(L'Ordre du Phénix) Seul
« Alors, est-il parvenu à obtenir une participation extérieure pour son devoir ? »
Ce fut la première chose que Draco, aux côtés de Ginny, demanda lorsque les quatre Gryffondor de cinquième année vinrent les rejoindre au dîner. Ron le regarda avec suspicion tandis que chacun prenait place à la table de Poufsouffle. Une fois installé lui-même, le roux répondit, lentement, toujours fixé sur le blond en se demandant ce qu'il mijotait. « Hermione fera mon introduction. »
« Parfait ! » s'exclama Draco, en frappant un coup dans ses mains. Il commença ensuite à manger, un bien trop grand sourire pour être honnête sur le visage, sous les regards persistants des nouveaux arrivants. Peu à peu, chacun se détendit. Ce fut lorsque tous avaient décidé de laisser tomber leur méfiance que le Serpentard reprit la parole. « 5 points en moins de Gryffondor pour faire faire ses devoirs à un autre. »
« Elle ne fera que l'introduction ! » riposta Ron, tandis que les autres râlaient ou soupiraient.
Draco releva des yeux extrêmement sérieux vers lui. « Ça reste une partie du devoir. Et ce n'est pas rien, l'introduction. Il y a le plan avec. La décision est prise, et tout préfet qui trouverait cela injustifié devrait commencer par aller vérifier ses droits et devoirs ainsi que ceux du reste des étudiants. »
Malgré eux, les Gryffondor étaient obligés de reconnaître qu'il n'avait pas tout à fait tort. Ron monopolisa la majorité du temps de parole à râler, comme depuis qu'ils avaient reçu leurs emplois du temps, sur la présence du cours de charmes, qui prenait place toute la matinée du samedi. Draco ne perdait pas l'occasion de se moquer de cela, n'ayant lui-même aucun cours le samedi. Les autres pouvaient tenter d'argumenter que la matinée du vendredi était libre en échange, et qu'ils finissaient tôt le mardi, rien ne calmait Ron. Harry trouvait toujours cela aussi lassant quand le roux se répétait en boucle sur un sujet de rouspétation.
Encore une fois, Harry et Neville réussirent à ce que ni Draco ni Ginny ne repèrent les cicatrices sur leur main. Dès la fin du repas, Neville décréta qu'il allait voir Dumbledore. Draco voulut évidemment savoir de quoi il retournait, même s'il n'était absolument pas volontaire pour accompagner. Neville se contenta de signifier qu'il y avait beaucoup de choses entre lui et le directeur, plus qu'aucun d'eux ne pourrait deviner. Il ajouta qu'il n'interrogeait pas Draco sur son père, après tout, alors le Serpentard ne devrait pas avoir besoin de tout connaître au sujet de son mentor. Le préfet de maison opposé admit sa défaite, et ne commenta pas lorsque Harry décréta qu'il accompagnait son meilleur ami.
Harry ne resta pas longtemps avec Neville. Ils voulaient chacun voir une personne différente. Le Gryffondor myope usait simplement de l'excuse de l'autre pour s'échapper à la curiosité du blond qui, s'il n'aimait pas le directeur, serait en revanche plus qu'enclin à insister et suivre quand cela concernait son parrain.
Le garçon-qui-avait-survécu se rendit donc seul au bureau du directeur. Il avait été pénible pour lui d'avoir à demander le mot de passe à Harry, qui le connaissait en tant que préfet, au lieu de conserver son privilège d'être celui qui le savait. Toutefois, devant la gargouille, Neville eut beau donner le nom de la sucrerie, l'accès lui demeura interdit. Dumbledore refusait obstinément de le voir. L'adolescent se rassura en se persuadant que le directeur était tout simplement trop occupé, absent même de l'école probablement. C'était cela, juste ça. Il dut se résoudre à abandonner, et retourna aux dortoirs, dépité, et seul.
Comme attendu, le professeur autorisa l'élève à rentrer au son du poing sur la porte. L'adolescent pénétra dans le bureau, et la chef de Maison qui relevait la tête devint encore plus sévère. Avant qu'il ne dise quoi que ce soit quand la porte fut close, le Gryffondor relevait sa main gauche, paume vers lui, dos vers l'homme austère, tout en s'avançant rapidement et en prenant la parole.
« Je ne dois pas mentir. Je ne dois pas répéter les mensonges d'autrui. … Je dois le respect à mes professeurs. »
Alors que l'adolescent s'était arrêté pas tout à fait au milieu de la salle, car assez proche du bureau, mais tout de même encore à bonne distance, le maître des potions s'était déjà levé, le regard ébahi à sa manière, reconnaissant et hanté, et se mouvait rapidement vers une étagère. « Depuis quand as-tu cela ? » demanda-t-il d'une voix sourde, dos tourné, tandis qu'il récupérait un pot.
