Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 242, an 14.

Bon, j'étais méfiant. Faut dire que le comité d'accueil en armure avec arme plasma et casque sculptural aux yeux scintillants, ça fait son petit effet !

Mais apparemment, c'est pas après nous qu'ils en avaient.

Le Dr Bürstein a pu faire à peu près la traduction pour le premier contact. Je sais pas ce qu'elle leur a dit, mais elle en a convaincu un de tenter un contact télépathique. Après ça, ça été beaucoup plus simple.

Ces gens sont des Jaffas. Ils ont l'air humain. Je dis l'air, car j'en ai vu deux, torse nu. Ils ont comme une grande croix sur le ventre. Je crois que c'est l'ouverture de leur poche à symbiote, ou je sais pas comment ils appellent ça. Des analyses génétiques nous permettraient de savoir à quel point ils sont humains, mais on n'en est pas encore là.

Pour l'instant, on s'est rapidement présentés. Nous sommes restés vagues sur nos origines. Eux aussi sont relativement vagues sur qui ils sont. Nous ne sommes pas les seuls à être prudents.
Mais ils nous ont dit le pourquoi du comité d'accueil en armes : apparemment, il y a longtemps, ils servaient Sekhmet, mais un Goa'uld qui se ferait appeler Isfet se serait emparé de leur planète, il y a quelques siècles. Ils ont vécu dans la crainte des représailles de leur ancienne maîtresse, dont la cruauté est légendaire. Non pas que cet Isfet semble plus bienveillant... Leur nouveau maître est parti, en leur disant qu'il reviendrait, mais ils ne savent pas quand. Et depuis, ils vivent dans la crainte que l'un ou l'autre ne remette un pied sur leur monde. Ils ont entendu les histoires des Terriens – qu'ils appellent Tau'ri – et de la chute des Grands-Maîtres. Mais étrangement, ils semblent convaincus que, si les autres Grands-Maîtres étaient bel et bien juste des imposteurs, leurs seigneurs à eux sont de « vrais » dieux. Je peine à comprendre leur logique.

Vu la situation, on va bien se garder de leur parler du vaisseau en ruine, de sa mission initiale et de tout le reste.
Ils sont d'accord de nous accueillir quelques jours, et de potentiellement entamer des relations commerciales avec nous. On a pas les moyens à l'heure actuelle de s'impliquer dans la politique de cette galaxie, donc, un peu de commerce sans chichis, ça me va très bien. Et se faire des amis dans ce coin de l'univers ne nous fera pas de mal non plus.

Tom Giacometti, fin d'enregistrement.

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Les Jaffas de Taremu étaient de premier abord de rudes guerriers. Cela ne les empêchait pas d'être fort accueillants. Tout l'équipage avait été convié à un banquet donné en leur honneur, et leurs hôtes, en apprenant que les wraiths étaient également des guerriers, s'étaient fait un plaisir de les défier dans des duels amicaux.

Cela avait confirmé les soupçons de Tom. Ils étaient humains... en apparence seulement.

Les Jaffas qui s'étaient confrontés à ses guerriers avaient été à la hauteur. Ils n'avaient pas gagné tous les duels, mais suffisamment pour qu'ils réalisent tous leur force prodigieusement inhumaine, et qu'une nuance de respect martial se mette à teinter leurs relations.

De plus, ces gens servaient avec ferveur un dieu vivant. Et si, grâce aux vidéos du Dr Jackson, lui savait que leur dieu n'était qu'une larve parasite – et qu'il était potentiellement mort – cela eut au moins l'avantage de lubrifier également les relations avec les humains de bord.
La plupart de son équipage humain était fait d'adorateurs, ou de gens d'origine adoratrice. Il était compliqué, en dehors de ces populations, de trouver des humains pégasiens capables de vivre parfois pendant des mois dans une relative promiscuité avec sa race. Beaucoup d'adorateurs naissaient et passaient chaque instant de leur vie à bord d'une ruche, comme la plupart des wraiths. Ils s'étaient adaptés. Mais cette adaptations leur avait valu la haine et le rejet des autres peuples humains de Pégase.
Son équipage était habitué au rejet. A devoir se cacher. Se déguiser. Mentir et rester vague, pour éviter les problèmes. Ici, ce n'était pas nécessaire. Les wraiths n'étaient pas des dieux. Mais ils étaient les maîtres et seigneurs adorés de ces peuples. Les Jaffas de Taremu n'y voyaient aucun mal.

