Et c'est reparti pour la publication hebdomadaire !
Merci à tous de votre patience.
Bonne lecture.
Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 268, an 14.
Nos gentils « Chinois » extraterrestres ont été ravis de nous montrer leur chappaï, comme ils appellent la Porte des Etoiles par ici. Du coup, Liu a pu aller faire une reconnaissance en Jumper aux coordonnées de la planète manquante. On a bien trouvé des Jaffas de l'autre côté. Même style que ceux de Taremu. Autres tatouages. Moins amicaux, surtout. Gual'kan commence à vouer une haine viscérale aux Goa'uld et à tout ce qui les touche, et je ne vais pas l'en blâmer. Liu n'a pas été assez prudente, et les Jaffas se sont rendu compte qu'ils étaient arrivés avec un vaisseau occulté. Ils ont essayé de la leur faire à l'envers et de voler le Jumper pendant qu'ils les « invitaient » à négocier. Heureusement, ils ne semblent pas avoir de porteurs du gène lanthien parmi eux. Ils n'ont pas pu entrer, et Marik'ka – qui était restée à bord pour monter la garde – a pu donner l'alerte.
Comme les Taremiens nous l'ont déjà démontré, les Jaffas sont de redoutables guerriers, et le repli a été pour le moins mouvementé.
Cette fois, c'est pas en tirant sur des troncs qu'ils ont fait démonstration de leurs lances. Liu est furieuse, surtout contre elle-même. Je lui en voudrais aussi sûrement s'il y avait eu des morts. Heureusement, grâce à Gual'kan et aux autres wraiths de la mission et à leur héroïsme, tout le monde est en vie.
Ils ont couvert la fuite des humains de l'équipage, en se ramassant quelques tirs au passage. Et par les reines, que ces maudites lances jaffas sont puissantes !
Grrrrmh... Et comme si ça ne suffisait pas, les DHD embarqués des Jumpers ne fonctionnent bien entendu pas avec les Portes de la Voie lactée. Il faut donc que quelqu'un compose l'adresse à la main sur le DHD local.
Et Gual'kan l'a fait. Sous un déluge de tirs !
Il est solide, l'animal. Il a encaissé trois impacts et a réussi à courir avec un poumon exposé ! Par derrière ! Ces saloperies de serviteurs de serpents ! Heureusement que j'ai un équipage en or, et que tout le monde se serre les coudes...
Faudra que je réfléchisse à un tatouage pour Gual'kan. Pour le récompenser. Enfin, ça, ça attendra notre retour dans Pégase. Là, le plus urgent, c'est de mettre sur pied un planning d'alimentation strict. J'ai quatre humains qui ont des années en moins, et une potentielle addiction à l'enzyme, et une douzaine de wraiths qui ont bien entamé leurs propres réserves pour sauver Gual'kan et les autres. Va falloir qu'on se rationne sec, histoire d'éviter des incidents de rage de faim en cascade. Ubris a déjà suggéré qu'on recoure aux cellules de stases mais j'aimerais autant éviter d'en arriver là. On le fera, si nécessaire. Mais on en est pas encore là.
La situation étant sous contrôle, on va proprement finir de négocier avec nos nouveaux amis bridés, et ensuite, on rentre. Tant pis pour le délai supplémentaire pour explorer la galaxie.
L'Utopia est un écosystème en vase clos. Il fonctionne parfaitement tant qu'aucun paramètre ne se dérègle, mais les choses peuvent très vite dégénérer si quelque part, dans la pyramide alimentaire, quelque chose se détraque.
On a assez d'humains formés au don à bord pour alimenter tout l'équipage wraith et maintenir tout le monde à satiété sans recourir à l'énergie de ceux qui ont été ponctionnés, mais il suffit d'un accident supplémentaire, d'un wraith gravement blessé, d'une maladie qui se répand parmi les humains, d'un quelconque incident... et c'est foutu. Il y aura des morts, d'un côté ou de l'autre.
Je ne veux pas prendre ce risque.
De retour à la maison, faudra aussi que je parle au commandant Zil'reyn. Il faut que je revoie les quotas. On a pas assez de marge de manœuvre pour ce genre de mission en zone inconnue.