« Elle nous a fait écrire des lignes… »
« J'ai demandé "depuis quand". », coupa le maître des potions vivement en pivotant vers le garçon. Il revenait vers l'adolescent pendant que celui-ci répondait avec neutralité et sérieux.
« Une première retenue mardi soir, puis hier et aujourd'hui, soirs encore. »
Le professeur saisissait la main de l'élève et lançait des sorts dessus pour analyser la blessure. Harry reprit son explication.
« Elle nous a fourni ses propres plumes, et nous n'avions pas d'encre. Elle disait que nous n'en aurions pas besoin. C'est apparu peu à peu. … »
Le professeur lui lança un regard noir. « Pourquoi n'avez-vous averti personne plus tôt ? Pourquoi n'es-tu pas allé à l'infirmerie ? »
« Qu'est-ce qui te ferait croire que je n'y suis pas allé ? »
Il lâcha vivement la main, et sortit le pot de sa poche. « Madame Pomfresh m'aurait averti, ou ta mère n'aurait eu de cesse de s'outrager. De plus, ta main ne serait plus dans un tel état. Ceci est une pommade basique contre les coupures. Elle ne sera pas des plus utiles étant donné l'origine de la blessure, mais cela devrait soulager tout de même. Tu en mettras durant trois jours, puis tu te rendras à l'infirmerie, sans faute, afin que l'avancement des soins soit vérifié. »
« Neville en a aussi. »
« Comment a-t-il obtenu une retenue ? » murmura froidement le maître des potions.
« Bien sûr, que j'en ai une n'est pas une surprise, mais lui, si. Comme moi, nous l'avons obtenue ensemble, pour avoir dit la vérité. »
« Vous partagerez le pot. S'il s'agit du genre de discipline d'Ombrage, je vais devoir préparer le soin adéquat. La prochaine fois, n'utilisez pas ce pot, et rendez-vous immédiatement à l'infirmerie. »
« Qu'est-ce que ça a de particulier ? »
Le regard du professeur était visiblement déçu, et l'homme paraissait du genre à soupirer sur le moment, ce dont il se garda bien. « Une plume maudite qui utilise votre propre sang pour écrire, gravant le message sur votre main, cela te paraît-il normal ? »
« Donc, c'était un objet maudit. Elle a le droit d'avoir ça ? »
« Certainement pas. L'usage de la plume de sang, en dehors de la signature d'un contrat, est passible de 5 ans d'emprisonnement. »
« Alors dénonçons-la immédiatement ! » s'écria l'adolescent.
« L'affaire est plus compliquée qu'il n'y paraît, Harry, tu devrais le savoir. »
Il se renfrogna. « En effet. Alors quoi ? On la laisse continuer ? Elle ne nous enseigne même rien, elle ne nous manquerait pas vraiment pour nos études. »
« Le professeur Ombrage a été imposée au directeur Dumbledore selon le nouveau "décret d'éducation numéro vingt-deux", qui stipule que dans l'éventualité où le directeur actuel serait incapable de pourvoir un candidat à un poste de professeur, le ministère peut et doit choisir une personne appropriée. Un décret d'éducation bien pratique pour Fudge, qu'il a lui-même instauré cet été, le 30 août plus précisément, afin de pouvoir mieux interférer avec Poudlard. Il semblerait que toute la propagande du ministère soit parvenue à gêner le directeur dans ses recherches, et il ne parvint pas à trouver de volontaires avant la rentrée. »
« C'est ridicule. Dumbledore a laissé faire sciemment, tu es volontaire tous les ans, non ?! »
« Tous savent qu'il me refuse le poste. »
« Il a préféré laisser Ombrage venir ?! À quoi joue-t-il ? »
« Le directeur a ses raisons, Harry. Quoi qu'il en soit, il ne peut pas simplement renvoyer Ombrage. Il est souvent difficile de comprendre les raisons du directeur, il n'en reste pas moins un excellent planificateur à long terme. Pour ce qui est des plumes de sang, elle utilise une malédiction qui ne se soigne pas si aisément. Donne-moi ta main. »
Le garçon obéit, et le professeur apaisa la douleur, diminua la rougeur, et referma au mieux la plaie. Quand il eut terminé, il retourna derrière son bureau.
