Triggers warning : Torture et viol mental


Rapport journalier du quartier-maître Liu de la tribu de Sama, Jour 208, an 18, minuit quatorze.

L'Utopia a dû décoller à vingt-deux heures trente-sept, heure impériale, afin de se mettre hors de portée de tir des chasseurs tarémiens.

Les locaux ne semblent pas avoir d'autres vaisseaux spatiaux. Il a suffi que l'on s'occulte en orbite haute pour qu'ils perdent notre trace.

Le capitaine Giacometti et son équipe sont toujours en bas. Grâce à leurs balises hypodermiques, on peut suivre leurs moindres mouvements. Ils sont actuellement à environ six kilomètres à l'ouest du village de Dalak. D'après les scanners, ils ont trois otages avec eux, et sont pourchassés par une trentaine de locaux.

Conformément aux ordres du capitaine, l'officier de pont Argent se tient prêt à les téléporter s'ils venaient à être rattrapés.
Jiu n'est toujours pas revenu de sa mission sur une autre planète. On n'attend pas de contact avant quatre heures.

En tant que seul officier de passerelle à bord actuellement, je vais donc rester de quart jusqu'à ce que je puisse être relevée.

Liu, fin d'enregistrement.

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« Bonjour, nous cherchons Kirma ? » lança Jiu, s'avançant dans les ombres de la vaste écurie qui leur avait été désignée par les villageois comme le commerce de l'intéressé.

L'homme massif en salopette de grosse toile qui débitait des morceaux de viande grisâtre pour les jeter dans une gosse marmite prit le temps de reposer son hachoir et de s'essuyer le front avant de répondre.
« La patronne est en haut. » nota-t-il, désignant un escalier raide qui montait à l'étage.

Opinant du chef, les traits durs, Jiu se retourna pour faire face à Morgal.

« Je vais parler. Vous restez dehors. Ici. Pas bouger. D'accord ? » demanda-t-il, gesticulant un peu pour illustrer son propos.

L'Unas opina avec un grondement mauvais.

D'un geste, il requit encore de leur escorte qu'ils gardent un œil sur elle, puis d'un pas un peu trop raide, entra.

N'ayant pas expressément reçu l'ordre de rester dehors, Zen'kan lui emboîta le pas.

L'odeur chaude et un peu écœurante qui flottait autour du bâtiment lui sauta à la gorge, et il ravala avec peine un grondement répugné.

Dans des stalles aux barreaux d'acier s'entassaient une quinzaine de Unas, dont les frusques miteuses révélaient tantôt les marques boursouflées des fers rouges de leurs propriétaires successifs, tantôt de répugnantes maladies de peau et autres infections. Certains, brisés et résignés, étaient juste blottis dans le coin de leur cage, indifférents à la paille souillée qui leur servait de couche. D'autres, moins dociles, étaient entravés plus ou moins lourdement, mais toujours cruellement. Dans la seule cellule dont la porte n'était pas verrouillée, des mouches bourdonnaient autour d'un drap crasseux jeté à la va-vite sur une forme recroquevillée.

Jiu s'arrêta au milieu de la pièce, attendant qu'il le rejoigne, avant de murmurer dans un wraith accentué :

« Regarde bien. Voici le vrai visage de l'esclavage. Peu importe les noms qu'il se donne, les atours dont il se pare. Peu importe qui sont les « maîtres », qui sont les « serviteurs » : l'esclavage, ce n'est toujours que ça… Un sort pire que la mort pour ceux qui en sont victimes au nom du confort des bourreaux. »

« Pourquoi tu me dis ça? » demanda-t-il, jetant un regard alentour, tâchant de ne pas trop respirer l'odeur immonde.

« Pour que tu saches. Parce que tu es un wraith. Parce que dans Pégase, tu es un « maître », et qu'il est facile, quand on fait partie des privilégiés, d'ignorer la souffrance de ceux dont ce n'est pas le cas. »

« L'esclavage n'est pas interdit ? »

« Seulement chez les Ouman'shii, et ce n'est pas parce que quelque chose est interdit qu'il cesse d'exister. » nota sombrement Jiu, se remettant en route.

