Surprise ! En fait, j'avais déjà de quoi poster, mais je l'ignorais.

Je vais tenter de reprendre cette fic, mais vous commencez à me connaître, hein… Pas de faux espoir !

Bonne lecture !


Link traversa les jours précédant leurs départs dans une brume confuse. Sa conversation avec Zelda lui avait permis de vocaliser des inquiétudes qu'il ignorait jusque là, son absence lui pesant plus lourdement que jamais.

Il passa ce temps à se cacher pratiquement dans son atelier, fixant son matériel comme s'il allait prendre vie et sortir de la pierre la silhouette qui s'y cachait.

Mais quelle silhouette ?

Il avait étalé face à lui tous les croquis qu'il avait effectué depuis le début de leur contrat pour les passer en revue et la conclusion qu'il en tirait l'affolait.

Même le crayonné le plus superficiel et le moins abouti présentait les angles caractéristiques du démon.

Bien sûr, il avait conscience de l'obsession qu'il l'habitait, ne se voilant pas la face à ce sujet, mais il était resté ignorant du nombre colossal que ça représentait. Et ils ne se connaissaient que depuis moins de deux semaines ! À quoi cela ressemblerait-il quand ce sera plus ?

Mais il n'y aura jamais plus, il devait se reprendre et cesser de s'enfoncer dans ses rêveries…

Du gras du pouce, il estompa une ligne sur le portrait le plus réussi qu'il avait réalisé. Il était correct dans l'ensemble mais bien loin de l'original, toujours incapable de figer l'aura dangereuse qui l'attirait plus que tout.

Cette réflexion le fit gémir pitoyablement et se cogner le front contre la table de dessin.

Il avait toujours été un passionné. Il n'était jamais plus perfectionniste qu'entre ces murs.

Et le voilà, frustré de son incapacité à réaliser un simple croquis.

Sa carrière professionnelle était loin d'être longue mais il avait appris à dessiner avant même d'écrire, peaufinant son style à la moindre ouverture, année après année, ni les remontrances ni les punitions de toutes sortes ne lui faisant changer d'avis ou bifurquer.

C'était son chemin, il le suivra jusqu'au bout !

Il avait tracé des dizaines de milliers de portraits, de paysages, de natures mortes et des exercices d'anatomies artistiques. Sa main était sûre, ne tremblant que sous le coup de l'émotion, comme lors de cette incroyable opportunité que lui avait offert le Saint Siège.

Il avait un sens artistique qui avait été reconnu par ses pairs et nombre de critiques d'arts. Il peinait de moins en moins à décrocher des contrats pour être exposé – enfin, c'était Zelda qui avait moins de difficulté à les obtenir – et avait même eu à réaliser quelques discours publics !

Tout le dépassait et ce n'était que le début de cette folle aventure de ce qu'on lui murmurait.

Mais c'était avant de faire la rencontre du seigneur démon. Avant que la perfection de sa plastique, si différente des normes auxquelles il était habitué, avec lesquelles il avait composé tout ce temps, qui avaient sculpté sa vision du monde et lui avaient permis d'identifier le beau du laid, ne bouleverse tout ce qu'il prenait pour acquis.

En entrant dans sa vie, Ghirahim avait renversé bien plus que son cœur.

Et le voilà, Link, petit sculpteur prodige débutant bien gentiment sa belle carrière pleine de succès, vidé de toute ressource, incapable de se libérer de la frénésie que cette muse lui inspirait, griffonnant sans repos des ébauches qui n'amenaient qu'à plus de frustration et de larmes amères.

Il n'avait que peu d'ego mais il avait apprécié chaque petit mot, chaque compliment vouée à ses réalisations bien plus que ceux ciblant sa personne.

Et maintenant, on lui retirait ça ?

Était-ce une ignoble vengeance pour avoir commis l'acte stupide d'invoquer un démon pour assister au mariage de sa meilleure amie ? Le prix à payer pour son égoïsme, les prémisses d'une témérité bien justifiée après avoir extrait de la pierre la plus pure les traits divins de la plus grande des déesses ?!

Son âme n'aura donc pas été suffisante ?

Link se redressa subitement, comme piqué au vif, à la réalisation. Comme paiement pour la venue de Ghirahim dans leur plan, il aura à céder son âme, le souffle de sa vie, précipité dans le monde infernal afin d'y être persécuté jusqu'à l'absolution totale de ses péchés.

