CINQUIEME CHAPITRE – Stop Bloody Rain [X]

Mars 1987

« Yume-chan ! Est-ce qu'au moins t'écoute un traitre mot de ce que je dis !? »

Ce dimanche après-midi-là, Yoshiki avait fait venir les membres de X au studio de répétition, basé dans le quartier d'Ikebukuro. Le leader souhaitant que le groupe reprenne la scène prochainement, avait demandé à ses membres de se rassembler plus fréquemment afin de s'y préparer. Au fond du studio de répétition, Yume était allongée à même le sol, sur le dos, jambes croisées, fumant une cigarette les yeux rivés vers le plafond. Le casque d'un walkman posé sur ses oreilles aurait dû répondre pour elle à la question que venait de poser Yoshiki. Cependant, le batteur se sentit obligé de jouer les maîtres d'école, n'aimant pas ne pas être entendu. Surtout que pour le coup, c'était selon lui assez important. Même Taiji, cet empêcheur de tourner en rond notoire, toujours en train de faire le pitre juste pour l'embêter, portait attention à tout cela. Trois des membres du groupe étaient assis en cercle donc, sur des chaises un peu branlantes, tandis que Yoshiki était debout et jouait les leaders.

Entendant son nom au milieu de ce qu'elle était en train d'écouter, Yume tourna difficilement la tête en recrachant la fumée de sa cigarette, avant de pousser un des coussinets orange du casque de son lecteur de cassette.

« Hm ?

- T'écoute ce que je dis ? C'est important !

- Pour être tout à fait honnête avec toi, j'ai pas entendu un seul mot. »

Yoshiki leva les yeux au ciel en soupirant. Il n'y en avait décidément pas un pour rattraper l'autre. Systématiquement, au moins un de ses membres se montrait distrait ou inattentif, comme s'ils se passaient le mot pour le faire chier.

Taiji, curieux, et craignant le pétage de plomb de Yoshiki -sachant pertinemment que c'était le genre de comportement qui pouvait le faire sortir de ses gonds-, intervint alors qu'il était tourné vers elle.

« Qu'est-ce que t'écoute comme ça qui mérite de ne pas nous accorder ton attention ?

- Une demotape, j'essaie de voir si elle est viable.

- Tu fais des demotape, toi maintenant ? Demanda Isao, surpris.

- Une demotape de quoi ? Reprit Taiji.

- Kurenai. J'ai un peu bossé dessus. »

Taiji se redressa et tendit la main vers la jeune femme, pour lui faire signe qu'il voulait écouter. Pas seulement curieuse, Taiji voulait aussi juger de ce qu'elle était capable de faire avec du temps. Il l'avait déjà vu retravailler un solo en moins de dix minutes, à la va vite, avec du bruit ambiant. Alors avec du temps, et du calme, il se demandait sérieusement ce que ça pouvait donner.

Yume soupira, calla sa cigarette entre ses lèvres, retira son casque et se redressa, trainant sur ses genoux pour s'approcher, sous le regard fâché de Yoshiki. Elle posa le walkman dans la main du bassiste qui enfila le casque aussitôt.

« Si je vous fais chier, dîtes-le, s'agaça le batteur.

- Détends-toi. On est pas à deux minutes près, soupira-t-elle.

- Vous me laissez parler et après vous faites votre tambouille.

- Qu'on le fasse maintenant ou après que t'ai parlé, qu'est-ce que ça change ? On perd le même temps, finalement.

- C'est une question de respect, Yume-chan. Les gens parlent, on les écoute, ne m'oblige pas à devoir refaire toute ton éducation.

- Je te demande pardon !? S'offusqua la jeune femme, réellement outrée. »

Mais elle n'eut pas le temps de le corriger, que Taiji retira le casque de ses oreilles, lentement. Et tendit le walkman au batteur. Coupant les deux musiciens dans les prémices de ce qui aurait pu être leur premier réel clash.

« Yoshi-kun, écoute ça.

- Pas maintenant, Taiji-kun, grogna le leader entre ses dents.

