(Le Prince de Sang-Mêlé) La cave


Seul Draco le vit, et il savait que quelque chose s'était passé. Quant à savoir quoi, c'était une tout autre affaire à laquelle il n'aurait sans doute jamais la réponse. Peut-être que son parrain voyait enfin les choses comme lui. Qu'importe la raison, le résultat demeurait : Severus ne tentait plus par tous les moyens de se tenir éloigné de Lily. Slughorn ne s'installait plus entre les deux à la table des professeurs, et au regard que Draco aperçu un jour du directeur, le vieil homme s'était résigné et n'avait rien à en dire. Pour autant, ni Lily ni Severus ne semblaient heureux. La fin de l'année approchait, et même si Lily ne pouvait pas connaître ce qui se préparait, elle restait consciente qu'un événement aurait certainement lieu qui empêcherait Severus de reprendre son poste de professeur de défense contre les forces du mal l'année suivante. Draco, lui, savait parfaitement ce qui pouvait assombrir son parrain, et lui-même s'efforçait chaque jour de maintenir son angoisse éloignée.

Il n'avait au bout du compte passé que peu de moments seul avec Hermione. La plupart du temps, ils révisaient tous en groupe, suivant encore le planning que Hermione avait élaboré en début d'année, bien qu'aménagé légèrement différemment à présent dans le but d'aider Ginny et Luna à travailler leurs BUSEs. Les sixièmes années n'avaient pas de pareils examens au terme de l'année, ils avaient juste la période usuelle comme les quatre premières années. Leurs examens d'ASPICs seraient l'année à venir. Et Draco doutait qu'ils puissent tous y assister aisément.

Mi-mai, en ce jeudi 15 où Draco avait cours d'alchimie, la date fut fixée. Il devait commencer les démarches pour prévenir les Mangemorts, et sa tante en particulier, qu'il leur ouvrirait le passage un peu plus d'un mois plus tard, fin juin. Ce serait tard le soir, un samedi, la veille du départ en vacances. Le but était de ne pas perturber les examens des étudiants, un objectif que Draco ne pouvait guère révéler à sa tante, d'autant que seuls les examens de BUSE et ASPIC duraient jusque là. Un autre motif était le désir d'éviter la pleine lune qui avait lieu le vendredi, jour qui aurait eu leur préférence en temps normal, car Severus refusait catégoriquement d'avoir un Greyback sous sa forme loup dans les couloirs de Poudlard. Dumbledore avait sans nul doute approuvé aisément ce point. L'inconvénient serait que cela risquait fort de retarder le départ du train pour les vacances.

Draco fut informé de tous les détails de la mission. Tout ne fut pas révélé aux Mangemorts. Comme le jeune Malfoy l'avait souhaité, le directeur ignorait encore comment l'adolescent comptait s'y prendre pour permettre aux Mangemorts de pénétrer dans le château. Il savait seulement que Draco réussirait. Finalement, le préfet aspirait à en finir au plus vite. Il n'en pouvait plus du questionnement, et de l'appréhension. Il voulait savoir ce qui se passerait ensuite. Pourtant, il s'inquiétait de plus en plus de devoir se présenter comme un traître aux yeux de ses amis. La haine de Ron ne lui faisait pas peur. Il semblait que rien de ce qu'il ferait sur ce sujet ne lui attirerait les reproches de Théodore. En revanche, il pouvait aisément deviner que Hermione, Harry et Neville ne lui pardonneraient pas, et seraient plus blessés que jamais. Draco ne pensait pas pouvoir supporter de croiser leurs regards après cela. Alors il voulait profiter de leur présence à ses côtés autant qu'il pouvait. C'était la seule raison pour laquelle il ne désirait pas que le temps s'écoule. Il se fichait de tous ses cours à ce stade, mais continuait de travailler plus assidûment que durant le reste de l'année, juste pour passer des moments agréables avec ses amis.

Le piège se mettait en place, bientôt, Dumbledore ne serait plus, et l'humeur du professeur de défense contre les forces du mal s'assombrissait de jour en jour, à peine apaisée par le soutien de l'assistante du maître des potions et de l'infirmière.

Neville se montra fort étonné de recevoir une convocation du directeur samedi après-midi pour rejoindre le vieil homme à la tour d'astronomie, la veille du départ en vacances. Et puis, il songea que son mentor avait voulu qu'il se concentre sur ses études avant la chasse aux horcruxes, et décidait alors de requérir son aide seulement une fois l'année terminée.