« Tu m'enverras Neville. La prochaine fois,… »
« Rendez-vous immédiatement à Madame Pomfresh, j'ai compris. »
Le maître des potions hocha la tête. « Toutes malédictions sont mieux traitées lorsqu'elles sont prises au plus tôt. Chercher des preuves est correct, Harry, mais le faire au détriment de votre santé n'est pas acceptable. »
L'adolescent acquiesça et quitta l'endroit.
Harry avait répété les consignes de Severus à Neville, et les deux amis l'avaient suivi. Rien n'enlevait le malaise du garçon-qui-avait-survécu, et la sensation de solitude qui l'emparait, notamment lorsqu'il pensait à l'absence de Hagrid et à l'éloignement clairement volontaire du directeur. Être laissé dans l'ignorance de solutions pour ses cauchemars réguliers n'arrangeait rien. Il était convaincu que l'espion en savait plus qu'il ne le laissait entendre, mais l'étudiant n'osait pas retourner le déranger à ce sujet. De plus, Draco restait distant, malgré toutes les tentatives de Ginny pour l'empêcher de se renfermer à nouveau. Harry et Hermione étaient également souvent occupés par des "devoirs de préfets", même si Harry retournait auprès de son meilleur ami dès que l'occasion se présentait. Ron cherchait toutes les occasions pour qu'Hermione fasse ses devoirs, prétextant être extrêmement occupé à réviser pour ses BUSE. C'était le résumer que Neville parvenait à faire de la situation après la première semaine de cours, et ce qu'il pouvait prédire de la suite des événements.
Avoir été considéré comme un fou par notamment Hermione au sujet des Sombral n'arrangeait rien. Et si Hagrid n'était pas là, qui s'occuperait de ces dignes chevaux ailés ? Neville savait que les Sombrals devraient être capables de se nourrir par eux-mêmes, mais il voulait s'assurer qu'ils restaient en bonne santé. Dans l'après-midi du samedi, il trouva une occasion de demander à Harry de le rejoindre devant la cabane de Hagrid, et il s'empressa d'aller quémander aux elfes de maisons dans les cuisines quelques provisions pour les Sombrals, notamment de la viande crue. Il rejoignit son meilleur ami aussi vite qu'il le put.
« Pourquoi voulais-tu que nous nous retrouvions ici, et seuls ? » questionna Harry, bras croisé, adossé à la porte, lorsque Neville arriva. Ce dernier sourit, essoufflé.
« Tu verras. » Il se redressa et commença à se diriger vers la forêt interdite. « Suis-moi. »
Harry grimaça presque. « Je comprends pourquoi tu ne voulais pas de Draco… ou de Ron. » Il lui emboîta le pas. « Mais je te préviens, je n'irais pas là où sont les "araignées". »
Neville rit. « Nous n'y allons pas. L'avertissement d'Aragog était assez clair. Hermione n'aurait pas été pour que nous allions dans la forêt interdite en l'absence de Hagrid, non plus. Et puis, je ne veux pas voir sa réaction. De toute manière, je voulais que tu sois le premier à les voir… enfin, voir… »
Harry fronça les sourcils devant l'air mystérieux de son meilleur ami, mais le suivi néanmoins en silence. Quand ils commencèrent à être proches de l'endroit où se situait la colonie, Neville reprit d'une voix douce et calme, bas comme s'il ne voulait rien effrayer.
« Ils sont époustouflants. Je sais que tu ne pourras pas saisir leur aspect particulier, mais il est toujours possible de les toucher. Et le spectacle d'eux se nourrissant, invisibles, n'en demeure pas moins impressionnant. Je l'ai souvent admiré, avant. »
« Avant quoi ? Quel genre de créature invisible allons-nous voir ? »
Neville s'arrêta soudainement, silencieux. Harry se stoppa à son tour, et suivit son regard. Plus loin, une fille de dos, à la longue chevelure blond pâle, aux vêtements clairs et bleutés, et surtout pieds nus, tendait la main comme si elle touchait quelque chose. Les deux adolescents l'observèrent de loin durant un temps. Ils purent la regarder sortir un morceau de viande de son sac, et le lancer plus loin pour qu'il retombe au sol. Enfin, Neville s'approcha à nouveau, avec Harry. Ils n'eurent guère le temps de dire quoi que ce soit, déjà la fille les avait repérés.
« Bonjour Neville Longbottom. »
Après seulement avoir parlé, elle tourna doucement la tête, et leur sourit. « Bonjour Harry Potter. »
« Tes pieds… tu n'as pas froid ? » demanda Harry, hébété.
Elle baissa le regard vers ses pieds, puis le retourna vers des créatures invisibles. « Un peu. Toutes mes chaussures ont mystérieusement disparu. Je soupçonne les nargles de me les avoir prises. »
« Qu'est-ce que c'est ? » s'enquit Neville.
