(Le Prince de Sang-Mêlé) L'enterrement d'Aragog
Ni Harry ni Ginny n'évoquèrent à nouveau leur baiser. Quand ils arrivèrent à la salle commune de Gryffondor, leurs amis les attendaient à un coin où siégeaient trois fauteuils qu'ils occupaient d'ailleurs. Ron les repéra rapidement, alors que Hermione se concentrait sur un livre et Neville sur un devoir, et leur demanda comment ça s'était passé. Un instant encore pris dans l'euphorie du souvenir du baiser, Harry ne comprit pas tout de suite, et se montra irrationnellement gêné. Ginny, elle, répondit aussitôt, calme et souriante.
« Très bien. » Elle présentait une expression un peu trop brillante au vu de la situation, ce qui n'échappa pas à l'œil de Neville. Il notait dans un coin de son esprit de l'interroger plus tard à ce sujet. Ou simplement de l'ignorer.
« Comment ça, "très bien" ? » répéta Ron. Harry lui, savait qu'elle ne parlait pas tout à fait de la discussion avec Draco. Il entreprit de résumer sans pour autant la contredire.
« Draco est malade. Vous l'avez sûrement vu. Il disait vouloir rejoindre Hermione. »
« Qu'est-ce qui vous a pris si longtemps ? » demanda Ron avec suspicion.
« Je ne pense pas que tu aies besoin de le savoir. », commenta Ginny avec un sourire avant de s'éloigner en direction des dortoirs. Harry n'ajouta rien, haussant les épaules pour montrer son ignorance, et s'en alla à son tour au dortoir, imité par Neville.
Ron tourna la tête vers Hermione. « Ils nous fuient tous. », extrapola-t-il sans rien y comprendre.
Hermione se levait à son tour. « Il est tard. », expliqua-t-elle. Et elle l'abandonna également.
Draco ne tarda pas dans les jours qui suivirent d'interroger Ginny à propos de son rendez-vous avec Harry. Il la trouvait surtout beaucoup trop vague dans ses réponses, d'où son insistance pour recevoir les réponses. Rien n'y fit ; elle demeurait muette sur le summum du tête-à-tête. Tout au plus informa-t-elle qu'ils avaient libéré un oiseau d'un placard, ce après quoi Draco se montra plus neutre.
Le Serpentard instruisit bien évidemment son parrain de la réussite de sa dernière expérience. Il pouvait dès lors se reposer, et pleinement se concentrer sur ses études, ainsi que sur sa relation avec Hermione que Severus désapprouvait toujours. Draco finit par lui faire remarquer, insolent, que c'était peut-être à lui — le professeur — d'accepter une relation avec Lily, et non à lui — l'adolescent — de se séparer avant l'heure de celle qu'il aimait. Leur point de vue continuait de diverger sur ce sujet, et les deux savaient pertinemment la cause perdue en ce qui concernait la persuasion de l'autre.
Quoi qu'il en fut, la suite de leur plan ne consistait plus qu'à attendre le bon moment pour faire pénétrer les Mangemorts dans l'école. Draco devait également, bien sûr, entretenir la correspondance avec ses "complices" à l'extérieur afin de les informer de ses progrès tout en les convainquant qu'il serait préférable de patienter et qu'il se trouvait le seul apte à juger du moment opportun. Severus l'aidait en secret avec cette tâche, lui enseignant comment parvenir à manipuler, garder le contrôle, et ne pas se faire tuer pour insolence. Tout cela pouvait se jouer durant les cours d'alchimie, et ne prenait plus place sur le temps libre de l'adolescent qui, bien que toujours inquiet pour ce qu'il adviendrait à la fin de l'année, reprenait quelque peu son assurance au milieu de son groupe d'amis et s'isolait beaucoup moins.
Pour sa part, Neville ne trouvait toujours pas la moindre idée pour parvenir à accomplir sa mission, et Harry n'arrivait à rien. Le professeur Slughorn continuait de fuir le garçon à lunette dès qu'il le croisait par hasard dans un couloir.
