(L'Ordre du Phénix) La vision


Après l'épreuve pratique d'astronomie, les élèves rentrèrent, tard, dans leurs salles communes respectives. À peine les Serpentard avaient-ils franchi le pas de leur porte, la directrice entrait, ses souliers choquant le sol de dalles froides.

« Monsieur Malfoy. », appela-t-elle de sa voix aiguë et autoritaire.

L'adolescent se retourna vers elle, tout comme ses camarades. Il observa la femme avec toute la neutralité qu'il voulait bien lui accorder, tandis que Théodore regardait entre les deux, pourvu d'un fort sentiment d'appréhension.

« Présentez-vous dans mon bureau. Votre père vous attend. »

« Mon père ?! » Draco ne cacha pas son effarement.

« Oui, votre père. Lucius Malfoy en personne. Il désire vous voir, maintenant. »

« Directrice, un instant. », pria Théodore.

Elle tourna ses petits yeux bleus vers lui. « Et pourquoi, monsieur Nott ? Vous n'êtes pas concerné. »

« Draco ne saurait se présenter devant Lord Malfoy avec ces tenues d'école. Il lui faudrait revêtir des vêtements convenables à son rang et sa richesse. »

Elle réfléchit un instant, puis concéda. « Soit. Hâtez-vous, monsieur Malfoy. » Elle tourna les talons, et repartit.

« Nous devons parler. », chuchota Théodore en urgence. Il semblait vouloir l'entraîner dans un coin reculé où personne ne les écouterait.

« Tu as le temps que je me change, puisque c'est ce que tu as négocié. Je prends mes vêtements, et nous allons aux douches. »

Théodore hocha la tête, et les deux garçons commencèrent la manœuvre, heureusement sans que leurs camarades ne leur prêtent attention. « La fin d'année arrive à grands pas, et il me reste deux faveurs à te demander. »

« Oui, tu es bien lent à les choisir. », commenta Draco d'un ton anodin.

« Rassure-toi, j'en ai une toute spéciale. Je pense que c'est le moment, si ton père vient te chercher… »

« Il vient juste me parler. »

« Tu ne trouves pas ça étrange ? »

Draco ne répondit rien. Si, comment pourrait-il ne pas le remarquer. Pourtant, il ne voyait pas pourquoi son père viendrait davantage le chercher que lui parler. Le silence s'alourdit. Draco murmura. « Il doit avoir une raison. »

« Sans aucun doute. Draco, la faveur est indiscutable, et ne souffre d'aucune négociation. Une fois que je l'aurais déterminé, et annoncé, tu ne pourras pas t'y soustraire. Ce sont les termes de notre accord. »

« Je frissonne à l'idée de ce que ce peut être. », se moqua Draco, dos tourné pour mettre sa chemise noire. Il connaissait fort bien son camarade roublard, et savait qu'il avait de quoi se méfier. Toutefois, pourquoi s'inquiéterait-il d'une faveur ridicule. La précédente était simplement de passer les vacances chez lui.

« Rejoins le Seigneur des Ténèbres. »

Draco se figea. Il demeura parfaitement immobile durant un long moment. Enfin, il parla, sans bouger autre chose que ses lèvres et sa gorge.

« Pardon ? »

« Tu m'as clairement entendu. », rétorqua doucement Théodore, lui aussi dos tourné par respect de l'intimidé de son ami, les mains jointes derrière lui.

« Je ne vais pas… ! »

« Tu me dois une faveur ! Tu as promis, et engagé ton honneur, Draco. »

« Je ne peux pas… »

« Tu le dois. », imposa durement l'autre. Il sentait les trémolos arriver dans sa voix lorsqu'il reprit. « C'est nécessaire à ta propre survie, tu n'as pas le choix ! S'il faut que je dépense une faveur pour te garder en vie parce que tu es trop idiot pour y penser seul, alors je le ferais. Tu ne réalises vraiment pas ? Ton père est un Mangemort. Tu n'as pas le droit d'être ami avec Longbottom. Tu ne peux pas sympathiser avec Dumbledore. La seule relation acceptable est le professeur Snape et les Serpentard de Sang-Pur. »

Draco s'était retourné pour observer son camarade, et avait fini d'enfiler sa chemise pour commencer à la boutonner. Il arrivait au col, qu'il fermait toujours en dernier même s'il effectuait sa manœuvre de haut en bas. « Trouve une autre faveur. »

« Non. Rejoins le Seigneur des Ténèbres. »

« Très bien. Alors tu dois accepter celle que je te demande en retour. »

« Ce n'est pas en retour. Il s'agit de la dernière que tu as gagnée. »

« Certes. Ne rejoins pas le Seigneur des Ténèbres. »

Théodore serra ses mains plus fort, tant que ses phalanges blanchissaient. Draco saisit sa veste de costume noire dans un geste vif qui attira le regard de Théodore. Ce dernier se retourna, et regarda, blême, le préfet. Nott avec un visage plus blanc que Malfoy était quelque chose à voir, mais le blond n'en profitait même pas, dû à la situation.