Neville avait reçu le message par un elfe de maison, qui lui apportait la sollicitation écrite, évitant ainsi de prononcer à haute voix la demande du directeur devant tous. Sans doute le vieil homme désirait-il rester discret. Harry, toujours aux côtés de son meilleur ami, l'observait en silence, dans l'attente manifeste que le garçon-qui-avait-survécu lui précise de quoi il retournait. D'un léger sourire, Neville regarda le préfet.

« Le professeur Dumbledore me demande de le rejoindre à la tour d'astronomie dans deux heures. »

« La tour d'astronomie ? Qu'est-ce qu'il veut ? »

« Je l'ignore. Mais je le saurais en y allant. »

« Tu veux que je t'accompagne ? »

Neville rit. « Harry, je peux aller voir le professeur Dumbledore tout seul. Que dirais-tu si je te posais cette même question au sujet d'aller voir le professeur Snape ? »

Harry haussa les épaules. « Ça me paraît différent. C'est très étrange qu'il te convoque à un endroit pareil. Et c'est très étrange qu'il le fasse la veille des vacances. Quelque chose cloche. »

Neville savait que son meilleur ami était trop têtu pour lui faire entendre raison. « Fais comme tu veux, alors. Le professeur Dumbledore pourra te chasser lui-même. »

Harry chuchota. « Je te rappelle qu'il m'avait aussi chargé de la mission "rapprochement – souvenir – Slughorn", même si la demande est passée par ton intermédiaire. Il m'a impliqué. Et je préfère en général être présent quand je suis impliqué. D'autant que tu n'es pas un hibou, tu n'as pas à faire la navette entre lui et moi. Je n'ai pas beaucoup apprécié être renvoyé aussi brutalement de son bureau la dernière fois non plus. Je veux savoir ce qui se passe. Qu'importe de quoi il s'agit, je serais toujours à tes côtés, et il le sait. »

Neville hocha doucement la tête. « Oui… il le sait. »


Ils se rendirent tous les deux vers la tour d'astronomie à l'heure décidée. Ils se stoppèrent dans les marches, et se cachèrent dans les ombres, en entendant une étrange discussion entre le directeur et un Severus passablement énervé.

« Vous ne vous êtes jamais dit que vous demandiez trop ? Que vous teniez un peu trop toujours tout pour acquis ? Que je ne voulais peut-être plus le faire ? »

Neville repéra à l'abri des regards, caché derrière la grande maquette du système solaire, Draco, aussi à l'écoute que lui et Harry. Pendant que Dumbledore répondait d'une voix plus sèche que jamais, Neville attira l'attention de Harry pour lui indiquer.

« Ce que j'ai pu me dire ou non n'importe pas, Severus. Tu as accepté. Il n'y a pas de retour arrière. »

Severus devait avoir compris, au ton du directeur, qu'il n'y avait aucune négociation possible, à moins qu'il ne soit lui-même de trop mauvaise humeur pour prendre la peine d'argumenter davantage. Au son, les deux Gryffondor devinaient aisément que le chef Serpentard se détournait d'un mouvement vif, et ils ne tardèrent pas à le croiser dans l'escalier. L'homme les vit alors, bien sûr, et s'arrêta un instant devant eux. Le regard de Severus semblait étrangement hanté tandis qu'il les fixait comme s'il n'avait pas imaginé et encore moins souhaité qu'ils assistent à un tel échange. Après quelques instants, il s'enfuit sans un mot. Les deux adolescents restèrent trop étonnés pour bouger tout de suite, et manquèrent le grincement du parquet au moment où Draco sortait de sa cachette.

Le Serpentard, ignorant qu'il serait entendu par ses deux amis en contrebas, contourna le globe géant pour observer l'ancien sorcier qu'il reverrait encore plus tard dans la soirée.

« C'est vrai ? » demanda-t-il d'une voix neutre, où pourtant une pointe d'une terrible peur transparaissait.

Le vieil homme, qui pendant toute sa discussion avec Severus n'avait cessé de contempler le paysage par la fenêtre, se retourna pour regarder l'élève. Draco saurait gré de cette marque de plus grande attention. Le directeur cherchait-il vraiment à se faire détester de son meurtrier prévu ?

