SIXIEME CHAPITRE – 19 [Yokosuka Saver Tiger]
Mars 1987
Près du quartier Chūkagai de Yokohama, plus vieux quartier chinois du Japon, accessible via la station de métro : Motomachi-Chūkagai, sur la ligne Minatomirai, il y avait un petit immeuble qui abritait quelques studios de répétition à bas prix où les Saver Tiger avaient l'habitude de répéter quand ils étaient dans une période de répétition. À l'intérieur, les cris des guitares électriques et de la basse et la rythmique d'une batterie puissante se faisait entendre, accompagnant une voix puissante, en cet après-midi. Lorsque la chanson arriva à sa fin, Hide détacha la sangle de sa guitare, alors que le dernier accord saturé raisonnait encore. Il coupa le son de son instrument avant de le poser sur son socle.
« C'était parfait, les gars. Tetsu-kun, j'aime beaucoup ce que t'as fait sur la batterie, je valide complètement. On fait une pause, si vous voulez bien !
- Notre cher leader serait-il fatigué ? Plaisanta Kyo, le chanteur en titre des Saver Tiger.
- Je t'emmerde, rétorqua ledit leader, non sans un bâillement qui aurait pu lui décrocher la mâchoire. »
Hide s'étira, faisant par la même craquer son dos endoloris. Il regarda ses musiciens abandonner presque aussitôt leurs instruments. Il alla récupérer une bouteille d'eau, afin de s'hydrater, tout en faisant des mouvements de tête, pour tenter de se réveiller un peu. Ce n'était pas tout à fait faux : il était crevé. L'organisation que son groupe et celui de sa sœur demandaient, sans parler de Kazuki et son école, et leur travail respectif, il n'avait plus une minute à lui, et c'en était de même pour Yume. Le peu de temps libre qu'il leur restait, était le plus souvent consacré à leur musique, répétant chacun dans leur coin, et ne s'arrêtant que quand ils tombaient de sommeil. Avec tout cela, Yume et lui se croisaient à peine, sinon pas du tout. Communiquant le plus souvent par petit mot laissés sur la table de la pièce à vivre, ce qui avait tendance à compliquer les choses. Trouver un équilibre avec tout ça, tenait du sport extrême, ces derniers temps, il devait le reconnaître.
Mais ce qui réussit finalement à le réveiller, en cette fin d'après-midi d'intense répétition, qu'il avait par miracle réussit à caler, tous les membres de son groupe étant pour une fois disponible en plein après-midi, ce fut la petite tornade brune qui déboula en première ligne, accourant jusqu'à lui à tout vitesse.
« Tonton ! »
Hide se dépêcha d'avaler sa gorgée d'eau et se baissa pour réceptionner le petit garçon, dans un réflexe parfaitement rodé, le soulevant aussitôt.
« Ma petit crapule ! Ça a été l'école ?
- Oui, j'ai appris à compter jusqu'à trente !
- Waah, jusqu'à trente !? Je sais même pas compter jusque-là, moi ! Répliqua le guitariste avec un immense sourire amusé.
- Je t'apprendrais !
- J'espère bien ! »
Yume, aussi épuisée que son frère, qui était à la traine derrière, arriva à son tour, visiblement pas bien réveillée. Si tant est qu'elle ait réellement dormi et au vu de la tête qu'elle tirait, Hide n'aurait pas parié là-dessus. Le Saver Tiger posa le petit garçon au sol et l'envoya jouer un peu plus loin, ce que le bambin ne se priva pas de faire, allant saluer les membres du groupe qu'il connaissait. Plutôt sociable, l'enfant avait l'air de probablement plus tenir de son oncle que de sa propre mère.
« Salut Yume-chan, tu vas bien ? S'écria Tokihiko, le bassiste alors que le groupe s'approchait de la fraternité.
- Ça va et vous, les gars ?
- Tranquillement. Alors ça se passe bien avec X ?
- Donc vous êtes tous au courant, en fait ?
- Bien sûr, Hide-kun nous a tout dit avant même que tu rejoignes X, raconta Kyo avec amusement.
- Tetsu-kun, je peux jouer de la batterie ? »
Le batteur se tourna vers Kazuki, qui s'était discrètement approché et qui tirait sur son gilet pour attirer son attention. Le batteur attrapa le petit garçon et le souleva pour l'emmener aussitôt jusqu'à la batterie, pour s'y installer aussitôt, posant le petit garçon sur ses genoux.
« Il a pas arrêté de se réveiller cette nuit, marmonna Hide, dont le sourire qu'il arborait pour l'enfant, s'effaça aussitôt, trop épuisé qu'il était.
