(L'Ordre du Phénix) Les deux dames
Neville avait bien réfléchi à la sagesse de la Serdaigle, et avait conclu plusieurs points.
Tout d'abord, il devait s'assurer que Draco, qu'importe ce qu'il avait en tête, cesse de se morfondre seul, et revienne parmi eux pleinement, comme avant. Cela ne semblait guère ardu en considérant que le Serpentard était assez social, mis à part sa langue irritante et insultante, c'était un garçon qui tendait à préférer rester en groupe. La solitude n'allait vraiment pas au jeune Malfoy. Cependant, Neville savait que Ginny essayait toujours d'inclure Draco et de le pousser à s'extérioriser, sans grand succès. Le protégé de Hagrid connaissait les raisons initiales du renfermement de son ami : le retour de Voldemort. Le blond s'était caché dans une sorte de mutisme dès le départ de Severus en tant qu'espion, et ne l'avait pas quitté jusqu'à la fin de l'année. Entre-temps, les vacances d'été avaient passé, et qui pouvait savoir ce qui s'était produit durant ce temps pour le fils de Mangemort clairement connu par Voldemort comme un soutien à la cause opposée. Neville avait espéré que Draco demeurerait toujours de leur côté, et la présence du Serpentard auprès d'eux au lieu des siens allait dans ce sens. Il n'avait pas prévu que son ami s'isolerait mentalement. Il n'avait pas pensé aux véritables dilemmes qui pouvaient saisir celui dont le monde était le plus partagé entre les deux camps. Il ignorait si quelque chose était arrivé pendant l'été, et probablement n'était-ce pas son affaire. Toutefois, Draco n'en demeurait pas moins son ami, et il ne serait pas dit que le Gryffondor l'abandonnerait. Sa première tâche était de faire comprendre au Malfoy que, quoi qu'il se soit ou puisse encore se passer, il serait toujours des leurs.
Ensuite, il avait établi qu'ils devaient rester unis et soudés, tous autant qu'ils étaient. Malgré l'arrivée de la guerre, ils devaient reprendre leurs habitudes des années précédentes, celles d'un environnement de travail sain qui leur permettait de s'entraider les uns les autres sur les forces et faiblesses, de s'améliorer constamment, et il devait l'admettre, de majorer à eux seuls la plupart des cours. La cinquième année était celle des BUSEs, de la première construction de leur avenir. Ce n'était pas le moment de se laisser aller. Ils devaient se reprendre en main. L'une de leurs priorités serait sûrement d'ailleurs de choisir les matières qu'ils devaient chacun impérativement continuer à suivre pour leurs projets. Peut-être devrait-il demander au professeur McGonagall quand était prévu le conseil d'orientation. Leur relâchement issu du retour de Voldemort n'était pas sain, certainement pas pour leurs esprits.
De plus, Neville et Harry devraient cesser de s'éloigner des autres pour le genre d'escapade qu'ils venaient de commettre. Mais ce détail, Neville avait beau le retourner dans tous les sens, il ne pouvait se convaincre d'y adhérer pleinement. La clairière des Sombrals n'était pas un lieu où il souhaitait conduire chacun de ses amis. Surtout après avoir découvert qu'il s'agissait du havre de paix de Luna Lovegood.
Neville avait partagé ses pensées au sujet de Draco et de leurs travaux d'études avec Harry durant le trajet pour revenir au château. Alors, son meilleur ami avait signifié que Dumbledore jouait le jeu de Voldemort et du ministre en s'éloignant sciemment du garçon-qui-avait-survécu. Neville refusait de reconnaître cela. Il refusait de penser en mal du directeur qu'il admirait et chérissait. Quand Harry insista un peu trop, Neville lui rappela que Severus n'agissait guère très différemment du centenaire. Il obtint ainsi la paix, Harry refusant de poursuivre le sujet.
Neville évoqua encore qu'il faudrait parvenir à obtenir une certaine unité de maison, incluant même Serpentard, mais Harry jugea cela totalement irréaliste. Oui, c'était le conseil que le Choixpeau avait voulu leur partager en début d'année, mais même les professeurs ne parvenaient à le rendre réalité. Comment des adolescents méprisés pourraient-ils y arriver ? Sans compter qu'ils n'avaient pas la moindre idée de comment s'y prendre. Ce serait utopique, et ils n'avaient pas de temps à perdre en rêves. Ils écartèrent ce point-là.
Ils rejoignirent enfin le dîner, en retard. Leurs amis étaient installés à la table Poufsouffle, comme toujours. Draco et Hermione côte à côte, Ginny et Ron respectivement en face. Le Gryffondor roux avait visiblement grand appétit, comme d'habitude, et avalait sa nourriture par grandes bouchées, mâchant la bouche ouverte sans possibilité de la fermer entièrement. Draco arborait sa tête "se retenir de l'insulter", à moitié caché par un livre tenu à la verticale, malgré un œil qui dépassait et continuait de dériver vers le spectacle dégoûtant. Ginny s'efforçait aussi manifestement de ne pas commenter. Hermione, quant à elle, n'y tenait plus.
