LE CONCEPT ANIMAL

Chapitre 9

Terrence, le médicomage, avait tenu sa promesse en envoyant à Drago toute la documentation nécessaire pour comprendre la dangerosité du Doloris. Certains des documents avaient des allures de campagnes de prévention, à la manière de spots anti-drogue moldus.

Il n'eut pas le courage de s'y plonger immédiatement. La simple idée de lire une description clinique de ses symptômes, assortie d'un aperçu détaillé du chemin de croix qui l'attendait, le paralysait. Ces pages étaient devenues une sorte de boîte de Pandore : fascinantes et terrifiantes à la fois. Alors, il repoussait l'échéance, préférant ignorer ces vérités écrites noir sur blanc.

Pour échapper à ses pensées, il s'était jeté corps et âme dans son travail. La tâche du jour consistait à retranscrire un ancien parchemin en langue moderne, un exercice méticuleux qui exigeait l'aide d'un épais dictionnaire antique. Ce labeur précis et répétitif apaisait ses tourments, du moins en surface.

Mais parfois, même concentré sur les lignes anciennes, il sentait une présence derrière lui, ou pire, percevait des murmures tout près de son oreille. Des paroles étranges, inquiétantes, qui le hantaient. Il fermait alors les yeux, se forçant à se rappeler que ce n'étaient que des hallucinations auditives. Rien de réel. Seulement des manifestations de son esprit blessé.

Et pourtant, elles semblaient si vivantes…

La voix rauque et brisée de Vincent s'immisçait souvent dans ses pensées, lui soufflant des mots durs, empreints de regrets. Mais ce n'était pas tout. À présent, il entendait aussi les reproches cinglants de son père, lui rappelant qu'il n'était qu'un faible, indigne du nom des Malefoy. Ces phrases, qu'il aurait juré ne jamais avoir entendues de son vivant, étaient devenues des spectres de jugement.

Cependant, il y avait parfois un autre murmure. Celui de sa mère. Sa voix douce, presque apaisante, lui soufflait des conseils tendres, comme une caresse réconfortante au milieu de ce chaos intérieur : Prends soin de toi, Drago.
Pourquoi cette voix-là n'était-elle pas plus présente ? Pourquoi devait-il être envahi par ces fantômes hostiles et non par ceux qui pouvaient l'apaiser ?

Il repensait à ses parents, dont l'absence se faisait cruellement sentir. Graciés eux aussi pour avoir contribué à la cause en fin de guerre, ils avaient repris possession du Manoir. D'après ce qu'il avait appris — par Blaise, qui tenait l'information en tendant l'oreille là où il ne fallait pas —, ils étaient occupés à remettre la maison en état. Leur priorité semblait être de la purifier, de la débarrasser des résidus de magie noire qui s'étaient insidieusement enracinés entre ses murs.

Que n'aurait-il pas donné pour aller leur rendre visite, pour leur tendre la main, participer à cet effort et, qui sait, se réconcilier. Mais une autre partie de lui, froide et impassible, refusait obstinément de faire ce premier pas. L'idée de s'humilier devant eux, ou pire, d'affronter le regard glacial de son père, le paralysait.

Il se plaisait à croire que Narcissa lui en voulait moins. Il imaginait ses bras autour de lui, son étreinte douce et rassurante, son pardon implicite. Mais Lucius… C'était une autre histoire. Drago comprenait sa colère, cette rancune alimentée par ce qu'il voyait comme une trahison. Une trahison qui avait terni l'image de leur famille. Pourtant, ce n'était pas Drago qui avait prononcé ces mots cinglants à l'encontre de son père, remettant en cause sa valeur de patriarche. Non, c'était son avocat qui avait utilisé ces arguments pour défendre son propre dossier, à l'époque du procès.

Las, Drago repoussa les parchemins devant lui et s'enfonça dans son fauteuil, croisant les mains sur son ventre. Son regard se perdit un instant dans les motifs du plafond avant qu'il ne ferme les yeux.

Presque immédiatement, il sentit leur présence. La voix douce de sa mère résonna sur sa gauche, comme un murmure empreint de chaleur et d'inquiétude. À sa droite, celle de son père s'éleva, plus dure, plus froide. Ils semblaient se disputer son retour.
Il se surprit à sourire. Ses hallucinations, parfois cruelles, avaient pris cette fois-ci le rôle d'un théâtre mental, jouant à voix haute les débats incessants qui agitaient son esprit.