Si cela convenait à tout le monde, pourquoi changer ? Eux, servaient un dieu. Menu, Tranche et les autres adorateurs, des maîtres. Quelle différence, au fond ?

Et quoi qu'il en pense en tant qu'individu, et ce malgré son statut de capitaine de bord, il n'avait pas son mot à dire, pour l'heure, alors que son équipage s'amusait et profitait du banquet qui lui était offert – pour une fois – sans a-priori.

« Hey, t'as goûté ce truc ?! »

Il accueillit avec joie l'intrusion d'un plat doré agité sous son nez par Liu.

« Non, pas encore. » répondit-il, se redressant sur son siège richement sculpté, et reposant son calice d'or encore plein de vin.

« Alors fais-le ! »

Il obtempéra, prenant une cuillerée du ragoût qui garnissait le plat. Il le renifla, ne détectant rien en dehors d'une odeur piquante d'épices.

Il goûta. S'étouffa sur le piquant des aromates, alors que sa mâchoire se crispait tant c'était simultanément âcre, acide et salé.

Suffoquant à moitié, il fit passer la bouchée en vidant son verre d'une traite.

« Alors ? » pouffa Liu, retenant avec peine son hilarité.

Il lui jeta un regard assassin.

« C'est dégueulasse, hein ? »
« Et donc toi, tu m'en donnes... »
Elle ricana de plus belle.

« C'est mon boulot d'hystar. »

« On a pas dû lire la même description du poste. »
« Ah bon ? » répliqua-t-elle, faussement innocente.

Il gronda, envisageant un instant de profiter de son rire pour lui enfoncer une pleine cuillère de la mixture dans la bouche, mais ce n'était pas le moment de commettre un impair diplomatique. Il s'abstint donc.

« Blague à part. Comment ça se passe ? »

Liu haussa les épaules, souriante.

« Plutôt bien. Mais ils ont le bon sens de ne pas faire d'affaires pendant une fête. On négociera demain pour les choses concrètes. »

Il opina.

« Assure-toi que notre interprète soit en état demain. »

Liu fit la moue, puis avisant son frère qui passait, lui fit signe de venir.

Après un petit geste de la main destiné à un Jaffa qui l'accompagnait, Jiu s'approcha.

« Oui ? »
« Tom veux que tu surveilles la Terrienne. On a besoin qu'elle soit en état pour faire la traduction demain. »
Jiu sembla se dégonfler un peu.

« Mais... ce monsieur allait me montrer un jeu jaffa... ça a l'air vraiment intéressant... » objecta-t-il, la déception palpable dans sa voix, désignant l'homme qui l'accompagnait et la boîte en bois qu'il tenait.

« Jiu ! » répliqua Liu, de son ton de grande sœur.

Tom intervint.

« T'occupe. C'est pas à toi que je l'ai demandé, mais à elle. Va t'amuser. Tu nous diras ce qu'il vaut, ce jeu. »

Son ami lui lança un demi-sourire plein de reconnaissance et s'esquiva.

Liu lui lança un regard mauvais.

« De quoi tu te mêles ? »
« De mes affaires. C'est pas à lui que j'ai demandé ce service, c'est à toi. »

« Et moi, je le lui ai demandé. Je peux pas m'en charger. Je suis occupée. »

« A quoi ? »
« Des choses. » répondit-elle évasivement avec une grimace.

Découvrant ses dents, il lui signala d'un grondement qu'il n'était pas dupe.

« Quoi ? »

Qu'est ce que son insolence pouvait l'énerver des fois !
« Occupe-toi de la Terrienne, c'est un ordre. » siffla-t-il.

« J'ai pas d'ordre à recevoir de toi. » répliqua-t-elle en se levant.

Il lui saisit le poignet, se redressant aussi.

