«C'est magnifique! Encore plus beau que dans les tableaux de ma mère!» s'extasia la jeune reine, tournant sur elle-même, se dévissant le cou pour contempler les hautes tours qui les entouraient.
John sourit. La cité était belle, c'était vrai. Radieuse même, d'une manière qu'elle ne l''avait jamais été sous le règne du SGC.
Il avait accepté l'offre de Mme Gady, autant par envie sincère, que pour pouvoir garder un œil sur sa chère cité. Et il n'avait pas été déçu.
Outre trois E2PZ presque parfaitement pleins pour alimenter la cité, il s'était vu offrir une équipe composée des meilleurs ingénieurs ouman'shiis, à sa totale disposition pour remettre la cité en état, ainsi qu'une véritable armada d'ouvriers et autres petites mains pour effectuer le gros œuvre.
La Commission avait emporté tout ce qui semblait avoir de la valeur à ses yeux. Les Ouman'shiis s'appliquaient à réparer cela. Ils ne pouvaient pas ramener les machines expérimentales et autres prototypes uniques que la cité avait abrité, mais ils pouvaient fournir de nouvelles plaques de blindage, ou des cristaux de contrôle quasi neufs. Et des dégâts vieux de parfois une décennie, se voyaient effacer presque comme par magie.
Au début, John avait été sur le qui-vive, méfiant des grands prédateurs affairés et silencieux qui s'activaient dans tous les recoins de la cité. Puis, il s'était détendu. Atlantis était à présent leur. Ils n'avaient aucune raison de la saboter – bien au contraire.
Ilinka était venue sur mandat maternel, pour l'aider à préparer la succession.
Il faudrait des années, des siècles peut-être, pour effacer dix mille ans de négligences sur Atlantis, mais bientôt, les travaux essentiels seraient terminés, et la cité pourrait reprendre son rôle premier.
C'était à lui, institué commandant d'Atlantis, de décider qui il voulait y accueillir. Combien de soldats, combien de scientifiques, combien de simples habitants? La princesse, accompagnée de son apprenti commandant, n'était là que pour l'aider à trouver du personnel qualifié, et les ressources nécessaires.
Il appréciait avoir à faire à elle, et pas à la terrifiante Delleb. Ilinka n'avait pas cette froideur marmoréenne qu'arboraient la plupart de ses congénères. Elle était vive et sensible, s'émerveillant facilement et avec enthousiasme. Avec elle, il était plus facile d'ignorer ce sentiment désagréable de méfiance – né d'années de lutte contre sa race.
Grâce à son aide, il avait déjà bien avancé. Ne lui restait que le plus dur: éplucher des centaines de dossiers de candidature pour choisir les heureux élus.
Mais avant ça, il pouvait bien offrir à la princesse une petite visite de ce joyau antique. Et en profiter pour lui demander un immense service – histoire de lever un poids qui lui pesait sur la conscience depuis si longtemps.
L'air de rien, il s'appuya contre la rambarde du balcon.
«J'aimerais vous demander quelque chose...» commença-t-il maladroitement, faute de mieux.
Soudain redevenue sérieuse, elle le fixa avec attention.
«Bien sûr. Que puis-je faire pour vous?»
«Est-ce que vous pourriez essayer de convaincre... Milena Giacometti... de revenir?»
Voilà, il l'avait dit. Pourquoi avait-ce été si dur?
La jeune reine eut un sourire trop doux. Trop gentil.
«Je suis désolée... J'ai déjà essayé. Je me doutais que vous voudriez la réintégrer dans vos troupes, mais elle a refusé.»
«Pourquoi? Elle m'en veut? Parce que j'ai dû la décommissionner?»
Ce serait mérité, bien que blessant.
La princesse eut une sourire rassurant. «Non. Pas du tout. C'est juste qu'elle se trouve trop vieille pour ce genre de service actif, et... sa mission actuelle est importante pour elle. Elle ne veut pas l'abandonner.»
« Une mission?» demanda-t-il, curieux.
«Mme Giacometti essaie d'encourager les différents peuples humains Ouman'shiis à créer leurs propres forces de défense, et à ne pas seulement se reposer sur les armes et les troupes wraiths.» intervint Rorkalym avec politesse.