- Je sais. Quand je suis rentrée à cinq heure ce matin, il était debout en train de s'amuser avec ses jouets, bien réveillé.
- Oh, c'est pas vrai… J'espère qu'on est pas repartie pour un an à ce qu'il fasse par ses nuits.
- Il est peut-être juste un peu chamboulé avec tous ces changements et le fait que ce soit toujours la course pour lui.
- C'est un gosse, il finira bien par s'habituer. »
Elle haussa les épaules, en essayant tant bien que mal de retenir un bâillement, qui gagna pourtant la lutte.
« Mais toi, t'as dormi ? »
Son bâillement toujours en cours, elle secoua la tête à la négative, passant une main plus que lasse sur son visage.
« Pas beaucoup, il fallait que je bosse sur Kurenai, Yoshi-kun voudrait l'intégrer au concert qu'on va jouer. Alors il faut que je me bouge pour terminer ça et écrire la guitare jumelle.
- X va reprendre les concerts ? Demanda Kyo, curieux.
- Oui, c'est à ce sujet que je viens vous déranger d'ailleurs. Hide-chan, il faut que je t'en touche deux mots, urgemment.
- Ah, enfin ! Alors dis-moi tout ! Lâcha Hide, en croisant les bras, pour l'écouter avec attention.
- Il y en a plusieurs en réalité, en avril : le dix, le quatorze, le dix-huit, le vingt-cinq et le vingt-neuf.
- Attends, attends, trop d'information d'un coup, et pas assez d'heures de sommeil. Il me faut mon agenda. »
Hide se dirigea vers son sac à dos, pour récupérer son agenda et alla s'installer à la petite table de la pièce, s'asseyant sur une chaise, comme il sentait qu'il allait avoir besoin de concentration. Il attrapa un stylo et tourna les pages pour arriver aux dates mentionnées. Ils s'approchèrent de lui, curieux de voir comment leur leader s'organiser pour tout. Très ordonné, mais aussi trop occupé, Hide avait besoin d'au moins un agenda pour pouvoir gérer son organisation. Ça en tenait presque du maniaque, finalement.
« Tu as donc dis le dix, le quatorze, le dix-huit, le vingt-cinq et le vingt-neuf, c'est bien ça ?
- C'est ça.
- Bon, déjà, ça me rassure de voir que mon cerveau est encore un peu fonctionnel. En tout cas, si on termine les répétitions plus tôt le quatorze et le dix-huit, je peux m'occuper de la crapule sur chacune des dates.
- Il faut que je te dise, celle du vingt-cinq, c'est à Higashi-Ôsaka.
- Dans le Kansai ?
- Oui, ce qui veut dire qu'il faut s'occuper de Kazuki-chan toute la journée et toute la nuit. Apparemment, on part en voiture : moins cher.
- Ah. »
Hide tourna les pages de son agenda pensivement, appuyant sa tête contre sa main, comme si elle était lourde, et vu son éreintement, elle devait sans doute l'être, d'ailleurs. Réfléchissant intensément, il commença toute fois à noter tout en analysant son emploi du temps chargé.
« Je vais me démerder, t'inquiète pas, décida-t-il, finalement.
- Hide-chan, si c'est trop…
- Non, non, je ne veux entendre aucune protestation. Tu le fais pour moi quand on fait des concerts et je tiens à ce que tu le fasses. C'est important.
- Merci, Onii-chan. »
Hide esquissa un sourire, alors que la jeune femme se penchait pour venir poser un baiser sur le sommet de son crâne.
« Cela dit, j'aurais bien voulu assister à ton premier concert, en guise de soutiens.
- J'aimerais que ce soit possible… Tu veux qu'on prenne une baby-sitter ?
- Vu comme le mois va être serré, je ne vois pas comment, répondit le guitariste, l'air pensif.
- Si vous voulez, je peux le garder, moi. »
D'un même mouvement, le frère et la sœur se tournèrent vers la voix qui venait de formuler la proposition. R.E.M, esquissant son sourire bienveillant et assuré, faisant face à l'inquiétude et à l'hésitation flagrante de Hide, mais surtout de Yume. Yume n'avait jamais confié son fils à quiconque d'autre que son frère, n'ayant assez confiance en personne pour cette tâche, à part en ce dernier.
« Garder Kazuki-chan ?
- Oui, enfin, si tu veux. Ça me ferait plaisir, et il me connait bien. En plus, ça permettra à Hide-kun de voir sa petite-sœur adorée monter sur scène pour la première fois.
