Ce chapitre se passe quelque part pendant le début de l'année scolaire du chapitre 32 de « Vers l'avenir »
Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 289, an 15.
Cette année, tout s'est bien passé avec les Helvètes qu'on a embarqués lors de notre dernier passage et, les reines en soient remerciées, il ne s'est rien passé de spécial pendant l'année. Donc la réunion avec le brigadier Schmidt et son état-major a été une formalité. « Oui oui, tout s'est bien passé. Oui oui, on reprend de vos scientifiques pour les emmener dans Pégase. Ah, vous avez des nouvelles imprimantes pour nous ? C'est trop aimable .» La routine, quoi. Comme on doit attendre quelques jours que toute la nouvelle fournée d'intellectuels arrive à bord, je peux passer un peu de temps avec Milena et mon frère. C'est agréable. Même si, à cause de cette foutue histoire de secret, je dois me cacher comme un voleur. C'est dommage qu'il n'y ait que cinq colliers holographiques. J'aimerais bien pouvoir sortir et me promener avec eux dans une de ces villes qu'on survole en venant. Ce serait vraiment cool.
(« Capitaine, le mot que vous avez employé est erroné. La température actuelle est caniculaire pour la région d'après les flux d'informations locaux que j'intercepte. Elle ne peut donc être fraîche. »)
Cool, c'est une expression terrienne que Zen m'a appris. Ça veut dire que quelque chose est agréable, amusant ou encore à la mode.
(J'ajoute cet usage du mot à mon dictionnaire.)
Fais donc ça, Ubris. Mais je viens en Jumper avant l'aube, et on reste toute la journée ensemble dans la maison. C'est agréable. D'autant plus que je me rends compte que le disque dur de films et romans que Milena m'a laissé quand elle a quitté Pégase, ne représente qu'une infime portion de toute la création audiovisuelle terrienne. Zen me montre pleins de films récents qu'il aime beaucoup. Avec Milena, on essaie de lui montrer des « classiques ». On a réussi à le convaincre de regarder Wormhole X-treme. C'est objectivement mauvais comme série. Mais c'est inspiré du SGC, donc on peut dire que c'est un peu comme un cours d'histoire... Enfin, c'est surtout une magistrale leçon de mauvais mixage son et de surjeu flagrant. J'ai vu des pièces de théâtre faites par des paysans ignares de Pégase mieux jouées que ça ! Dommage d'ailleurs que l'intégralité du cinéma que l'on trouve dans notre galaxie soit des copies de copies des films que les marines d'Atlantis ont emmenés avec eux.
(Difficile de faire du cinéma sans les moyens technologiques de capter le son et l'image, mon capitaine.)
Tu as tout à fait raison, Ubris. Aurait-on les fonds pour acheter quelques caméras ?
(J'ignore la valeur d'un tel équipement, Tom Giacometti)
Alors renseigne toi !
(Je me connecte à l'Internet terrien immédiatement, mon capitaine.)
Comme si tu n'y étais pas déjà pour télécharger des romans à l'eau de rose...
(Je réfute cette accusation, monsieur ! J'agrandis la section anthropologie et relations humaines de la bibliothèque numérique du vaisseau.)
Mais oui, c'est ça.
(Absolument ! )
Donc, pour conclure, faut que je me renseigne sur les caméras. Qui sait, peut-être que le nouveau Kubrick ou Spielberg attend juste d'en avoir une dans les mains, à une galaxie d'ici ?
Tom Giacometti, fin d'enregistrement
« Bonjour, bonjour ! Y a quelqu'un ? » lança-t-il, entrouvrant la porte qui grinça à peine sur ses gonds. Personne ne lui répondit, mais l'odeur du café frais lui apprit que Milena était déjà debout.
Refermant doucement le battant, il partit en direction de la cuisine. Comme il s'y attendait, sa mère sirotait un café façon marines tout en faisant défiler les nouvelles du jour sur son téléphone.
Elle le salua de la main, tout en avalant une gorgée de liquide.
Sans demander la permission, il prit une tasse propre sur l'égouttoir et se servit également avant de la rejoindre à table.
La première gorgée, brûlante et âcre, manqua de le faire tousser.
« Toujours aussi imbuvable. Je ne m'en lasserai jamais. » ironisa-t-il en faisant la grimace.
Milena eut un sourire, qui semblait dire « C'est comme ça qu'il doit être. »
Ils burent un moment en silence. Finalement, ayant fini sa tasse, sa mère posa son téléphone et le fixa.
« C'est à peine cinq heures du matin. Tu ne dors jamais ? » demanda-t-elle.
Il pouffa.
« C'est toi, l'humaine, qui me demande ça à moi, le wraith ? »
Elle le fixa sans broncher, attendant clairement une autre réponse.
« Je suis un peu décalé par rapport aux horaires terriens. A l'heure d'Oumana, sur laquelle on calque les cycles à bord de l'Utopia, il est actuellement onze heure du matin. »
Elle opina avec un sourire.