« Les Nargles ? » devina-t-elle, puisqu'elle savait déjà que Neville connaissait les Sombrals. « Beaucoup de sorciers n'y croient pas. Les gens ont parfois du mal à comprendre ce qu'ils ne peuvent pas voir. »
« Ils sont invisibles ? » questionna Harry. « C'est ce qu'il y a ici, alors ? »
Neville répondit cette fois. « Non. Je te présente la colonie de Sombral de Poudlard. Hagrid est le seul dresseur de Sombral à sa connaissance. Je sais que tu ne peux pas les voir, mais je voulais… eh bien… »
« Te sentir moins seul ? » proposa Luna, tranquillement.
Neville hocha la tête. « J'ai passé beaucoup de temps à m'occuper d'eux cet été. Et depuis que Hagrid est parti… personne n'a pu venir les voir. Je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un d'autre… connaisse cet endroit. »
La jeune fille sortait une pomme de sa sacoche. « J'ai vu les Sombral dès ma première année. » La pomme, lancée devant un jeune Sombral, atterrit au sol et se fit dédaigner par l'animal.
« Je les trouve magnifiques. »
« Ils le sont. Les gens en ont peur généralement, parce qu'ils sont… »
« Différents ? » proposa Harry. Elle acquiesça.
Neville contemplait l'adolescente pendant qu'elle envoyait cette fois un morceau de viande. « Tu as vu… » Il n'osait pas terminer. Ce n'était pas une question à poser.
« Quelqu'un mourir ? » Elle ne semblait pas gênée, toujours douce et innocente.
Harry vit avec stupeur le morceau de viande se soulever dans les airs, et se faire engloutir dans l'air, là où il n'y avait rien. Il eut un cri d'exclamation. « Whoa ! »
« Je t'avais dit que c'était impressionnant. », souffla Neville avec émerveillement.
« Je reconnais que c'est particulier. »
Luna souriait. « Les gens pensent qu'ils portent malheur. Surtout à ceux qui les voient. Mais ils sont très gentils en fait. Je viens souvent ici. C'est calme. Et ce sont mes amis. »
« Hagrid sait que tu viens ? » demanda Neville.
« Oui. »
Les trois adolescents restèrent en silence un long moment. Luna nourrissait les Sombrals, et proposa à Harry d'essayer. Neville alla jusqu'à faire s'approcher son meilleur ami d'un des Sombrals, qu'il identifia comme Tenebrus, le premier à être né dans la forêt interdite, et le favori de Hagrid. Harry se laissa guider, doucement, et encouragé par le duo. Ses mains parcoururent le corps squelettique, caressèrent l'aile membraneuse, la colonne vertébrale osseuse, la tête atypique… Ils passèrent un long moment dans cette tranquillité exploratoire. Au bout d'un temps, Luna changea radicalement de sujet, dans la lune.
« Ma maman. J'avais neuf ans. C'était une sorcière brillante, très douée. Mais elle aimait expérimenter. Un jour, un de ses sorts a mal tourné. … »
« Je suis désolé. », compatit Harry.
« Oui… je suis triste parfois. Mais même les plus terribles événements apportent leur lot de belles choses. Je peux les voir eux. Et puis, j'ai encore mon père. »
Aucun des garçons ne sut quoi répondre. Ce n'était pas très grave, semblait-il. La fille parlait toujours avec le même ton doux et serein, imperturbable. Mais perturbante d'une certaine manière. Pourtant, les deux amis se sentaient étrangement à l'aise avec elle. C'était comme si tout était facile, et qu'il y avait un bon côté à tout. Luna poursuivit d'elle-même après une courte pose.
« À propos, lui et moi on te croit. » Elle se tourna vers Neville, ses grands yeux bleu clair le fixant avec une intensité percutante. « Quand tu affirmes que Tu-sais-qui est revenu, qu'il a fait tuer Cédric Diggory, et que le ministère se trompe. »
Neville sourit, embarrassé. Il avait l'impression que ses joues brûlaient. « Merci. »
« Vous êtes bien les seuls. », commenta Harry.
« Je ne pense pas que ce soit vrai. Mais j'imagine que c'est ce qu'il veut que Neville Longbottom pense. »
« Pourquoi ? » demanda le concerné.
« Parce que si tu es seul, tu deviens moins menaçant. »
Ils contemplèrent à nouveau le calme et le silence relatif, saisissant les bruits de la forêt interdite, la vie qui s'échappait de chaque son, les ondulations de l'air qui posaient une atmosphère que beaucoup considéreraient sinistre mais que les jeunes sorciers habitués jugeaient davantage rassurante.