« J'ai grillé toutes mes chances. », se plaignit Harry dans un soupir grognon alors qu'il se laissait tomber sur le dos au-dessus de sa couverture par une soirée d'avril. Le mois n'avait pas encore touché à sa fin, mais il n'en restait guère plus d'une semaine.
Neville, qui préparait son sac en vue d'une sortie chez Hagrid par cette soirée fraîche proche du couvre-feu, releva un regard à la fois surpris et songeur vers son meilleur ami.
« De la chance… », souffla-t-il en un murmure.
Harry tourna la tête vers lui. « Quoi ? »
Un sourire d'abord timide puis rayonnant germait sur le visage du garçon-qui-avait-survécu alors qu'il s'expliquait. « De la chance, Harry, c'est tout ce qu'il nous faut ! De la chance liquide ! »
Harry se redressa d'un coup, assis sur son lit. « Tu veux utiliser le Felix felicis ? » demanda-t-il, sidéré.
« Oui ! »
Harry sourit brillamment à son tour. « C'est génial, Neville ! Tu es génial ! Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? »
« Tu l'as toujours ? Tu serais prêt à m'en donner ? »
Harry s'amusa, penchant sa tête de côté. « Tu penses que je l'aurais utilisé ? Pour quoi faire ? Te permettre d'obtenir un moyen de vaincre Voldemort est le plus important, je serais prêt à te donner tout le flacon ! D'ailleurs… » Il se dépêcha de se mouvoir pour fouiller dans ses affaires. « C'est ce que je vais faire. »
Neville, serein, calmait son excitation pour réfléchir plus posément à la démarche. « Tu sais comment ça s'utilise ? »
« Tu l'ingurgites, puis tu entreprends ce que tu veux réussir. » Harry trouva son flacon, et se redressa pour se rapprocher de son ami avec. « Comme ça peut te provoquer une "légère" insouciance, il serait préférable de s'assurer préalablement d'avoir les idées bien en place, afin d'orienter ta chance vers notre objectif. » Il descendit son regard vers le sac que Neville préparait avant qu'il n'arrive, tandis qu'il tendait la fiole et que son ami le prenait délicatement. « Qu'est-ce que tu faisais ? » s'enquit-il ?
Neville baissa les yeux sur son bagage. Il s'attrista. « Aragog est décédé la nuit dernière. Hagrid l'a extrait de la forêt interdite pour empêcher ses congénères de s'en repaître, et m'a prévenu. Je devais le rejoindre ce soir. Pour procéder à l'enterrement. »
« On peut remettre à plus tard… », évoqua Harry, incertain, tentant de cacher au mieux son dégoût à l'idée de l'ensevelissement de l'acromantule. Il n'y avait pas vraiment de caractère d'urgence au jour près, pas après des mois. D'autant que Dumbledore ne leur avait pas non plus donné la mission dès le début comme il aurait pu leur expliquer dès qu'il avait décidé qu'ils devaient se rapprocher du vieil homme. Le garçon aux yeux verts ne voyait pas vraiment comment Hagrid, et surtout Neville, pouvaient regretter le trépas d'un arachnide géant, une créature qui en soit n'attirait pas la sympathie de la plupart des gens, et un spécimen qui en particulier avait tenté de les faire dévorer lui et Draco par sa trop nombreuse famille pour permettre à Ron de dormir s'il en avait connaissance.
Neville secoua légèrement la tête. « Non, il vaut mieux s'en occuper au plus tôt. Hagrid et Aragog comprendront. Quel meilleur hommage puis-je rendre à Aragog que de trouver la clé pour vaincre celui qui l'a chassé de Poudlard et qui a condamné Hagrid à une vie reclus en les incriminant tout deux ? »
Cette fois, Harry ne parvint décidément pas à cacher sa grimace. « Si tu penses que ça leur rendra honneur… »
Neville sourit d'amusement. « Tu es décidément mieux derrière tes livres et tes chaudrons que dans la nature. »
Harry roula des yeux. « Si le génie de faune et flore le dit. Mais je te signalerais que je manie aussi bien ma baguette que les décoctions, et surtout que je suis un prodige du vol sur balai. L'attrapeur de Gryffondor, c'est moi. Allez, avale ta potion. »
Pendant que Neville débouchait, Harry expliquait les routines qu'il avait observées de Slughorn durant sa quête de réponse.