Il parvint à apaiser le flot incessant des voix dans sa tête et se replongea dans son travail. Pourtant, il quitta son bureau plus tôt que d'habitude, l'esprit encore alourdi par ses pensées.
Dans le couloir, une secrétaire qu'il connaissait à peine l'interpella. Il s'arrêta, légèrement surpris, et se tourna vers elle.
— Vous allez bien ? demanda-t-elle simplement.
C'était une femme d'âge mûr, sans doute proche de celui de sa mère. Elle lui adressa un sourire empreint de bienveillance. Drago hocha la tête avec prudence.
— Vous avez l'air fatigué, ces derniers temps. J'ai l'œil, vous savez. Ces petites choses, ça ne m'échappe pas. Mais j'imagine qu'à votre âge, on préfère faire la fête que se reposer, ajouta-t-elle avec un sourire complice.
Elle s'approcha de lui, fouillant dans son sac avant d'en sortir un petit sachet en papier brun.
— Tenez, je vous ai préparé ça. Une tisane aux vertus apaisantes. J'espérais vous croiser pour vous la donner. C'est moi qui la prépare, dit-elle avec un brin de fierté. L'herboristerie, c'est ma petite passion en dehors du Ministère.
Elle glissa le sachet dans ses mains. Drago baissa les yeux sur l'étiquette, soigneusement écrite à la main, qui détaillait la composition et la méthode de préparation. Il releva la tête, incertain face à cette gentillesse inattendue.
— Vous m'en direz des nouvelles, Drago ! lança-t-elle gaiement. Mais reposez-vous, hein ? C'est triste de voir notre plus jeune et mignon collègue avec une mine pareille. Allez, filez maintenant, je ne vous retiens pas.
— Merci… beaucoup, murmura-t-il, un peu abasourdi.
Elle agita la main, comme pour dire que ce n'était rien, avant de repartir. Drago, troublé, reprit son chemin.

Cette sollicitude inattendue l'émouvait plus qu'il n'osait l'admettre. Il avait toujours du mal à croire en la pureté des gestes de gentillesse. Une partie de lui s'attendait encore à ce qu'ils cachent une arrière-pensée, une moquerie ou une insulte déguisée. Pourtant, ce simple sachet de tisane, fabriqué avec soin, suffisait à alléger son humeur. Il se promit de l'essayer le soir-même.

De retour chez lui, Drago ne tarda pas à ouvrir la documentation reçue le matin même. Il s'installa dans son fauteuil, la gorge nouée, et entama sa lecture. Les premières pages, qui décrivaient les symptômes et effets immédiats du Doloris, étaient déjà pénibles à lire. Mais ce fut la section scientifique, plus détaillée et clinique, qui le terrifia.

On y expliquait, en termes clairs, les dommages neurologiques irréversibles causés par des expositions répétées à ce sortilège. Certaines connexions dans le cerveau étaient altérées, voire complètement détruites. Avec le temps, cela menait à des séquelles graves : prédispositions aux maladies dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson.

Gregory était en train de détruire son futur, morceau par morceau.

Drago porta une main à son crâne, comme si ce simple geste pouvait évaluer l'étendue des dégâts. Il n'avait même pas vingt ans, et déjà, une partie de lui-même semblait se désagréger. Tout ça de la faute de Gregory.

Une pensée en entraînant une autre, il se rappela le baiser forcé de Gregory sur sa personne. Il en avait le goût, la sensation plus terrible que jamais. Il se sentait déposséder de sa bouche, de son être. Mais n'était-ce pas ridicule ? Ce n'était qu'un baiser… Oui mais c'était sur SA personne. Mais ce n'est pas grand chose ou peut-être que si. Drago balançait d'un côté et de l'autre pour finalement arriver à la détestable conclusion que si, c'était quelque chose d'affreux et qu'il s'en remettrait difficilement.

L'idée de le voir dans peu de temps à son propre domicile n'aidait pas à l'apaiser. Il aurait voulu déménager dans la minute ou faire mine de ne pas être là. Mais ça ne marcherait pas. Il avait la désagréable sensation que Gregory saurait où le trouver à toute heure du jour et de la nuit si l'envie lui prenait.