« Liu, je suis ton hystar, mais je suis aussi ton capitaine, ne l'oublie pas. »

Elle le fixa, une lueur de défi dans les yeux.

« Et si je refuse, qu'est-ce que tu vas faire ? Me jeter aux fers ? »
Il ne répondit pas, alors qu'ils s'affrontaient du regard.

Finalement, elle capitula.

« Lâche-moi, tu me fais mal ! » cracha-t-elle, s'arrachant à sa poigne alors qu'il réalisait qu'il avait serré plus fort qu'il ne le voulait.

« Liu... »
« Oui, c'est bon ! Je vais le faire ! « Capitaine »... » siffla-t-elle en s'éloignant.

Il la regarda partir, le cœur lourd, puis se rassit lentement et, sans enthousiasme, il remplit machinalement son calice de vin.

Il faisait tournoyer la liqueur d'un air sombre depuis un moment déjà, quand un rire rauque lui fit relever le nez sur la silhouette qui s'installait sur le siège déserté à côté de lui.

« Pas facile de commander, hein ? » lança Léonard, attrapant le pichet de vin pour le renifler avant de le reposer avec une grimace.
Il haussa les épaules, ni acquiescement, ni dénégation.

L'ingénieur le fixa quelques instants.

« Tom Giacometti, vous vous en sortez bien. »
Le compliment lui arracha un demi-sourire.

« Qu'est-ce que cache ce compliment ? Vous avez besoin de quoi ? »

Le wraith manchot eut un rauquement amusé.

« Qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai quoi que ce soit à vous demander, capitaine Giacometti ? »
« Oh... vous êtes pas du genre à distribuer des compliments... »

Léonard sourit largement.

« Alors, profitez-en plutôt. Ça ne se reproduira pas de sitôt. »

Il opina, et leva vaguement son calice.

« Alors, je lève mon verre aux compliments. » nota-t-il.

Son geste prit l'ingénieur de court, qui le fixait à présent avec l'air de se poser des questions sur sa santé mentale.

Tom soupira, tant amusé que las.

« C'est un toast, Léonard. Une coutume humaine. Normalement, les autres convives lèvent aussi leurs verres, mais comme vous n'êtes pas du genre à boire... ou à manger... je l'ai fait seul. »

« Mmhhh, je vois. Et à quoi sert ce... toast ? »

« C'est un genre de salut. De souhait. Si je dis par exemple que je lève mon verre pour une grossesse, c'est que je souhaite que cette dernière se passe bien. Pareil pour un examen, ou une épreuve, ou simplement que je souhaite bonne chance à une personne ou à un concept. »

« C'est une superstition, en somme. »

« Oui, je suppose. » acquiesça-t-il en avalant une gorgée.

« Alors, c'est stupide. » affirma l'ingénieur, catégorique.

Il haussa les épaules.

« C'est social, surtout. »

« Subtilités d'humains. » persifla Léonard.

Cette fois, il ne trouva rien à répliquer, et se contenta de siroter la boisson en silence, observant paisiblement la fête qui se déroulait sous ses yeux.

Au bout d'une dizaine de minutes, Léonard se releva.

« Vous partez ? »
« Oui. Cette célébration était fort agréable, mais j'ai du travail. »

D'un hochement de la tête, il salua son aîné. Léonard était sorti de l'Utopia pour se mêler aux célébrants quelques minutes. L'équivalent d'une semaine de festivités et d'alcoolisation avancée pour Liu. Et un honneur rare venant de sa part.

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Au bout de quatre jours sur Taremu, ils étaient repartis, après avoir échangé des quantités très symboliques de leurs propres réserves de nourriture avec des produits locaux. Que les Jaffas découvre donc les haricots filas, pendant que Menu et Tranche tâchaient de deviner comment accommoder les drôle de tubercules rosés obtenus en contrepartie.

Ils n'avaient ni l'intention, ni les moyens d'entretenir des liens commerciaux et diplomatiques rapprochés avec ces gens, mais savoir qu'en dehors de la Terre, ils avaient une autre destination amicale dans cette galaxie, était rassurant.