Peu importait que ce fut à la seconde où leur marché sera considéré comme achevé ou à l'échéance de sa vie, le résultat serait le même.

Le démon avait marqué tout son être de sa griffe, figurativement et littéralement.

Peu important qu'il vive des jours ou des siècles à son départ, il sera toujours , l'empoisonnant et le détournant de l'avenir qui lui était offert sur un plateau.

D'un artiste reconnu pour son travail, il deviendrait une épave vide et frustrée par son incapacité à accéder à la représentation de cette magnificence…

De nouveau prostré et absolument pas mélodramatique pour un sou, le jeune hylien eut une révélation. Deux, en fait. Trois ?

Le but de son existence sera vouée à immortaliser le déjà immortel seigneur démon.

Il y aura sûrement d'autres démons au mariage où Ghirahim avait l'intention de l'emmener…

Et son âme n'avait pas été requise en paiement pour l'invocation.

Plein d'espoir, il quitta en trombe son atelier pour dénicher où il avait rangé le contrat, ne prêtant pas attention à l'autre signataire qui haussa un sourcil à son passage précipité.

Avec des mains tremblantes, il tourna les pages, les yeux glissant d'une ligne à l'autre avant qu'il n'étouffe l'exclamation ravie contre le papier.

Il avait les moyens de ses ambitions. Son ambition. Il avait une âme. Une âme disponible.


Même s'ils s'endormaient chacun à un bord du lit ou se couchaient à des heures différentes, Ghirahim ouvraient inévitablement les yeux sur les mèches en bataille, et ce matin n'y fit pas exception.

Pendant la nuit, Link avait lentement migré contre lui, à la recherche d'une chaleur pourtant absente de son organisme, mais il s'obstinait, nuit après nuit, à s'accrocher à son cadre et à se blottir contre lui, recroquevillé contre son côté.

Sa respiration était légère, quasi inaudible, caressant sa peau nue à chaque expiration. Ses traits étaient plus détendus encore qu'à son éveil, amplifiant son aura innocente bien que l'absence de ces yeux bleus si purs et vifs était une vraie tragédie.

Mais dormir les yeux ouverts n'avait rien de très séduisant…

Peu hâtif à l'idée de s'extirper de l'étreinte et du lit confortable, le seigneur démoniaque glissa une main dans les boucles indisciplinées, les caressant pensivement, observant le plafond.

C'était aujourd'hui qu'ils devaient se rendre sur son plan natal afin de permettre à son petit maître de s'y adapter et, au besoin, de trouver une solution.

C'était risquée, aussi bien pour son organisme que pour leur relation.

Link ne serait pas le premier vivant qu'il ramènerait chez lui, bien au contraire. Certains par la contrainte, d'autres pour le plaisir, et chacun avait réagi différemment au contact d'une atmosphère dénuée des miasmes encombrant les divers éléments nécessaires à leurs existences, sans parler du rayonnement… démoniaque que produisait leur maître à tous et qui était bien souvent la donnée inconnue dans cette équation géante.

Et ce n'était pas comme s'il allait pouvoir éviter cette rencontre, vu que c'était pour le mariage de son souverain qu'il avait accepté cette alliance ridicule !

Inconsciemment, Ghirahim serra sa prise sur les cheveux, manquant de peu d'enfoncer ses ongles pointus dans le cuir chevelu, un gémissement d'inconfort échappant à l'objet de ses pensées.

Mais, rôdé aux tentatives désespérées de Zelda pour le réveiller, il n'ouvrit pas les paupières pour autant et se renfonça aussi sec dans ses songes, sous l'observation préoccupée de son partenaire qui mesurait subitement toute la fragilité et la préciosité des favoris d'Hylia.

Il avait eu à nettoyer bon nombres de bavures, attisé quantité de braises menant aux conflits et se targuait que les seuls sentiments qui émanaient de son cœur n'étaient dirigés qu'à l'intention de deux personnes : lui-même et l'Avatar du Néant. Et le voilà maintenant, à se soucier d'un faiblard petit hylien qu'il pouvait briser d'un claquement de doigts – littéralement – et à rester éveillé des heures durant pour assurer son confort, à compter ses respirations et capter les battements de son cœur.

Il ne se reconnaissait plus.

Mais, étrangement, cette réalisation ne le dérangeait pas tant que ça.