- Ecoute, je te dis, insista le biker avec sérieux. »

Agacé, Yoshiki s'approcha et se saisit virulemment du walkman, enfilant aussitôt le casque en marmonnant dans son inexistante barbe. Et pendant que le leader écoutait avec attention, le bassiste se tourna vers la demoiselle, qui était en train de se mettre en position tailleur sur le sol, en fixant avec véhémence Yoshiki.

« Tu me fais une copie ? Que je puisse commencer à travailler la partie basse.

- Attends, je suis même pas encore sûre que ce serait la version définitive.

- C'est pas grave. Je peux déjà commencer à travailler avec ce que t'as fait. Si tu veux, on peut même travailler ça ensemble.

- Heu…

- Tu viens chez moi, et on bosse là-dessus.

- Je ne sais pas si j'aurais le temps, hésita-t-elle.

- Dans ce cas, je peux me débrouiller pour venir chez toi, si tu veux. Dis-moi quand ça peut t'arranger, et je me démerde.

- C'est que… »

Yume parut soudainement paniquée. Ne s'attendant pas à une telle proposition. Taiji n'était pas du genre à tourner autour du pot, et s'imposait si besoin était. Elle avait beau assez peu le connaître et n'avoir presque pas discuter avec lui, ce trait de caractère sautait complètement aux yeux. Mais pour le coup, elle ne voyait pas trop comment accéder à sa requête. Venir chez lui, son emploi du temps déjà plutôt débordé entre le groupe, son travail et son fils, ne le lui permettrait pas. Et le laissait venir chez elle… Il était hors de question, qu'il sache qu'elle avait un enfant à sa charge. C'était un point qu'elle n'avait jamais abordé avec aucun d'entre eux, et espérait ne pas avoir à le faire pour l'instant. Elle espérait ne pas avoir à le faire du tout, en réalité.

Comme il ne fallut pas une heure à Taiji pour juger de la qualité d'une chanson, il n'en fallu pas plus à Yoshiki pour arriver au même constat. Le batteur retira le walkman de sur ses oreilles, en fixant la jeune blonde, qui avait porté son attention sur le bassiste pour le salut de sa vie.

« C'est… commença-t-il. Excellent… »

Ça en coutait à Yoshiki de le reconnaître, mais ce qu'il venait d'entendre était… c'était exactement ce qu'il aurait espérait faire de cette chanson, alors que lui, avait butté dessus pendant des semaines, sinon des mois, au point de préféré abandonner ce dont il ne parvenait pas à être satisfait. En temps normal, et s'il n'était pas sur le point de s'engueuler avec la jeune femme, il l'aurait reconnu sans ciller, mais la tension qui s'était installée entre eux, à peine quelques secondes auparavant, l'obligeait à mettre sa fierté de côté pour l'avouer.

Voir son leader l'admettre, malgré le ton prêt à monter entre eux, eut le don de faire rougir la guitariste, qui détourna les yeux aussitôt.

« Yoshi-kun, t'as toujours ton duplicateur de cassette ? J'aimerais commencer à travailler sur la basse, expliqua Taiji.

- Oui, on va s'occuper de faire ça, juste après.

- Attendez, protesta-t-elle. J'ai pas fini de bosser dessus. Il faut encore que je finisse d'écrire la guitare jumelle et…

- La base est bonne. J'ai pas besoin de plus pour commencer à en faire quelque chose. On peaufinera une fois que t'auras fini, mais je peux déjà m'y atteler.

- Je devrais pouvoir commencer à travailler la batterie aussi. Avec un peu de chance, si on s'y met vite et bien, on devrait pouvoir la jouer au concert du mois prochain.

- Attendez, quel concert ?

- Si t'avais écouté, tu le saurais, marmonna Isao, assis sur une chaise à côté d'elle.

- Toi, j'ai l'impression que tu ne m'aime pas beaucoup, releva-t-elle pointant Isao du doigt, tout en affichant une mine qui aurait pu se traduire par un "je m'en fous".

