CHAPITRE 17

29 Décembre 1977

Sirius déglutit.

Se reprenant petit à petit sous le regard inflexible d'Ethel, il lâcha d'une voix grave :

- D'accord ...

Sirius abaissa sa main et Ethel se recula avec un sourire satisfait retrouvant sa place à ses côtés. La jeune femme souriante reprit son bol de myrtilles et le grignota comme si de rien n'était, appréciant parfois son chef d'œuvre d'un coup d'œil.

Le choc du Black un peu passé, ils reprirent leur conversation naturellement. Ils rigolaient et se taquinaient. Adossés contre le bord du canapé avec quelques coussins, ils profitaient de la chaleur du feu de cheminée. C'est comme ça que les trouvèrent Remus et Mary une heure plus tard.

Le couple s'arrêta sur le seuil en voyant les têtes de Sirius et Ethel se tourner vers eux. Remus afficha alors un air perdu, tandis que Mary souriait doucement. Le préfet commença alors sceptique :

- Patmol, tu es courant pour ...

Il moulina sa main sur le dessus de sa tête pour illustrer le palmier du Black. Celui-ci sembla se souvenir de sa coiffure atypique et porta une main au chouchou. Ethel la tapota et rappela :

- J'ai dit pas touche !

Sirius baissa sa main et haussa les épaules avant d'ouvrir la bouche avec un air malicieux. Ethel sembla comprendre que ce qu'il allait dire ne serait pas à son avantage. Elle posa donc sa main sur sa bouche. La jeune femme déclara fermement :

- De toute façon, on va bientôt déjeuner et on doit se laver avant.

Elle regarda Sirius comme pour chercher confirmation, cependant ses yeux s'agrandirent sous le choc. Le saligaud, il lui avait léché la main ! Aussi alors qu'elle éloignait sa main, elle s'exclama renfrognée :

- On a dit "laver", pas lécher !

Le brun lui fit un clin d'œil et Ethel roula des yeux avant de se lever sous les rires du Black. Elle attrapa sa serviette à moitié sèche, puis monta à l'étage. Dans sa chambre, elle laissa sa serviette sale dans la panière à linge. Elle partit ensuite dans la salle de bain, se déshabilla et prit une bonne douche. Après avoir éliminé toute crasse de son corps, la jeune femme libéra rapidement la salle de bain. Dans sa chambre, elle enfila sa tenue du jour constituée d'un jean et un grand pull bleu marine à col roulé. Profitant de l'absence de sa mère pour la critiquer, Ethel enfila une grosse paire de chaussettes grises en guise de chaussons.

Elle descendit ensuite au rez-de-chaussée où elle retrouva Remus et Mary dans le petit salon. La blonde se trouvait dans les bras du brun et ils discutaient allègrement. Ethel eut l'impression de les interrompre, mais la née-moldue insista gentiment :

- Tu ne nous dérange pas, viens.

Remus confirma en hochant doucement de la tête et Ethel s'assit sur un des fauteuils. Mary l'inclut dans leur conversation et supposa :

- Toi, tu veux toujours devenir Auror.

- Oui, affirma Ethel, je ne pense pas que ça change un jour ... Et toi alors ?

- Je me vois bien devenir Guérisseuse ... Je sais que ça fait pas mal d'années d'apprentissage mais je sens que je peux le faire, songea la née-moldue avant d'ajouter sombrement, et puis on risque d'en avoir besoin ...

- Remus ?

- J'aimerais bien passer la certification pour devenir précepteur, expliqua Remus, j'ai toujours aimé répondre aux questions des premières et deuxièmes années sur les cours.

- C'est bizarre, mais ça m'étonne pas de toi, commenta la jeune femme amusée.

- Moi non plus Lunard ! rigola Sirius.

Ethel sursauta. Depuis quand était-il là ? Assez longtemps pour avoir entendu Remus en tout cas. Sans se laisser le temps de réfléchir, Ethel alla dans la cuisine et demanda à Hinny où en était le déjeuner. L'elfe lui affirma que tout était prêt et n'attendait plus que les jeunes amis. Ils passèrent donc tous les quatre à table où ils dégustèrent un des fameux ragoûts de l'elfe et ce dans la bonne humeur.