« Draco, j'ignorais que tu étais là. », dit le sage centenaire d'un ton bien plus amical que l'instant d'avant.

Draco le fixait en angoisse malgré son masque d'occlumancie. « Il renonce ? »

« Tu sais mieux que moi ce qu'il fera, Draco. Tout comme il sait mieux que moi ce que tu feras. J'ai confiance en vous deux. »

« Vous ne devriez peut-être pas. »

« Nous en rediscuterons plus tard, si tu le veux bien. »

Draco serra les poings. « Comme vous voudrez, mais j'ai peur que plus tard soit trop tard. »

Et comme son parrain avant lui, Draco se détourna et commença à dévaler l'escalier pour se stopper à peine quelques marches plus bas lorsqu'il aperçut Harry et Neville. Cette fois, Harry réagit en premier. Il attrapa le Serpentard par le poignet, et l'entraîna dans la descente de la tour, sans un mot. Neville se doutait bien que les deux préfets allaient avoir une explication l'un avec l'autre, mais il craignait que le blond ne refuse de discuter. Il laissa cette responsabilité à son meilleur ami, et finit enfin la montée.

Il s'avança dans le dos du vieil homme qui s'en était retourné à la contemplation du paysage, et s'annonça doucement une fois assez proche et toutefois à une bonne distance respectueuse.

« Je suis là, directeur. »

Dumbledore se retourna, et un petit sourire nostalgique orna ses lèvres. « Neville… J'oublie parfois à quel point tu as grandi. Tu as toujours été un garçon si sage, et je revois encore en toi l'enfant qui aimait audacieusement jouer avec les créatures magiques ou les plantes de Pomona. Tu es un jeune homme remarquable, tu l'as toujours été, même enfant. Je n'ai jamais douté de ton courage, et je suis fier que tu le voies enfin toi-même. Tu sais, j'aurais aimé t'adopter moi-même, mais je ne pouvais pas. Je me rends compte à quel point te confier à Hagrid était la chose à faire. Tu as autant de cœur que lui, et autant que tes parents en avaient. Ils seraient fiers de toi, eux aussi. Sans parler de ta grand-mère, qui serait heureuse de savoir à quel point son petit-fils est un sorcier talentueux. »

« Tous les pouvoirs du monde ne sont rien sans le cœur. J'ai de la chance de pouvoir aimer, et d'être aimé pour ce que je suis par mes amis. Tout comme vous avez le plus de pouvoir, et savez reconnaître les responsabilités que cela vous incombe. Voldemort ne sait ni l'un ni l'autre. »

« Le plains-tu ? »

« Oui. », déclara le jeune homme sincèrement, de sa voix à la fois douce et assurée, agrémentée d'une touche de gravité appropriée.

« N'oublie jamais cette capacité que tu as à voir le meilleur chez les gens. Maintenant, si tu le permets, je t'ai fait venir ce soir pour que tu m'aides à aller chercher l'hocruxe suivant. Approche-toi. »

Le garçon obéit, et s'avança jusqu'à être auprès du directeur.

« Je te laisse m'accompagner ce soir à condition que tu respectes cette consigne : quoi que je te dise de faire, fais-le. Si je te dis de te cacher, tu dois te cacher. Si je te dis de partir, tu pars. Si je te dis de fuir et de m'abandonner à mon sort, tu dois le faire. Est-ce que c'est bien compris ? »

Neville observa gravement le professeur. Il ignorait ce que l'homme pensait trouver là où ils iraient, ni même quels dangers les attendaient, mais il se doutait que ce ne serait pas un endroit sûr. Il savait aussi que le directeur voudrait toujours qu'il reste en sécurité. Et Neville obéissait toujours au directeur. « C'est promis. Quoi que vous demandiez, je le ferais. »

Le centenaire releva le bras comme il l'avait fait durant l'été, en signe d'exigence. « Ton bras, Neville. »

L'adolescent obéit. Il savait que le transplanage n'était pas possible au sein de Poudlard, mais il savait aussi que le directeur faisait exception à la règle. Il se retrouva soudainement sur un rocher frappé par une mer déchaînée. Face à eux, se trouvait une immense falaise, et surtout, un trou qui ne pouvait qu'être une grotte.

« C'est ici. », déclara le vieux sorcier, son regard fixé sur cette ouverture dans la paroi.