- Comment tu veux que je le sache ? Tu ne nous parles presque jamais, et tu te tires avant même la fin des répétitions, sans parler que tu n'écoutes rien. Pour ne pas t'aimer, faudrait déjà que je te connaisse.

- Je ne parle pas beaucoup et je n'écoute personne. C'est tout ce que t'as besoin de savoir sur moi.

- Alors si c'est ça, effectivement, je ne t'aime pas beaucoup. »

Elle haussa les épaules, comme ça ne l'atteignait pas plus que ça, et tira une dernière fois sur sa cigarette, avant de venir l'écraser dans le cendrier, posé sur les genoux de Taiji, qui fumait tranquillement lui aussi, maintenant.

« Bon, mais là, pour une fois, j'écoute. C'est quoi cette histoire de concert ?

- Plusieurs concerts en fait. On va recommencer à sérieusement tourner.

- Attends, stop. Tu prévois plusieurs concerts ? Sachant que tu n'as aucune idée de ce que je vaux sur une scène. Tu feras comment si je ne fais pas l'affaire ? Si je suis incapable de jouer correctement sur scène ?

- Je sais que tu es capable de monter sur scène, Yume-chan. Il n'y a que toi qui en doute, grogna le batteur, par réellement content de devoir répéter ce qu'il avait déjà dit.

- Pourquoi personne n'écoute quand je dis ça.

- Si tu écoutais les autres quand ils parlent, peut-être que les autres t'écouterais quand tu parles, expliqua le lead guitariste.

- Ah ouais, tu peux vraiment pas me saquer toi, répliqua la jeune femme en se tournant vers Isao. On avait compris la première fois, tu sais ? Enfoncer le clou ne fait que montre de ton absence de réparti, Isao-kun. Yoshi-kun, tu peux reprendre. »

Taiji haussa des sourcils surpris. Voilà qu'elle se lâchait. Le premier pétage de plomb qu'il attendait tant était-il en approche ? Il n'aurait probablement fallu qu'une goutte d'eau pour démarrer la colère de la jeune femme à ce stade. Isao la tendait, Yoshiki la tendait, et la situation la tendait. Tirer encore sur la corde n'aurait servi qu'à la faire céder.

« Hé, hé, hé ! On se calme là, intervint Toshi, qui n'avait pas pipé mot depuis un moment. Chaque chose en son temps. On écoute Yo-chan, et après on verra si ça vaut le coup de s'adonner au bain de sang. »

La voix de Toshi avait quelque chose de rassurant et de calmant. Douce, quoique rauque, elle se prêtait parfaitement au rôle du médiateur, quand il se permettait un petit sourire qui avait pour but de calmer les troupes. Il était fort probable que le chanteur ait parfaitement connaissance de cette capacité. Il avait grandi avec Yoshiki et ses éternels sautes d'humeurs, alors il avait appris à être celui qui calme les ardeurs. Et visiblement, il obtenait d'excellent résultat, puisque là où Isao aurait pu sauter à la gorge de Yume, il se contenta de la fusiller du regard, alors qu'elle ne lui portait déjà plus aucune attention, pas assez intéressée par le personnage pour se préoccuper de lui.

« Bon, je vais pouvoir terminer où j'en prends un pour taper sur tous les autres, sauf Toshi-chan ? Reprit le batteur, en observant ses trois indisciplinés. »

Yume lui fit un geste pour l'inviter à poursuivre, alors qu'elle se laissa tomber en arrière, s'appuyant sur son coude, le regardant reprendre son discours.

« Je disais donc, plusieurs concerts. Cinq au mois d'avril, pour être exacte. Le dix, le quatorze, le dix-huit, le vingt-cinq et le vingt-neuf. Presque tous à Tôkyô, sauf celui du vingt-cinq qui sera à Higashi-Ôsaka.

- Et là, en disant ça, tu t'attends à ce que je ne m'offusque pas, j'imagine ? Demanda la jeune femme, ironique, portant sa main à sa bouche, tapotant ses lèvres du bout des doigts, comme si elle tentait de se contenir.