Ethel ne mangea pas tant que ça, car elle avait grignoté pas mal de groseilles. Elle mit tout de même un point d'honneur à finir son assiette avant de se reculer contre le dossier de sa chaise l'estomac bien calé. Suite au repas, les amis s'installèrent dans le petit salon.

Dans la pièce aux teintes chaudes, chacun prit confortablement place avec habitude. Mary lisait un livre moldu offert par sa famille, calée contre Remus dans le canapé. Celui-ci jouait aux échecs sorciers avec Ethel qui était assise à même le sol avec des coussins. Le tout sous l'œil léthargique d'un Sirius qui flemmardait dans un fauteuil.

Le Black s'endormit à un moment donné laissant ses camarades à leurs occupations. Remus et Ethel enchaînaient les parties communes tandis que Mary tournait avidement les pages de son roman. Sirius ne se réveilla que quand Hinny arriva dans la pièce, elle apportait un plateau pour prendre le thé. L'elfe servit quatre tasses fumantes et les distribua avant de disparaître à nouveau.

- J'aime beaucoup ton elfe Ethel, fit Sirius somnolent, se faire réveiller comme ça c'est le pied !

- Tu dirais pas ça si elle te réveillait le matin dans ta chambre, marmonna la Doge.

- Plutôt brutal le réveil, confirma Mary qui avait pu tester.

Sirius ne répondit pas et se contenta de boire son thé en haussant des épaules. Remus et Ethel terminèrent leur partie d'échecs en cours ce qui sembla terminer de réveiller le Black puisqu'il insista pour jouer à la grande surprise des deux joueurs. Sirius ne jouait quasiment jamais aux échecs, car il trouvait ça long et qu'il avait peu de patience. Remus refusa donc de jouer connaissant très bien le phénomène et préféra prendre un livre pour bouquiner, enlacé contre sa petite amie.

Ce fut donc Ethel qui se retrouva en face du brun avec le plateau entre eux deux. La partie avait à peine commencée que le Gryffondor faisait des siennes :

- Bon tu joues ?

- Sirius ... avertit la jeune femme.

- Quoi ? Tu as qu'à jouer plus vite !

Ethel fusilla son ami du regard avant de l'ignorer et de continuer de réfléchir sans faire attention à lui. Elle déplaça son pion et Sirius souffla, exaspéré de la voir réfléchir autant pour un pion. La partie continua ainsi et Ethel ne prenait absolument aucun plaisir à jouer tant Sirius était un gamin. Aussi alors que le Black râlait une énième fois, Remus ordonna :

- Patmol, tais-toi.

Le concerné ouvrit la bouche pour résister mais Ethel confirma renfrognée :

- Oui, Black tais-toi.

Le visage du joueur se ferma alors et il devint étonnamment silencieux. Ethel joua son coup et Sirius fit de même instantanément, la mine sombre. La partie se termina bien vite ensuite et Ethel gagna haut la main. La jeune femme ne prit même pas de plaisir à sa victoire tant elle sentait le brun renfermé. Le Maraudeur resta en retrait les minutes restantes avant le dîner.

Au point où Ethel se demandait ce qu'elle avait bien pu faire. Le dîner se passa plutôt tranquillement ,mais l'humeur maussade de Sirius flottait toujours comme une ombre. Après le dessert, Remus et Mary s'éclipsèrent rapidement. Ces derniers jours, ils étaient plus amoureux que jamais et Ethel se demandait s'ils avaient passé le "pas". Aussi elle se tourna amusée vers Sirius dans l'objectif d'obtenir son avis, mais s'arrêta devant son visage morne.

- Sirius, ça va ?

- Ah tiens, c'est Sirius maintenant ... commenta sombrement le brun.

- Pardon ? s'étonna Ethel.

Le jeune homme ne répondit pas et la châtaine analysa son visage, incertaine. Elle avait rarement vu son ami aussi perturbé. Son visage ne dégageait aucune émotion. Il était sur la défensive.

- Sirius ? appela la jeune femme.