- R.E.M-kun, garder un enfant aussi jeune, c'est loin d'être aussi facile que ça en a l'air. Il faut lui faire à bouffer, l'occuper, le laver, le coucher… Et il fait des caprices pour dormir en ce moment. Ça n'a rien d'une promenade de santé, expliqua la jeune mère, avec un peu d'appréhension.
- Je me doute bien que c'est pas facile, vu la tête que vous tirez depuis tout à l'heure.
- T'as déjà gardé des gosses de cet âge-là ? Demanda Hide à son musicien.
- Jamais, mais ce serait pour quelques heures seulement, j'y survivrais bien.
- Pas si sûr. Rien que pour le coucher, c'est déjà une affaire, assura le leader.
- Vous avez qu'à me montrer. Je passe un soir, et je vois comme vous avez l'habitude de faire, comme ça, il sera pas trop perturbé quand je le ferais. »
Comme à chaque fois que la jeune femme ne savait pas prendre une décision, elle se tourna vers son frère ainé qui semblait réfléchir. Hide fini par sentir son regard sur lui, et la fixa de longues secondes essayant de saisir son regard noir, avant de comprendre :
« Ça ne me paraît pas déconnant, mais ne me regarde pas comme ça, c'est ton fils. C'est à toi de prendre cette décision.
- Tu prendras soin de lui ?
- Evidemment ! Sinon vous allez venir chez moi me dépecer vivant, et j'y tiens pas.
- Tu prends combien ?
- Rien du tout, enfin voyons ! C'est avec plaisir que je le ferais.
- Non, ça c'est hors de question, c'est du travail de s'occuper d'un enfant.
- Alors on a qu'à dire cent yens symboliques ? Mais c'est vraiment pour tes beaux yeux.
- R.E.M-kun, soupira-t-elle.
- J'insiste. »
Elle soupira, se tournant vers le petit garçon qui était en train de taper allègrement sur les tambours de la batterie avec ses petites mains, en riant. Dire qu'il n'avait presque pas dormi de la nuit et qu'il avait encore autant d'énergie, avait de quoi frustrer sa mère et son oncle.
« Kazuki-chan, viens voir par-là, s'il te plaît. »
Tetsu posa l'enfant à terre, qui trottina sans broncher jusqu'à sa mère, s'accrochant à ses jambes immédiatement. Elle s'accroupit devant lui, pour se mettre à sa hauteur, passant une main dans les cheveux noirs du garçon.
« Tu seras d'accord pour rester avec R.E.M-kun un de ces soirs ?
- Oui ! S'écria l'enfant en regardant le guitariste brun en souriant.
- Tu seras sage si c'est le cas ?
- Promis !
- Bon, tu peux retourner t'amuser. Surtout dépense bien toute ton énergie. Ce serait bien que tu dormes ce soir !
- D'accord, répondit l'enfant, sans prendre le temps de comprendre ce que sa mère voulait dire. »
Aussitôt, la petite boule d'énergie brune retourna à la batterie, et la jeune mère se releva lentement. Elle sembla réfléchir de longues secondes, passant une main pensive dans ses cheveux blond. Elle connaissait R.E.M depuis plusieurs années. Souvent, il passait à l'appartement et connaissait bien l'enfant. Peut-être qu'en dehors d'elle et de Hide, il était la personne qu'il connaissait le mieux. Mais était-ce suffisant pour lui confier son fils ? Hide lui disait souvent qu'elle ne faisait pas assez confiance aux autres, et qu'elle devait s'ouvrir au monde extérieur, alors elle se força à faire l'effort, pour faire plaisir à son frère :
« Ecoute, si tu es d'accord… Je veux bien qu'on tente l'expérience.
- Merci, R.E.M-kun, ajouta Hide, avec un sourire de gratitude à son guitariste. Cela dit, il y a un autre problème : qu'est-ce que tu vas te mettre ?
- Oh, Hide-chan, marmonna Yume en levant les yeux au ciel. Vraiment, toutes les excuses sont bonnes avec toi pour faire du shopping !
- Non, je suis sérieux. X a un look très marqué sur scène, tu peux pas te contenter de venir en jean et en t-shirt. Ça fait partie de l'identité du groupe, et ça fera aussi partie de ton identité en tant que membre du groupe. C'est important, sinon tu risques de ne jamais être accepté en tant que membre de X par leur public.
- C'est quel genre de look ?
- Tu vois un peu ce que je mets pour un concert ? C'est pas tout à fait le même genre, mais le gros de l'idée est là. Du déchiré, du cuir, des cheveux en pétard, beaucoup de maquillage lourd aussi.