Subir et se taire, se dit-il.

Mais pourquoi déjà ? Cela s'estompait.

. . .

Il vécut cette accalmie comme un automate, accomplissant chaque jour son travail avec un zèle obsessionnel, presque maladif. Pendant deux jours, il s'attela à archiver minutieusement tout ce qui encombrait son bureau. Il créa des fiches qu'il regroupa dans un artefact magique : à chaque mot-clé prononcé, les fiches correspondantes surgissaient instantanément. Le processus était étrangement satisfaisant, et Drago ressentit une certaine fierté face à ce système parfaitement organisé.
Mais cette satisfaction s'évanouissait chaque fois qu'il quittait son bureau pour rentrer chez lui. Car là-bas, il savait qu'il retrouverait Gregory.
Le plus angoissant dans cette situation, c'était l'incertitude. À quelle heure viendrait-il ? S'il l'avait croisé chez Pansy à vingt heures, cela signifiait-il qu'il viendrait à la même heure ici ? Ou bien plus tôt ? Cette absence totale de contrôle sur la situation le rongeait.

Le trajet vers son appartement se déroula dans un silence pesant, ses pensées tournant en boucle. Lorsqu'il arriva enfin devant la porte de son immeuble, une main se posa soudain sur son épaule. Drago sursauta, bien qu'il ne fût pas vraiment surpris.
— Gregory…
— Bien, tu m'attendais.
Gregory resserra légèrement son emprise, un geste ni violent ni tendre, avant que Drago n'ouvre la porte. Il ne semblait pas chercher à dissimuler sa présence : après tout, rien ne l'y obligeait. Dans ces circonstances, il pouvait facilement se faire passer pour un ancien camarade venu rendre visite à Drago.

Ils pénétrèrent en silence dans l'appartement. Gregory referma la porte derrière eux, s'y appuyant un instant avant de tourner le verrou. Puis, avec une nonchalance presque théâtrale, il se mit à explorer les lieux comme s'il en était déjà le maître.
Drago resta dans l'entrée du salon, immobile, observant son visiteur avec une appréhension contenue. Dix-huit heures trente. Il était si tôt.
— Je m'attendais à ce que tu vives dans un endroit plus... faste que celui de Pansy, lança Gregory, l'air un peu déçu.
— Je suis navré que ma demeure te déplaise, répondit-il, le ton acerbe. Tu es libre de partir, si tu veux.
C'était imprudent, sans doute. Mais il ne pouvait s'empêcher de riposter, incapable de garder sa langue dans sa poche, même face à une situation aussi délicate.

Gregory s'attarda près du buffet où il y avait la fameuse photo de leur adolescence. Drago regretta de ne pas l'avoir mise ailleurs.
— Ça, c'était avant… Avant que tout parte en vrille. Avant que toi, toi, tu laisses tomber tout le monde.
— Pour la millième fois Greg… Je ne t'ai jamais laissé tomber.
— Tu ne veux toujours pas le reconnaître. Dis-le à Vincent. Dis-le à tous ceux qui ne sont plus là.
Drago sentit comme à chaque fois la culpabilité l'écraser. Vincent, Vincent, Vincent… C'était toujours lui que Gregory ramenait dans la conversation, comme une arme implacable pour raviver des blessures qui ne guériraient jamais. Pourtant son nom dans sa bouche devenait une chose abstraite. S'il n'y avait pas eu les effets secondaires pour lui rappeler la tragédie, Drago aurait peut-être été incapable de ressentir la moindre émotion devant cette litanie.