« Tu ne veux pas t'en charger ? » demanda Neville, son regard balançant vers son sac.
« De prendre Felix ? Je pense qu'il faut mettre toutes les chances de notre côté, et qu'il serait plus prudent que tu t'en charges. Slughorn ne m'accorde plus aucune confiance. Je ne suis que le fils d'une ancienne élève et nouvelle collègue qu'il apprécie toujours, et je n'ai plus le génie du prince de Sang-Mêlé. Toi, tu es déjà quelqu'un, comme il dit, tu es le garçon-qui-a-survécu, tu es l'élu. » Puis, il ajouta en moquerie envers lui-même, « Et pour l'instant, tu n'as pas "grillé" tes chances, donc un multiplicateur fonctionnera. »
« D'accord, alors. »
Quand les yeux verts virent le garçon-qui-avait-survécu laisser couler tout le flacon dans sa gorge, ils s'écarquillèrent.
« J'ai oublié de te dire ! »
Neville faillit s'étouffer en réaction à l'exclamation, et pour réparer la sottise, en réflexe, Harry renvoya la liqueur dans sa bouche d'un coup de baguette. Faire ingérer un liquide magique de force à un patient faisait partie des sorts qu'il avait appris. Il gémit sans parvenir à garder enfouis les rires. « Désolé… il ne faut avaler que 10 gouttes… »
Les yeux de Neville s'exorbitèrent. « Quoi ? »
Harry rejeta l'inquiétude comme si elle n'était rien. « Oh, ce n'est pas grave. Tu seras juste très insouciant j'imagine. Et puis, il faut bien ça pour obtenir ce souvenir de Slughorn. »
« Je me sens incroyablement bien. », sourit Neville, détendu, tout en saisissant son sac. « Je vais voir Hagrid. »
Harry le suivait du regard alors que le garçon contournait rapidement son lit pour partir. « Quoi ? Mais non, ce n'est pas ce qui était prévu ! »
Neville, déjà à la porte, se retourna vers lui. « Je crois que si. »
« Absolument pas, Neville. Tu t'es concentré sur l'enterrement à la place de Slughorn, n'est-ce pas ? Tu dois obtenir l'information que Dumbledore t'a demandée, même si j'ai bien envie de critiquer qu'il t'en laisse la charge au lieu de s'en occuper lui-même. »
« Écoute, Harry, c'est l'endroit où je dois être ce soir, je le sens. »
« Parce que tu voulais rejoindre Hagrid ! La mission consistait en obtenir les aveux de Slughorn. C'est notre seule occasion, nous n'aurons pas plus de Felix Felicis que ce que tu viens d'avaler. »
Neville sourit. « Felix est avec moi. Tout doit me réussir, tu te souviens ? Réussir tout ce qu'on entreprend ne veut pas dire qu'il n'y a qu'une seule chose qui puisse être entreprise. Et j'ai envie de voir Hagrid. »
Sur ce, Neville fit volte-face et quitta le dortoir. Harry suivit, silencieux et attentif, jusqu'à ce que son ami ait franchi la porte du portrait. Ron rejoignait Harry, son regard aussi fixé sur la porte que celui de Harry.
« Qu'est-ce qu'il va faire ? »
« Voir Hagrid. »
« Il avait… Je ne l'ai jamais vu avec un air aussi étrange. »
« Il a pris du Félix Felicis. »
Ron se retourna vivement vers Harry, éberlué. « Quoi ?! Pourquoi ? »
Harry afficha la même expression, et emprunta un ton bien similaire, à ce que Snape avait employé face à Ombrage le jour où ils étaient allés au département des mystères. « Aucune idée. » Comme l'espion après cela, il tourna les talons pour repartir par là où il était venu. Ron le regardait remonter les marches jusqu'aux dortoirs avec un mélange d'ahurissement et d'agacement. Ce dernier sentiment dérivait de la reconnaissance de Ron à cette imitation, et que le roux comprenait ainsi parfaitement que Harry se payait sa tête.