- Bon, c'est quoi le problème ?

- Alors, par quoi je commence ? Cinq concerts en moins d'un mois, du jour au lendemain ? J'ai un boulot, je peux pas me permettre de faire tout ça. Et Higashi-Ôsaka ? Je suis pas très douée en géographie, mais si je ne me trompe pas comme son nom l'indique, c'est juste à l'est d'Ôsaka, ce qui comprend quelque chose comme cinq heures de route ? Je ne suis pas sûr de pouvoir m'absenter autant de temps.

- Yume-chan, je t'avais dit que X serait amené à tourner dans tout le pays, non ?

- Oui, mais…

- Mais quoi ?

- Pas si tôt. Pas si intensément. Je… j'ai besoin que tu me donne du temps pour m'organiser. Tu peux pas m'annoncer un concert trois semaines à l'avance et à peine plus d'un mois à l'avance, qu'on part pour le Kansai.

- On partirait tôt le matin, et on reprendrait la route, juste après le concert. Tu serais revenu à l'aube, le lendemain. Vingt-quatre heures, maximum.

- D'accord, mais j'ai toujours un travail.

- Yume-chan, tu auras beau dire ce que tu veux, je ne te laisserais pas renoncer.

- Ce qui veut dire ?

- Que je veux que tu sois à ses concerts. Ils ne se feront pas sans toi, mais je peux t'assurer que je peux passer tout le mois qui vient à consacrer tout mon temps à essayer de te convaincre, et à faire ce qu'il faut pour arranger ton emploi du temps pour que tu sois des nôtres. Il est hors de question que je renonce à la guitariste et à la musicienne que tu es. Et c'est pareil pour chacun d'entre vous. »

Comme à chaque fois qu'elle entendait Yoshiki faire ce genre de discours, Yume manqua terriblement de répartie, ne sachant jamais trop quoi dire. Assez rarement dans sa vie, quelqu'un l'avait complimentée sincèrement pour quelque chose dont elle pouvait être fière, ou lui avait fait savoir qu'elle était essentielle à quelque chose. Mis à part Hide, mais c'était là autre chose. Yume essayait difficilement de se rappeler quand, en dehors de Hide, quelqu'un avait cru à ce point en elle, et la réponse fut finalement simple : jamais. Alors forcément, pas habituée à cela, et ne s'y attendant jamais, elle ne trouvait jamais rien à dire. Elle se contenta de se redresser et de croiser les bras en regardant ailleurs, un peu boudeuse de se sentir mouchée de la sorte.

Voyant que personne n'avait plus de quoi broncher, Yoshiki reprit :

« J'aimerais prévoir d'autres concerts au mois de mai, et jusqu'au mois d'août. Promis, je vous tiens au courant au plus tôt à ce sujet, pour que vous puissiez mieux vous organiser, cette fois-ci. J'ai déjà établi une première setlist avec les morceaux qu'on maîtrise tous le mieux pour chaque date, qu'on ait déjà une première idée de quoi répéter sérieusement. Bien sûr, je suis ouvert à toute suggestion, et on peut la modifier si ça vous paraît mieux. Encore une fois, si on termine les arrangements de Kurenai, je suis prêt à la faire ajouter à la setlist, si ça convient à tout le monde. Voilà, cette fois, j'ai terminé. Quelqu'un à une protestation ? »

Yoshiki distribua quelques feuilles, établissement du programme de ce fameux mois d'avril, qui promettait. Dates, lieux, heures, setlist, toutes les informations essentielles y étaient aussi détaillées que possible.

À sa dernière phrase, Yoshiki ne réussis qu'à s'attirer des regards noirs de la part de ses trois cordes. Il se tourna vers Toshi, qui lui fit simplement signe que tout était bon pour lui, avec un sourire.