Gregory reposa le cadre sur l'étagère, non sans un dernier regard, puis s'avança lentement vers lui. Chaque pas semblait peser des tonnes dans le silence de l'appartement.
— Ah… Un an à Azkaban, c'est long. Très long. Pas assez pour certains, sans doute, mais quand même… ça marque, je te l'ai déjà dit, non ?
Il s'arrêta juste devant Drago, son ombre le dominant presque.
— Et pendant que moi je pourrissais là-bas, toi, tu étais où ? Ici ? Dans cet appartement… Qui te l'a trouvé ? Le Ministère même peut-être. On a tout fait pour toi. Quelqu'un te torche le cul, aussi ?
— Je n'ai rien demandé, murmura Drago.
— Rien demandé ? Gregory haussa un sourcil, incrédule. Tu es sérieux, là ? On t'a gracié parce que tu as craché sur ta propre famille, sur tes amis, sur tout ce qu'on représentait. Tu te rends compte de ce que ça signifie ?
Drago serra les poings, mais resta silencieux. Ce n'était pas lui, pas totalement, c'était son avocat, pensa-t-il.
Gregory pencha légèrement la tête, comme s'il examinait une bête blessée.
— Non, tu ne comprends pas, pas encore. Mais je vais m'assurer que ça finisse par entrer.
Sa voix s'était faite plus basse, presque un murmure, mais chaque mot était chargé d'une menace implicite.
Gregory se détourna soudain, brisant la tension, et alla s'asseoir sur le canapé, s'étalant comme s'il était chez lui. Il jeta un coup d'œil autour de lui, une lueur de mépris dans le regard.
— Tu sais quoi ? Cet endroit est pathétique, lâcha-t-il en désignant le salon d'un geste vague. Pas digne d'un Malefoy. Mais bon, après tout, est-ce que tu es encore vraiment un Malefoy ?
Il ne répondit pas, laissant Gregory à ses monologue, mais se recevait tout de même ses paroles comme des poignards.
— Fais-moi un thé, ordonna Gregory en croisant les jambes.
Drago resta immobile un instant, son esprit pris dans un tumulte de colère, de peur, et de honte. Pourquoi continuait-il à supporter ça ? Pourquoi ne disait-il rien ?
Parce qu'il le méritait ? Parce qu'il avait échoué ? Parce qu'il avait peur ?

Lentement, sans un mot, il se détourna et se dirigea vers la cuisine.
Derrière lui, Gregory ajouta, presque en riant :
— Oh, et ne tarde pas trop. On a toute une soirée devant nous, toi et moi, mais tout de même…
Drago attrapa une tasse et fit chauffer de l'eau. Il aurait voulu fuir, transplaner loin d'ici, mais il savait que ce serait inutile. Gregory le retrouverait. Et pire encore, il rendrait tout cela encore plus insupportable.
Il posa la tasse sur un plateau et laissa tomber le thé dans une théière, son esprit noyé sous un flot de pensées sombres.

Drago revint dans le salon, un plateau à la main, où trônaient la théière fumante et une tasse. Il posa le tout sur la table basse devant Gregory et recula aussitôt, restant debout près du mur, comme un soldat attendant des ordres.
— Qu'est-ce que tu fais là, debout comme un elfe de maison ? Tu as peur que je te morde ?
Encore une fois, il préféra ne rien dire. Plus ça allait et moins il osait répliquer. Son regard était fixé sur le tapis, son esprit tentant de maintenir une distance mentale, une carapace fragile qui menaçait de se briser à tout moment.
Gregory prit son temps pour se servir une tasse de thé, observant Drago du coin de l'œil.
— C'est étrange, dit-il finalement en soufflant sur son thé. Je t'ai toujours connu arrogant, sûr de toi. Et maintenant, te voilà… comme ça.
— Comme ça ?
— Eh bien, soumis, répondit Gregory en levant la tasse à ses lèvres. Dompté, presque. Ça me plaît, je l'avoue.
Drago serra les poings. Ce rat d'Azkaban jouissait trop de la situation, à siroter son thé, appréciant chaque seconde de cette scène. Il posa même sa tasse d'un geste faussement affecté, essayant de mimer sans y parvenir la noblesse des gestes d'un sang-pur, de Drago lui-même.
— Alors, dis-moi, Malefoy… C'est ici que tu te caches de ton glorieux passé ? Ce petit appartement minable, ce petit boulot d'archiviste ?
— Ce n'est pas minable, répliqua Drago, un éclair de colère dans la voix.
Gregory éclata de rire, un rire froid et moqueur.
— Oh, pardon, Monsieur l'archiviste ! Si tu le dis…
Il se leva soudain, d'un mouvement fluide, et s'avança vers Drago, qui recula instinctivement jusqu'à ce que son dos touche le mur. Gregory s'arrêta à quelques centimètres de lui, son regard perçant, dominateur. Il adorait pénétrer l'espace vital de Drago, il voyait son regard s'alarmer aussitôt.
— Montre-moi ta chambre.
— Quoi ? Drago le fixa, abasourdi.
— Ta chambre, répéta Gregory, comme si c'était une évidence. Tes habits, tes affaires. Je veux voir où tu dors, comment tu vis.
Drago sentit son estomac se nouer. C'était une intrusion, une humiliation déguisée en curiosité. Gregory ne se contentait pas de le blesser physiquement : il voulait posséder chaque parcelle de sa vie, de son espace.
— Pourquoi ?
Gregory haussa les épaules, un sourire faux aux lèvres.
— Parce que je le veux.
Drago hésita, son instinct lui hurlant de refuser, de poser une limite. Quelle idiotie d'avoir préféré son appartement à celui de Pansy. Pourquoi avait-il voulu éloigner cette fille de tout ça… Pourquoi avait-il joué à ce qu'il n'était pas ? Bon sang !
Lentement, il se détourna et se dirigea vers le couloir.
— Par ici, dit-il d'une voix qu'il tenta de rendre neutre.
Gregory le suivit, satisfait, faisant exprès d'alourdir son pas, pour qu'il ait peur. Quand Drago poussa la porte de sa chambre, il se sentit exposé, vulnérable.