« Pourquoi ne pas transplaner à l'intérieur ? »

« Il a mis des protections contre le transplanage. Il va nous falloir atteindre ce tunnel autrement. »

« Va-t-il falloir attendre la marée basse, directeur ? » Neville ne se sentait pas de nager dans une eau si agitée.

« Ooh, non. »

Le sorcier séculaire, expert de métamorphose, leva alors sa baguette, et créa un pont entre le pic rocheux où ils s'étaient perchés et l'entrée du tunnel en partie submergé. Neville observa les vagues s'écraser violemment contre la construction. La traversée de ce pont ne semblait pas la plus sûre. Dumbledore lui tendit le bras, non pas comme un professeur autoritaire sur le point de transplaner mais comme un vieillard au besoin d'un soutien.

« Veux-tu bien aider ce vieil homme à traverser ce pont ? »

Neville acquiesça, s'efforçant d'éloigner toutes les craintes qu'il pouvait avoir de marcher sur cette construction magique entourée par le déchaînement de la mer. Le directeur, le plus grand sorcier de leur époque, se tenait à ses côtés. Il n'y avait aucun risque. Il conservait cette confiance aveugle envers son mentor.

Ainsi, ils avancèrent, prudemment, sur la passerelle déjà trempée par les flots, néanmoins à l'abri de la plupart des tumultes. Ce cheminement paru bien long, presque interminable par moment, aux yeux du jeune sorcier. Enfin, ils arrivèrent à l'extrémité du pont, et purent voir l'intérieur de ce tunnel à moitié submergé. Ils devaient soit nager dans cette eau, heureusement plus calme qu'à l'extérieur, soit allonger la construction factice. Dumbledore n'attendit pas que Neville le questionne ou réfléchisse lui-même à des solutions. D'un nouveau mouvement de sa baguette, un ponceau de bois joignit le pont où ils se trouvaient et la rive sèche du souterrain. Ils purent ainsi marcher dans ce tunnel obscur, et arriver jusqu'à une cavité qui apparaissait pour être un cul-de-sac.

« Il n'y a rien, directeur. », déclara Neville, son regard rivé sur le mur du fond. Il n'était ni angoissé ni désespéré, non, juste calme et observateur.

« Détrompe-toi, Neville. Avançons jusqu'à ce mur. »

Le jeune homme aida le centenaire à se déplacer sur le sol rocheux inégal jusqu'à l'endroit indiqué par le doyen. Dumbledore passa sa main âgée sur la paroi.

« C'est bien là. », affirma-t-il. Il enleva son bras du soutien apporté par Neville.

« Comment passe-t-on, alors ? » s'enquit le garçon avec curiosité.

Dumbledore leva un couteau pour le montrer à son élève. « Il faut en payer le prix. »

« Quel prix ? » Cette fois, il s'inquiétait en fixant l'arme blanche.

« Celui du sang. »

« Je m'en occupe. Que faut-il faire ? »

Dumbledore sourit. « Je n'en attendais pas moins de toi. Mais, vois-tu, je vais m'en occuper. »

Le vénérable n'attendit pas la protestation pour se couper à la paume.

« Pourquoi ? » requit le garçon, sans comprendre. Il continuait de fixer la main blessée du directeur alors que l'homme la glissait contre la paroi rocheuse. Pendant que l'ouverture se révélait et s'agrandissait, Dumbledore expliqua.

« Parce que je suis bien plus vieux, plus expérimenté et moins précieux que toi. Avec cette protection, Voldemort veut affaiblir son adversaire. Il n'a pas compris qu'il y a bien plus terrible qu'une souffrance physique. Ce n'est pas grand-chose. »

« Si ce n'était pas grand-chose, directeur, j'aurais pu m'en charger. Je suis bien plus jeune, et en meilleure santé que vous. »

Le centenaire sembla s'amuser de la remarque. « Continuons, Neville. Et n'oublie pas que tu as promis de faire tout ce que je te dirais. »

Neville se hâta d'aider le vieil homme à s'engager dans le passage ardu. L'endroit était si obscur qu'ils furent obligés d'allumer leurs baguettes de Lumos. « J'entends bien, directeur, et je tiendrais parole. Toutefois, si je dois me cacher devant le danger, et que vous devez l'affronter, ne vaudrait-il pas mieux que je sois la personne affaiblie et vous l'endurci ? Vous pouvez me défendre, directeur, je ne suis pas certain du contraire. »

