(Le Prince de Sang-Mêlé) Heureux couples


Les pommes. Les pommes vertes. Il les aimait tant. C'était son réconfort. C'était son plaisir. Et c'était devenu, en quelque sorte, son symbole. C'était sa joie et sa douleur. Il en mangeait quand il se sentait à l'aise, et il en mangeait quand il se sentait perdu. Pas cette année. Il s'était promis de se passer de toute chose inutile, car il n'aurait bientôt plus rien, en dehors de l'obscurité, de la noirceur, des ténèbres.

La fête de Slughorn était l'occasion parfaite. Elle avait lieu juste à l'étage du dessous. Il s'habilla comme il convenait, observant dans le miroir l'allure que lui procuraient les vêtements de Regulus Black, le défunt maître de Kreattur. Qu'avait-il fait pour que l'elfe l'adore autant ? Et pourquoi ce serviteur désespérait-il tant de la situation de Draco, comme si le passé qui l'avait conduit à la folie recommençait ? Regulus avait été Mangemort, aussi jeune que Draco. Ils avaient pris la marque au même âge, et deux ans plus tard, le jeune frère de Sirius avait étrangement disparu, sans explication. Quand Draco se regardait placer son col dans le miroir, il ne voyait qu'un masque en perdition vers sa propre fin. Il ne devait pas échouer.

Il attrapa sa pomme, et se dirigea vers le septième étage. Il se plaça devant le mur, et une fois encore, appela de ses vœux l'apparition de la salle des objets cachés. Il pénétra à l'intérieur, accueilli encore une fois par ce gramophone au disque rouillé et répétitif. Il connaissait par cœur le chemin jusqu'à l'armoire. Il l'ouvrit, posa la pomme parfaite à l'intérieur, et ferma. Il pointa sa baguette, et murmura. « Harmonia Nectere Passus. » Il entendit un son étrange, et rouvrit l'armoire. La pomme n'était plus. Il referma. « Harmonia Nectere Passus. » Rien. Il réessaya. « Harmonia Nectere Passus. » Le bruit se fit à nouveau entendre. Et à l'intérieur, la pomme était revenue. Il la prit dans sa main, et observa la trace de morsure. Quelqu'un l'avait réceptionné. Et il savait exactement qui.


Une fois les adolescents éloignés par Slughorn, Lily se rapprocha de Severus et lui prit la main.

« Je te pardonne. », annonça-t-elle doucement, ses yeux pleins de larmes.

« De quoi parles-tu ? »

« Tu sais que mes souvenirs reviennent, Sev, petit à petit. Nous savions qu'ils n'avaient pas disparu, ils étaient juste… bloqués. Tu pourrais argumenter que je ne me souviens pas de tout, mais j'en sais assez. Je me souviens des disputes que nous avions adolescents, celles que j'avais oubliées même dans les années où je pensais tout connaître. Je me souviens aussi de mes dernières années à Poudlard, au moins en partie. À quel point j'étais seule en sixième année, comme tu l'étais sans doute, même si j'avais mes amies. Et de mon rapprochement avec James lors de notre collaboration comme préfets-en-chefs. Je me souviens de mon mariage. Je me souviens de la naissance de mon fils. Je me souviens de mon travail dans l'Ordre. De l'avertissement de Dumbledore, et de nous être cachés. Et je me souviens de notre rupture en fin de cinquième année. Nous étions tous en tort. Et je me souviens d'avoir refusé de te pardonner. Tu sais pourquoi j'avais refusé, n'est-ce pas ? »

Malgré l'air imperturbable qu'il essayait de se donner, elle sentait sa main trembler presque imperceptiblement dans la sienne. « Lily, ça n'a aucune importance. »

Elle tenta de se montrer plus dure. « Severus, sais-tu pourquoi j'avais refusé de donner mon pardon ? »

« J'ai quelques idées. Et toi, peux-tu assurer que tu les connais encore ? »

« Je pense que je sais assez de choses maintenant, que j'ai vu et entendu suffisamment pour savoir que tu t'es racheté de tout ce que j'aurais pu te reprocher. Je serais aveugle de refuser de te pardonner, et tu le serais aussi de rejeter la validité de mon pardon. Cite-moi une seule action depuis que t'es retourné contre le Seigneur des Ténèbres qui ne rachète pas tes fautes. »

« Tu peux poser cette question à mes élèves. »

« D'accord, premièrement, je ne cautionne pas tous tes agissements. Deuxièmement, il y a des raisons derrière cette attitude qui s'est par ailleurs grandement améliorée ces dernières années. Troisièmement, les risques que tu prends pour espionner effacent la désapprobation que j'ai émise à seize ans. Je te pardonne. Et j'exige que tu acceptes cela. »