C'était un espace simple, presque austère, avec un lit parfaitement fait, une armoire soigneusement fermée et quelques livres empilés sur une table de chevet.

Gregory jeta un coup d'œil autour de lui. Il ouvrit l'armoire d'un geste nonchalant, passant ses doigts sur les chemises blanches, les hauts parfaitement alignés, triés par couleur.
— Tout est si… ordonné, commenta-t-il en attrapant une chemise noire. Tu essaies de te donner une contenance ?
Drago resta près de la porte, les bras croisés, ses ongles s'enfonçant dans sa peau.
— C'est juste… rangé, répondit-il à voix basse.
Gregory rit doucement et reposa la chemise avant de se tourner vers lui.
— Non, Drago, ce n'est pas juste rangé. C'est un miroir de toi. Un contrôle désespéré, pour masquer ce chaos à l'intérieur.
Drago détourna les yeux, retint un soupir d'agacement. Gregory s'approcha lentement, réduisant à nouveau l'espace entre eux.
— Tu sais ce que je pense ? souffla-t-il, son visage à quelques centimètres du sien.
Drago ne répondit pas.
— Je pense que tu as peur. Peur de ce que je peux te faire. Peur de ce que toi, tu es devenu.
Les mots s'enfoncèrent dans l'esprit de Drago. Il avait peur, était incapable de comprendre qui se tenait devant lui. Jamais il n'avait vu son camarade aussi insaisissable que depuis sa sortie de prison. Soit il était illuminé d'une rage de troll, soit… Comme à présent, quelque chose de doucereux, de sale, le prenait. Qu'est-ce qu'Azkaban lui avait enseigné comme terribles ouvrages ? Sans être parfaitement renseigné, Drago n'était pas non plus naïf. Et la perversion de ce Golgoth tendrait à l'humilier d'une façon irréversible.

Gregory reparti se plonger dans son armoire de vêtements. Il en sorti un pantalon noir parfaitement coupé et une chemise blanche, agrémentée de liserés verts et argent au col et aux poignets, un écho discret mais évident à leur ancienne maison de Poudlard.
— Parfait, annonça-t-il, en sortant les pièces avec une aisance calculée. Tiens, mets ça.
Drago fronça les sourcils.
— Quoi ?
— Mets-les, répéta Gregory calmement, mais son regard n'admettait aucune contestation. Ça me rappelle des souvenirs… Je veux voir si tu as toujours l'air du petit prince de Serpentard.
Drago prit les vêtements à contrecœur, ses doigts tremblants à leur contact. Ses pensées voguaient à mille à l'heure, essayant de comprendre jusqu'où comptait le traîner ce fou.
— Fais vite, ajouta Gregory, son ton devenant un peu plus tranchant. On ne va pas y passer toute la soirée.
Drago hésita, mais finit par se détourner, se dirigeant vers la porte de la chambre.
— Oh non, fit Gregory d'une voix douce mais impérieuse. Ici. Tu te changes ici, devant moi.
— Gregory… protesta Drago, sa voix à peine audible.
— Ici, répéta-t-il, appuyant son ordre d'un regard froid.
Drago inspira tout doucement, sentant la tension dans la pièce s'intensifier. Il serra les vêtements contre lui alors qu'il cherchait désespérément une échappatoire. Mais il n'en trouva aucune.