« Ce qui est fait est fait, Neville, et je ne regrette pas ma décision. »

Neville ne répondit rien. Il espérait qu'ils n'auraient pas à le regretter, cependant il n'osait l'évoquer, car cela serait montrer un manque de foi envers le directeur. Trop souvent ces derniers temps il avait l'impression que le plus grand sorcier de leur époque devenait bien âgé, et, il était forcé de l'admettre… vieux et fatigué. Il peinait à reconnaître le puissant sorcier qui avait affronté Voldemort en duel, tout en le protégeant lui et ses amis, juste un an plus tôt. La santé de l'homme semblait s'être dégradée à une vitesse prodigieuse en quelques mois. Harry soupçonnait une malédiction sur sa main, laissée par l'horcruxe, et Neville était prêt à le croire. S'ils perdaient Dumbledore, il ne donnait pas cher de leur survie. Dumbledore était la seule personne que Voldemort craigne. Celui capable de l'affronter en duel. Neville n'était qu'un adolescent inexpérimenté, et guère le meilleur sorcier ne serait-ce que dans son année scolaire. Dumbledore était plus précieux que lui. Du moins pour la guerre, car il pouvait comprendre le raisonnement d'un vieil homme qui juge qu'un jeune a encore toute sa vie devant soit. Et Neville ne voulait certainement pas perdre sa vie. Mais il n'imaginait pas le directeur oublier de prendre toutes les précautions nécessaires, donc ni l'un ni l'autre ne risquait sa vie ce soir, tant qu'ils suivaient un plan décidé par le directeur.

Ils débouchèrent sur une immense caverne, du moins pouvaient-ils le supposer seulement car l'endroit demeurait d'une noirceur presque totale, avec comme unique éclairage leur pauvre lumos. Dumbledore lança une variante sans doute plus puissante, sa lumière grandissant pour permettre de voir les parois, et s'enfonçant plus loin, survolant un vaste lac, et s'arrêtant à l'horizon.

« C'est là-bas. », nota le vieil homme.

Ils descendirent prudemment sur la rive. Ce lac était d'un calme plat, absolu, et l'eau était plus sombre encore que le reste de la grotte si cela était possible. Neville ne voulait pas y nager davantage qu'à l'extérieur.

« Comment allons-nous y accéder ? »

Il n'imaginait pas le directeur proposer de nager avec sa robe encombrante.

« Il y a sans le moindre doute un moyen. », informa Dumbledore. Puis, il leva son bras à l'horizontale, sa main ouverte au-dessus de l'eau. La surface vrombit, bulla houleusement, et enfin une lourde chaîne se propulsa hors du lac pour rejoindre la main tendue. Le vieil homme donna la chaîne à l'adolescent. « C'est à toi. »

Neville tira alors sur la chaîne, encore et encore, jusqu'à ce qu'une embarcation atteigne la rive. Il s'agissait d'une petite barque, très certainement enchantée, avec assez de place pour qu'ils s'y tiennent tous deux debout. Neville aida le professeur à y monter, puis l'y rejoignit. L'esquif les mena tranquillement jusqu'à cette petite île lointaine sur le lac, où la lumière du directeur s'était arrêtée.

Cette île était une petite colline, toute petite, surmontée d'un piédestal où trônait un bassinet duquel les deux explorateurs s'approchèrent. Un liquide s'y trouvait, translucide, et une coupe attendait, vide, sur le bord de cette petite cuve. Dumbledore toucha la surface de ce liquide, qui parut plus opaque à cet instant, impossible à traverser. Il agita discrètement sa baguette, sans aucun effet. Ses yeux se relevèrent sur la coupelle.

« Il n'y a pas le choix. Il va falloir la boire. »

« Êtes-vous certain que l'horcruxe est à l'intérieur ? » questionna Neville.

Dumbledore l'observait avec un sérieux et une conviction à toute épreuve. « Absolument. Je vais boire cette potion. Elle pourrait me provoquer une insupportable douleur, me faire m'évanouir, me faire oublier qui je suis, ou pourquoi je suis ici. Je ne dois pas arrêter de la boire, jusqu'à la fin. Tu dois t'assurer que je la boive entièrement, qu'importe ce que je te dis. C'est très important. J'ai ton accord ? »

Neville se préparait à ne pas apprécier la suite des événements. Quoi qu'il se passe, il savait effectivement que cette potion aurait un effet néfaste, et si l'hocruxe se trouvait bien là, si Voldemort avait placé tous ces pièges dans le but d'empêcher quiconque de récupérer l'objet, alors sans doute la potion ne voudrait pas être bue. Neville connaissait aussi l'importance de leur mission.

