Journal de bord du capitaine Giacometti. Jour 210, an 18.
Nous sommes partis de la Terre avec trois Unas à ramener chez eux, maintenant, on en a quarante-huit à bord. Dans le tas, les deux tiers n'ont jamais connu la liberté, et la moitié au moins n'arrive même pas à l'envisager.
Pffff... J'aimerais pouvoir dire que cette situation m'est inconnue, mais malheureusement, ce n'est pas le cas... Mmmpfff... Avec un peu de chance, quand on aura enfin trouvé une planète adéquate pour eux, ils auront une épiphanie et décideront tous d'y rester pour vivre d'heureuses petites vies de Unas sauvages... quoi que cela signifie... (Selon mes calculs, ce scénario n'a qu'une chance sur trois mille deux-cent douze de se produire, mon capitaine.) Merci Ubris de me laisser à mes doux rêves. (De rien capitaine.) Bref, soyons réalistes... (Attendez, capitaine Giacometti, votre réponse était ironique, n'est-ce pas ?) Oui Ubris... oui...( Oh ! Voilà qui est vexant !) Tu es vexée ? (Oui ! Non ! Je ne sais pas ! Devrais-je être vexée, mon capitaine ?) J'en sais rien. A toi de voir... Donc, comme Ubris l'a si justement souligné, il est hautement improbable que tous les Unas choisissent de suivre la voie de la liberté. Il est évident qu'on ne va pas les revendre comme esclaves ou les reines savent quoi comme horreur ! Et ces gars ont l'air plutôt dégourdi. La plupart savent déjà travailler les champs et autres trucs manuels. Ça fera loin de chez eux, mais la meilleure solution que je puisse envisager pour ceux-là, c'est de les ramener avec nous dans Pégase. Ils trouveront bien à se rendre utiles là-bas. (C'est une excellente idée, mon capitaine. Et j'ai réfléchi. Je ne suis pas vexée.)
Tu m'en vois ravi, Ubris. (Tant mieux, mon capitaine.)
Tom Giacometti, fin d'enregistrement.
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« Tom ? Tu peux venir ? » s'enquit Jiu, venu le chercher dans ses quartiers.
« Oui. Bien sûr. Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-il, emboîtant le pas à son hystar.
« Que des bonnes nouvelles. »
« Enfin ! Qu'est-ce qu'on a ? »
« Un des « sauvages » qu'on a sortis de la ferme de reproduction est de la tribu de Tch'ana. C'est un de ses cousins, ou je sais pas quoi. Il a été vendu il y a quelques mois à la ferme. »
« Ils doivent être contents de se retrouver. »
« T'as même pas idée... »
Tom s'abstint de contredire son ami. Il s'écoulerait encore longtemps avant qu'il n'oublie ce qu'il avait ressenti lorsqu'il avait découvert Zen'kan au fond de son conduit. Lorsqu'il avait réalisé qu'il n'était pas le dernier fils de Silla.
Il poursuivit plutôt la discussion.
« Tout à l'heure, tu parlais de plusieurs bonnes nouvelles. »
« Oui ! Le Unas de la mine qui parle un peu commun, il a bien voulu jouer les traducteurs pour les autres. »
« Et ? »
« Le guerrier qui était avec lui. Celui qui ressemble à une montagne avec des cornes. Il veut nous aider. Il dit qu'il connaît un endroit où il y a d'anciens esclaves. Il a dit que si on va là-bas, ils pourront sûrement nous renseigner sur des adresses de mondes unas. »
« C'est génial, ça ! Il a tracé l'adresse ou quelque chose ? »
Jiu eut un gloussement nerveux.
« Non. Il ne connaît pas les symboles. Il connaît les gestes. »
« Pardon ? »
« Il sait quel mouvement faire sur un DHD galactéen pour composer l'adresse. »
« Ah, OK. Donc, faut juste qu'on lui trouve une Porte ? »
« Exact. »
« En avant ! Ubris, tu as entendu ça ? Trouve-nous la planète avec une Porte la plus proche. »
« A vos ordres, mon capitaine .»
Ils ne tardèrent pas à arriver dans le réfectoire, où étaient groupés la plupart des Unas.
Le voyant arriver, l'immense reptile féroce de la mine se releva souplement.
« Wraith aider Unas. Arak aider wraith ! » beugla-t-il en se frappant le torse.
« Vous parlez commun ? » demanda-t-il, surpris.
Le géant le fixa avec un rictus féroce et quelques grognements d'acquiescement qui démentaient totalement les faits.
Le maigrichon aux cornes cassées s'approcha.
« Arak pas vous comprendre. Lui juste demander à Get'ash de lui apprendre ça. »
« C'est vous, Get'ash ? »
Le Unas opina.