Lentement, presque mécaniquement, il commença à déboutonner sa chemise, les gestes lourds et maladroits. Il évitait soigneusement le regard de Gregory, mais il sentait ses yeux sur lui, pesant comme un poids tangible.
Gregory, toujours assis sur le lit, ne quittait pas Drago des yeux. Il s'était légèrement avachi, ses bras croisés, mais ses prunelles sombres fixaient chaque mouvement. Il buvait la scène, savourait chaque seconde, un sourire mince flottant sur ses lèvres.
— Voilà, murmura-t-il d'un ton presque satisfait. Continue.
Les yeux de Drago lançaient des éclairs. La pièce semblait oppressante, comme si les murs eux-mêmes étaient complices de ce moment. Il n'était pas sûr d'être capable d'assumer sa propre personne dans ce lieu, même les jours suivants. Il enleva finalement sa chemise, révélant sa peau marquée çà et là d'hématomes, souvenirs de Gregory et de ces semaines où chaque rencontre ressemblait à une sentence.
Gregory redressa légèrement le menton, ses yeux brillant d'une lueur perverse alors qu'il laissait son regard glisser sur le torse de Drago.
— Toujours aussi élégant, murmura-t-il avec une lenteur délibérée. Et toujours aussi… fragile.
Il baissa les yeux, refusant de croiser ce regard qui semblait le réduire à l'état d'un objet, d'un trophée. Il enfila rapidement la chemise blanche, s'en voulut d'avoir autant de mal à la boutonner, à cause de l'attention étouffante de Gregory.
— Doucement, reprit Gregory d'un ton légèrement moqueur. Pas besoin de te précipiter. J'ai tout mon temps.
Drago serra les dents, mais il ne répondit pas. Une fois la chemise ajustée, il attrapa le pantalon noir et tourna instinctivement le dos à Gregory pour s'en défaire de l'ancien.
— Pas de cache-cache, Drago, fit-il remarquer d'un ton amusé mais ferme. Je veux voir.
Il s'immobilisa, le visage chauffant d'humiliation. Par Merlin, qu'il aille se faire voir, pensa-t-il tout en pivotant pour lui faire face, coincé, piégé dans ce jeu pervers.
Gregory ne disait rien, mais tout dans son expression parlait. L'intensité de ses yeux, le léger sourire au coin de sa bouche, la position décontractée de son corps... tout indiquait qu'il savourait pleinement le pouvoir qu'il exerçait.

Quand Drago eut terminé de se changer, Gregory se redressa légèrement, laissant son regard parcourir l'ensemble de sa silhouette.
— Parfait, murmura Gregory en penchant la tête. Comme au bon vieux temps.
Il se leva, fourra un instant les mains dans ses poches, l'attitude d'un proxénète face à une fille. Il vint devant lui et attrapa le col de sa chemise, comme pour l'ajuster.
— Tu vois ? Comme je te l'ai dit, tu es toujours le petit prince. Mais maintenant… tu es mon petit prince.
Drago serra les poings, les ongles mordant la paume de ses mains.
— C'est bon, maintenant ? T'as fini ? demanda-t-il, la mâchoire serrée.
— Pas encore… Tu es loin d'avoir tout vu.
Il recula, laissant son regard glisser une dernière fois sur Drago, comme un collectionneur admirant une œuvre rare.
— Tu es exactement comme je l'imaginais, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour Drago. Une œuvre bien trop fragile… mais tellement agréable à regarder.
Drago le regarda droit dans les yeux. Il était blanc de rage. Il s'apprêta à lui poser une question, mais Grégory le coupa :
— Bien, reprit Gregory en revenant s'asseoir sur le bord du lit. Maintenant, apporte-nous une bouteille et deux verres. Je suis sûr que tu as de bons alcools. On continuera la soirée ici, dans ta chambre.
Il ferma les yeux brièvement, comme pour méditer l'idée, puis ramassa sa chemise ainsi que son pantalon. Sur une chose, Gregory avait raison : il avait un besoin insatiable d'ordre.