Les deux s'observaient dans les yeux, contemplaient les lumières qui y dansaient et rendaient tout aussi brillant l'émeraude que l'onyx. Severus pouvait se construire le masque qu'il voudrait, Lily avait appris à lire au travers, et à sentir ses états d'âme. Elle avait vu durant quinze ans le costume de l'occlumens se former, s'affirmer, se durcir, puis s'adoucir mais demeurer, toujours, illisible pour la plupart. Elle le connaissait bien assez pour savoir quand il était tourmenté, et elle savait qu'il cachait quelque chose de terrible depuis la rentrée. Lui et Dumbledore qui sans cesse paraissait plus vieux, plus fatigué. Surtout, elle devenait consciente que pendant tout ce temps, il s'était opprimé à cause d'une dispute idiote, et que le poids de ce mot, et de cette rupture, n'était jamais parti. Elle se sentait idiote d'avoir éloigné l'homme le plus brave qu'elle puisse trouver.

Il fallut un certain temps avant que le maître des potions prodige, actuellement professeur de défense contre les forces du mal, ne cède devant le regard à la fois déterminé, tendre et attristé de Lily.

« Comme tu voudras. »

Le sourire, faible et retenu, éclaira instantanément le visage clair de la belle fleur. « Maintenant, que l'on soit bien clair, je refuse de m'éloigner à nouveau. Je reste près de toi. »

Il devint dur. « Ça, c'est impossible. »

Elle sourit, et l'embrassa subitement sur la joue pour aller lui murmurer à l'oreille, sur la pointe des pieds. « C'est ce que nous verrons, Sev. » Elle se rabaissa et s'éloigna de quelques centimètres pour s'assurer de lui remettre sa cape et les pliures correctement, comme si sa tenue pouvait avoir été défaite. « Nous devrions profiter du reste de la fête. Je ne compte pas… »

« Professeur ! » appela soudainement la voix de Rusard. Tous les regards se tournèrent vers le vieil homme, et chacun s'approchait pour tenter d'y voir. Le concierge tirait jusqu'à Slughorn un jeune Draco Malfoy aux vêtements sombres et tenue impeccable si ce n'était que l'homme le tenait par le col de sa veste. « J'ai trouvé cet élève qui fouinait à l'étage. Il prétend que vous l'avez invité. »

Le jeune homme protesta. « Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je suis invité, par Hermione Granger. »

Hermione accourait. « Oui, c'est… hum… » Elle se retourna vers Slughorn. « C'est mon petit-ami, Draco Malfoy. », déclara-t-elle avec un demi-sourire.

Slughorn sembla hésiter. « Alors, dans ce cas… vous pouvez le lâcher, Monsieur Rusard. Il peut… rester, je suppose. »

Le concierge, mécontent, lâcha l'intrus et repartit en grommelant. Hermione se précipita auprès de Draco et l'aida à remettre sa veste correctement. « Tu es terriblement en retard. », chuchota-t-elle.

« La fête peut continuer ! » appela Slughorn à voix haute avant de se rapprocher du nouveau couple. « Vous pouvez nous présenter, Miss Granger ? »

Elle se retourna vers lui, et se plaça à gauche de Draco, qui lui offrit son bras qu'elle accepta avec plaisir. « Vous le connaissez bien, professeur. Draco est aussi bon que moi en potion. »

« Oui, vous avez préparé le polynectar ensemble à douze ans, mais je me demandais… Lucius n'est pas un fervent défenseur des moldus, ni des nés-moldus. »

« Et mon père n'a pas beaucoup de mots à dire en étant à Azkaban, professeur. » Il tourna ses yeux gris-bleu vers le duo composé de son parrain et de sa pas tout à fait tante. « Il y en a d'autres pour qui il n'a rien à dire. »

Slughorn jeta un petit coup d'œil en arrière, où Severus et Lily observaient la scène. Il s'amusa presque en repérant Lily au bras de Severus si naturellement que l'homme sombre ne semblait même pas s'en être rendu compte. Il se concentra à nouveau vers l'un de ses meilleurs élèves qu'il avait rejeté à cause de ses relations. « Donc vous ne partagez pas les opinions de votre père. »

« J'aime mon père. » Il n'avait pas peur de le déclarer. Il sentit Hermione se tendre à côté de lui et le serrer plus fort. Il ne broncha pas. « Mais il a commis des actes que je ne saurais pardonner, ni tolérer. Ma mère et mon parrain m'éduquent et veillent sur moi. Pas en même temps, bien sûr. Ni tout à fait de la même manière. »

« Narcissa Black est votre mère, c'est ça ? »

« En effet. La plus raisonnable des trois sœurs. Toutefois, c'est une Malfoy depuis vingt-quatre ans. »

« Et qui serait votre parrain ? »

Hermione et Draco comprenaient aisément que l'homme s'intéressait légèrement à lui, et tentait d'établir le réseau de connexion dont disposait l'élève studieux bien que moins brillant que la première de classe. Slughorn avait ignoré les invités jugés sans intérêts, comme Luna. Il ignorait aussi Théodore depuis qu'il savait que Nott senior était un Mangemort à Azkaban. Il avait semblé se tenir éloigné de Draco pour la même raison. Jusqu'à présent.