Et plus intéressant, ils avaient obtenu une liste d'adresses pour la Porte des Étoiles. Des mondes sur lesquels les Taremiens estimaient qu'ils seraient bien accueillis.

A partir de l'adresse de Taremu et de celle de la Terre, ainsi que de l'emplacement des deux planètes, Léonard et Ubris étaient parvenus à calculer les coordonnées desdites planètes.

Tant de nouvelles destinations à visiter, qu'il doutait d'en arriver à bout d'ici la fin du délai imparti par la grande régente. Autant dès lors commencer tout de suite !

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« Léonard, vous êtes sûrs de vos coordonnées ? »
« Certains. »
« Ah. Alors, on a un problème. Parce qu'il devrait y avoir une planète, là. Or, il n'y en a pas. »

« La Porte est peut-être spatiale. » nota Argent.

« Il me semble avoir entendu les atlantes dire que les Portes spatiales sont une particularité de Pégase... » contesta Jiu.

« Peu importe. Les Taremiens nous ont dit qu'on trouverait ici des gens susceptibles d'être intéressés par des contacts. Or, sans planète, ça va être dur de les trouver, ces gens ! » trancha Tom.

Agacé, il contempla le vide de l'espace qui s'ouvrait devant leur vaisseau.

« Cherchez un anneau d'accrétion. » ordonna Jiu.

Le technicien ne tarda pas à lui indiquer l'absence d'un tel anneau.

Où était passée la planète ? Ils avaient bien une étoile, mais aucune planète, pas même gazeuse, autour. Or, les Jaffas qu'ils avaient rencontrés ne semblaient pas être particulièrement bien équipés pour des promenades dans l'espace.

« Signatures énergétiques ? » demanda-t-il.

« Aucune en dehors de l'étoile. »

Il siffla, agacé. Une Porte des Etoiles était censée se trouver là. Mais si c'était le cas, ils auraient dû la détecter.

Une idée l'effleura soudain.

« Léonard... Est-ce que la Porte aurait pu être déplacée tout en gardant la même adresse ? »
L'ingénieur ricana.

« Bien sûr. C'est précisément ainsi que j'ai programmé la fausse Porte d'Oumana, je vous rappelle, Capitaine. »

Tom soupira.

« Oui, évidemment. Est-ce qu'on pourrait retrouver cette Porte, du coup ? »
« Oui. En la passant. »

« Donc, faut qu'on trouve une autre Porte ? »
« Oui. »
D'un geste défait de la main, il capitula.

« Soit. Prochaine destination, alors. En espérant qu'ils soient aussi amicaux que les Taremiens et qu'ils accepteront de nous « prêter » leur Porte. »

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« Alors, qu'est-ce qu'ils disent ? » demanda-t-il à l'archéologue, qui haussa les épaules avec une moue explicite.

« Aucune idée. »
« Vous ne comprenez pas ce qu'ils racontent ? »

« J'ai une tête à parler chinois ? » lâcha Bürstein.

Il plissa les yeux. Il devait être à peu près le seul à comprendre la référence de la Terrienne, merci à ses années sur Atlantis.

« Ils parlent chinois ? »
« J'en sais rien ! Possible. Ça pourrait y ressembler. »
Il opina vaguement. Pour autant qu'il puisse en juger, les humains qui se tenaient face à eux, avec leur teint cuivré et leurs yeux bridés, lui évoquaient effectivement Dampa Kang et les quelques autres terriens « asiatiques » qu'il avait croisé sur la cité.

« Bon. Puisque vous ne servez à rien, on va y aller autrement. Personne n'a de bac à glaise, je suppose ? Non, bien sûr. Quelqu'un aurait du papier et un crayon ? » demanda-t-il à la cantonade, ignorant l'air vexé de l'archéologue.

Bientôt, on lui remit un calepin et un stylo.

Il se mit à gribouiller sur le papier.

Une petite forme en bâton, avec des traits à peines esquissés, des yeux, une bouche, un nez, deux fentes respiratoires.

Il montra son œuvre à l'homme et à la femme qui semblaient diriger le groupe local. Une fois qu'ils l'eurent bien vu, il se désigna, articula soigneusement « Tom », puis désigna son dessin.