« Ron, tu n'arrêtes jamais de manger ? »
« Quoi ? » fit-il, sans comprendre le problème. Ce faisant, une partie du contenu de sa bouche retomba. « J'ai faim. », se justifia-t-il.
Harry ne savait pas s'il devait en rire ou pleurer. C'était désespérant. Les deux amis prirent place à droite de la préfète, en silence.
« Moins cinq points pour… être vraiment écœurant, Ron. », déclara Draco avec une mine révulsée vers la nourriture retombée dans l'assiette.
Ginny détestait toujours quand il enlevait des points, événement bien trop régulier. « Et c'est la première chose que tu as à dire ce soir ? Prendre des points de Maisons ? Encore ? »
Hermione s'exclamait, le regard toujours fixé sur Ron. « Arrête au moins de lire en même temps ! »
« Comme si tu le faisais jamais. », ripostait l'adolescent. Puis, un regard enflammé le saisit alors qu'il relevait le menton pour désigner Draco. « Et lui, alors ? Il fait pareil. »
Hermione arracha le livre des mains de Draco. « Ce n'est pas mieux. Je n'ai jamais dit que Draco se tenait bien, mais il ne risque pas de salir son livre, lui. »
Draco souffla, vexé d'avoir perdu son ouvrage de la sorte. « Mione, tu es mal placée pour me reprocher ça. La dernière fois que nous avons eu une telle discussion, c'est moi qui ai dû prendre ton livre. Rends-le-moi. »
« Sois poli alors ! »
« On est là. », déclara enfin Harry. Ils firent tous silence, et se tournèrent vers eux. Les Gryffondors étaient surpris, tandis que le visage du Serpentard s'assombrissait et qu'il en profitait pour récupérer vivement mais subrepticement son livre.
« Qu'est-ce que tu veux, Harry ? » finit par demander gentiment Ginny.
Neville répondit. « Passer un repas agréable, entre amis, sans dispute. »
« Et que tout le monde pose son livre, sinon j'enlève des points à Serpentard. », déclara le préfet de Gryffondor.
Draco s'insurgea. « Tu ne peux pas faire ça ! »
Harry rit. « Bien sûr que si. Je suis aussi préfet que toi, Draco. Si tu te permets de nous enlever tant de points, nous pouvons aussi te le faire. »
Ce fut à ce moment que des voix captèrent leur attention, comme celle de tous les élèves présents. Elles venaient du couloir, et appartenaient incontestablement aux professeurs McGonagall et Ombrage.
« Pardonnez-moi, professeur, mais qu'insinuez-vous exactement ? »
Déjà à la voix d'Ombrage, les élèves se levaient et se dirigeaient, curieux, vers le couloir où les deux femmes montaient quelques marches de l'escalier adjacent.
« Je demande simplement, lorsqu'il s'agit de mes élèves, que vous vous conformiez aux méthodes prescrites, en matière de punition. »
Les deux professeurs s'arrêtèrent, face à face, sur la même marche. Le professeur de métamorphose surplombait l'autre dame d'une bonne tête. Il semblait que d'une manière ou d'une autre, elle avait découvert le genre de punition que dispensait sa nouvelle collègue pour l'année.
« C'est peut-être idiot, mais j'ai cru que vous contestiez mon autorité, dans ma propre classe. » Ombrage monta une marche. « Minerva. »
« Pas du tout, Dolores. », McGonagall monta cette marche à son tour. Il devenait évident, même pour ceux qui jusqu'alors ne l'avaient pas encore saisi, que les deux femmes se livraient une bataille, faisant fi de la présence de leurs élèves, ou alors en profitant pour rabaisser l'autre devant eux. « Seulement, vos méthodes moyenâgeuses… »
McGonagall ne prit aucunement la peine de terminer sa phrase, mais l'objectif était déjà pleinement atteint, et l'autre femme se trouva offensée. Sa voix aiguë reflétait à présent bien tout cela.
« Je suis désolée, mais désapprouver mes méthodes, c'est désapprouver le ministère, et par extension, le ministre lui-même. » Sa voix s'envola à nouveau dans son chant strident. « Je suis une femme tolérante. Mais s'il y a une chose que je ne peux pas supporter, c'est la déloyauté. »
McGonagall ne sembla pas impressionnée. Elle se laissa descendre d'une marche, tout en prenant ce ton sidéré et moqueur. « La déloyauté. »
Ombrage monta d'une marche de plus, parvenant enfin à être plus grande que la directrice adjointe. Elle se tourna vers l'assemblée d'élèves réunie plus bas, spectatrice silencieuse. « Les choses à Poudlard sont pires que je ne le craignais. Cornelius prendra toutes les mesures qu'il faut. »
Après cela, la femme s'éloigna, sans doute contentée avec la conviction que son message menaçant imprégnait les témoins. À partir de ce moment, Draco n'attendit même pas que McGonagall fût hors de portée d'oreille, ni, surtout pas, que leurs camarades ne se soient dispersés. Il voulait imposer le ton de la suite du spectacle.