« Bon ben puisque vous ouvrez plus vos gueules, on a qu'à s'y mettre cette fois. Aller, je veux tous vous voir avec vos instruments, on va essayer de jouer toute la setlist d'un coup, on commence par I'll Kill You. »

À nouveau, il se fit fusiller du regard, mais ignora complètement les tentatives de meurtre silencieuse de ses musiciens, comme il en avait l'habitude et que ça ne le chagrinait pas. Il se dirigea vers sa batterie alors qu'ils se relevait tous tant bien que mal. Yume toujours assise par terre, Taiji lui tendit une main charitable pour l'aider à se relever. Main qu'elle observa une seconde, avant de lever les yeux vers le biker, acceptant finalement son aide.

Ils récupérèrent tous leurs instruments, posés çà et là dans la pièce, trainant du pied, et posèrent la setlist fournit par leur leader à porté de vue. Et une fois qu'ils furent branchés et prêt, Yoshiki donna la rythmique par quelques coups précis sur la cymbale. Les hurlements saturés des guitares se firent entendre. I'll Kill You, donc d'abords, suivit de Break The Darkness, et de Feel Me Tonight. Et alors qu'ils commencèrent à peine No Connexion :

« Mamaaaaaan ! »

Les notes de musique moururent de façon assez peu élégante, tout à coup, quand une petite chose de même pas un mètre déboula à toute vitesse dans le studio en courant, allant se jeter sur Yume, qui ne le vit tellement pas venir, trop concentrée sur son jeu qu'elle manqua d'en tomber. En réalisant de quoi, ou plutôt de qui il s'agissait, elle écarquilla les yeux de stupeur, alors qu'elle entendait ses camarades s'arrêter de jouer tout à coup. Par reflexe, elle posa sa main sur la tête de l'enfant qui s'accrochait déjà à sa jambe. Elle prit une seconde pour l'observer et réaliser pleinement la situation, avant de relever la tête. Dans l'entrée, Hide arrivait d'un pas lent, mais visiblement terriblement embêté.

« J'ai pas rêvé, j'ai bien entendu "maman" ? Chuchota Taiji, en se penchant vers Toshi, les bras croisés.

- Ben écoute, j'ai cru que j'étais dingue, mais j'ai entendu comme toi, répondit le chanteur.

- Qu'est-ce que c'est que… !? S'offusqua Yoshiki en se redressant, ne voyant pas grand-chose assis derrière sa batterie.

- Yume-chan, je suis désolé, souffla Hide en s'approchant de sa sœur, complètement ennuyé à en juger par son ton et l'expression de son visage. Le boulot m'a appelé, il faut que je remplace quelqu'un et on a vraiment de besoin de cette thune, alors… »

La jeune blonde semblait tout à coup complètement paniquée, la main posée sur la tête du petit garçon au cheveux noirs, qui continuait de s'accrocher à sa jambe. Elle se retourna pour observer ses camarades, qui la regardaient l'air éberlué.

« Je… Je comprends, répondit-elle finalement, difficilement.

- Pardon, je sais que je te mets dans l'embarras. Si on était pas si juste ce mois-ci, je te jure que j'aurais refusé, mais là…

- Laisse tomber. Je m'occupe de lui, répondit-elle, avec autant d'assurance que possible -soit pas grand-chose quand on la connaissait un peu-.

Comme toujours, Taiji était le plus intrépide de tous. Il s'approcha tranquillement, se penchant un peu en avant, les sourcils froncés, bras croisés, et basse pendant autour de ses épaules. Il se mit à fixer Hide, plissant les yeux. Le frère ainé fronça les sourcils à la vue de cette énergumène qui l'observait comme un allumé et lui jeta un regard assassin, le toisant de haut en bas.

« Qu'est-ce qu'il me veut, ce taré ? Lâcha le Saver Tiger, pas affolé une seconde à l'idée de lâcher ça à voix haute.

- Je te connais, non ? Répliqua le bassiste, éludant complètement les propos quasi-agressif de son interlocuteur. »

Suspicieux, Hide plissa à son tour les yeux, l'air interrogateur, observant Taiji avec attention.