J'ai besoin de plus de donneurs. On doit être capables d'encaisser plusieurs incidents grave comme ça. Sinon, l'Utopia portera un peu trop bien son nom, et ne sera qu'une utopie. Un château de cartes prêt à s'effondrer au moindre coup de vent.
Tom Giacometti, fin d'enregistrement.
.
« Tom ? »
Il leva le nez de sa console personnelle, dans le petit bureau attenant à sa chambre.
« Oui? »
« Ubris a fini les calculs » lui annonça Jiu, envoyant les données sur son terminal.
Il les afficha. Ses estimations étaient exactes. Ils étaient au point d'équilibre absolu. Aucune marge de manœuvre au niveau de l'énergie vitale.
Jiu tenta une mimique encourageante tout en se glissant dans la pièce.
« Si tout va bien, on devrait pouvoir rentrer sans problème... »
« Si tout va bien... » soupira-t-il.
C'était une inconnue trop inconstante pour ses goûts.
« Ubris estime qu'il suffirait de mettre cinq wraiths en stase pour que le reste de l'équipage puisse récupérer sa pleine efficacité. »
Il soupira. Il répugnait à « punir » certains membres de son équipage ainsi, mais c'était le seul choix qu'ils aient vraiment. Ne rien faire et espérer qu'il ne se passerait rien était, au mieux, stupide.
« Heu... »
Se balançant d'un pied sur l'autre, Jiu se mordillait la lèvre.
Levant une arcade sourcilière, Tom lui fit signe de s'exprimer.
« Sinon... faut refaire le plein d'énergie ici... dans la Voie lactée. »
Il eut un geste mou de la main.
« Tu sais bien que ça marchera pas. Milena serait incapable de faire un don, même si sa vie en dépendait, et Rosanna est déjà la seule donneuse de Markus. Et là, il s'agit pas de dépanner un peu d'énergie pour un seul wraith ! Et on peut pas revenir sur Terre et exiger je sais pas combien de donneurs. On n'en obtiendra pas, ce sera pas discret, et on a pas des semaines pour attendre qu'ils sachent le faire !»
« Je... je ne parlais pas de la Terre... » murmura le jeune homme.
Incrédule, Tom le fixa. Jiu déglutit, et opina, les lèvres toujours pincées.
« Nooon, Jiu... t'es pas en train de... »
Son ami opina d'autant plus fort.
« Si. »
« Pas toi ! »
« Si, moi. Tout le monde y pense et personne n'ose le dire. Y a pas que toi et Ubris qui êtes capables de calculer le ratio énergie vitale humaine divisé par nombre de wraiths à bord. »
Ce fut à son tour de se mordre la lèvre, faisant perler un peu de sang vert.
« Je peux pas demander ça à mon équipage. Je peux juste pas. Je serais incapable de le faire. Je ne peux pas leur demander de faire quelque chose que je ne ferais jamais ! »
Son indécision sembla raffermir la détermination de son frère humain.
« Toi, tu ne le feras jamais. Ça ne veut pas dire qu'aucun d'eux ne le fera jamais. Donne-leur le choix. »
« Quel choix ? »
« Le rationnement, la stase ou la chasse. Laisse-les choisir. »
Il soupira. Voilà, le mot avait été lâché. Chasse. Il chercha des contre-arguments. Quelque chose. Peu importe quoi.
« Si je fais ça... Tu sais que des gens mourront ? »
Jiu opina.
« Je sais. Mais ce ne seront pas des Ouman'shii... Je sais que c'est lâche, mais... si des gens doivent mourir, je préfère que ce ne soit pas mes proches. »
Tom ne put retenir un rauquement désabusé. Il comprenait parfaitement son ami. Hélas.
« Bon... Convoque tout l'équipage wraith dans la baie à Jumpers d'ici quinze minute. J'ai bien dit tout le monde. Léonard compris. »
Jiu inclina la tête, mi-acquiescement, mi-salut, avant de disparaître.
.
S'étant juché sur une caisse de matériel, Tom eut plus que largement le temps d'observer son équipage. Une quinzaine de wraiths, tous infiniment plus âgés que lui, et pourtant acceptant de lui obéir comme à n'importe quel autre commandant, qui le fixaient, silencieux et attentifs, tandis que quelques visages humains inquiets observaient en douce depuis la porte entrouverte du hangar.