« Je ne sais pas s'il accepterait que vous le sachiez. C'est un homme très réservé. » Ses yeux, une fois encore, se tournèrent vers l'arrière. « Est-ce Mademoiselle Evans avec le professeur Snape ? Je croyais qu'ils ne se parlaient plus. »

Cette fois, Slughorn ne se retourna pas. « C'est apparemment changé ce soir. Mes réceptions donnent souvent lieu à des bienfaits inattendus. »

Draco, ses yeux toujours fixés sur le couple, murmura pour lui-même, malheureusement en oubliant la présence de deux paires d'oreilles proches de lui. « Tout le monde ne serait pas du même avis. » Il observa à nouveau Slughorn et parla plus fort. « J'espère que personne ne regrettera ses choix d'ici la fin de l'année, professeur, mais je dois admettre que c'est grâce à votre fête que j'ai pu me retrouver en si charmante compagnie. Elle hésitait à inviter un idiot, et j'ai dû l'en empêcher. Une tournure inattendue est arrivée. »

Slughorn semblait suspicieux et songeur. « Dites-moi, où avez-vous obtenu ces vêtements ? »

« Par un cousin éloigné. Tout ce qui appartenait à Regulus Black m'a été légué, et son elfe de Maison semble décidé à me transformer en son remplaçant. On pourrait presque m'appeler Draco Black, mais je tiens bien trop à mon nom de Malfoy, et tous les titres qui l'accompagnent. »

Hermione le toisa. « Son elfe de maison, tu parles de Kreattur ? Tu l'as obtenu comme un objet ? Et tu ne l'as pas libéré ? »

« Kreattur n'est pas Dobby. Heureusement, d'ailleurs. Kreattur est vieux, et peut-être un peu fou, même si sur ce point, il n'a rien à envier à Dobby. Il se suiciderait si je le libérais. »

Slughorn s'immisça. « Regulus Black était l'un de mes élèves préférés. Je regrette qu'il nous ait quittés si tôt. Il était très intelligent, et également un attrapeur de génie. Vous m'avez beaucoup fait penser à lui au match Gryffondor contre Serpentard. »

« J'avais son costume, son balai, et ses tactiques. Je suis très fier que vous l'ayez reconnu en moi. J'essaye de lui ressembler. C'est ce qui rendrait le sourire à Kreattur. Oh, je suis navré pour le retard que j'ai eu… »

« Le professeur Snape te retenait ? » coupa Hermione. « C'est étrange, il est arrivé longtemps avant toi. »

« Qui a dit qu'il me surveillait ? Il m'a donné une tâche. Je devais la terminer avant de venir. »

« Qu'était-ce ? » voulut savoir Slughorn.

« Une affaire entre lui et moi. » Et le professeur Dumbledore, pensa-t-il aussi.

« En quoi êtes-vous bon ? Vous avez un projet pour le futur ? »

Hermione roula des yeux. Le recrutement allait plus en profondeur. Pour sa part, Draco trouvait que cette araignée approfondissait bien plus avec lui qu'avec les autres pour décider de son intérêt. Et pourtant, son propre père avait fait partie de ce club. Peut-être qu'il s'il évoquait qui était son parrain… Non, peu probable. Et puis, il avait déjà beaucoup trop de choses à faire. Même si obtenir les faveurs de Slughorn était normalement la chose la plus bénéfique à faire à l'école Poudlard.

« Je suis un expert des potions, même si Harry semble m'avoir dépassé cette année. J'ai d'ailleurs assisté les cours privés qu'il a reçus avec Neville l'année dernière pour s'améliorer. »

« Alors pourquoi sont-ils devenus meilleurs que vous. »

« Je ne saurais le dire. L'attrait de la récompense les a peut-être motivés ? Et j'avoue que cette année, je me concentre plus particulièrement sur l'alchimie… »

« Il n'y a pas de professeurs d'alchimie. », contredit Slughorn, perplexe.