« Enchanté. Merci de nous permettre de communiquer avec vos congénères. »
« Vous aidez nous. Moi aider vous. » répondit simplement l'intéressé avec un demi-sourire.
Tom opina.
« Vous pourriez traduire pour moi, s'il vous plaît ? »
Get'ash opina.
« Arak, Jiu m'a transmis votre proposition. Nous allons faire route vers la plus proche planète avec une Porte pour que vous puissiez nous mener à ce monde. Cela vous convient-il ? »
Get'ash lui jeta quelques regards perdus mais s'appliqua tout de même à traduire.
Tom prit mentalement note de faire attention à son langage. Leur interprète n'était clairement pas un locuteur courant des langues communes galactiques.
« Ma kan, Unas Lota ! Ka chaa' no naa' tch'paï ! Unas chaka sol koe ka'nay wraith. Unas lota .» déclara Arak, se tournant à gauche et à droite comme pour prendre ses congénères à témoin.
« Lui d'accord. Nous attendre pour rentrer maison par Porte. Unas libre grâce ami wraith. Unas pouvoir attendre maintenant. » traduisit Get'ash sous les grondements d'assentiments des autres.
« Merci. En attendant, est-ce que vous avez besoin de quelque chose ? Tout le monde a mangé ? Tous les blessés ont pu être soignés ? » s'enquit-t-il.
Get'ash retransmit la question.
« Non. Unas solides. Vous généreux. Tout va bien. Nous attendre maintenant. »
« D'accord. Vous êtes libres d'aller et venir sur le vaisseau dans toutes les zones d'accès libre... heu... vous pouvez aller partout où les portes s'ouvrent pour vous. Compris ? »
Get'ash traduisit et la petite foule opina.
« Capitaine Giacometti, j'ai localisé une planète. » annonça Ubris.
« Bien, transmets les coordonnées au pont. Je m'y rends de suite. Get'ash, Arak, merci de votre aide ! »
Les deux Unas inclinèrent la tête avec grâce.
« Une dernière chose. S'il vous plaît, expliquez aux autres qu'une fois sur la planète, ils ne pourront pas descendre tout de suite. On va s'assurer que c'est sans danger avant. D'accord ? »
« Moi expliquer. Vous pas souci .» le rassura Get'ash.
Satisfait, il partit rejoindre le pont.
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Arak avait un peu gesticulé devant le DHD avant de composer l'adresse puis ils avaient traversé la Porte en Jumper. Tom avait pris une petite équipe de sécurité avec lui, ainsi que Arak, Get'ash et Morgal, qui avait insisté pour venir. Repérer des traces de campement depuis le ciel leur avait pris quelques minutes. Un endroit où atterrir en sécurité à proximité, une poignée de plus.
Ensuite, ils avaient laissé les trois Unas partir devant. Arak leur avait expliqué que leurs congénères peuplant ce monde étaient d'anciens esclaves s'étant rebellés et enfuis. Ils étaient méfiants et prêts à tout pour défendre leur liberté. Mieux valait qu'ils leur expliquent le qui et le pourquoi avant que les gens de l'Utopia ne se montrent. Être laissé hors de l'action l'insupportait, mais il ne pouvait pas nier le bon sens de la proposition. Il n'y avait donc qu'à être patient.
Il surveillait les bois dans lesquels les trois reptiles avaient disparu, grondant sporadiquement son impatience, lorsque Laban vint le rejoindre, s'appuyant contre la paroi du Jumper.
« Vous croyez qu'ils ont fichu le camp sans demander leur reste ? »
« Pourquoi feraient-ils ça ? » s'étonna-t-il.
« Parce que c'est ce que j'aurais fait à leur place... » répondit l'homme, mâchouillant un brin d'herbe.
« Nous n'avons qu'à espérer qu'ils ne soient pas comme vous alors... et de toute manière, je doute fortement que Morgal abandonne Utak pour quelque raison que ce soit... » nota-t-il, coulant un regard inquiet en direction du soldat.
Laban cracha son brin d'herbe, et se redressa.
« On dirait que vous avez raison, capitaine. Les revoilà. »
En effet, le trio reptilien revenait, accompagné d'une demi-douzaine de leurs semblables.
Tom désocculta le Jumper posé, faisant sursauter les reptiles. Les six locaux s'agrippèrent à leurs armes avec méfiance, mais aucun ne fit mine de s'en servir.
Tant mieux. Car si la plupart étaient armés de lances et de hachettes de bois et de pierre, un portait une lance Jaffa – et d'une manière qui laissait deviner qu'il savait s'en servir – et l'autre une arme à feu d'un calibre suffisant pour qu'il soit inquiet pour l'intégrité de la coque du Jumper. Sans parler de l'intégrité corporelle de son équipe.