Zen resta encore quelques instants, tâchant de graver la vision d'horreur dans sa mémoire, avec l'horrible impression que c'était son devoir. Puis, trottant, il rattrapa le jeune homme à mi-chemin de l'escalier.

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« Ici conviendra. » ordonna Tom télépathiquement.

Les trois otages furent jetés sans trop de cérémonie au pied du grand arbre sous les frondaisons duquel il s'étaient arrêtés, et sans qu'il ait même un mot à dire, les guerriers qui l'escortaient repartirent dans les ombres prendre position.

« Jialym, à vous de jouer. »

Le scientifique opina, et se laissa tomber à genoux face à Dalak, solidement entravé et bâillonné.

Délicatement, il posa deux longs doigts griffus sur le front du Jaffa qui tenta, en vain, de se débattre et, plongeant en lui-même, le wraith se concentra. Les yeux du prisonnier se révulsèrent, alors qu'il cessait de gigoter, soudain enfermé dans sa propre tête.

D'une pensée, Tom s'assura que tout allait bien puis, rassuré par leur escorte, il s'approcha de leur second otage. Le fils de Dalak, un jeune Jaffa vigoureux et fier, qu'ils avaient eu bien de la peine à neutraliser.

Contrairement à Jialym, il ne comptait pas s'enfoncer dans les tréfonds de l'âme de sa victime. Il se contenta de poser sa main sur son front. Le contact mental fut d'autant plus facile que la cavale dans les bois qui avait suivi sa neutralisation avait secoué le Jaffa et affaibli ses défenses mentales.

L'âme de l'homme était noble. Dure et martiale. Elle évoqua à Tom un désert de pierre rebattu par des vents immuables.

« Vous êtes le fils de Dalak. »

« Comment êtes-vous entré dans ma tête ? Vous n'avez pas de kara'kesh (1) ! »

Le guerrier avait peur. Il se sentait impuissant. Tant mieux.

« Non, je suis un wraith. Votre âme putride n'a pas de secret pour nous. »

« Vous allez me tuer ? »

Son âme scintilla d'une peur primale, que des années de formation militaire parvenaient à peine à brider.

« Non. Juste vous donner un avertissement. Afin que vous puissiez guider votre peuple avec plus de sagesse que votre père. »

« Vous allez le tuer, lui ? »

« Presque… »

« Pourquoi ?! »

« Car il a appelé de ses vœux un massacre. Nous le lui offrons. »

« Père ne ferait jamais cela ! » s'offusqua le jeune Jaffa.

Tom ne retint pas le rire mauvais qui lui vint, alors qu'il offrait au jeune homme la vision exacte de son propre père, jubilant dans son orgueil, convaincu d'être parvenu à les soumettre à sa volonté destructrice et égoïste.

L'homme frémit, son sens de l'honneur révolté par ce qu'il venait de voir. Tom se sentit conforté dans son choix. Le Jaffa à peine adulte n'avait pas encore vécu assez longtemps pour que la vie ait eu le temps de pervertir en lui la droiture légendaire de son peuple. Peut-être toute la lignée n'était-elle pas aussi pourrie que le père ?

Et si c'était le cas, il en était sûrement de même pour les descendants de Silla...

« Pourquoi ? »

Les interrogations du jeune guerrier le sortirent de ses cogitations stériles.

« Quoi ? » éructa Tom en une pauvre excuse, pour se donner le temps de réunir ses pensées.
« Pourquoi Père ferait-il une chose pareille ? »

« Par vengeance ? Par calcul ? Quelle importance ? Dalak a cru pouvoir se servir de moi et de mon équipage comme de bêtes fauves. Des chiens de guerre qui sautent à la gorge de ses ennemis. Il a eu tort. Ceux que vous appelez « les Anciens » ont essayé, il a bien longtemps, de nous utiliser ainsi. Nous les avons presque exterminés. Malgré toute leur technologie, et toute leur intelligence, les derniers survivants n'ont pu que fuir... C'est un avertissement que je vous donne. Nous ne sommes pas des monstres sans âme, mais nous sommes des prédateurs. Les Jaffas sont des guerriers, nos races se ressemblent beaucoup. Il ne serait bon pour personne que l'on soit ennemis... »

« Vous voulez qu'on soit alliés, après ça ?! » s'insurgea le jeune homme, l'attaque sur la résidence de sa famille, le massacre des occupants et son enlèvement défilant rapidement à l'arrière de ses pensées.