Un instant, il hésita à la fermer, puis y renonça. L'Utopia n'était pas bien grand : tôt ou tard, tout le monde serait au courant. Autant qu'il y ait le moins de déformation possible de ses propos.
Inspirant à fond, d'une poussée mentale, il remercia son équipage de s'être présenté.
« Pfff... Je suppose que les calculs d'Ubris vous sont déjà connus. L'incident de la mission du Jumper deux nous a mis dans une situation délicate. Techniquement, si nous nous rationnons tous strictement, et qu'on repart sans attendre, à moins d'un incident, on rentrera tous sains et saufs à la maison. »
Il soupira, alors que quelques grondements bas lui répondaient. Les incidents, c'était leur métier.
« Nous avons deux autres options pour plus de sécurité. La première, que je ne peux pas offrir à tout le monde car certains ont des rôles indispensables à bord, est la stase jusqu'à notre retour. »
Quelques grincements, des visages fermés. Personne n'avait envie d'en arriver là. Impuissant et inconscient dans une boîte de conserve. C'était une des promesses de Rosanna. Plus personne n'aurait jamais à se mettre en stase pour ne pas mourir de faim. Tom se rendait trop bien compte de combien ses paroles sonnaient presque comme une trahison pour les wraiths face à lui.
« Et la troisième option, Capitaine ? » demanda Veril.
« ...Une chasse. Je ne forcerai personne à le faire. Vous savez qui je suis. Ce que je suis. Jamais, jamais je ne forcerais un de mes frères à faire quoi que ce soit que je ne serais pas prêt à faire moi-même. Mais cela ne signifie pas non plus que, parce que je ne le ferais pas, je dois vous l'interdire. »
Il sentit une onde télépathique confuse balayer son équipage, alors que les humains derrière étouffaient des exclamations surprises.
« Capitaine. Vous êtes sûr ? » demanda Léonard, l'air inquiet.
« Oui, ingénieur en chef, j'en suis certain. Nous ne sommes pas tous devenus Ouman'shii pour les mêmes raisons, mais s'il y a une chose dont je suis certain, c'est que personne à bord de ce vaisseau n'a envie de voir ses frères, ses sœurs et ses amis mourir. Surtout pas de ses propres mains. »
Une approbation silencieuse lui redonna un peu de cœur au ventre.
« Vous avez jusqu'à demain matin pour vous décider. D'ici-là, les détails opérationnels de chacune des options vont être clarifiés. Ce sera tout. Vous pouvez disposer. »
La petite foule se dissipa après un salut formel qu'il n'avait pas demandé, et il se laissa mollement tomber assis sur la caisse.
Léonard, qui était resté en arrière, guettant sous l'ombre de sa longue chevelure blanche, s'approcha.
« Permission de parler librement, capitaine Giacometti ? »
L'ingénieur ne lui avait jamais demandé une telle permission. Surpris, il opina.
« Tom Giacometti... merci. Vous me rendez espoir en notre race. »
« Heu... »
« Vous êtes encore une toute jeune larve, élevée par des humains qui plus est, et pourtant... »
Le vieux wraith ne termina pas sa phrase, tendant plutôt dans sa direction un tentacule de pensée, par lequel il déversa les sentiments et les images pour lesquels il n'avait pas de mots assez justes, assez forts.
Désespoir et colère d'être rejeté, abandonné, banni à cause d'un bras en moins, en dépit de tous ses accomplissements. Solitude et folie, dégoût et honte. Puis une renaissance. Un nouvel espoir, une nouvelle raison de vivre. L'Utopia, son vaisseau adoré. Rosanna, sa sœur et reine bien-aimée. Les Ouman'shii, ses nouveaux frères, sa nouvelle famille.
Léonard n'avait jamais eu aucun problème moral à tuer. Se nourrir par don avait plus été une sinécure qu'autre chose pour lui. Il avait embrassé les principes ouman'shii car ce clan qui allait devenir un empire était le seul endroit dans tout l'univers où il pouvait, malgré son handicap, faire partir d'un tout, être utile, respecté, aimé. Cela ne l'empêchait pas pour autant de juger avec un certains dédain les « faibles » qui, comme Tom, le faisaient par conviction.
