elle avait commis une maladresse.

« Nymphadora… », grogna Maugrey.

« Ne m'appelle pas Nymphadora. », refusa Tonks, ses cheveux devenant rouges.

Harry questionna. « Que signifie le fait que vous le croyiez ? Voldemort est revenu, c'est tout. »

Maugrey regarda Kingsley. « Montre-le-lui. De toute façon, il le saura. »

L'air semblait lourd et le silence pesant dans la salle tandis que l'homme sortait un journal, le dépliait rapidement et le tendait à Neville. L'adolescent parcourut bien vite le titre, et conclut qu'il était inutile de s'attarder sur le contenu. « Neville Longbottom, le garçon-qui-ment. », déclarait l'article en première page. Harry, qui avait observé par-dessus son épaule, lui arracha le parchemin des mains quand le garçon-qui-avait-survécu commençait à le poser sur la table sans mot dire.

« C'est scandaleux ! » s'emporta Harry. « Qu'est-ce que ça veut dire ? »

Remus prit la parole. « Ça veut dire que le ministre use de tous les moyens, de toutes ses relations, de toute la désinformation possible auprès des journaux pour calomnier Neville et le professeur Dumbledore. »

Neville était effaré. « Dumbledore aussi ? Mais pourquoi, quel est le but, l'intérêt ! »

« C'est la peur qui le motive, qui corrompt son esprit, et l'incite à prendre ces mauvaises décisions. Il refuse d'y croire, car c'est effrayant, et il préfère penser que le professeur Dumbledore veut s'emparer de sa place en levant une armée. »

Neville blanchit et sentit le froid assaillir sa colonne vertébrale. « Alors nous sommes seuls… Il n'y a que le professeur Dumbledore et l'Ordre pour lutter contre Voldemort. Trop de gens restent passifs. Pis, tant ne peuvent même pas faire un choix, prendre la décision de se lever et de se battre parce qu'on leur ment en leur faisant croire qu'il n'y a aucun problème. Voldemort est revenu, la guerre est là, nous devons informer le monde sorcier de cela ! Comment Fudge pourrait-il réussir à cacher les attaques des Mangemorts, à cacher l'existence de Voldemort ? Les gens le croient ? »

« Malheureusement, oui, la plupart préfèrent croire Fudge que Dumbledore. »

« Mais qui, sain d'esprit… »

« Justement, c'est là, le problème, Neville. Il n'y a pas que le ministre qui a peur. Tout le monde a peur. Beaucoup veulent être rassurés. »

Sirius intervint. « Pour en revenir à ton autre question, Neville, il est possible de cacher la situation pour l'instant, car Voldemort semble se faire discret. La dernière fois, il avait beaucoup de Mangemorts à son service, qui sont maintenant morts ou à Azkaban. Et il n'avait pas que cela, mais aussi des alliances avec de nombreuses créatures sombres. Nous avons essayé, nous aussi, d'en rallier certains, et nous allons encore nous y atteler, les loups… » Maugrey se racla la gorge. « -garou, les gé… »

« Sirius. », coupa Remus, ignoré à son tour.

« — ants… »

« À table. », interrompit Molly, en posant lourdement le plat. Le regard qu'elle envoyait à Sirius en disait long sur sa pensée similaire à celle de Remus.

Toutes les personnes présentes s'installèrent pour le déjeuner, bien que jusqu'alors seul Maugrey s'était tenu à l'écart de la table. Les assiettes furent remplies, et le repas débuta. Sirius n'abandonna pas sa tentative de divulguer des informations.

« Voldemort n'agira pas tout de suite. Il doit regagner des forces. De plus, nous pensons qu'il cherche quelque chose… »

Lily fixa durement Sirius. « Ça suffit. Pas un mot de plus, Sirius. Si tu le fais, autant les faire directement rentrer dans l'Ordre. »

Harry s'exclama vivement. « Tant mieux ! Nous voulons tous en être. »

« Tu vois ? » pointa Sirius à l'intention de Lily. « Ils veulent se battre avec nous. Sans Neville, nous ne saurions même pas que Voldemort est revenu. »

« Ce sont encore des enfants. », rappela Molly.