Tom ricana.

« Bien sûr que non. Mais il vous revient entièrement de décider si nous devons être ennemis, ou non... »

« C'est une menace ? »
« Un avertissement, je vous l'ai déjà dit. Dalak a souhaité un massacre, je n'ai fait que l'exaucer. »

D'un bref tiraillement sur les bordures de sa conscience, Jialym requit son attention. Il se détourna un instant de sa proie, sans pour autant la lâcher.

« Oui ? »
« Le Jaffa ne connaît pas les coordonnées de la planète des Unas. »

« Quoi ?! »
« Il ne connaît aucune planète sur laquelle ils vivent libres. Seulement des mondes où il peut aller en acheter. »
« Pourquoi faire ? »
« Il les utilise dans une mine, dans les montagnes. Il a dit aux siens que le filon était épuisé afin de garder tous les profits pour lui. »

« Intéressant. Je veux savoir exactement comme accéder à cette mine. Et je veux que son fils voie qui est exactement son géniteur. »
« A vos ordres, capitaine. »

Tom revint à l'intéressé.

« Que savez-vous de la mine dans la montagne ? »
« La mine de Naquadah ? Elle a été fermée avant ma naissance. Il n'y a plus rien là-bas. »

« Faux ! Papa est un sacré menteur, semble-t-il... » nota-t-il triomphalement, alors que Dalak s'effondrait, pantelant, Jialym relâchant son emprise télépathique. « J'espère sincèrement que vous saurez être un meilleur guide pour les vôtres que votre père. Nous ne serons pas vos alliés, mais ni en tant que capitaine de mon vaisseau, ni en tant qu'Ouman'shii, je ne désire que nous soyons ennemis. C'est à vous de choisir... mais il n'y aura pas d'autre avertissement. Tentez encore quoi que ce soit à notre encontre, et nous vous exterminerons jusqu'au dernier. » conclut-t-il, relâchant à son tour sa poigne.

D'une pensée, il appela Ninaï'kan, qui apparut sans un bruit, un grand sourire mauvais aux lèvres.

Venant se placer derrière le jeune Jaffa, Tom l'appuya contre ses cuisses, de manière qu'il ne risque pas de tomber, alors que Jialym, venu se poster à ses côtés, commençait à déverser par vagues successives dans son esprit, tous les secrets et toutes les sales manigances qu'il avait pu trouver dans la tête de Dalak.

Ninaï'kan, certain d'avoir son audience captivée, arracha le plastron de métal du chef du village puis, soulevant la massive carrure de ce dernier comme s'il ne pesait rien, leva lentement sa main droite, laissant bien le temps à sa proie de voir les crocs de son schiitar sourdre d'enzyme tandis que les filaments d'absorption ondulaient avidement, tels une monstrueuse anémone. Dalak tenta de se débattre, un instinct primal de survie parvenant presque à percer les brumes du viol mental qu'il venait de subir. Ce fut à peine si la poigne du guerrier wraith trembla.

Le Jaffa se cabra de douleur lorsque Ninaï'kan posa sa paume contre sa poitrine, commençant à absorber sa force vitale avec une lenteur abominable, selon les ordres qu'il avait reçu.

Tom sentit son estomac vide et atrophié se retourner, mais il se força à ne pas broncher. Il n'avait pas le droit de détourner le regard. C'étaient ses ordres. Il était le commanditaire. Il devait assumer.
Le jeune Jaffa qu'il maintenait tenta malgré ses entraves de se jeter au secours de son père, et il dut le maintenir de toutes ses forces pour l'empêcher de bouger.