- Je vois… Je ne suis pas sûre d'avoir ce qu'il faut, alors.
- Je regarderai dans mes fringues ce qui pourrait être bien, et ce que je peux te filer, si tu veux.
- Mais t'es plus grand que moi, je vais flotter dedans.
- On trouvera bien quelque chose dans mes vieilles fringues d'ado. Mais il faut que tu prennes du temps pour définir ton look, c'est important.
- Je regarderai si je trouve quelque chose moi aussi, intervint Tokihiko à son tour.
- Je peux regarder moi aussi, si tu as besoin.
- Merci, les gars, c'est cool. »
Vivement, Hide referma son agenda et se releva en avisant sa sœur. Il s'étira à nouveau.
« Bon, on va s'y remettre. Je pensais jouer Sadistic Emotion, tu te joins à nous ?
- J'ai pas ma gratte, comme tu peux le voir.
- C'est pas grave, j'en ai une deuxième ! Déclara R.E.M, toujours là pour rendre service, de toute évidence.
- Bon, mais pas longtemps, il faut que je travaille sur Kurenai, en rentrant.
- Juste Sadistic Emotion, et après je te laisse tranquille, si tu veux. »
Alors R.E.M alla chercher son instrument, Yume alla récupérer son fils qu'elle assit sur une chaise en lui intimant de rester sage. L'enfant, patient et habitué à voir les adultes de son entourage jouer de la musique, se fit un plaisir de se plier à cette demande, baigné là-dedans depuis sa naissance, il était bon public. Et une fois que tout le monde fut prêt et en place, Tetsu donna la rythmique sur une cymbales et les premiers accords de la chanson se firent entendre.
Yume descendit de la scène et se saisit de la serviette tendue par le régisseur, qui l'attendait toujours bien sagement avec. Elle essuya le manche de sa guitare, et croisa le regard sévère de Yôji, le tenancier de la boîte.
« Yumeko-chan, va falloir renouveler ton répertoire. Les types sont lassés de toujours entendre la même chose.
- Quoi ? C'est pas assez bien pour eux ? De toute façon, je doute qu'il soit là pour la musique.
- Aiko-chan, t'es la prochaine ! S'écria le propriétaire à l'intention d'une autre de ses danseuses, avant de reporter son attention sur elle. Tu joues la même putain de chanson depuis que tu bosses ici. Tes habitués vont sérieusement finir par être blasés et aller voir ailleurs. »
Yume voulu lui répondre. Elle voulue lui faire ravaler ses paroles, simplement parce qu'elle ne le supportait pas. Mais pour le coup, elle serra les dents. Elle avait une requête à formuler, et cela allait lui demander toute sa diplomatie donc de prendre sur elle.
« Je… verrais ce que je peux faire, marmonna-t-elle en détournant le regard.
- Bien.
- Yôji, est-ce que je peux te parler ?
- Oula, qu'est-ce que tu vas me demander, toi ? T'es jamais aussi douce avec moi ! Ricana l'homme en la regardant de haut en bas, avec mépris. »
Il glissa sa main sur l'épaule dénudée de la jeune femme, pour la caresser du dos de ses doigts. Voilà pourquoi elle l'envoyait constamment chier, dès que l'occasion se présentait, il ne pouvait s'empêcher de la toucher. C'était la même chose avec les autres filles. Le frisson de dégout que ce geste provoqua, lui fit monter une nausée jusque dans son œsophage. Malgré la chaleur ambiante des lieux, ce simple geste lui donna froid. Elle leva des yeux pleins de défi et d'écœurement vers lui, tout en tentant de ne pas grimacer, ou de ne pas lui vomir dessus.
« Je… j'ai besoin que tu m'accorde quelques jours de congé.
- Des jours de congé ? Mais bien sûr, répondit l'homme avec ironie. »
Il se détourna en riant, amusé, levant les yeux au ciel et se dirigea vers les loges, trouvant la blague vraiment très drôle. Elle lui emboîta le pas, trainant sa guitare avec elle.
« Yôji, je suis sérieuse, j'ai besoin que tu m'accordes trois jours, au mois d'avril, c'est important !
- Vas-y, dis-moi quand qu'on se marre encore plus.
- Le vendredi dix, et les samedi dix-huit et vingt-cinq avril.
- Un vendredi et deux samedis ? Les jours où on fait le meilleur chiffre d'affaires ? T'es vraiment hilarante, Yumeko-chan.