Et pourtant, il n'était pas « faible » du point de vue du vieil ingénieur. C'était ce que son aîné ne parvenait pas à exprimer. Cet espoir de voir émerger, de cet absurde mélange racial et culturel qu'étaient les Ouman'shii, une nouvelle génération aussi noble et forte que celles qui avaient fait la grandeur de leur race dans le passé.
Un instant, Tom se sentit vexé que l'ingénieur ait pu croire qu'il aurait réellement privilégié la survie de parfaits inconnus à celle de son équipage. Cet instant ne dura guère. Il aurait été le dernier des vauriens de ne pas tirer fierté du témoignage d'espérance de son aîné.
« Merci » répondit-il, ses mots assortis d'une vague de gratitude.
Par les reines, comme il avait besoin de cet encouragement !
.
Ils y avaient passé toute la nuit, se fendant même d'un voyage par la Porte sur Taremu pour quelques renseignements sur de potentiels ennemis de leurs nouveaux amis, mais au matin, alors que sagement, les wraiths du bord faisaient la queue pour donner chacun leur décision, Tom avait un plan précis à leur offrir pour chaque cas.
Bientôt, il eut trois groupes devant lui. Deux volontaires à la stase « si le rationnement imposait de subir la moindre faim », quatre prêts à se rationner, aussi durement que nécessaire, et huit chasseurs.
Il s'en était un peu douté. Il renvoya les six premiers puis, les mains dans le dos, claqua des talons.
« Allons-y, messieurs. Inutile de traîner. »
« Capitaine ? » interjecta Jer'kan.
«Nous avons une planète de sélectionnée, mais on ignore tout de cette destination. Les Taremiens ont juste pu nous dire qu'ils avaient des systèmes de défense air-sol, que la Porte était gardée, et qu'ils n'aiment pas ses habitants. Les Darts n'ayant pas d'occulteurs, on va y aller en Jumper. Navré, mais vous devrez chassez à pied. Et aucun d'entre vous n'ayant le gène exprimé...»
« Capitaine, vous n'êtes pas le seul à pouvoir piloter un Jumper » objecta encore le guerrier.
Il se retourna, découvrant les dents.
« Et je n'enverrai pas un seul humain participer à une mission de massacre de sa propre race s'il existe la moindre alternative. »
Jer'kan recula d'un pas, baissant les yeux. Il n'avait pas besoin de parler pour que tout le monde comprenne son objection.
« Je resterai aux commandes » cracha-t-il en guise de conclusion. Plus personne ne discuta sa décision.
.
Prendre un Jumper avait été une idée brillante. Un petit contingent d'humains, qui n'avaient ni les vêtements ni les armes de Jaffas, gardait la Porte, et alors que, invisibles, ils prenaient de l'altitude, Tom eut tout le loisir de deviner entre les arbres plusieurs tourelles de défense à l'air menaçant. Ils n'étaient pas spécialement pressés. Léonard avait bricolé le DHD du vaisseau, et ils étaient censés pouvoir composer le numéro depuis l'intérieur du vaisseau. C'est en tout cas comme ça qu'ils avaient fait pour venir. Il prit donc le temps de quadriller la planète, cherchant les points faibles dans sa défense, et les zones de peuplement isolées. Finalement, il retint un village, niché au milieu de champs à quelques centaines de kilomètres de la Porte.
Mettant le vaisseau quelques instants en vol stationnaire, il se retourna sur son siège de pilote.
« Messieurs, je vous en prie. Pas de cruauté inutile, ni de gâchis. »
Un hochement de tête général lui répondit.
Se retournant, il entama l'approche, et sans totalement se poser, ouvrit le haillon arrière, refusant de réfléchir aux conséquences de son geste.
Les lèvres serrées, les yeux clos, il adressa une supplique muette à qui voudrait bien l'entendre pour les âmes innocentes qui allaient mourir – non par sa main, mais par sa décision.
Une large paume se posa sur son épaule, le faisant sursauter. Léonard le fixait, l'air inquiet. Il lui offrit un semblant de sourire, désignant du menton la baie toujours ouverte. L'ingénieur acquiesça, et avec un grondement bas de fauve en chasse, s'élança.
Dès qu'il fut sorti, Tom referma le haillon et prit un peu d'altitude, pour pouvoir couvrir son équipage en cas de problème.