Le jeune guerrier beuglant et hurlant essaya de le mordre. Parvint à lui coller un brutal coup de tête dans la mâchoire, et il lui fallut l'aide de Jialym pour parvenir à le maîtriser malgré tout.

Finalement, réalisant que toute résistance était vaine, l'humain se résigna, et la mâchoire crispée de rage et de haine, se contenta de regarder la vie lentement quitter le corps de son père en une longue et atrocement douloureuse agonie.

Finalement, alors qu'il ne restait presque plus rien à ce qui avait été un impressionnant guerrier, Ninaï'kan relâcha son étreinte, poussant la cruauté jusqu'à accompagner la chute du corps parcheminé au sol avec une sensualité d'amant satisfait.

Les trois guerriers qui montaient toujours la garde alentour lui signalèrent que leurs poursuivants allaient bientôt les rattraper. Rien d'étonnant : ils étaient immobiles depuis bientôt deux minutes.
D'une pensée, il pressa Ninaï'kan, tout en se penchant vers son otage qui, toute volonté combative évanouie, s'appuyait lourdement contre lui, le regard vague fixé devant lui.

« Votre escorte ne devrait pas tarder... Dalak pourra rendre son dernier souffle parmi les siens... Considérez cela comme un signe de notre bonne volonté, messire le nouveau chef. »

Alors qu'il parlait, Ninaï'kan ramassa leur troisième otage, une vieille servante usée par des années de dur labeur, qui ne supplia même pas pour sa vie, déjà résignée à mourir.

« Femelle, tes maîtres te traitent-t-il bien ? » demanda le guerrier.

« Tuez-moi, tuez-moi tout de suite, monstres ! » chevrota-t-elle.

Ninaï'kan ricana.

« Pas aujourd'hui, humaine » siffla-t-il, levant sa main gauche, schiitar ouvert. « Les wraiths réservent un cadeau unique à ceux qui les servent fidèlement et avec ferveur... L'usure de ton corps atteste de ton dévouement à tes maîtres. Considère cela comme un présent de ton ancien seigneur pour tes services. » conclut-t-il, plaquant sa paume sur la peau ridée de la femme.

Celle-ci laissa échapper un glapissement de souffrance, alors que les années s'envolaient, que sa chevelure blanche et terne redevenant de magnifiques boucles sombres, que sa peau pendant sur ses vieux os retrouvait l'éclat et la fermeté de la jeunesse.

Le son sourd des tirs des lances jaffas retentit, proche.
Ninaï'kan maintint la servante, qui semblait à présent à peine sortie de l'adolescence, jusqu'à ce qu'il soit certain qu'elle n'allait pas tomber.

« Femme ! » l'interpella Tom. « Sois témoin. Nous ne sommes pas des monstres. Mais nous pouvons être cruels. Sans pitié, si on nous y force. Toutefois, nous pouvons aussi être généreux. Magnanimes. »
Elle le détailla sans le voir, perdue et défoncée à l'enzyme, avant de fixer ses mains, redevenues lisses et vigoureuses, puis le corps décharné de Dalak qu'une respiration laborieuse soulevait sporadiquement. Et enfin le fils, en état de choc, prostré contre les jambes de Tom.
« Toute une nouvelle vie s'offre à toi » poursuivit ce dernier, alors que les échanges de tirs se rapprochaient. « Si tu désires la refaire ailleurs, libre à toi. Sinon, ton jeune maître aura bien besoin du soutien et de l'expérience d'une aînée pour l'aider à ne pas répéter les erreurs de son géniteur. As-tu compris ?»

Un tir de lance jaffa s'écrasa sur le tronc de l'arbre qui les abritait, faisant plonger à terre Jialym.

La femme le fixa, de longues secondes, puis opina.
Il sourit et tendit son esprit vers l'Utopia.
Une boule de lumière blanche les engloba tous.


(1)Il s'agit du bracelet de contrôle goa'uld qui permet, entre autres, de manipuler les pensées de sa victime.