« Hide-san ? Lâcha Yoshiki de derrière sa batterie, visiblement un peu plus physionomiste que le bassiste.

- Yoshiki-san, répondit le guitariste en faisant un petit signe de la main pour le saluer. »

Pour les X, la scène était complètement surréaliste. Tout à coup, trop d'information en une seule fois, avait de quoi les perdre.

« Ah, Hide-san ! Sans ton maquillage de scène, j'aurais eu du mal à te reconnaître, avoua Taiji, avant de réaliser. Attends ! Je comprends pas, qu'est-ce que tu fous là ? Et ce morveux ? Qu'est-ce que c'est ? »

Le regard désespéré que jeta Yume aux autres membres du groupe leur fit froid dans le dos. Si bien que plus personne n'osa parler, simplement observer la jeune femme de leurs yeux interrogateurs. Et comme à chaque fois qu'elle était désemparée, Yume se tourna vers son frère, exprimant un appel à l'aide silencieux que seul lui pouvait comprendre. Liés par une enfance difficile, où ils avaient été la seule famille sur laquelle ils avaient pu compter, Hide et Yume n'avaient besoin que d'un regard pour se comprendre.

« Si tu veux je peux… commença le frère ainé.

- Non, c'est à moi de le faire, souffla-t-elle. »

Surpris, Hide se contenta d'acquiescer. Pourtant, malgré la gravité -selon le point de vue de la jeune femme, en tout cas-, il esquissa un sourire. Avait-il déjà vu sa jeune sœur prendre son courage à deux mains pour reconnaître ce qu'elle s'efforçait de garder si privée depuis des années, qu'elle n'en avait presque jamais parlé à personne ? Non. Les rares personnes au courant de l'existence de cet enfant, en dehors de l'école, était des personnes de confiance. Mais aujourd'hui, Yume devait parler de la chose la plus précieuse à ses yeux, mais aussi la plus difficile.

« Hide-chan est mon frère, lâcha-t-elle, presque à toute vitesse. Et lui, c'est mon fils.

- Alors celle-là… jusqu'à il y a dix minutes, je l'avais pas vu venir, tiens, marmonna Taiji, éberlué.

- Je suis fière de toi, murmura le guitariste de Saver Tiger, en s'approchant un peu de la jeune femme, pour qu'elle soit la seule à entendre.

- Ton fils ? Demanda Yoshiki, qui en avait la mâchoire qui en serait tombée par terre. »

Elle se contenta d'acquiescer difficilement et timidement. Là où Yume faisait preuve d'une grande gueule indomptable moins d'une heure plus tôt, elle semblait maintenant vouloir se cacher dans un terrier de lapin, tant elle ne savait pas où se mettre.

Hide jeta un regard à sa montre et posa des yeux encore désolés sur sa cadette.

« Je suis désolé, il faut que j'y aille. Pardon du dérangement. Yume-chan, si tu as besoin je peux le récupérer à vingt heures. Appels-moi au boulot à dix-neuf heures pour me dire si je passe ou si je rentre directement, d'accord ? »

Elle acquiesça et Hide dans un dernier geste de salutation, disparu presque aussitôt. À nouveau, mal à l'aise, la jeune femme scruta les alentours observant les X qui la fixaient toujours avec cet air abasourdi. Elle se mordit la lèvre, avant de poser la main sur l'épaule du petit garçon pour le faire reculer et vint s'accroupir devant lui, en tenant le manche de sa guitare.

« Kazuki-chan, tu vas t'asseoir dans un coin et tu vas dessiner, d'accord ? »

Le petit garçon hocha vivement la tête. Yume le guida dans un coin de la pièce où il vint s'asseoir par terre après qu'elle se soit saisit du petit sac à dos qu'il portait et en sortit quelques feuilles et crayons de couleur, qu'elle savait que son frère aurait prit soin de glisser à l'intérieur. Elle les tendit à l'enfant qui se mit aussitôt à la tâche.