Il leva ses yeux et les planta dans ceux de la Doge. Celle-ci recula par réflexe tant sa gorge se serra. Les yeux gris de Sirius étaient tempétueux. Comme le jour où elle l'avait empêché de s'en prendre à son frère, ses yeux gris reflétaient toute sa torture interne. La colère, la souffrance, les regrets, la peur, tout ça en un seul regard.

C'était si fort, si intense. Ethel aurait pu en détourner le regard, mais elle était trop fascinée dans sa contemplation. Ses lèvres s'entrouvrirent, sa respiration commençait à se raréfier. Elle aurait pu dire quelque chose. Elle aurait pu faire un geste. Elle aurait pu faire tant de choses ...

Elle en était incapable.

Elle le regardait. Il la regardait. Le temps semblait s'être arrêté. C'était comme s'ils se voyaient pour la première fois.

Les secondes passèrent, les minutes passèrent. Ethel se demandait ce qui pouvait avoir autant bouleversé Sirius. Pourquoi était-il comme ça ? Comme dans un souffle, elle lâcha :

- Dis-moi ...

- Quoi ? grogna Sirius. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

- Dis-moi. Explique-moi. Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Tu ne comprendrais pas ...

Ethel se leva de sa chaise et marcha en rond quelques instants. Elle était furieuse ! Alors, elle, elle devait se tremper ! Elle devait s'ouvrir ! Mais lui, non ! Il ne faisait pas un pas en avant ! Elle était là, patiente. Elle avait compris et attendu, mais là ! Là ! Là c'était ridicule !

- C'est sûr que je ne risque pas de te comprendre si tu ne m'explique pas ! Pourquoi ?! Pourquoi tu te fermes comme ça ?! Pourquoi, moi, je dois m'ouvrir pour me prendre un mur en face ?! Pourquoi ne comprends-tu pas que je ne cherche qu'à comprendre ?!

Elle se rapprocha de lui en pointant son index sur lui. Ethel n'en pouvait plus. Elle n'en pouvait plus de sentir la souffrance de Sirius, de ne rien pouvoir y faire. Ça apparaissait comme par magie et ne disparaissait pas à moins que Sirius ne prenne la fuite ! Il était là pour elle ! Pourquoi ne pouvait-elle être là pour lui ?!

Sirius se mit debout à une vitesse fulgurante. Faisant tomber sa chaise dans son empressement, il lui tourna le dos dans l'objectif de partir. Il voulait fuir. Fuir encore et toujours.

Comment osait-il ? Comment osait-il essayer de fuir après ce qu'elle lui avait dit ? Malheureusement pour lui, Ethel avait deviné son intention sans problème et le retint par le bras. Il était tremblant, fébrile, prêt à exploser. La colère, la douleur, c'était trop d'émotions mélangées pour un seul corps.

Ethel se plaça face à lui et posa ses mains sur ses joues. Yeux dans les yeux, elle tenta de le rassurer. Elle pouvait encaisser. Elle était suffisamment forte pour ça. Le cœur palpitant et d'une voix plus douce, elle reprit :

- Pourquoi ?

- Parce que c'est trop ! Trop de colère ! Trop de souffrance ! Constamment ! Tous les jours ! À longueur de temps ! Parce que tout me rappelle ce que je fuis ! Parce que je ne peux pas me permettre de lâcher prise !

Sirius criait. Il avait explosé. Comme pour contenir le flux, Ethel tenait fermement le visage du brun l'empêchant de détourner le regard. Il avait le teint pâle, ses prunelles grises meurtries brillaient, sa bouche grimaçait ... Il n'arrivait pas à gérer les émotions qui s'échappaient au fur et à mesure ... Son pouce caressa la joue du brun, elle l'encourageait à continuer.

- Parce que je ne veux pas voir ton visage me regarder avec pitié ! Parce que ton sourire est l'une des seules choses qui me remontent le moral ! Parce qu'il est déjà si rare et que je me tue tous les jours pour l'afficher sur ton visage !