Drago alla d'abord déposer ses habits dans la salle de bain, puis se dirigea vers la cuisine. Il avait effectivement quelques bouteilles d'alcool de bonne qualité. Non qu'il en consomme régulièrement, mais il avait grandi avec l'image de son père et de son mini-bar aux flacons précieux, soigneusement alignés. Parfois, Drago s'accordait un verre, prenant le temps de contempler son reflet dans le miroir, cherchant à y retrouver les traits nobles et austères de Lucius Malefoy. Il admirait encore son père, envers et contre tout.

Pourtant, il n'était pas question d'offrir à Gregory ses meilleurs crus. Il attrapa une bouteille de qualité moyenne, un cadeau de Blaise, et prit deux verres.

De retour dans la chambre, il déposa le tout sur la commode et déboucha la bouteille. Tandis qu'il versait une généreuse rasade dans un verre pour Gregory, ce dernier lança sans détour :
— Toi aussi, sers-toi.
Drago, le visage impassible, se versa une petite quantité d'alcool, bien loin de l'enthousiasme qu'il aurait pu éprouver en d'autres circonstances.
Il tendit le verre à Gregory et alla s'appuyer contre la commode, tenant le sien d'une main ferme.
— Tu veux me saouler à présent ? demanda-t-il sèchement.
Gregory esquissa un sourire suffisant.
— Pourquoi pas ? Je me demande ce que donne un Malefoy ivre.
Drago plissa les yeux, la tension dans sa mâchoire trahissant la colère qu'il contenait difficilement.
— Ton obsession pour moi commence à réellement m'énerver, gronda-t-il, sa voix vibrante de mépris.
Gregory fit tourner le liquide dans son verre, ses yeux rivés sur Drago comme s'il scrutait chaque fibre de son être.
— Bois, insista-t-il doucement, d'un ton presque enjôleur. Fais-moi plaisir, Drago.
Drago porta son verre à ses lèvres, mais ne prit qu'une petite gorgée. Le goût de l'alcool lui brûla légèrement la gorge, mais il garda une expression neutre. Gregory ne sembla pas satisfait.
— Ça, c'est pas boire, ricana-t-il, ses doigts tapotant le rebord de son verre. Allez, un vrai verre cette fois. Tu n'es plus un gamin, pas vrai ?
Drago resta silencieux, le regard fixé droit devant lui. Il refusait de répondre à la provocation.
— Ce n'est pas une demande, ajouta-t-il, sa voix devenant plus basse, plus dure.
D'un geste, il se leva et prit le verre des mains de Drago et y versa une quantité bien plus généreuse d'alcool. Il le lui tendit à nouveau, le regard perçant.
— Bois tout ça. Maintenant.
Le cœur de Drago manqua un battement. L'idée de se retrouver vulnérable sous l'effet de l'alcool, face à Gregory, le terrifiait plus que tout. Mais refuser d'entrée de jeu lui sembla pire encore. Lentement, il prit le verre et avala une gorgée plus grande cette fois, ses doigts crispés autour du cristal.
Gregory sourit, satisfait, et recula d'un pas pour aller s'asseoir à nouveau sur le lit.
— Alors ? Ce n'est pas si difficile. Peut-être qu'avec un peu d'alcool, tu apprendras enfin à te détendre.
Drago garda la bouche close. Il voyait bien que Gregory cherchait une réaction, un mot, un regard qu'il pourrait exploiter. Il lui offrirait le moins possible, même si Gregory n'avait pas besoin de grand-chose. Il se contenterait de sa simple présence.
— Dis-moi, Drago, murmura-t-il, tout en croisant les jambes d'un air nonchalant. Quand est-ce que tu as perdu tout ce que tu étais, hein ? Ce prince de Serpentard que tout le monde admirait, où est-il passé ?
Il laissa un silence planer, comme pour donner plus de poids à ses paroles.
— Ah, je sais. Il est mort avec Vincent, n'est-ce pas ?
Le nom claqua dans l'air comme un coup de fouet. Drago plissa les yeux. L'ombre de ce foutu fantôme le harcelait comme la pire des Mimi geignarde.
— Tu veux encore parler de Vincent, alors ?
— Pourquoi pas ? Après tout, on a toute la soirée pour ça, pas vrai ?
Il fit un signe vers le verre de Drago.
— Mais avant, finis ça.
Drago leva lentement le verre à ses lèvres, avalant une nouvelle gorgée. Ça faisait trois à présent. L'alcool lui chauffait la gorge et l'esprit. Il s'efforça de ne pas penser à l'ivresse à venir.