John leva les sourcils. Difficile de répliquer. Après tout, ç'avait été un de ses chevaux de bataille pendant toutes ces années: aider les peuples de Pégase à se défendre contre la menace wraith.
Il opina. Il aurait préféré qu'il en soit autrement, mais il ne pouvait pas pleurer. Il avait récupéré Ronon, qui malgré nombre râleries et menaces, n'avait pas longtemps refusé son offre de revenir vivre et travailler avec lui sur la cité. Et plus important encore: Teyla était revenue.
Il avait été la voir sur New Athos aussitôt la cité posée sur l'océan austral d'Oumana.
Elle n'avait pas été surprise de le voir. Parce qu'elle avait ce don, de voir au plus profond des cœurs.
Elle avait vu ce qu'il avait refusé de s'avouer jusqu'à la dernière seconde. Et elle avait eu confiance en lui, de cette même confiance totale et absolue qu'elle lui avait offert, dès le début.
Ils étaient rentrés ensemble sur la cité le soir même, et son lit n'avait plus été ni trop grand ni trop vide.
Il n'y aurait plus d'AR-1. Cette époque était révolue, mais ils étaient toujours une équipe, malgré l'absence de McKay.
Teyla participait à la renaissance de la cité, aidant à prospecter parmi les Athosiens, les Grinnaldiens et les Oumanets, pour trouver des volontaires afin de repeupler Atlantis.
Et Ronon «surveillait» les ingénieurs au petit soin de l'antique citadelle.
Non, il ne pouvait pas pleurer. Tous ses rêves étaient en train de se réaliser. Et ce n'était pas quelques menues contrariétés qui allaient le décourager.
Se redressant, il soupira.
«Et si nous allions terminer cette liste de matériel, que je ne vous embête pas plus longtemps?» suggéra-t-il.
Avec un dernier regard émerveillé aux hautes tours, la princesse acquiesça.
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«Il y avait des hydroponiques, mais les Terriens les ont démantelés. Soit il faudra faire une exception à la directive concernant l'autonomie alimentaire des vaisseaux, soit il faut rapidement qu'on en installe de nouveau.» objecta Ilinka.
Delleb siffla, agacée.
«Il y a vraiment plus urgent à faire que de planter des légumes pour le palais raffiné de ces humains!» persifla la reine antique.
«Il ne s'agit pas de cuisine, mais de survie! Actuellement, Atlantis est totalement dépendante de la nourriture qui y est amenée tous les trois jours. Si la cité venait à être isolée pour quelque raison que ce soit, la situation deviendrait très vite catastrophique. Il n'y a pas assez de réserves sur place pour nourrir les habitants plus d'une semaine.»
«Certes, mais ce n'est pas comme si ce maudit vaisseau lanthien traînait à l'autre bout de la galaxie. Il est littéralement sous nos pieds, sur Oumana! Qu'est-ce qui pourrait lui arriver?» grinça Delleb.
Ilinka en était encore à tenter de construire ses contre-arguments, lorsque l'alarme générale de la ruche leur déchira les tympans.
Dans une grande envolée de cheveux noirs, Delleb se retourna avec un grognement impérieux.
«Une flotte de vingt-six vaisseaux wraiths vient de sortir d'hyperespace.» annonça un opérateur du pont, devant hurler pour couvrir l'alarme.
«Identification?» exigea la grande régente.
L'opérateur mit quelques secondes à répondre.
«Mixte, Majesté, mais la ruche amirale est celle d'Yghan'shi.»
«Oooh, voyez-vous ça. Cette grosse limace sort de son trou...» siffla Delleb, ignorant Ilinka qui, figée avec sa tablette en main, ne savait pas quoi faire.
«Grande régente, ils changent de trajectoire!» intervint un autre opérateur.
«Explication!» exigea-t-elle, se ruant vers la console de l'intéressé.
«Leur trajectoire s'infléchit. Ils nous contournent.»
«Zil'reyn!» beugla-t-elle.
Le commandant ne répondit pas, déjà occupé à détailler la trajectoire sur un autre écran.
«Atlantis!»