Il recommença deux fois, jusqu'à ce que ses interlocuteurs, ayant compris, se mettent à acquiescer de petits mouvement latéraux de la tête.

Alors il fit une autre forme à côté. Un autre personnage bâton, avec un visage, mais pas de fentes respiratoire et une grosse masse emmêlée sur la tête. Il leur montra.

« Liu », énonça-t-il en désignant l'intéressée.

Ils acquiescèrent tout en marmottant dans leur langue.
Il leur passa donc le carnet, sur lequel l'homme traça un genre de personnage patatoïde, puis se désigna. « Kubilaï ». La femme fit aussi un dessin, avec un genre de coiffe carrée ressemblant à la sienne. « Lianli ».

Les présentations faites, à grand renfort de gestes, Tom mima l'acte de donner, de recevoir. Venir en paix. Leurs hôtes comprirent, et ils furent invités à s'asseoir autour d'un feu de bois et d'une infusion âcre et lactée.

Les échanges reprirent alors de plus belle, le carnet circulant au-dessus des flammes.

Alors que le jour se couchait sur l'Utopia et la ville de pierre grise qu'ils avaient approchée, c'est les bras chargés d'un riche échantillonnage de l'artisanat local qu'ils rentraient pour une nuit bien méritée.

« Vous m'impressionnez, Capitaine. » lança Bürstein de derrière le gros ballot de toile qu'elle portait.

« Ah, pourquoi ? » demanda-t-il, rajustant le montant sculpté qu'il portait sur son épaule.

« On ne comprend toujours pas un traître mot de ce qu'ils disent et pourtant, vous avez réussi à faire affaire avec eux. »
Il sourit.

« Avant que je ne prenne le commandement de l'Utopia, pendant quelques années, j'ai accompagné Milena dans ses expéditions commerciales. C'est elle qui m'a apprit à négocier, mais aussi à prendre contact... et j'avoue que dans cette galaxie, c'est plus facile pour moi, je n'ai pas besoin de me cacher sous de grandes capes. »

« Vous cacher ? »
« Disons que dans Pégase, les wraiths sont plutôt mal vus par les humains. Du coup, en général, pour pouvoir faire affaire avec des non-Ouman'shiis, moi et les autres wraiths de l'équipage devons dissimuler notre nature. Nous cacher et éviter de parler en public... »

« D'où le carnet ? »
« Non. En général, c'est Liu qui négocie à ma place dans ce genre de cas. Le carnet, c'est mon autre mère qui m'a appris le truc. »
« Votre autre mère ?»
« Jin'shi. Une Irän. Elle est archéologue aussi, d'ailleurs. »
« Une quoi ? »
« Une Irän. Les Iräns sont nos très, très lointains cousins. Ils sont restés des insectes, là où les wraiths sont devenus un genre de chaînon manquants entre les mammifères et les insectes. Ils se nourrissent d'énergie, comme nous, et sont télépathes également. Mais comme ils n'ont pas d'ADN partiellement humain, contrairement à nous, ils n'ont jamais acquis de bouche. Donc, s'ils ne peuvent communiquer télépathiquement, ils sont un peu coincé. Alors ils dessinent. En général, ça se fait sur des plateaux emplis de glaise humide, mais un carnet, ça marche aussi très bien. »
« Une créature sans bouche ? »
Il opina, mais la corrigea :

« Une personne sans bouche. »
« C'est fou ! Biologiquement improbable. Mais du coup, ils n'ont pas de langage ? »
Il prit le temps de réfléchir.

« Mmh, ça dépend de ce que vous appelez langage. C'est vrai, les Iräns n'ont pas de langue orale. Aucun vocable, aucun son. Mais ils ont une écriture. C'est une ancienne langue humaine. Celle que parlaient et écrivaient les hommes qui vivaient à leurs côtés – avant que ma race ne les génocide. (Il soupira.) Aujourd'hui cette langue n'est plus qu'une écriture. Plus personne ne la parle, et même si les Iräns n'ont pas oublié ceux qui la parlaient, ils ne se souviennent pas des mots. Ils ne peuvent pas. Leur cerveau n'est pas conçu pour comprendre la parole orale. »

« C'est horrible. »
« C'est la vie. » nota-t-il, se voulant philosophe, mais ne pouvant s'empêcher d'opiner.