« Je pourrais la boire. »

« Non. »

« Professeur… »

« Neville, tu te souviens de la parole que tu m'as donnée avant que nous ne partions ? »

Neville abandonna, et opina doucement du chef. « Oui, directeur. Je vous aiderais à la boire jusqu'au bout. Dois-je comprendre que vous prochains ordre, sous l'effet de la potion, ne sont pas à respecter ? »

« Tu as tout compris. » Le directeur se saisit de la coupelle, et abaissa son regard sur le breuvage. « Commençons, alors. » Il récupéra de ce liquide, qui vint dans cet instrument mis à disposition. Avant que Dumbledore ne porte l'objet à sa bouche, Neville intervint à nouveau.

« Et si nous essayions de la jeter par terre, ou dans l'eau ? Pourquoi forcément boire ? »

« Je pense qu'il n'y a pas le choix, Neville. Voldemort se sera assuré d'empêcher toute supercherie. »

« Essayons. », quémanda l'adolescent.

« Ce serait prendre un grave risque. Et si des protections mortelles se déclenchent au contact de cette potion avec le sol ou l'eau ? Assumeras-tu les conséquences de cela ? »

Neville tourna un regard angoissé vers cette eau sombre. Il tenta encore, hésitant. « Nous pourrions la stocker dans un autre récipient… »

« Le principe demeure le même, Neville. Veux-tu prendre ce risque ? »

Il observa à nouveau son mentor, ses yeux le suppliant de ne pas boire. « Je m'en remettrais à la décision que vous jugerez le plus sage, directeur. », obtempéra-t-il avec une voix cassée.

Sans lui répondre, Dumbledore porta enfin la coupelle à sa bouche, et but cette première rasade. Après quelques instants, il fit tomber le contenant dans celui plus grand, et commença à trembler, son regard s'assombrissant étrangement. Neville se précipita à ses côtés, alors que le vieillard s'éloignait et s'asseyait, bientôt en pleurs. L'adolescent, pris de panique, furieusement inquiet, interrogea son idole pour découvrir ce qui lui arrivait, mais le directeur ne tenait que propos incohérents, s'excusant, appelant Ariane… Neville prit une profonde respiration, une bouffée de courage, et sa décision de suivre l'ordre précédent. Il se releva, et se dirigea en quelques pas à la coupelle. Il remplit une nouvelle fois cet instrument de torture et retourna vers son mentor. Il s'accroupit doucement, et parla aimablement.

« Tenez, professeur, il faut le boire. »

« Non… », refusa la victime qui devinait sans mal qu'il s'agissait de l'instrument de son tourment.

Neville insista. « Professeur, c'est vous qui avez dit qu'il fallait que vous buviez, s'il vous plaît. »

Sous le regard impuissant, navré et soucieux de l'adolescent, le vieil homme se laissa boire. Plusieurs fois, Neville effectua ainsi l'aller-retour entre le bassinet et le directeur. Chaque fois, il devait insister de plus en plus ; le directeur semblait toujours plus désespéré, réticent et souffrant, baigné de larmes ; et Neville en souffrait d'autant plus, encore et encore, de devoir forcer son cher mentor à subir ce supplice. Il aurait aimé ne pas être là, il aurait souhaité ne pas le faire, qu'un autre, plus fort que lui, s'en occupe. Mais il savait bien que nul ne supporterait de faire une telle action, du moins parmi les alliés du vieil homme. Et ils ne pouvaient guère faire appel à un ennemi. C'était une tâche de confiance. Et Neville obéissait, car le directeur avait confiance en lui, et qu'il avait confiance envers le directeur. Il avait donné sa parole, il se devait de la respecter, quand bien même ils devaient en souffrir tous deux. Leur mission demeurait plus importante que tout le reste. Neville lui-même sentait les larmes silencieuses couler sur ses joues, et entendait sa voix toujours plus suppliante, espérant que cette séance termine bientôt, et que le directeur ne ressente plus les effets de cette infâme potion. Si Severus avait été là, aurait-il pu les aider, soit à trouver un autre moyen que de boire cette potion de désespoir, soit en leur concevant un soulagement aux maux provoqués ? Mais Neville savait fort bien qu'il était inutile de se poser pareilles questions. Car Severus n'était pas là, pas plus que les autres. Ils étaient seuls, lui et le directeur, et devaient s'en contenter.