« Je ne changerais pas, à moins que tu te rétractes également. »

« Non. Une faveur est une faveur, une parole est une parole, et mon honneur restera d'or. »

Théodore se tenait droit, calme, digne devant Draco qui s'efforçait de conserver pareille dignité et de cacher sa colère et son indignation.

« Tu réalises ce que tu acceptes ? Je croyais que tu disais que refuser était chercher la mort. »

« Tu as déclaré tes termes, tout comme j'ai donné les miens. Nous nous devons l'un et l'autre de respecter les demandes respectives. »

« Tu es insupportable, Théo ! Je refuse ! »

« Tu n'as pas le choix. Ou alors, tu finis de renier tout ce qui t'a été enseigné. »

« Tu n'en as pas une autre à me demander ? »

« J'ai une dernière faveur disponible. »

Draco serra les dents. « Et ce sera quoi ? »

« Reste en vie. »

« Pa… pardon ? »

« Je vais reformuler : quoi qu'il se passe, tu devras toujours agir au mieux pour rester en vie. Chaque décision que tu prendras devra diriger le vent dans le bon sens afin que ton instinct de préservation prime. Tu es un Serpentard, Draco, ne l'oublie pas. Agis toujours dans ton propre intérêt. Soit un opportuniste. Soit un lâche. Soit un survivant. »

« Où est ton intérêt dans tout ça ? » insista Draco.

Le visage de Théodore exprima enfin un sentiment, une moue fugitive pour signifier une résignation lassée ou blasée, Draco ne savait juger vraiment. « Disparu quelque part, quand tu as énoncé la dernière faveur que je te dois. »

« On peut tous les deux faire marche arrière. », proposa une dernière fois Draco.

« Non. Tu devrais te hâter, le temps s'est écoulé bien vite. »

Draco partit à grands pas, fulminant. Il prit le temps du trajet jusqu'au bureau pour se calmer. Et il fixa le marais. Évidemment.


Le lendemain au matin, alors qu'il sortait de la salle commune de Serpentard, Théodore fut accosté par l'une de ces belles filles indiennes de son année, celle de Gryffondor. L'expression corporelle de l'adolescente affichait l'urgence, sa tresse usuellement parfaite paraissait trop lâche, donc bâclée, son col s'avérait bien boutonné jusqu'en haut toutefois en absence de l'écharpe nécessaire à l'uniforme, l'oublie de la cape ne posait aucun problème, et les yeux noirs, brillants, laissaient paraître une grande inquiétude.

« Nott, il faut que je parle à Draco. », l'accosta-t-elle.

Elle lui transmettait presque son angoisse.

« Je suis désolé, Patil, mais il est indisponible. »

« C'est extrêmement important ! »

Il insista. « Il n'est pas là. »

« Quoi ? » Des plis apparaissaient sur son visage, pour mieux marquer son alarme.

« La directrice est venue le chercher hier soir, parce que son père voulait lui parler, et quand je me suis levé ce matin, il n'était pas là. Je ne sais pas s'il est déjà parti au petit-déjeuner, puisqu'il se lève généralement tôt, ou s'il n'est tout simplement pas revenu. »

La fille porta ses mains à sa bouche. « Oh bon Merlin. » Sa petite voix indiquait là encore un grand désarroi. « Il est excessivement tôt. » En effet, Théodore ne s'était que peu reposé, d'où sa conclusion rapide que Draco n'était tout simplement pas revenu. Une déduction que l'adolescente n'avait pas tardé à réaliser à son tour. « Son père l'y a emmené. »

« L'y a emmené ? Où, Patil ? De quoi parles-tu ? »

Elle rabaissa ses bras, et scruta le Serpentard attentivement, son tiraillement clairement visible. Enfin, elle s'expliqua. « Je voulais le prévenir, je sentais que je devais l'avertir. J'espérais arriver à temps, et voilà que c'est sur toi que je tombe. Peux-tu m'assurer que rien ne sera répété à Ombrage ? »

À son tour, Théodore l'étudia soigneusement. Mise à part sa beauté, il pouvait identifier ses sentiments authentiques et deviner la peur qu'elle éprouvait pour Draco. Les deux devaient être plus proches qu'il ne l'avait pensé. Ils partageaient un secret, et c'était la raison de la venue de l'adolescente. Il la devinait douce et vive à la fois, comme une Gryffondor calme mais énergique. Sa détermination était sûrement grande aussi, et peut-être avait-elle un certain honneur. Théodore espérait ne pas se tromper à son sujet, et décida de lui faire confiance. Après tout, elle savait qu'il était venu les avertir lors de la chute de l'AD. Elle avait conscience qu'il n'était pas pleinement fidèle à Ombrage.