« Par contre, toi, tu ne vis pas à l'heure d'Oumana. Qu'est-ce que tu fais déjà debout ? »
Milena sourit, tendant une main pour serrer la sienne.
« Mon fils aîné est là. Je ne l'ai pas vu depuis un an. Tu crois que je peux dormir sachant que je pourrais passer ces précieux instants en sa compagnie ? »
Touché, ému, il répondit d'un sourire, serrant fort la main de sa mère dans la sienne, déversant inconsciemment sur son esprit une vague de joie et de tendresse.
« D'ailleurs, continue à me raconter ce que j'ai loupé dans Pégase cette année. »
Il s'exécuta avec joie, lui parlant des six nouvelles écoles ouvertes par Jin'shi, du nouveau quartier wraith inauguré en grande pompe par Delleb sur Oumana, et des quatre planètes qui avaient rejoint les Ouman'shiis, dont deux grâce à l'intervention de l'équipage de l'Utopia durant des combats épiques.
Vers neuf heures, Zen, l'air plus endormi qu'éveillé, vint les rejoindre, préférant un bol de céréales au café froid qu'ils continuaient à siroter.
Tom poursuivit son récit, tâchant de parler davantage d'incidents amusants ou d'escarmouches épiques que de politique absconse, afin de ne pas exclure de la discussion son frère, qui bien qu'attentif, ne semblait guère motivé à parler.
Zen'kan traîna environ une heure à table, ne répondant aux questions et aux encouragements à participer que par de petits grognements, avant de s'excuser pour aller rejoindre ses amis.
Tom, un peu déçu, le regarda partir, songeur.
Milena, un petit sourire tordu aux lèvres, lui tapota l'épaule.
« T'en fais pas. Zen n'a jamais été très causant, et tu l'impressionnes beaucoup. »
« Mais je suis son frère ! »
« Tu es son grand frère. Son modèle. Il a l'impression qu'il doit marcher dans tes traces. Et qu'il n'y arrive pas très bien. »
« Mais c'est stupide ! Pourquoi pense-t-il ça ?! »
Milena eut un haussement d'épaules défait.
« Qui sait ce qu'il a dans la tête ? »
« Je peux aller voir ! » s'emporta-t-il, se redressant à demi.
Même si Zen tentait de résister, il serait capable de passer ses barrières mentales, il en était certain.
La poigne de fer de Milena sur son avant-bras le fit se rasseoir.
« Je te l'interdis ! Tu m'entends ?! Il en bave déjà assez comme ça ! Je t'interdis d'entrer de force dans sa tête! Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?! » gronda-t-elle, glaciale.
Il opina, presque effrayé par la réaction de sa mère.
« Je te le promets, maman. » jura-t-il solennellement.
Lentement, elle le relâcha.
Il avait songé à lui demander comment les choses se passaient pour son frère en dehors des menues anecdotes dont elle l'avait déjà régalé. Il y renonça. Visiblement, les choses étaient toujours aussi compliquées que l'année dernière. Savoir ne lui apporterait que de l'inquiétude pour sa famille, et ne ferait que remuer le couteau dans la plaie pour Milena.
Il opta pour un sujet plus neutre.
« Raconte-moi des trucs croustillants sur Selk'ym et Rorkalym. Si, comme Selk'ym me l'a recommandé, je vais juste dire à Drysse qu'ils « vont bien et ne manquent de rien », je crains qu'elle ne m'écorche vif.» demanda-t-il, plaisantant à peine à propos de la couturière hybride.
Milena pouffa, puis s'ingénia à satisfaire sa requête, les sourcils froncés de son effort de mémoire.
.
Il avait passé toute la journée avec Milena, et même si son équipage lui avait assuré qu'il n'avait pas besoin de lui avant leur départ et qu'il pouvait passer l'intégralité de leurs quelques jours d'attente avec sa famille, il vint tout de même relever Jiu pour quelques heures au poste de commandement.
« Tout s'est bien passé ? » demanda-t-il.
Son ami opina, protocolaire.
« Rien à signaler, Capitaine. »
« Bien. Je suis venu te relever, que tu puisses faire une pause. »
Jiu, qui allait répliquer, s'interrompit avant d'avoir prononcé un mot, la bouche entrouverte, ses sourcils de plus en plus froncés alors qu'il le fixait avec attention.
S'approchant, il lui prit la main, la serrant doucement en une demande muette.
Tom tendit son esprit vers le sien.
« Un problème ? » s'enquit aussitôt Jiu.
« Non, pas exactement. Vu qu'on est encore là pour deux ou trois jours, j'avais pensé proposer à Milena de prendre Zen quelques jours à bord. Qu'on passe un peu de temps juste les deux, comme quand il était petit, mais... Je ne suis plus si sûr que ce soit une bonne idée, maintenant. »
L'esprit de son hystar s'obscurcit un peu, sincèrement désolé pour lui.
« Pourquoi ? »
« C'est pas qu'il me fuit. Pas vraiment. Mais il évite absolument tout contact trop personnel avec moi. Même quand j'essaie de tendre mon esprit vers lui, il se referme et me répond oralement – quand il me répond... On peut regarder un film ensemble, éventuellement en discuter un peu ensuite, mais rien de plus. Dès que je lui pose des questions sur lui, ou essaie de lui parler de moi, il se referme comme une coquille Rimm. »
Jiu opina, réfléchissant.