Neville, l'air tranquille à la limite de cette insouciance décrite dans les effets d'une surconsommation de Felix Felicis, se promenait dans les couloirs en toute quiétude, son sac à l'épaule, sans se soucier de l'heure tardive ni du risque de se faire prendre par un professeur et punir. De fait, il ne croisa personne. Du moins, personne jusqu'à ce qu'il passe à côté des serres. Là, il put voir le dos courbé d'un vieux bonhomme penché furtivement à une petite fenêtre basculante entrouverte, comme il y en avait de nombreuses le long de la vitrerie, toutes fermées.
Neville se faufila pour contourner un peu l'enseignant et découvrir qu'il semblait définitivement s'insinuer de sorte à recueillir des morceaux de plantes de toute évidence dans le dos du professeur Chourave. Il s'approcha davantage afin d'apercevoir plus précisément ce qu'entreprenait le maître des potions et plus particulièrement la plante qu'il tentait de manipuler. Sentant sa présence, Slughorn sursauta et se retourna vers lui. Neville fixait la plante pourvue de longs tentacules et de dents si semblable à certaines de ses propres cultures dans sa chambre chez Hagrid.
« Neville, c'est une surprise. Je ne m'attendais pas… »
« Vous craigniez que je sois le professeur Chourave, monsieur ? Pourquoi "recueillez" vous des feuilles de Tentacula vénéneuse ? »
Neville veillait bien à ne pas accuser directement le vieil homme rusé et ambitieux de vol. Quant à l'objet de son méfait, il s'agissait d'une plante dangereuse, comme attendu d'une plante étudiée en pratique durant les années d'ASPIC. Pourvues d'une tête géante sans yeux mais avec des crocs, ces plantes étaient entourées de nombreuses feuilles et possédaient de multiples grandes vignes en tant qu'appendices. Ces vignes se comportaient tels des bras et certains pouvaient même disposer de leur propre tête à leur extrémité.
« Comment avez-vous deviné ? Pour le professeur Chourave ? »
« À votre manière d'agir, Monsieur. Je dirais que je ne vous ai pas vu. »
« C'est très aimable de ta part, Neville… je vous assure que je ne cherche pas à voler le professeur Chourave. Mon intérêt pour ces plantes est purement professionnel. Savez-vous que leur valeur sur le marché noir pouvait monter jusqu'à plus de 10 gallions ? Pas que je sois coutumier du marché noir, bien sûr… »
« Je sais que les feuilles de Tentacula vénéneuse sont de classe C dans les marchandises interdites à la vente. Et aussi que c'est une plante au venin hautement mortel contenu dans ses pousses et ses pointes, usuellement distribué par leur morsure qui peut aisément étourdir ou tuer. Leur jus est aussi un poison mortel. »
« Vous êtes décidément surprenant, Neville, quand cela concerne la botanique ou les créatures fantastiques. Les feuilles sont très utilisées pour certaines potions, et guère pour les poisons. » Slughorn sortait de sa cache pour faire face à l'adolescent, tout en rangea ses ustensiles comme le résultat de sa récolte clandestine. « Mais que faites-vous ici à cette heure ? »
« J'allais voir Hagrid. Si vous voulez bien m'excuser, je vais y aller. »
Sur ce, Neville se détourna et commença sa marche rapide. Slughorn l'interpella.