« Tant qu'il n'est pas dans mon strict intérêt qu'elle soit avertie, elle ne saura rien. »

« Et aucun de tes camarades ne doit être informé. »

« Tant que tu ne parles pas à portée de leurs oreilles, il n'y aura pas de fuite. »

« Pourquoi, toi, en tant que membre de la brigade inquisitoriale, nous as-tu prévenus de la trahison ? »

Théodore savait reconnaître qu'il était questionné en vue de le tester. « Parce que Draco me l'avait demandé. »

« Parce qu'il savait pour la trahison ? » Il pouvait presque entendre qu'elle roulait des yeux ou croisait les bras, bien qu'elle ne fit aucun de ces gestes.

« Permets-moi d'être plus explicite alors : il m'avait demandé de soutenir l'association de défense, et de retarder l'inquisition. »

Elle hocha la tête. « Que penses-tu de celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ? »

« Je ne le rejoindrais pas. »

Elle haussa un sourcil, apparemment peu convaincue par cette réponse. « Ton père est-il un Mangemort ? »

« Oui. » Il commençait à se demander combien de son pedigree elle lui réclamerait encore. Autant valait-il abréger le plus possible, et donc poursuivre avec les réponses les plus succinctes.

« Celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom est-il revenu ? »

« Oui. »

Elle sursauta presque. En tout cas, ses yeux s'agrandirent. « Comment le sais-tu ? »

« Je l'ai vu. »

« Tu l'as vu ?! »

« Peut-être devrions-nous nous déplacer dans un endroit plus privé. »

« En effet. » Elle l'entraîna jusqu'à la tour d'astronomie. « J'espère que tu n'as pas besoin de petit-déjeuner. »

« Je m'en passerais. Je tiendrais l'épreuve avec le déjeuner seul. De toute façon, il faudrait une véritable catastrophe, ou une interruption majeure, pour que j'échoue en histoire. »

« Si tu arrives à suivre en histoire sans t'endormir, tu mérites le respect le plus sincère de la majorité des étudiants de Poudlard. », commenta-t-elle pendant qu'ils marchaient encore.

« Aucune période historique ne me pose de problème, s'il s'agit de ta question, même si je suis particulièrement expert dans les montées des différents Seigneur des Ténèbres au cours des siècles. La clé est de s'informer par soi-même, par tout écrit possible. Bien sûr, il faut faire un tri et un recoupement entre tous les articles, les journaux et les livres, mais avec un assez bon esprit critique il est possible d'obtenir une vision plutôt objective. Accomplir l'exploit de ce dernier aspect demande toutefois pas mal de travail, il faut l'admettre. Et oui, pouvoir écouter le professeur Binns et prendre des notes durant ses cours est aussi un bon début pour acquérir de bons résultats scolaires. Pour les étudiants victimes d'hypersomnie, il est toujours possible de trouver le programme en épluchant les informations ministérielles. Pas celles données par Fudge ou Ombrage, bien entendu. »

La discussion se poursuivit sur tout le chemin vers le sommet de la tour d'astronomie, avec Patil questionnant, s'émerveillant et félicitant, et à la fin, Théodore ne savait même plus comment il en était arrivé à proposer à la Gryffondor de l'aider à réviser pour sa BUSE d'histoire après qu'ils auraient terminé l'importante entrevue.

« Comment as-tu pu voir celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ? »

« Avec mes yeux. »

« Nott, je suis vraiment pressée ! »

« Si tu l'étais tant que cela, pourquoi ne serais-tu pas allé voir quelqu'un d'autre au lieu de me questionner autant ? Je l'ai croisé cet été, grâce à mon père Mangemort justement. Je peux assurer qu'il était tout ce qu'il y a de plus vivant, et que sa baguette tient bien dans sa main malgré l'impression perpétuelle qu'elle y repose en un équilibre chancelant. Je ne veux pas parler des détails, Patil, alors épargne-moi les questions sur pourquoi je n'en ai pas parlé, ou sur comment il était. »

« Que penses-tu des nés-moldus ? »

« Tu n'aimerais pas ma réponse. »

« Réponds. Aussi au sujet des Sang-Mêlé, et je te déconseille d'oublier que j'en suis une. »