« Yume-chan, je peux te parler ? Demanda alors Yoshiki, qui en avait profité pour quitter sa batterie, l'air étrangement indescriptible. »

La jeune femme acquiesça, et alla poser sa guitare. Elle vit le batteur s'approcher, mais celui-ci fut stopper par Toshi, qui lui attrapa le bras en passant et vint lui chuchoter à l'oreille quelque chose que personne n'entendit. Le batteur acquiesça et marmonna :

« Je sais, je suis pas complètement con, lui répondit-il, avant de se dégager calmement. »

Il fit un signe de tête à la guitariste, pour lui indiquer la petite pièce au fond, et elle l'y suivit sagement.

« Est-ce que je peux vous demander de garder un œil sur lui ? Juste histoire de vous assurer qu'il ne mette le doigt dans aucune prise ou qu'il n'essaie pas de se faire une écharpe trop serrer avec un câble jack.

- On le surveille, t'inquiète pas, répondit Toshi. »

Son regard de remerciement se passa de mot, tant le chanteur pouvait y lire de la gratitude. Et puis elle s'engouffra dans la petite pièce, dont Yoshiki referma la porte aussitôt derrière elle. Elle alla s'asseoir sur la table, sortant un paquet de cigarette de la poche de son gilet et s'en alluma une alors qu'il l'observait calmement, cherchant visiblement ses mots.

« Yume-chan, tu as un fils… »

Ce n'était pas une question, tout au plus une remarque comme s'il réalisait à peine la scène à laquelle il venait d'assister.

« Oui.

- Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Soupira-t-il, en passant une main lasse sur son visage androgyne.

- On ne se connait pas, Yoshi-kun.

- À qui la faute ? Yume-chan, tu es une excellente musicienne, à un point que tu n'as visiblement même pas conscience si j'en juge par tes réactions. Mais tu es un être-humain complètement à la masse.

- Si tu crois que je ne le sais pas…

- Tu n'as rien fait pour t'intégrer au groupe. Tu ne parles jamais de toi, et ça admettons, mais tu n'essais même pas d'apprendre à connaître les autres non plus. Si tout va bien, on va peut-être passer beaucoup de temps ensemble. Il est nécessaire que tu fasses l'effort de t'ouvrir au groupe.

- Je ne peux pas, Yoshi-kun. Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne sais pas faire.

- Mais qu'est-ce qu'il a bien pu t'arriver pour que tu saches à peine parler, franchement ?

- Ça, ça ne te regarde pas. »

Le ton froid et sans appel était de retour. La Yume grande gueule, qu'il avait vu une heure plus tôt, revenait à la surface, avec son regard meurtrier qui invitait clairement à ne pas poser plus de question. Yoshiki ne manquait pas de curiosité, certes, mais il savait reconnaître quelqu'un en colère et habitait par la rage, qui voulait garder certaines choses pour lui. Et cela, il le respectait parfaitement. Alors à ce sujet, il n'insista pas plus. Cependant, il y avait un autre sujet duquel il était maintenant au courant, et dont il fallait parler. Mais avant même qu'il ait eu le temps de reprendre, la guitariste blonde demanda :

« Tu vas me virer du groupe ? »

Il en resta sans voix. Elle avait posé cette question, la voix tremblante. Son assurance était repartie aussi vite qu'elle était venue, le regard fuyant, les lèvres pincées, elle attendait une réponse tout en la redoutant. Vingt minutes plus tôt, quand il était question du concert, Yume émettait de vive protestation, au point que Yoshiki s'était demandé jusqu'où pouvait aller la motivation et la volonté d'être dans le groupe de Yume. Après tout, il était vrai qu'il avait réussis à la convaincre de les rejoindre, mais non sans peine, alors que faire de la musique n'avait jamais été dans ses intentions de ce qu'il avait pu comprendre d'elle. Alors possiblement, elle était moins motivée que les autres. Mais lorsqu'il vit ses yeux fuyants légèrement, il comprit qu'il avait fait fausse route. Yume était plus attachée au groupe et à l'idée de faire de la musique que ce qu'elle voulait bien le faire croire. L'idée même que Yoshiki veuille se séparer d'elle la blessait tant qu'elle le laissait paraître sur son petit visage fin, bien plus expressif cet après-midi-là que ce que le leader ne l'avait jamais connu.