« Ma situation n'est pas vraiment la même, car je n'ai que deux ans d'écart avec ma sœur, et on a toujours grandi ensemble, mais en tant que petit frère, je peux te promettre que, à un moment ou un autre, tu es forcément jaloux de ton aîné. »
« Tu es jaloux de Liu ? » s'étonna-t-il.
« Actuellement non. Mais je l'ai été par le passé. »
« Quand, par exemple ? »
« Quand on était adolescents, et qu'il y avait une fête ou quelque chose, et que Drane la laissait aller où elle voulait comme elle voulait alors que je devais rester à portée de vue ou lui dire exactement où j'allais et avec qui. »
« Mais on était déjà tout le temps fourrés ensemble à cette époque... » nota-t-il, un peu perplexe.
« C'est vrai, mais n'empêche que Drane exigeait que je vienne lui dire où j'allais et pas à Liu. »
Tom rit.
« Je parie que si elle te le demandait, c'est parce qu'elle savait que toi, tu lui obéirais, contrairement à ta sœur ! »
« Ooh, tu crois ?! »
« J'en suis sûr. Et comme on était toujours ensemble, il suffisait de savoir où tu étais pour savoir où elle était... »
« Je n'y avait jamais songé. Cela ne m'a pas empêché d'être très jaloux d'elle à cette époque. »
« C'est compréhensible. »
« Mais pour en revenir à ton frère... Je pense qu'il doit être jaloux. Et souviens-toi, on était aussi de magnifiques crétins à son âge. »
Tom s'esclaffa à nouveau.
« Absolument. (Puis il se rembrunit un peu.) Mais je ne sais pas quoi faire pour améliorer les choses. J'aimerais bien, pourtant... »
« Tu devrais peut-être lui montrer que toi aussi, tu as des défauts. Que tu n'es pas parfait, contrairement à ce qu'il peut croire. »
« Mais je suis parfait ! »
« C'est ça. A d'autres ! »
Ils rirent de concert.
« Merci du conseil. Je vais y réfléchir. Toi, vas te reposer, je te relaie. »
Jiu le serra brièvement dans ses bras, lui offrit un garde-à-vous parfait, puis s'esquiva.
Rassuré, il s'installa, profitant du calme momentané pour parcourir les rapports des derniers jours, qu'il avait un peu négligés. Même si son équipage était bienveillant, il était de son devoir de ne pas trop dédaigner ses tâches de capitaine.
.
« Mon capitaine, le ravitaillement est terminé, tous les passagers sont à bord et l'équipage est à son poste. Nous sommes prêts à décoller. » annonça Argent sur sa radio.
« Déjà ? »
L'adorateur sembla hésiter un instant.
« Oui, Monsieur. Nous sommes à jour sur l'horaire prévu. »
Jetant un regard à l'horloge de la cuisine de Milena, Tom ne put que constater qu'hélas, l'auxiliaire de pont disait vrai.
« Entendu. J'arrive. »
« Bien reçu. Fin de communication. »
Avec un soupir, il se tourna vers sa mère.
« L'Utopia est prête à partir. Je dois y aller.» annonça-t-il avec un sourire navré.
Elle se jeta dans ses bras, le serrant contre elle de toutes ses forces.
Il lui rendit son étreinte. Chacune de ces séparation était déchirante, et au fond de lui, il attendait avec impatience le jour où la transition de son frère les forceraient à repartir dans Pégase, où il pourrait enfin la voir plus souvent.
Après de longs mais trop courts instants, Milena le relâcha.
« A l'année prochaine, mon cœur. Je t'aime. »
« A l'année prochaine, maman. Je t'aime. »
Il lui offrit un sourire bravache puis, se détournant, partit à la recherche de son frère, enfermé dans sa chambre. Il n'avait pas trouvé le courage et les bons mots pour lui parler.
Il toqua.
« Zen ? Je dois partir. Je peux entrer te dire au revoir ? »
Un grognement indistinct lui répondit. Il décida de le prendre pour un oui, et entra.
Son frère, assis à son bureau derrière un manuel scolaire, le fixa silencieusement du regard gris acier que lui conférait l'hologramme.
Un peu mal à l'aise sous le poids de ses pupilles qu'il connaissait sans les reconnaître, il se dandina.
« Je m'en vais. Du coup, je te dis au revoir... et à l'année prochaine... »
« A l'année prochaine. » nota platement Zen avant de se retourner vers son livre.
Tom resta planté quelques instants, hésitant.
« Hum... On pourrait passer un peu de temps ensemble l'an prochain... juste les deux... qu'en penses-tu ? »
Un haussement d'épaules neutre lui répondit.
Découragé, Tom esquissa un inutile salut de la main.
« A bientôt, petit frère. Je t'aime. »
Un vague grognement lui répondit alors qu'il refermait la porte.