« Neville ! »
Le garçon se retourna vers l'homme, poli. « Professeur ? »
« Vous ne pouvez pas sortir à cette heure. Comment avez-vous quitté le château ? »
« Par la grande porte, professeur. C'est comme ça qu'on fait en général. Je ne me cache pas. Hagrid est mon tuteur, professeur, et un très bon ami également. C'est toute ma famille. Vous voyez, Aragog est mort hier, et je dois y aller. »
« Je ne peux pas vous laisser vous promener seul à cette heure en dehors du château… Qui est cet Aragog ? »
« Tout le terrain de Poudlard est protégé, monsieur. Et la cabane de Hagrid est sur le terrain de Poudlard. C'est plus pratique pour "garder" le terrain. Mais je vous en prie, si vous vous inquiétez pour nous, accompagnez-moi. Nous allons enterrer Aragog, c'est le plus vieil ami de Hagrid. »
« Vous allez enterrer quelqu'un sur le terrain de Poudlard ?! Je ne pense pas que… »
Neville coupa le bonhomme dans sa lente explication. « Professeur, je dois vraiment y aller. Oh, et Hagrid a tout les droits et même devoir de gérer l'entretien de la forêt interdite et de s'occuper des créatures magiques qui y résident. Enterrer le doyen des acromantules ne posera aucun problème. Ce n'est pas comme s'il allait le faire au milieu du terrain de Quidditch, des dolmens ou du saule cogneur. »
« Une acromantule ?! » s'exclama Slughorn avant de reprendre son attitude usuelle. « Oui, bien sûr, je vais vous accompagner, Neville. »
« Merveilleux ! »
Neville reprit sa marche avec entrain, suivit plus lentement et difficilement pas le bonhomme qui vérifiait ses stocks de flacons dans sa cape. Plusieurs fois, Slughorn lui demanda de ralentir, mais si l'adolescent veillait à ne pas égarer le professeur, il n'hésitait pas à garder de l'avance pour se rapprocher de son gardien légal et ami.
Enfin, ils arrivèrent auprès de Hagrid qui attendait, debout devant le cadavre aux pattes repliées de l'araignée autrefois gigantesque qui paraissait bien diminuée à présent.
« Bonsoir, Hagrid. Le professeur Slughorn m'accompagne apparemment pour une question de sécurité. »
Slughorn regardait l'acromantule d'un air impressionné. Puis, gêné, il aborda Hagrid. « Je ne voudrais pas vous choquer, mais le venin d'acromantule est très rare… Puis-je ? »
Hagrid répondit d'une voix désolée. « Oh, je suppose qu'il n'en aura plus besoin maintenant. »
« Merci. Je me disais aussi. »
Le bonhomme gagna l'avant du cadavre afin d'effectuer sa manipulation, radotant sur son vieux réflexe de maître de potion de toujours garder quelques contenants et matériels sur lui. Hagrid et Neville attendirent patiemment que le centenaire ait terminé et retourne auprès d'eux. L'ancien chef Serpentard se proposa de dire quelques mots cérémonieux, une offre que Hagrid accepta aisément, incapable lui-même de parler sans s'effondrer en larmes. Quand cela fut achevé, le demi-géant mit Aragog en terre.
Enfin, Hagrid invita Neville et Slughorn à rentrer dans sa cabane, et les deux adultes commencèrent à se saouler, l'un bavardant de son plus vieil ami, l'autre compatissant avec lui, évoquant même qu'il possédait aussi un animal de compagnie. Slughorn faisait référence au beau poisson placé dans un bocal sur le même bureau que le sablier de sable vert. Un animal d'apparence normale, du nom de Francis, que Neville avait déjà eu plusieurs occasions d'apercevoir. L'adolescent avait trouvé étrange une telle présence dans le bureau de l'homme, mais après quelques temps à mieux connaître le professeur, il avait admis que cela convenait au bonhomme. Certes, il demeurait un maître des potions, cependant ses décorations préférées n'étaient guère les bocaux, plutôt les photographies de ses élèves favoris, et de ses "amis".
Au bout d'un long moment, alors que le ciel était déjà noir, Hagrid s'écroula, ivre. Slughorn restait éveillé et conscient, mais nul doute qu'il subissait aussi des effets de l'alcool depuis un certain temps. Neville avait même chanté avec eux une chanson à boire un peu plus tôt dans la soirée, bien qu'il n'ait personnellement pas bu comme eux. Slughorn paraissait perdu dans ses souvenirs, nostalgique, avec un léger sourire contemplatif. Il parlait à présent d'une voix douce.
« C'est une élève qui m'a donné Francis. Un après-midi de printemps, j'ai trouvé le bocal sur mon bureau, avec juste de l'eau claire. À la surface, flottait un pétale de fleur. Quand je me suis approché, le pétale s'est enfoncé, et juste avant qu'il ne touche le fond, il s'est changé en un merveilleux petit poisson. C'était une très belle magie, magnifique à regarder. Ce pétale venait d'un lys ou d'une Lily… »
« La mère de Harry. », déduisit Neville.