Enfin, il n'y eut plus de cette potion. Neville ne le découvrit pas quand il prit la dernière partie du liquide présent dans le bassinet. Il le constata lorsque le directeur, après une énième bataille, avala, et qu'il sembla se calmer quelque peu. Il paraissait toujours vieux et fatigué, et pas vraiment remis, mais le désespoir était parti, pour laisser la place à la déshydratation. Assoiffé, le directeur demanda de l'eau. Neville se hâta de retourner au bassinet, et y trouva un médaillon en or, orné de petites pierres vertes afin de former un "S" serpentin. Il s'en saisit pour le placer dans sa poche, et ne manqua pas d'annoncer au directeur qu'ils avaient réussi. C'était, lui semblait-il, important de notifier l'heureuse nouvelle. Pour toute réponse, le vieil homme demanda encore à boire. Alors Neville pointa sa baguette vers le récipient.

« Aguamenti. », appela-t-il la formule du charme de production d'eau, mais rien ne se produisit. Pourtant, Neville savait exécuter ce charme. Considérant le reste des "épreuves", il concluait sans mal que le récipient était ensorcelé pour empêcher l'invocation d'eau. Il tenta à nouveau, cette fois pour remplir directement la coupelle, mais encore une fois, l'eau ne resta guère. Neville ressentait la panique monter, et surtout, le désespoir. Dans son dos, le directeur continuait d'appeler à boire, de supplier pour cela, et Neville ne pouvait pas l'aider. La dernière option qui s'offrait à lui était de récupérer directement l'eau du lac, mais cela sentait le piège à plein nez. Qui savait ce que ces profondeurs pouvaient renfermer, ou même si cette eau n'avait pas été empoisonnée ? Que la potion donne cette soif intangible, et que les contenants à disposition refusent de se remplir, tout indiquait que Voldemort voulait que l'intrus se penche au-dessus de cette eau sombre.

Après une supplique de plus du directeur, Neville se résigna à s'approcher du bord de l'île. Il observa attentivement la noirceur de cette eau. Cette obscurité n'était due qu'au faible éclairage, et sans doute à une grande profondeur ou à un sol lui-même sombre. L'eau, à bien y regarder, semblait claire. Il s'accroupit, hésitant encore à plonger la coupelle pour récupérer de l'eau de cette étendue plate. Il savait qu'il ne devrait pas, mais quelle autre solution avait-il ? Il n'avait rien sur lui, mise à part sa baguette. Que ferait Draco dans cette situation, ou que ferait Harry ? Les plans ne venaient jamais de Neville. Il ne se sentait pas l'âme d'un penseur ou d'un stratège. Il laissait cela aux Serpentard à l'imagination tordue et bien fournie. Draco, doué en métamorphose, aurait bien trouvé le moyen d'invoquer un récipient. Cependant, Neville ne connaissait aucun sort pour cela. Quant à Harry, il possédait une créativité telle mêlée à son audace sans faille qu'il restait difficile, même pour son meilleur ami, de prédire ses agissements dans de pareilles situations. La seule assurance était que Neville ne savait pas inventer de sorts, ne connaissait pas les apparitions nécessaires, et qu'aucun de ses amis n'aurait conseillé de s'approcher de cette eau. Ou peut-être Harry ou Hermione auraient admis que c'était l'unique solution, sous les dissuasions des autres.

Dumbledore implorait encore, et Neville devait prendre sa décision. Alors il plongea l'objet dans l'eau, veillant à n'avoir aucun contact avec sa peau. Ce ne fut pas suffisant. Soudainement, une main surgit de l'eau, une main squelettique mais pas tout à fait, car la chaire était encore présente autour des eaux. Neville parvint à s'écarter, et remonta au sommet de la petite île, s'affolant sous l'arrivée massive de tous ces cadavres humains et décharnés, sortant de l'eau de toute part. L'adolescent avait déjà vu des images de ce genre de créatures, des cadavres à l'apparence famélique, la peau blafarde, des yeux blancs aux regards flous, enfoncés dans leurs orbites… il n'y avait aucun doute, il s'agissait d'inferi.