« Et tu étais amie avec Parkinson avant Poudlard ? Elle ne devait pas le savoir. Je suppose que tu es née-sorcière sans lien direct avec des moldus, et je parle ici notamment au sens de relation, de contact. Alors, ça ne compte pas vraiment, s'il te manque juste une, à la limite deux, génération pour entrer dans la définition la plus minimaliste de "Sang-Pur". Mon opinion n'est pas sur une question de puissance magique ou d'intellect, mais davantage d'ordre structurel et hiérarchique. Disons que je suis une sorte de royaliste. J'apprécie ce qu'on rapprocherait à la noblesse, et préférerais que les vues moldues, lorsqu'elles divergent de trop avec celles traditionnelles des sorciers, ne viennent pas tenter de tout modifier. Notre société est loin d'être parfaite, cependant il est difficile de changer les mœurs et les mentalités trop vite et trop abondamment. L'évolution est une question de patience et de temps. »

« Tu es une sorte de puriste, en somme. »

« Si tu veux le voir ainsi. Je ne prône pas l'anarchie, donc tout le monde doit avoir sa place. Tu peux aussi me reprocher de ne pas être très élitiste. Personne n'est parfait, et Draco ne l'est certainement pas. Me parler nécessite vraiment d'obtenir tant de détails ? »

« Quand je suis venue voir Draco la première fois, j'avais 12 ans, et c'était en première année. J'en ai 16 à présent, et j'ai déjà passé presque toutes mes BUSEs. À l'époque, je pensais qu'il n'y avait que lui, et nous avons su nous convaincre l'un et l'autre de parler et d'écouter. J'ai grandi, et la situation s'est assombrie. Il est normal que je sois plus prudente. »

« Mais pas paranoïaque. Ça, je te demanderais de me le laisser. »

Théodore vit qu'elle retint un sourire amusé sous sa trop grande couche d'inquiétude. « Que penses-tu de Neville ? »

« Question bien complexe s'il en est. Je ne te répondrais pas. Suis-je honnête, d'après toi, si je t'informe que je le trouve idiot, courageux, charismatique et sage ? Disons que je ne pense pas vraiment à lui, et qu'il m'est sentimentalement indifférent. Je lui reconnais la qualité la plus importante d'être capable d'affronter le Seigneur des Ténèbres. Une ambition que je lui réserve. »

« Harry ? »

« Toute la liste ? Potter est suffisamment respectable à mon sens pour que j'accepte de faire des marchés avec lui. Draco a le béguin pour Granger et je ne chercherais pas plus loin… »

L'adolescente rougit élégamment sous son teint brun. « Amoureux ? »

« Ce n'est pas exactement ce que je dis, mais je le soupçonne, oui. Pourquoi, tu es intéressée ? » Il plaisantait, et ne s'attendait pas à ce qu'elle paraisse à la fois plus timide et offusquée.

« Non. Ne perdons plus de temps. Il m'arrive, quelques fois, d'avoir des sortes de visions. Je suis bonne dans tout ce que nous enseigne le professeur Trelawney et maintenant son remplaçant, mais là c'est autre chose. Je n'en ai parlé qu'au professeur Trelawney, qui considère que j'ai de véritables dons de voyance, à Lavande,… et à Draco, en première année. »

Théodore, bien que sceptique, ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter. « Qu'est-ce qui nécessiterait de parler à Draco ? »

Ses yeux redevenaient humides alors qu'elle parlait, et au bout d'un moment, Théodore sentit le besoin de sortir un bout d'étoffe de sa poche. « J'ai vu quelque chose qui le concerne. C'est pour bientôt, mais j'ignore quand. Il y aura une grande bataille, des sorts très poussés seront lancés, et des sorciers puissants se battrons contre d'autres et certains amis de Draco. Je n'ai que quelques images, et normalement je voudrais les communiquer avec lui, mais il n'est pas là, et je… »

Théodore passa le mouchoir sous l'œil de la Gryffondor avec minutie et douceur, afin d'essuyer la larme qui coulait. Il lui remit le tissu de sorte qu'elle puisse s'en servir comme elle l'entendait.

« Donc tu as des images, mais tu ne me fais pas confiance pour me les détailler, et tu ne vas pas voir les Gryffondor à la place. Pourquoi cela ? As-tu plus ? Des sons ? »

« Je ne vais voir aucun d'entre eux, parce que je ne sais pas où se situe Draco dans tout ça ! J'ai peur que ce soit mal interprété, et j'espérais qu'il saurait. Et je ne veux pas en parler aux autres, parce qu'ils se précipiteraient vers un danger en en apprenant l'existence, surtout avec l'image de cet homme plus pâle que mort au nez semblable à un serpent ! »

« Tu as vu le Seigneur des Ténèbres… », souffla Théodore.

Visiblement encore nerveuse, tremblante et larmoyante, l'adolescente hocha la tête doucement.

Théodore ne savait pas s'il devrait approfondir le sujet, ou passer au tutorat d'histoire avec elle et peut-être sa sœur.