Slughorn hocha la tête. « Oui… et il est toujours là, sur mon bureau. C'est l'un des plus beaux cadeaux que l'on m'ait faits. Lily était mon élève préférée. Travailler avec elle cette année est un vrai bonheur. Qui ne l'aimerait pas ? Son sourire… »
Neville l'interrompit. « Voldemort. »
« Pas ce nom, s'il vous plaît. », réclama Slughorn avec un mouvement de recul.
« C'est son nom. Il ne m'effraye pas. Nous sommes à une époque où la passivité de la plupart des gens perdra notre monde, car Voldemort sait en profiter, en tirer parti, et qu'il gagnera si trop peu s'unissent contre lui. Lily fait partie de ceux qui se battent contre lui. Elle est courageuse et intelligente. Elle est née-moldue et une ennemie de Voldemort. Elle est sans nul doute parmi ses cibles principales. S'il n'est pas vaincu rapidement, beaucoup pourraient y perdre la vie, elle y compris. »
Slughorn, les yeux humides de tristesse et de peur, secoua la tête. « Je sais ce que vous voulez, mais je ne peux pas vous le donner. »
« Vous savez professeur, je suis l'élu. Il y a une prophétie. Mais je ne pourrais pas le vaincre sans aide ou sans les informations propices. J'ai besoin d'aide pour comprendre, et je pense que seul vous pouvez me la donner, professeur. »
« Ce serait ma perte. », gémit doucement Slughorn, comme à l'agonie.
« Si vous possédez quelque chose qui permettrait de participer à la chute de Voldemort mais que vous le garder pour vous sans vous en servir, professeur, alors ce sera la perte de tout le monde sorcier. De vous, de Lily, de Dumbledore, de Harry, de tous, même du professeur Snape. Je sais que vous n'êtes pas Gryffondor, monsieur, mais ça ne signifie pas que vous ne pouvez pas trouver du courage. Le professeur Snape aussi est Serpentard, et il se bat autant que les Gryffondor sinon plus que certains contre Voldemort. Je sais qu'il était un Mangemort avant. Ce qui compte le plus, ce ne sont pas les erreurs que nous faisons. C'est le repenti sincère qui peut venir ensuite. C'est d'agir de telle sorte à rattraper, à corriger ou à compenser le mal qu'on a pu provoquer, même et surtout si c'était involontaire. Quoi qu'il se soit passé, vous n'avez sans doute jamais pensé à mal, professeur. Je suis sûr que nous n'aurions aucune raison de vous en vouloir. Garder le silence maintenant est une chose plus terrible encore que d'avoir parlé à cette époque-là. »
Slughorn semblait éprouver de véritables remords, et sa peur le tiraillait. « Vous n'avez pas idée de ce qu'il était déjà à cette époque. »
« Je pense que je le sais, professeur. Tout comme je sais qu'il était apte à cacher à tous de quoi il était capable. Ce n'était qu'un élève, brillant, comment auriez-vous pu savoir qu'il deviendrait un tel mage noir par la suite ? J'ai déjà croisé ce qu'il était à seize ans, un souvenir enfermé dans un journal que Draco a détruit. Un journal qui avait pris possession de Ginny alors qu'elle pensait pouvoir lui faire confiance, qu'elle le considérait comme un ami. Il a ouvert la Chambre des Secrets à seize ans, et personne, en dehors du professeur Dumbledore, ne s'est douté de sa culpabilité. Il a réussi à accuser Hagrid. Je sais ce qu'il était déjà, professeur. Nous ne pouvons pas vous reprocher d'avoir cru en lui. Mais plus longtemps vous attendrez avant de soulager votre conscience, plus longtemps vous en serez tourmenté, car vous regrettez profondément ce qui s'est passé ce jour-là. »
Timidement, lentement, Slughorn sortit un tout petit flacon, encore vide, de son manteau. Il pointa sa baguette sur sa tempe, et en extraie un filament de souvenir argenté. Sa main tremblait alors qu'il levait le flacon pour y déposer le bout de magie. Neville vint lui soutenir la main. Quand l'homme lui offrit le souvenir, l'adolescent l'en remercia avec gratitude et douceur, conscient de l'effort du professeur, autant que de l'importance de cet élément.