Morgal et Get'ash se mirent à gesticuler en grondant dans leur langue âpre, tâchant de toute évidence de les convaincre de continuer d'avancer.
Arak continua juste à marcher vers eux comme si tout cela était parfaitement normal, la lance Jaffa qu'il avait récupérée dans les mines et insisté pour prendre avec lui reposant paisiblement sur son épaule.
Que ce fût grâce aux invectives des uns ou à l'attitude de l'autre, les locaux se remirent finalement en marche, plus prudemment qu'avant mais d'un bon pas tout de même.
Tom, escorté de Laban et de Ninaï'kan, s'avança à son tour.
Une grande femelle portant une coiffe de plumes et d'os leur fit signe de s'arrêter lorsqu'ils arrivèrent à cinq pas.
« Je suis Kian'kul de la tribu d'Ona ka'. Je suis celle qui dirige. Qui êtes-vous ? » demanda-t-elle dans un commun galactéen impeccable et défiant.
Tom inclina la tête en guise de salut.
« Je suis Tom Giacometti des Ouman'shiis. Je suis celui qui dirige. Enchanté de vous rencontrer. »
« Uman'chli ? Arak dit que vous êtes wraith. Qui ment ? »
« Aucun de nous ne ment. Ouman'shii est le nom de notre tribu. Wraith est le nom de ma race et de celle de Ninaï'kan, ici présent. » indiqua-t-il, désignant le guerrier à sa droite.
Kian'kul les observa avec intensité.
« Et toi, tu es qui ? » gronda-t-elle, levant un doigt griffu en direction de Laban
« Je suis Laban, fils de Tolem. Je suis humain et Ouman'shii. »
L'Unas se retourna vers Tom.
« Votre tribu a plusieurs races ? Pourquoi ?»
« Oui » acquiesça-t-il, pris d'une inspiration subite, alors qu'il observait discrètement les autres reptiles, certains vêtus de vêtements typiquement unas et d'autres de tenues plus humaines. « Nous sommes comme vous. On ne vient pas tous de la même tribu. On ne vient même pas tous du même monde. Mais on est tous ensemble parce qu'on se bat pour la même cause. On se bat tous ensemble pour être libres. »
Kian'kul sembla satisfaite de sa réponse, tout comme les autres, qui acquiescèrent avec force grondements – qu'elle fit taire d'un rugissement autoritaire.
« Vous avez des machines du ciel. Ils disent que vous êtes puissants et nombreux. Vos ennemis doivent être très dangereux. »
Il ne put qu'opiner.
« Ils le sont. Mais ils sont très très loin d'ici. Si loin qu'ils ne peuvent pas venir. »
Kian'kul eut un ricanement mauvais.
« Si vous pouvez, alors ils le peuvent aussi. Sinon, vous n'auriez qu'à fuir pour être libres ! Vous n'auriez pas besoin de vous battre pour. »
Il allait répondre, mais Ninaï'kan le coupa avec un grondement mauvais, piqué au vif dans son orgueil.
« Ne nous traite pas de lâches, femelle ! On ne fuit pas ! » cracha-t-il, avant qu'il ne le rappelle à l'ordre d'une pensée cinglante.
« Ce que Ninaï'kan veut dire, c'est que nous, nous sommes ici, mais nos compagnons sont toujours là-bas. Ils se battent, parce que beaucoup d'autres n'ont ni la force, ni la capacité de se battre ou de fuir, et que nous tenons à leur apporter notre aide » expliqua-t-il d'un ton apaisant, avant d'ajouter, désignant les trois Unas qui les avaient accompagnés : « Comme nous les avons aidés. »
Kian'kul eut un rauquement suivi d'un mouvement de tête.
« Ils nous ont raconté. Je voulais entendre votre version. »
« Je réponds volontiers à toutes vos questions. »
« Pas ici. Les Onac nous croient bêtes et méchants. Ils sont bêtes et méchants. Vous avez aidé des Unas à se libérer. Vous êtes nos invités. Venez ! »
Il la remercia d'une nouvelle courbette, imité par les deux soldats.
Visiblement satisfaite, Kian'kul fit demi-tour, tandis que les autres s'écartaient pour les laisser passer. Il ordonna à Marik'ka et Kutal'kan de rester au Jumper et de le réocculter, puis emboîta le pas à la reptile.
Get'ash s'approcha de lui subrepticement
« Onac, ça veut dire les ennemis. Les Jaffas, les maîtres, Eux. » souffla-t-il.
« J'avais deviné. »