Lily, un coude sur la table, laissa tomber son front contre sa main, sa chevelure rousse glissant sur ses épaules et couvrant son visage. « De grâce, cessez. » Sa voix était une imploration qui montrait à quel point elle n'en pouvait plus. « Ce sera toujours le même sujet, les mêmes arguments. Il est inutile de poursuivre pareille discussion. La majorité et le bon sens l'ont emporté, Sirius. N'incite pas nos enfants à aller au-devant du danger contre lequel nous nous battons pour les en protéger. »

Sirius était clairement mécontent. « Personne ne se souvient de comment c'était à l'époque ? La première fois, nous n'étions pas beaucoup plus âgés quand nous avons décidé de nous battre. »

« Je me souviens qu'à leur âge et même un peu plus, tu n'étais certes pas prêt pour prendre des responsabilités. Je me souviens de ce dont tu étais capable, oui. » Lily fronça les sourcils et se frotta la tempe douloureusement. Ses souvenirs n'étaient pas revenus ni intacts. Elle savait certaines choses, mais en ignorait d'autres qui pourtant étaient là, quelque part, et qui concernaient Sirius. Elle savait qu'il y avait une histoire avec cette nuit à la cabane hurlante où ils avaient découvert Peter Pettigrow, mais elle ne pouvait s'en rappeler clairement. Elle s'était souvenue de quelque chose alors qu'elle accourait pour rejoindre Severus, mais quoi ? Elle avait à nouveau oublié.

Les autres personnes présentes jugèrent prudent de s'arrêter là. Qu'ils sachent ou non l'état de Lily, il était visible qu'elle n'allait pas bien ce jour-là. Chaque membre de l'Ordre avait clairement pu voir le lien ténu et fissuré qui reliait la rousse à l'espion, et que la femme souffrait de devoir rester à l'écart et être ignorée par l'homme sombre qui n'avait lui-même guère pu s'empêcher de lui adresser furtivement un regard déchiré et brisé. Les deux s'étaient à peine adressé la parole, et Dumbledore avait rompu toutes tentatives de Lily d'aborder Severus. À la fin, le maître des potions était reparti avec le directeur, après n'avoir participé que pour critiquer Sirius, et discuter de quelques informations et stratégies. Il avait aussi ressorti toutes les observations qu'il avait pu faire au cours des quatre dernières années au sujet des adolescents séjournant dans le manoir pour justifier qu'aucun n'était apte ou prêt à rejoindre l'Ordre.

Arthur, après un petit regard compatissant vers Lily, reprit la conversation en engageant un nouveau sujet.

« Harry, le professeur Dumbledore a réussi à négocier avec le ministère, et tu n'es pas renvoyé. Pas encore, du moins. Tu auras un procès dans quelques jours. Je te conduirais à l'audience. Ce qui est le plus étrange, c'est que tout le Mangenmagot se réunira. »

« Qu'est-ce que le Mangenmagot ? » s'enquit Neville en baissant la tête, honteux de son ignorance.

« C'est le tribunal magique, la branche législative et judiciaire du ministère. Il est inhabituel qu'il se réunisse pour un cas de magie mineure. »

« Des spécialistes de la parodie de justice. », grogna Sirius.

Harry ne comprenait pas. « Qu'est-ce que le ministère a contre moi ? D'abord des détraqueurs qui ne pourraient être contrôlés que par eux, maintenant un procès comme si j'étais un dangereux criminel ? »

Remus soupira. « C'est incompréhensible, mais nous pouvons supposer que Fudge veut s'attaquer à tous les soutiens connus et possibles du professeur Dumbledore ou de Neville. Sirius en fait partie. Tu en fais partie. »

« Vous l'avez dit, je ne suis qu'un adolescent, un enfant. Quel danger pourrais-je représenter ? » Harry était à la fois sarcastique et réellement interrogatif. Il n'y avait aucun sens à tout cela. C'eut été tordu si c'était arrivé à Neville, qui était ciblé par Fudge. Alors qu'était-ce quand c'était à lui que ça arrivait ?