L'exclamation parfaitement synchronisée de la reine et de son commandant résonna entre deux appels déchirants de l'alarme.
«Trajectoire d'interception. Branle-bas de combat général. Faites déployer la flotte. Prévenez John Sheppard que son vaisseau est la cible principale. On va voir ce que ce Terrien a dans le ventre.» siffla Delleb, venant s'installer avec un calme superbe dans son siège à haut dossier.
Ilinka la regarda, bouche bée. Elle avait entendu parler de la légende de Delleb. Elle avait constaté cette aura mystique qui semblait entourer la reine et ses exploits antiques, dans les paroles de tous ceux qui l'évoquaient. Elle n'avait jamais réussi à voir par-delà les sifflements agacés et le dédain orgueilleux de la reine. Jusqu'à cet instant.
Soudain, devant elle, elle voyait cette héroïne inflexible, que mille cinq-cents wraiths avaient suivie sans hésiter dans une bataille qu'ils savaient être leur dernière, et qui avait changé le cours de la grande guerre.
Delleb n'avait pas besoin de couronne ou de trône pour régner. Encore moins de jupons et de fanfreluches. Elle était l'autorité incarnée. Aussi redoutable qu'inspirante. Elle n'imposait pas sa volonté par la peur, mais par le respect.
Elle avait changé son aura, son énergie en un instant, de cette même manière terrifiante qu'avait sa mère de le faire. Plus naturellement encore.
Ilinka en eut le vertige. Rosanna ne devait qu'à elle-même sa capacité à voir le meilleur en chacun, mais c'était à Delleb, un des êtres les plus anciens à encore parcourir la galaxie, à qui elle devait d'être une reine wraith. La seule humaine à avoir jamais pu prétendre à un tel titre.
Delleb l'avait forgée à son image, lui insufflant dix mille ans d'honneur et de sagesse, lui donnant juste ce qu'il fallait pour rivaliser avec les jeunes prétentieuses de la trempe de Silla.
Mais Rosanna n'était rien face à la reine millénaire. Et elle, elle n'était rien face à sa mère.
Comment pourrait-elle espérer un jour égaler une telle entité? Et surtout, dans le délai ridicule qui lui était imparti par ladite entité?
Elle n'eut pas beaucoup plus le loisir d'y réfléchir, alors que, encore lointains et distants, les premiers impacts de tirs sur la coque de la ruche se faisaient sentir.
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Telle une biche prise dans les phares, Ilinka s'était statufiée, fixant le chaos organisé du pont en plein ordre de bataille.
Rorkalym gronda, alors qu'il la rejoignait au petit trot. Il n'avait pas valu beaucoup mieux lors de sa première échauffourée. Alors, sa mission avait été d'aider en surveillant les avaries. Aujourd'hui, son devoir était tout autre.
Ignorant la terreur née de l'expérience qui lui rongeait les entrailles, il se força à faire ce qu'on attendait de lui. Il n'avait pas le temps de s'occuper de Limbani. Il devait d'abord protéger Ilinka!
«Ilinka? Ilinka!» la secoua-t-il, lui saisissant la main.
«Hein?»
«Viens!» lui ordonna-t-il, espérant qu'elle n'allait pas discuter.
Heureusement, elle le suivit docilement, trébuchant un peu dans son sillage, sa main toujours dans la sienne. Deux gardes royaux leur emboîtèrent le pas.
Ce ne fut que lorsqu'il s'arrêta à l'abri tout relatif du Jumper stationné sur le quai vingt-quatre, le plus proche de la salle du trône, qu'elle sembla sortir un peu de son hébétude.
«Qu'est-ce que...?» murmura-t-elle, alors que le lourd battant de métal se refermait.
«On évacue. Procédure d'urgence.» répondit-il, toutes ses pensées tournées vers Limbani, qu'il espérait en sécurité quelque part au cœur de la ruche.
«Quoi? Comment ça? La ruche est évacuée? On peut pas déjà décoller! Et les autres survivants?!» paniqua-t-elle, tentant vainement d'ouvrir tantôt l'accès extérieur, tantôt celui du cockpit.