« Je suis le seul élève. J'apprends avec le professeur Snape, même si c'est beaucoup d'autonomie, étant donné qu'il a d'autres cours à dispenser. Je ne brille pas de partout comme Mione, mais j'excelle dans mes domaines de prédilection, notamment en métamorphose, et je ne suis pas en reste en charmes ou en défense contre les forces du mal. »

« Tu veux dire, le cours que tu as pratiquement abandonné ? » critiqua Hermione. Elle trouvait que le favoritisme de Severus allait beaucoup trop loin envers Draco cette année. Pourtant, pour ce qui était de tous les autres élèves, Gryffondor et Serpentard compris, il ne semblait plus faire beaucoup de distinctions et les traitait équitablement durant les cours. Même pour ce qui était de la répartition des points. Mais Draco était d'une manière ou d'une autre immunisé.

Severus arriva justement auprès d'eux. « Draco, un mot. Si Miss Granger le permet. »

Il ne semblait pas prêt à accepter un refus de la Gryffondor. Elle grimaça, et lâcha son nouveau petit-ami. « S'il le faut, professeur. »

Severus entraîna Draco jusqu'à la sortie. Lily rejoignait Hermione et Slughorn. « Ils nous ont encore abandonnés, je le crains. », soupira-t-elle.

Slughorn se tourna vers son ancienne élève favorite. « Lily, Severus serait-il le parrain de Draco Malfoy, par hasard ? »

« C'est le cas. »

Hermione se demandait comment Slughorn avait deviné. Le prénom, peut-être ?


Harry repéra Severus et Draco sortir, et jeta un œil vers Hermione, sa mère et Slughorn. Que se passait-il cette fois pour qu'ils les abandonnent ? Il pria Luna de l'excuser. Il savait qu'elle pouvait sans mal se joindre à Neville et Ginny qui étaient certainement ses plus proches amis. Il se faufila vers la sortie, et se débrouilla pour suivre discrètement et surtout pour écouter.

« Je ne vois pas ce qu'il y avait de si urgent. », repoussait Draco nonchalamment alors qu'il avançait à grands pas dans le couloir aux côtés d'un Severus apparemment furieux.

« Miss Granger ? As-tu décidé de te faire tuer par ta tante ? »

« Elle n'en saura rien ! Et toi, alors ? Tu ne te cachais pas avec Tante Lily, et même si tu l'avais fait, je ne pense pas que tu convaincrais ma tante. »

Severus s'arrêta dans le couloir, et se tourna vers son filleul. « Tu joues dangereusement, Draco. Il n'y a pas que ta tante qui pourrait mal réagir. As-tu oublié comment ça terminera ? »

« Je me suis fait inviter à la fête ! C'était beaucoup plus facile. »

« Sev ! » appela soudainement Lily, qui s'approchait à grands pas. Elle s'arrêta à côté d'eux. « Horace s'était fait une joie de te recevoir à sa fête. Ne le déçois pas encore, s'il te plaît. Il t'a fait confiance pour le remplacer de longues années à son poste, rend lui honneur. Nous voulons de toi là-bas. » Elle tourna son regard vers Draco. « Et toi, Draco, tu devrais profiter de l'occasion pour te détendre et passer du temps avec Hermione. Félicitation à vous d'eux, d'ailleurs. Minerva en serait enchanté, elle l'a toujours dit. »

Draco se montra éberlué. « Le professeur McGonagall avait prédit que Mione et moi… »

« Oui, il semblerait bien. On n'abandonne pas sa compagne à une fête. » Sévèrement, elle toisa à nouveau son ancien ami. « Et on ne la fait pas attendre non plus. Venez. » Elle les attrapa tous deux par les poignets, et les entraîna à nouveau vers le lieu de fête. « Aucun de vous ne parlera de sombres affaires ce soir, d'école, de cours, de travail, de retenue, ou quoi que ce soit d'autre. »

« J'imagine que ça attendra mon cours d'alchimie à la rentrée, alors. », grimaça Draco. « Je reste à Poudlard pendant les vacances ! » annonça-t-il soudainement, comme s'il avait trouvé une idée géniale.

« Penses-tu que ta mère serait d'accord ? » répliqua Severus durement.

« Elle comprendra, même si ça lui fera de la peine. »

Lily coupa. « Je ne veux plus entendre ce genre de chose ce soir. Draco, tu vas retrouver Hermione, et toi, Sev, tu restes avec moi, ou avec Horace. »

« J'ai passé l'âge de parler avec Slughorn. », rétorqua le professeur. « Et nous vivons dans le même château toute l'année. »

« Et tu l'évites toute l'année, comme tu m'évites. »

Sous la direction de Lily, chacun retourna à la fête de Noël de Slughorn. Harry rejoignait discrètement Neville, Luna et Ginny. Severus n'esquiva pas la présence de Lily, et ne le voulait pas non plus. Elle présentait le seul intérêt qu'il pouvait avoir pour rester à cette soirée.