-Votre attention, s'il vous plait. En raison d'un mouvement de grève, la circulation des métros fortement perturbée. Nous vous prions de bien vouloir nous en excuser.
Dudley ne peut réprimer un juron à cette annonce avant de traverser le hall de la gare de Waterloo en courant pour se diriger vers la station de taxi. La longueur de la file d'attente ne lui laisse aucun espoir.
-"2 miles et quart, Je n'ai pas intérêt à trainer si je veux arriver à temps à Kings Cross", ce dit-il avant de se frayer un chemin dans la foule encore ^plus compacte qu'un jour normal. Un regard à l'horloge de la gare de Victoria lui confirme qu'il ne va pas falloir trainer en route.
Et Dudley de s'élancer pour une course entre les piétons, les embouteillages et les camions de livraisons garés n'importe comment. Les 3.6 km entre les deux gares sont avalés en moins de 20 minutes dignes du Derby d'Epsom tant elles sont riches en obstacles de tous genres.
Une fois dans la salle des pas perdus, Dudley s'arrête un instant pour souffler avant de se diriger vers la voie 9, les yeux levés vers le panneau d'affichage des trains au départ. Tout à la recherche d'une information hypothétique mentionnant la voie 9 3/4, il ne voit pas arriver le chariot à bagages qui lui fait faire un roulé-boulé ponctué du cri d'une femme à l'accent français et le hululement effrayé d'une chouette enfermée dans une cage posée sur les bagages.
-"Victoire ! Mais fais attention, bon sang."
Les parents de la dénommée Victoire se précipitent pour aider Dudley à se relever. Celui ci reste un instant bouche bée tant le couple est improbable. Une femme à la beauté époustouflante, les cheveux d'un blond quasi transparent et son compagnon, un rouquin au visage marqué de profondes cicatrices.
-"Je suis désolé. Vous ne vous êtes pas fait mal? Attendez! Je vais vous aider". Et de ponctuer ses paroles d'une main ferme qui aide Dudley à se relever.
-"Votre fille n'y est pour rien. Ce n'est pas grave. Voilà ce qui arrive quand on ne regarde pas où on met les pieds." Tout en bredouillant ces quelques mots, Dudley pose machinalement les yeux sur le chariot à bagages et sur la chouette.
L'homme réalise que la chouette de sa fille intrique Dudley et va pour dire quelques mots mais c'est Dudley qui parle le premier.
-"Original comme animal de compagnie, n'est ce pas. En même temps, çà me rassure. Ma fille ainée, à mon étonnement sans cesse renouvelé, à la même passion pour les chouettes, après les chats bien entendu."
Quelques instants plus tard, Dudley s'installe à un table du buffet de la gare tandis que la jeune fille à la chouette et ses parents se sont fondus dans la foule. Tout en buvant une Guinness, entorse faite à son régime, Dudley observe la foule. A plusieurs reprises, il remarque des petits groupes se former autour d'adolescents visiblement en partance pour un quelconque collège. Mais c'est la tenue quelque peu fantaisiste d'un homme accompagnant un jeune garçon qui pousse un chariot qui attire son attention. L'homme, vêtu d'un bermuda, chaussé de moon-boots, arborant une superbe chemise à jabot et un chapeau haut de forme et l'enfant se dirigent vers les arcades séparant les quais 9 et 10, indifférents aux rires étouffés des voyageurs qui se retournent sur son passage.
Une fois sa bière payée, Dudley se faufile dans la foule sur ses pas. Arrivé sur le quai 9, il prend son téléphone et fait mine d'être plongé dans une conversation tout en s'arrêtant une instant, puis re-emboitant les pas de l'homme qu'il observe à la dérobée. Arrivé à la moitié du quai, l'homme oblique vers une arcade et disparait brusquement.
Dudley esquisse un sourire, il ne c'est pas trompé et sait qu'il n'a plus qu'à attendre quelques minutes. Tout en faisant les cent pas, il est à nouveau le témoin de plusieurs "disparitions" de voyageurs : un autre rouquin, sa femme et ses deux enfants, deux ou trois groupes accompagnant des enfants poussant de volumineux chariots à bagages, ...
L'arcade entre les quais 9 et 10 est à présent déserte. Dudley regarde l'heure à sa montre : 10h58. L'heure de vérité approche et il s'installe face à ce qu'il sait être l'accès au quai 9 3/4. Les minutes qui suivent semblent durer des siècles.