«Ilinka, calme-toi! S'il te plaît. Calme-toi!» la supplia-t-il, se mettant en travers de son chemin.
«Mais... l'évacuation...» murmura-t-elle, la confusion peinte sur ses traits.
Il soupira, posant doucement ses mains sur ses épaules.
«... Personne n'évacue... personne à part moi...» réalisa-t-elle sombrement.
Il ne put qu'opiner. C'étaient les ordres. La mettre en sécurité, loin de l'ennemi. Quoi qu'il en coûte.
«Où est-ce qu'on va?» demanda-t-elle, atone.
«Sur Grinna. On y sera en sécurité.»
Elle eut un rire hoquetant.
«En sécurité! Tsssh. Super... On va se cacher pendant que les autres se battent... Merveilleux!»
Avec un grand geste défait, elle se laissa tomber sur la banquette du petit vaisseau. Il s'assit à côté d'elle. Il partageait son dépit. Son dégoût. Sa hargne. Lui non plus ne voulait pas fuir et se cacher, alors que d'autres se battaient. Alors que des gens qu'ils aimaient étaient en danger.
Mais il comprenait le bien-fondé de cet ordre. Et sa raison d'être.
Il était sacrifiable. Par bien des aspects, Rosanna, Delleb même étaient sacrifiables: mais pas Ilinka.
Bientôt, la voix désincarnée du pilote leur apprit qu'ils allaient traverser la Porte, et moins de dix secondes plus tard, telle une marée angoissante et irrémédiable, l'horizon bleu dévorait l'espace cargo.
Ils firent à peine quinze minutes de vol atmosphérique puis le Jumper se posa, les libérant au sommet d'une des innombrables forteresses organiques émaillant la surface de Grinna.
En rangs devant une grande porte, une dizaine de guerriers attendait, prêts à les mener à l'intérieur et, toujours escortés des deux gardes qui les avaient suivis, ils furent emmenés à des quartiers luxueux où, telle une volée de moineaux empressés, une douzaine de serviteurs s'agitèrent en tous sens afin de les accueillir le plus dignement et confortablement possible, en attendant que le commandant de la base puisse venir rendre ses hommages à la princesse.
Conscient que ce genre de cérémonial n'allait en rien aider son amie à se calmer, il se dépêcha de renvoyer tout ce petit monde, allant jusqu'à prendre des mains d'un serviteur son plateau d'infusion avant de le mettre personnellement à la porte avec le reste de la meute.
«Faut qu'on y retourne.»
La voix de son amie était ferme. Décidée.
Baissant la tête, il s'appuya un peu contre le battant qu'il venait de refermer. Ilinka avait retrouvé tout son caractère.
«Non, on reste ici et on attend.» répondit-il, tournant le dos à la porte contre laquelle il se colla, bien décidé à faire – si nécessaire – obstacle de son corps.
«Rory! Mes parents sont là-bas!»
Et la femme qu'il aimait aussi. Et elle n'était pas un des êtres les plus dangereux et les mieux protégés de la galaxie, comme Rosanna. Juste une simple servante sans aucune importance pour personne – sauf lui.
Mais il ne dit rien. Le destin de Limbani n'était pas entre ses mains, et il devait avoir foi en sa bonne fortune. Aussi terrifiant que ce soit.
«S'il te plaît, Ilinka, assieds-toi... On ne peut – et on ne doit – rien faire...» supplia-t-il.
Il ne voulait pas se battre avec elle. Ce n'était pas un combat qu'il se sentait capable de remporter, surtout pas quand il brûlait tant de faire exactement ce qu'il tentait de la décourager d'entreprendre.
Avait-elle compris ses sentiments? Ou, tout comme à lui, la tâche lui semblait-elle trop insurmontable pour savoir par quel angle la prendre?
Ajustant les plis de sa robe, elle s'assit dans un des fauteuils de velours bleu ornés de motifs traditionnels grinnaldiens.
Rassuré quant à ses intentions immédiates, il osa se décoller du battant pour venir lui servir une tasse d'infusion sucrée, et, sa jumelle en main, vint s'asseoir dans un siège voisin, prenant tout de même soin de se positionner de manière à pouvoir l'intercepter si elle tentait quelque chose.