— Voilà, c'est bien, susurra Gregory. Regarde toi un peu. Tu sais obéir quand tu veux.
Gregory posa son verre sur le sol même de la chambre, ce qui fit sourciller Drago et son penchant pour l'ordre et se leva. Il revint à lui, incapable de rester éloigner trop longtemps on dirait. Cette fois, il posa une main sur son épaule, un geste presque tendre mais qui fit frissonner Drago.
— Je vais te dire un secret, murmura-t-il à son oreille. Tout ça, ce petit jeu e soir, ce n'est pas pour te détruire. Pas vraiment. C'est pour te rappeler que tu m'appartiens, Drago. Que sans moi, tu n'es rien.
Il recula légèrement pour plonger son regard dans celui de Drago, cherchant une étincelle, une faille.
— Alors, sois un bon garçon. Assieds-toi là, finis ton verre, et fais ce que je te dis.
Gregory le relâcha et retourna s'asseoir. Ses yeux ne quittèrent pas Drago une seule seconde, surveillant chacun de ses mouvements comme un marionnettiste évaluant les fils qui maintenaient sa création debout. Ce dernier resta immobile quelques secondes pesant le pour est le contre. Finalement, il vint s'asseoir à son tour, à l'extrême opposé de lui. Sa posture raide trahissait son inconfort. Il gardait les mains sur ses genoux, crispées, comme pour s'empêcher de trembler. Gregory, de son côté, s'enfonça un peu plus dans le matelas, prenant une position décontractée, presque paresseuse. Mais il ne quittait pas Drago des yeux, pas une seule seconde.
— Voilà qui est mieux, tu ne crois pas ? Souffla Gregory, un sourire effleurant ses lèvres.
Il profitait de cette scène, comme un met délicat à déguster lentement. Pour Gregory, tout était un jeu, une danse perverse où chaque mouvement de Drago, chaque tic nerveux, devenait une victoire à savourer.
— Regarde-toi, continua-t-il, sa voix doucereuse, presque moqueuse. Si raide, si tendu. Tu ressembles à un chaton effrayé.
Drago souffla par le nez, agacé. Cela bien sûr n'échappa pas à Gregory.
— Oh, ne fais pas cette tête, Drago. Ce n'est pas une honte. Après tout, c'est moi qui ai les cartes en main, non ?
Il tendit la main, comme pour effleurer le genou de Drago, mais ce dernier recula légèrement, son corps tout entier tendu comme un arc. Gregory se contenta de rire doucement, un son bas et contrôlé, qui résonna dans la pièce.
— Sois pas si nerveux. Tu sais, c'est ça qui rend ce jeu si divertissant. Si tu te rebellais complètement ou, pire encore, si tu te soumettais docilement, ce ne serait pas drôle. Mais toi, tu te tiens toujours sur le fil…
Il fit une pause, penchant la tête comme pour étudier Drago sous un nouvel angle.
— …comme si tu essayais encore de prouver quelque chose. À moi ? À toi-même ? Ou peut-être à ce père que tu admires tant ?
L'évocation de son père le prit par surprise.
— La ferme, ne parle pas de ma famille !
— Ah, touché, murmura-t-il avec un éclat malveillant dans les yeux.
Il changea légèrement de position, se penchant en avant, les coudes sur les genoux, son regard planté dans celui de Drago.
— Voilà la vérité, Drago, susurra-t-il, sa voix basse et contrôlée. Je pourrais te briser si je le voulais. D'un claquement de doigts. Mais ce serait trop simple, trop… banal. Non, ce que j'aime, c'est ce moment précis.
Il leva une main, comme pour dessiner un cadre autour de Drago.
— Ce moment où tu es assis là, tendu, en train de peser chacune de mes paroles, chacune de mes intentions. Ce moment où tu essaies désespérément de garder un semblant de contrôle, alors que tu sais très bien que c'est une illusion.
Drago finit par relever les yeux, son regard brûlant de haine, mais Gregory ne fit que sourire davantage.
— Tu vois, c'est ça qui est fascinant, conclut-il. La façon dont tu refuses de plier complètement, même quand tu sais que tu as déjà perdu. C'est beau, presque poétique.
Son sourire s'étirant dans une expression de triomphe tranquille.
— Alors, Drago, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Allez, surprends-moi.