La voix intransigeante de mère dont la patience était épuisée de Molly s'éleva. « Assez pour aujourd'hui. Harry, nous ne prétendons pas connaître ou comprendre nous-même les agissements du ministre. Comme Remus l'a évoqué, l'esprit du ministre est perverti par la peur, il est irrationnel. Nous n'avons pas les réponses, alors cesse de te torturer en cherchant des explications là où il n'y en a pas. Tout se passera bien. Arthur t'accompagnera, et plusieurs membres de l'Ordre veilleront, sans compter que Dumbledore s'assurera que tu viennes à Poudlard. Le ministre ne pourra pas empêcher le directeur d'accueillir un élève. »

Neville s'inquiétait toujours autant. « Pourquoi le professeur Dumbledore ne nous parle-t-il pas de tout cela lui-même ? » Il désirait poser beaucoup d'autres questions, mais chacune serait aussi sûrement éludée que celles de Harry. De plus, celle-ci était, même s'il ne voulait pas l'avouer, celle qui lui pesait le plus.

Maugrey répondit. « Albus est très occupé. »

Harry se rebella contre cette réponse. « Ostensiblement, une partie de ces renseignements vient de lui. Si nous avions été là durant la réunion, vous n'auriez pas à nous les transmettre de la sorte. »

« Vous n'en faites pas partie. », déclara l'ancien professeur, qui n'avait guère pu tenir ce rôle, de la voix bourrue qu'ils connaissaient si bien. « Et vous n'en ferez pas partie. »

Cela semblait clore le sujet.

À la fin du repas, alors que les adolescents repartaient et que les membres de l'Ordre momentanément invités avaient quitté l'endroit, Lily retint son fils en l'attirant dans une étreinte serrée. Elle lui caressait en douceur les cheveux pendant que le garçon appuyait sa tête contre elle et écoutait les battements de son cœur. « Je t'aime, Harry. », annonça-t-elle affectueusement. Harry releva le visage vers elle, curieux de découvrir pourquoi elle le dirait maintenant, et inquiété par ses agissements. Elle lui souriait tendrement. « Ne l'oublie jamais. Et je ferais tout pour te protéger, quoi qu'il arrive. »

« Je sais Maman. », répondit l'adolescent.

« Severus aussi le fait et continuera de le faire. » Harry hocha la tête aux paroles de sa mère, et se reposa contre elle. Elle commença à le bercer un peu, et même s'il avait 15 ans, ce n'était pas désagréable d'obtenir un peu de réconfort. « C'est ce que font les parents. » À ces mots, Harry ferma les yeux et laissa glisser quelques larmes silencieuses sur ses joues.


Lily avait de justes raisons de s'inquiéter pour son fils. La dernière réunion avait été assez perturbante, et ne présageait rien de bon pour la sécurité de Harry. Dumbledore avait exprimé ses craintes vis-à-vis de la situation du jeune Gryffondor. Neville était et resterait le garçon-qui-avait-survécu, cela ne faisait aucun doute, mais dans l'esprit de Voldemort, il pourrait y avoir un autre ennemi. Dumbledore n'avait guère donné les détails, mais il avait évoqué pour la première fois la prophétie, la raison pour laquelle la famille Longbottom avait été ciblée et tuée. Voldemort en savait le début, mais ignorait la fin. Dumbledore était le seul à la connaître tout entière, et il n'en avait dévoilé aucune parcelle à l'Ordre. Il avait simplement avoué qu'avec juste le commencement, Voldemort pouvait vouloir s'en prendre et à Neville, et à Harry, et au vu des événements récents, de cette attaque de détraqueur qui pourrait avoir été enjointe par le Seigneur des Ténèbres, alors il apparaissait possible que celui-ci ait choisi de viser les deux garçons.