Sirius s'arrêta de lui-même, le souffle coupé par ses propres émotions s'échappant de lui, la bouche entrouverte par ce qu'il venait de dire... les yeux écarquillés de voir des larmes silencieuses couler sur les joues d'Ethel

- Sirius, tu n'as pas besoin de me protéger. Je suis forte. Je peux t'aider comme tu m'aides. Je veux t'aider. Arrête de barricader tes sentiments ! Arrête de te cacher !

- Mais je ne peux pas ! Je ne peux pas ... Si je le fais, je m'énerve dès que je lis la Gazette ! Je m'énerve à la vision d'un simple objet qui me les rappelle ! Je m'énerve dès que je vois mon frère ! Je m'énerve dès qu'un souvenir revient ! Je m'énerve dès qu'on m'appelle Black ... dès que tu m'appelles Black ...

Ethel comprit alors. Elle comprit pourquoi il s'était refermé quand ils jouaient aux échecs. Elle comprit que la moindre parole, la moindre chose lui rappelait sa famille.

Cette famille qu'il avait quittée.

Cette famille qui ne l'acceptait pas.

Cette famille qui l'avait élevé durement.

Cette famille qu'il détestait.

Cette famille qu'il avait fuie, quitte à laisser son petit frère derrière lui.

Ce petit frère qu'il aurait voulu protéger comme il la protégeait, elle ...

Les yeux bleus d'Ethel se chargèrent d'empathie. Elle comprenait. Elle était juste là, sans jugement. Il ne fallut pas plus pour que Sirius libère la pression qu'il s'imposait. Sirius craqua. Ses yeux tempétueux se firent humides. L'orage qui grondait en lui se transformait enfin en pluie. D'un geste doux, Ethel essuya une à une des larmes.

Il avait besoin d'expulser tout ça. Il avait tant réprimé ses sentiments. Il avait tant enfoui ce qu'il ressentait. Il se rongeait de l'intérieur.

Les jambes tremblantes, le cœur au bord des lèvres, Ethel attendit patiemment que la tempête se calme. Elle attendit qu'il ait expulsé toute la colère, toute la souffrance contenue. La jeune femme n'avait qu'une envie : la voir disparaître de ses yeux, y revoir cette lueur malicieuse qui le caractérisait tant.

Lorsque les larmes se tarirent, Sirius resta immobile comme une coquille vide. Il semblait ne plus avoir de force. Ethel élimina alors d'un geste tendre les dernières traces d'humidité de ses joues. Elle lui sourit sereinement et Sirius répondit faiblement. Sans rien rajouter, Ethel le prit par la main et le ramena dans sa chambre.

Elle le quitta ensuite non sans avoir laissé un baiser sur sa joue. La jeune femme rejoignit fébrile sa chambre. Elle enfila son vieux pyjama et se glissa dans son lit le cœur lourd. Alors qu'elle allait éteindre sa lampe de chevet, un simple toc retentit de la porte de la salle de bain. Ethel se leva et ouvrit la porte faisant face à un Sirius incertain :

- Ethel ... je ...

Elle secoua doucement la tête et d'un doigt sur la bouche lui fit signe de se taire. Elle le fit entrer dans sa chambre avant de refermer la porte derrière lui. Immobile uniquement habillé d'un caleçon et d'un vieux t-shirt troué de Quidditch, il observait sa chambre sans savoir comment agir.

Ethel le laissa se reprendre et se glissa à nouveau dans son lit. Lorsqu'il tourna à nouveau ses yeux vers elle, elle eut l'impression d'avoir un petit garçon en face d'elle. Elle ne dit rien et se contenta de tapoter la place à côté d'elle.

Sirius n'eut pas la force de réfléchir. Il aurait pu la taquiner. Il aurait pu ne pas y aller, mais il n'en fit rien. Il s'installa aux côtés de la châtaine, bien au chaud sous la couette. Lorsqu'elle referma ses bras autour de lui, il se sentit immédiatement apaisé et ferma les yeux.

Il se laissa porter par sa chaleur, ses petites caresses à la naissance de ses cheveux. Il ne vit pas les secondes passées, ni les minutes, ni les heures. Il ne vit pas la lumière s'éteindre. Il ne se vit pas s'endormir avec elle.

Tous les deux enlacés, Sirius et Ethel dormaient profondément