Ils déchargèrent en silence leurs bagages dans la soute numéro trois.

« Capitaine ? »
« Oui, Dr Bürstein ? »

« Si je comprends vous avez eu deux mères ? »
« En effet. »
« Est-ce commun pour votre peuple ? »
« Non. Les wraiths ont une génitrice. Parfois un géniteur, mais jamais de parents. »
« Mais qui s'occupe des enfants, alors ? »
« Les gardiens du couvain, puis leurs maîtres lorsqu'ils sont placés en apprentissage auprès d'aînés. »

« Votre société m'a l'air bien étrange. »

Il sourit, sans joie.

« A moi aussi, Docteur. A moi aussi. »

Elle le fixa, perplexe.

Il se sentit l'obligation de lui donner une petite explication.

« Je suis né sur une ruche. J'ai passé mes premières années avec mes frères de couvée, à récurer les conduits et à me faire battre par mes aînés. Puis je me suis rebellé, j'ai aidé Rosanna Gady et les autres atlantes à se libérer, et j'ai fui avec eux, en me glissant sur le siège du Dart qui les emmenait loin de ma ruche natale. Avant ce jour, je n'étais jamais sorti de ma ruche. Je n'avais jamais vu un brin d'herbe, ou un ciel. Tout ce que je connaissais, c'était l'obscurité, le froid, la faim et la violence. Et Milena Giacometti, de l'US Air Force, m'a adopté. Elle est devenue ma mère. M'a appris à parler anglais, à lire et à écrire, et une foule d'autres choses. Quelques mois plus tard, Jin'shi est venue l'aider. Elle a aussi endossé ce rôle. (Il haussa les épaules avec un petit sourire nostalgique.) Je sais pas trop pourquoi elle a fait ça. Peut-être qu'elle a vu un truc en moi. Je ne sais pas. Mais elle est devenue ma deuxième mère. Même si ma race a tenté d'exterminer la sienne. Même si nos deux espèces se haïssent profondément. Elle m'a adopté, contre l'avis de tous ses proches, et a tout quitté pour s'occuper de moi. Elle m'a appris tout ce que Milena ne pouvait pas m'apprendre. A contrôler mes capacités télépathiques. A m'alimenter par le don. A soigner par les plantes, et à communiquer en dessinant. Grâce à elles, grâce à Milena et Jin'shi, j'ai eu ce qu'aucun wraith avant moi n'avait jamais connu. Une famille. Des parents. De l'amour. Du respect. (Il sourit.)
Vous savez, j'ai vingt-six ans. Je suis jeune pour un capitaine, même pour des standards humains. Mais pour un wraith, je ne suis encore qu'un enfant. Sur une ruche, je ne serais pas considéré comme adulte avant mon premier siècle. Mais si je suis ici, aujourd'hui, avec vous, c'est grâce à ces deux femelles qui m'ont tant donné... »

« Vous semblez beaucoup les aimer... »
« Je les adore. Sans elles... Je ne serais qu'un wraith parmi d'autres. Dispensable, remplaçable, anonyme. »

L'humaine pouffa.

« Je me disais bien que Tom Giacometti, c'était étrange comme nom, pour un alien. C'est votre mère qui vous l'a donné en vous adoptant ? »
« Elle m'a donné son nom de famille. Mais ce n'est pas elle qui m'a appelé Tom. »
« C'est wraith comme nom, Tom ? »
« Non, pas du tout. C'est comme ça que Rosanna Gady m'a appelé quand je l'ai rencontrée pour la première fois, il y a si longtemps, sur la ruche. »

« J'entends souvent parler de cette femme, c'est qui ? J'ai entendu dire qu'elle était une fondatrice. Mais de quoi ? »
Il acquiesça.

« Vous devez avoir faim, docteur. Si je vous expliquais tout ça pendant que vous dînez ? Car c'est une longue histoire. »