Il déposa pensivement un baiser parmi les mèches folles, les entortillant autour de ses doigts.

Ils allaient bientôt avoir à se lever mais Ghirahim souhaitait le repousser le plus longtemps possible.

Et, c'est évidemment alors que cette pensée naissait en son esprit que son petit maître commença à s'agiter, signes précurseur de son éveil.

— Tellement décevant, soupira le démon.

Quelques geignements retentirent alors que le visage poupin se tordait en grimaces amusantes avant que les paupières ne s'agitent pour enfin s'ouvrir, dévoilant la couleur si captivante.

— Parfait, je commençais à ne plus sentir mon bras.

Et, sans commenter plus, Ghirahim se redressa, faisant tomber Link sur le matelas, et quitta leur couche commune, s'étirant dans toute sa glorieuse nudité.

La tension et les nœuds traversèrent ses membres alors qu'il les chassait grâce à ses étirements.

Il n'avait pas besoin de se retourner pour le vérifier, sentant le poids du regard de son contractant glissant sur sa structure, l'admirant.

C'était toujours très agréable de se sentir désiré, admiré, vénéré. Ç'avait toujours été son but, le sens de sa vie. Il était un esthète, aimait les belles choses et s'en entourer, se mettre en valeur et supprimer quiconque pouvant lui faire concurrence.

Séduire, entretenir l'attirance, se créer une cour et faire se battre ses différents prétendants, se faire désirer tout en restant inaccessible.

Bien peu d'élus avaient obtenu le grand privilège d'effleurer sa peau sans défaut, et uniquement sous ses conditions.

C'était lui qui décidait quand, où, comment et avec qui.

Glissant dans son peignoir, il quitta la chambre pour rejoindre la salle d'eau, ignorant volontairement le geignement plaintif s'élevant derrière lui.

Alors que l'eau frappait son corps, ses pensées continuèrent de vagabonder.

Il s'était offert très tôt, très vite, à ce petit mortel, s'investissant beaucoup trop, au-delà des limites qu'il s'était fixé, des siècles plus tôt.

Peut-être devenait-il trop vieux pour toutes ces invocations ? Peut-être cette mission sera sa dernière.

Il avait tout vu, trop vu, et commençait à se lasser de tout cela. Il allait finir par faire des bêtises – s'impliquer autant qu'il le faisait pour ce contrat n'était qu'une parmi d'autres.

Dans quatre jours, tout prendra fin. Les deux partis auront leur marché de rempli et ils pourront alors se dire adieu…

Rasséréné par cette conclusion, il quitta la cabine et commença par sa routine de soin, concentré.


Laissé seul dans le lit – avait-il toujours été si grand, si vide, si froid ? – Link observait l'oreiller de Ghirahim, pensif.

Aujourd'hui, ils devaient se rendre au Pandœmonium, la capitale du plan démoniaque, afin de s'assurer qu'il pourrait en supporter l'atmosphère.

Faire une crise en pleine cérémonie nuptiale serait un affligeant manque de savoir-vivre !

Certes, Ghirahim n'avait pas été le plus courtois des hôtes, ne s'embarrassant pas à camoufler mépris et dédain, mais il avait tenu son rôle à la perfection. Il n'était que justice de lui rendre la faveur ! Et pas uniquement parce que leur contrat le stipulait.

Link était quelqu'un de droit, s'inquiétant du bien-être de tous ceux croisant son chemin – bon, peut-être pas Hergo, mais ils avaient un passif – qui renvoyait toujours l'ascenseur quand il le pouvait.

C'était aussi pour ça que Zelda s'était imposée en tant que son agent : sans elle, nul doute aurait-il bradé ses œuvres sans y réfléchir plus que nécessaire, juste heureux de rendre heureux, sans mentionner les entourloupes de toutes sortes.

Impa avait pris l'habitude de soupirer qu'il avait l'âme trop pure pour ce monde. Ou qu'il était juste un gros niais, selon l'humeur du moment.

Frissonnant, il s'assit, fourrageant dans ses cheveux et se frottant les paupières de ses paumes, le drap glissant sur sa peau nue.

La douche se coupa en fond, l'encourageant à sortir du lit et de commencer les préparatifs du petit-déjeuner. Mais d'abord, il se frotta de l'eau sur le visage depuis l'évier de la cuisine.

Une fois un peu plus réveillé, il était temps de faire valser les casseroles…


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