Dans la panique, il était difficile pour le Gryffondor de se remémorer les cours dessus. Cependant, la surprise passée, il put se calmer assez pour réfléchir à vive allure, lançant des sorts des plus basiques pour repousser ces créatures, pendant que Dumbledore l'appelait. Il ne pouvait pas s'occuper du directeur tout en éloignant ces créatures. Il les avait identifiées, et il avait eu des cours sur ce sujet. Tout ce qu'il avait à faire était de se souvenir des informations fournies en défense contre les forces du mal. Inutile de tenter de faire saigner de tels produits de nécromancie, car ils devenaient dépourvus de sang, raison de leur pâleur. Ce qu'ils pouvaient craindre, c'était le feu. Sauf que Neville ignorait comment produire du feu autrement qu'en explosant un chaudron. Du moins le pensa-t-il un instant de trop.

Il connaissait le charme de production de feu, Incendio. C'était un sort si élémentaire, vu en cours de charmes, que Severus n'avait guère pris la peine de le leur expliquer, et ne leur rappela pas plus qu'au détour d'une question qu'il aurait jugé idiote d'un élève sur les sorts de feu qu'ils pourraient employer. Qu'il s'en soit souvenu à temps ou non n'aurait sans doute rien changé : il était submergé par le nombre, de toute part, et c'était pour cette raison qu'il se retrouva poussé puis tiré dans l'eau, vers les profondeurs du lac. Ainsi, c'était le sort que Voldemort réservait aux envahisseurs de l'endroit : la mort par noyade. Les inferi obéissaient strictement et uniquement aux ordres du mage noir qui les invoquaient à partir de cadavres.

Neville tenait encore sa baguette alors qu'un inferius l'entraînait par le fond, mais il savait bien qu'il serait inutile de lancer un incendio avec. Jamais ce charme de feu ne prendrait sous l'eau. Sans doute était-ce la raison pour laquelle Voldemort avait choisi cet endroit pour cacher son armée d'inferi, et cet ordre de noyer les victimes au lieu de les affronter réellement. Le Gryffondor tenta tant bien que mal de pointer sa baguette vers la créature qui le tenait par le dos, et essaya de l'attaquer avec un sortilège de répulsion comme il l'avait fait face aux strangulots un an et demi plus tôt. La différence notable était d'une part la différence de position et d'autre part qu'il n'avait ingéré aucune branchiflore, et ne pouvait donc pas parler sous l'eau. En conséquence, il se devait de l'effectuer en informulé, domaine qu'il ne maîtrisait que trop peu, même en cette fin d'année. Toutefois, il y parvint, et espéra que l'eau bouillante soit aussi efficace que des flammes face aux inferi.

Et soudainement, les ténèbres n'en furent plus. D'immenses gerbes de flammes cerclaient à la surface, et éclairaient tout l'endroit, que ce soit l'atmosphère de la caverne ou les profondeurs de l'eau. Remerciant encore l'entraînement qu'il avait eu pour la seconde tâche du tournoi des trois sorciers, Neville exécuta un charme d'ascension, remerciant encore sa bonne étoile pour la réussite d'un second informulé en moins d'une minute. Il atterrit au bord de l'île, et se hâta, après avoir bien vidé ses poumons de toute eau, de monter au sommet où Dumbledore, debout, contrôlait ce feu, un feu gigantesque, massif, d'une rougeur à la fois sombre comme des braises ardente et à la fois écarlate, et d'or également. C'était comme une dense fournaise, qui dansait tout autour d'eux, et chassait les inferi qui craignaient cette chaleur magique et brûlante. Deux lignes de flammes traversèrent ensuite le lac, joignant la petite île et le rivage d'où ils étaient arrivés, ouvrant ainsi un chemin sûr que les inferi n'approcheraient pas. Les brasiers restèrent sur l'eau, immunisés comme par magie à l'humidité qui aurait dû les éteindre et à l'absence de combustible pour se dresser sur ce sol d'eau, ou même celui de roche.

« Tu as l'horcruxe ? » demanda le directeur.

Neville hocha la tête tout en répondant. « Oui. »

« Parfait. Alors il est temps de rentrer. »

Neville entendait à la voix de l'homme que le centenaire était plus épuisé que jamais, et il voyait bien que son mentor peinait à se tenir debout. Il ne lui fut guère difficile de décider de soutenir le vieillard malade.