« Non. Bien sûr que non, lui répondit-il sur un ton qui se voulait doux et rassurant. Yume-chan, j'étais sérieux tout à l'heure quand je disais que je ne te laisserais pas renoncer, pour rien au monde.

- Mais maintenant la donne a changé. Tu sais que j'ai un fils, et c'est une chose à laquelle je dois donner la priorité absolue, quoi qu'il en coute.

- Yume-chan, ce que je voulais dire, c'est que tu aurais dû m'en parler avant. Parce que si j'avais su j'aurais pris cet élément en compte en organisant ces concerts. En tout cas, j'aurais fait en sorte que tu trouves le temps de pouvoir t'organiser. Je n'aurais pas pris les choses à la légère comme j'ai l'habitude de le faire. J'ai toujours travaillé avec des musiciens plutôt libres de leur mouvement, sans attache. Je ne pouvais pas savoir que ce n'était pas ton cas. Mais on peut s'adapter.

- Ce ne sera pas un problème ?

- Ecoute, il faudra surtout que tu prennes le temps de réfléchir à une chose ou deux et qu'on en discute ensemble. Pour ton bien, mais aussi celui du groupe.

- Comme quoi ?

- Comme : est-ce que tu veux que les gens sachent ou non, par exemple.

- Non. C'est déjà tout réfléchis ça. En dehors des gens dans cette pièce et de quelques rares personnes, nul ne doit savoir.

- D'accord, d'accord. C'est noté. Si jamais tu as besoin de l'emmener aux répétitions à l'avenir, n'hésite pas. Je ne pense pas qu'à chaque fois ce soit une bonne chose, mais si parfois tu as besoin, je suis d'accord. »

Obstinément, elle regardait le sol sous ses pieds, balançant les jambes dans le vide pour se donner une contenance, sans quoi, Yume aurait probablement laissé échapper trop d'émotion, plus que ce qu'elle ne pouvait en supporter. Elle hocha la tête en réponse.

« Merci… souffla-t-elle, du bout des lèvres.

- En tout cas, je comprends mieux certaines choses te concernant.

- Ne te crois pas sortie d'affaire, j'ai bien l'intention de rester un mystère encore longtemps, répliqua-t-elle, avec un haussement d'épaule un peu moqueur.

- J'espère bien. Je peux te poser une ou deux questions ?

- Essaie toujours.

- Son père ?

- Biologiquement, faisons comme s'il n'en avait pas, répondit-elle du tac-o-tac.

- D'accord. Tu es seule pour l'élever ?

- Hide-chan, on vit tous les trois ensembles. Il m'aide beaucoup. Il est presque plus une mère que moi, si tu veux mon avis.

- Je vois. Est-ce qu'il y a autre chose ? Ou on peut y retourner.

- On peut y retourner. »

Yoshiki passa devant, alors qu'elle sautait sur ses pieds. Dans la pièce principale, où se trouvaient encore les trois autres musiciens. Elle vit Toshi et Taiji, penchés au-dessus du petit garçon, en train de sagement dessiner, en tirant la langue, alors qu'ils le regardaient faire en louchant presque, curieux du petit monstre que pouvait être ce bout de choux, absolument adorable.

« Yume-chan, tu fais les présentations quand même ? Dit Taiji, en faisant de grands gestes théâtraux.

- Oh, oui, dit-elle en s'approchant de l'enfant, pour attirer son attention. Yoshi-kun, Toshi-kun, Taiji-kun, Isao-kun, je vous présente mon fils, Kazuki. Kazuki-chan, je te présente Yoshiki, Toshi, Taiji et Isao.

- Bonjour ! S'écria le bambin, en faisant un salut de ses deux mains, son petit visage joufflu se fendant d'un immense sourire.

- Oh non, je rêve, il est trop mignon ! Marmonna le bassiste. »