« Je vais l'appeler "la dame en rose". »
Il savait qu'il était fixé avec stupeur par des membres de chaque maison, Rusard y compris. Au son des talons du professeur de métamorphose, cette dernière l'avait également entendu, s'était arrêtée et retournée vers lui.
« Quel mal y a-t-il ? Ne me regardez pas ainsi, tous. Nous devons le respect à nos professeurs. "Dame" est un terme plus que respectable, qui marque la noblesse de cette lady. »
« Pourquoi ai-je l'impression que ce surnom est ridicule ? » demanda Harry, sceptique.
Les jumeaux riaient. « On peut trouver bien plus insultant. »
« Et irrespectueux. »
« Plus descriptif. »
« Plus amusant. »
« Mais il faut admettre… »
« … que ceux qui ne veulent pas de punitions… »
« Pourraient bien détourner cela. »
Draco se retourna, et les toisa. « Pourquoi voudriez-vous le reformuler ? C'est assez poétique de la sorte. »
« Indiscutablement, elle ne pourra rien reprocher à celui que le dira ainsi. »
« Mais je ne pense pas que la plupart d'entre nous… »
« … valorise sont excès de rose. »
Draco se tourna vers le concierge, afin de faire valider son idée par un homme qui, il l'avait déjà repéré, semblait apprécier la description de "méthodes moyenâgeuses" employée par McGonagall. Il ignorait, comme lui, de quoi il s'agissait, mais il devait songer que cela se rapprochait davantage de ses préférences. « Monsieur Rusard, entendez-vous sur le fait que cette femme, le professeur Ombrage, ne mérite nul autre titre que "dame" pour qualifier sa condition sociale au sein des genres ? »
Le concierge acquiesça avant de quitter les lieux.
« J'ai pas envie de l'appeler "dame". », riposta Ron.
« Parce que tu n'as pas la moindre once de courtoisie. », râla Hermione.
« Moi, je valide. », déclara Ginny. Peu à peu, un murmure passa entre les élèves, et chacun s'accorda sur l'idée que cette femme pouvait être qualifiée de "dame en rose". La suite dirait si ce nom serait employé, et tout dépendrait des prochaines actions de cette employée du ministère et du ministre lui-même. À cet instant en tout cas, le professeur de métamorphose laissa pleinement faire et s'installer l'idée de cet éventuel surnom pour sa collègue.
Il n'y avait rien de rabaissant… c'était juste ridicule quant à son utilisation de la couleur.
Minerva rapporta l'incident avec Ombrage à Severus, informateur anonyme la veille quant à l'emploi des plumes de sang. Le maître des potions se sentait comme l'an passé, coincé avec un professeur de défense contre les forces du mal aux méthodes plus que contestables mais au poste fixé pour l'année. Pire que l'année précédente, la situation semblait sur le point de s'aggraver après l'intervention de la directrice adjointe, et les actions de l'espion étaient fortement restreintes par le retour du Seigneur des Ténèbres, qui se réjouissait sans doute des ingérences du ministère sur Poudlard.
Les professeurs n'auraient bientôt plus qu'à se taire, et à observer Ombrage agir. Les mesures qu'ils tenteraient pour aider leurs élèves resteraient dans le dos de l'odieux personnage, le plus discret possible, avec le peu de moyens qu'ils auraient pour passer inaperçus même des élèves dans le cas de Severus. Il allait certainement devoir commencer par montrer à Lily comment faire la meilleure pommade contre les plumes de sang. Ce n'était pas une potion usuelle qu'elle aurait déjà eu à travailler, et elle n'était pas une spécialiste des malédictions pour les contrer.
« Minerva… si les jumeaux Weasley désirent "s'amuser" avec le professeur Ombrage… je crains qu'ils se présentent d'une efficacité redoutable. Il nous sera difficile, même en tant que professeur, d'annuler tout ce que leur imagination débordante pourrait provoquer, si tant est que nous en étions informés. »
« Tu veux lâcher les… fauves Weasley ? »
« Je ne les ai jamais tenus, Minerva, et la discipline des Gryffondor te revient de plein droit. Après six ans, ils ont simplement acquis assez d'expérience pour que je ne les surprenne pas sur le fait. Qu'en est-il de ton côté ? »
Minerva resta silencieuse un instant, avant de lui répondre. « Cela fait longtemps que je ne les ai pas surpris à faire des choses répréhensibles, je suppose. »
Ils restèrent un certain temps à prendre le thé sans mot dire, avant que Minerva ne reprenne.
« Oh, Severus, que sommes-nous en train de faire ? Laisser les jumeaux Weasley se déchaîner… »
Severus sourit de cet air Serpentard satisfait d'un mauvais tour. « Voyons, Minerva, nous ne sommes aveugles que lorsque cela concerne de près ou de loin Dolores Ombrage. »