- Yôji, s'il te plaît. J'ai pas pris un seul jour de congé depuis que je bosse pour toi. Ça fait des mois, je ne te demande pas la lune, franchement. »
Passant devant la coiffeuse à laquelle elle s'était installée, elle posa sur son socle sa guitare, en passant tout en le suivant à la trace, histoire d'être sûre de ne pas le perdre de vue. Il aurait tout fait pour l'éviter sinon, elle le savait. Il savait combien elle pouvait être têtue quand elle s'y mettait. Et la voir se montrer si gentille était criant de vérité pour lui.
« Mais, qu'est-ce qui te fais croire que je pourrais même envisager l'idée d'accepter ? Un vendredi et deux samedis, en plus ? Vraiment, tu vis dans un monde féérique, Yumeko-chan. C'est touchant de voir autant de naïveté dans un corps avec un petit cul pareil.
- Yôji, s'il te plaît ! Ajouta-t-elle, en l'attrapant par le bras, le faisant se stopper et retourner vers elle, par la même occasion. Je ne te demande jamais rien. Je t'en prie, j'ai besoin de ces jours. »
Visiblement, Yôji n'apprécia pas le geste, bien que dénué d'agressivité et plutôt empreint de prière, surtout si on ajoutait à cela son regard presque suppliant. Mais elle se permettait trop de chose. Alors, il l'attrapa par les épaules et violemment, il la fit reculer, la plaquant contre le premier mur venu. Yume n'eut pas le temps de contrer quoi que ce soit, surprise par la virulence de ce geste. Il posa ses deux mains de part et d'autre de sa tête, en se penchant au-dessus d'elle, rapprochant son visage du sien, si près, qu'elle pouvait sentir son haleine, presque putride, son souffle chaud contre sa peau.
« Et pourquoi je ferais ça, hein !? T'es de plus en plus souvent en retard, tu fais de moins en moins d'effort, tu rechignes à la tâche, tu te permets de mal me parler, sauf quand t'as besoin d'exiger quelque chose. Pourquoi je te rendrais service, hein ?
- Parce que je te rapporte de l'argent ? Beaucoup d'argent, et tu le sais. »
Yume essayait tant bien que mal de ne pas détourner le regard, ou même de laisser paraître quelconque peur dans ses yeux, mais cela tenait de l'exercice intense. Pourtant, elle n'en menait pas franchement large. Le bonhomme était bien plus grand qu'elle, et ses épaules devait bien faire trois fois les siennes. Il ne lui aurait fallu qu'un coup de poing bien placé pour l'assommer et faire ce qu'il voulait d'elle par la suite.
« Me rapporter de l'argent ? Mais ma pauvre Yumeko-chan, t'es de moins en moins rentable ! Qu'est-ce que tu crois ? Et tu penses vraiment que c'est en te donnant trois soirs des plus rentables que tu vas continuer à me rapporter du fric ? Cracha-t-il, en postillonnant légèrement sur son petit nez, saisissant une mèche de ses cheveux blonds, qu'il tripota distraitement. Si tu t'étais montré un peu plus gentille avec moi, depuis que tu bosses ici, j'aurais peut-être pu y réfléchir, tu vois. Mais tu es une véritable petite garce, tu mérites pas qu'on t'accorde le moindre privilège. »
Il vint poser ses doigts sur son visage, venant caresser sa joue lisse du dos de la main. Et ce geste fut celui de trop, dépassant les limites que Yume était capable d'endurer. Elle repoussa cette main vivement en grimaçant.
« Me touche pas, sale porc !
- Dommage pour toi, j'allais te donner une chance de négocier ça dans mon bureau. Enfin, sous mon bureau, pour être plus exacte. Mais tu serais capable de me mordre la queue, si tu me suçais. Je vois que t'es trop dangereuse.
- Ne t'approche pas de moi, le repoussa-t-elle en plaquant sa main sur la bouche qui se rapprochait dangereusement de la sienne, tremblante d'effroi et de peur, maintenant. »
L'assurance feinte que Yume affichait jusqu'à présent, disparue avec ces propos qui la terrifiaient. La peur, l'angoisse, se lisait sur son visage, et son regard s'embua lentement, alors que sa respiration devint saccadée.
Yôji se redressa finalement, alors qu'il lui fit un violent signe de la tête, en grimaçant.
« Allez, va bosser, petite pute ! Cracha-t-il avant de se détourner pour retourner à ses occupations.
- Et pour mes jours de congé ?
- Tu peux t'asseoir dessus, pétasse ! Répliqua-t-il en lui faisant un doigt d'honneur boudiné, sans même se retourner.
- Sale con ! »
