HUITIEME CHAPITRE – X [X]
Avril 1987
En entendant toquer à la porte, Hide enroula le petit garçon dans une serviette de bain, lui intimant de ne pas bouger et se redressa pour accourir et ouvrir au visiteur dont il ne doutait pas de l'identité. Se retrouvant face à R.E.M, qui salua un peu précipitamment, il l'invita à entrer dans l'appartement.
« R.E.M-kun, merci de t'être proposé pour le baby-sitting encore une fois, lâcha Hide en retournant dans la salle de bain, suivit de son guitariste, qui ferma la porte derrière lui.
- Mais c'est avec plaisir. Comment vas-tu ?
- Un peu dans la course là, mais ça va. Et toi ?
- Ça va, je te remercie. Alors petit monstre comment tu vas ? Demanda le brun en s'adressant au petit garçon, qui avait les cheveux mouillés. »
L'enfant, visiblement plein d'énergie esquissa un grand sourire à l'intention de l'invité alors que son oncle lui séché les cheveux avec la serviette de bain qui l'avait recouvert un instant plus tôt.
« Je lui ai déjà donné le bain, comme tu peux le voir. T'auras plus qu'à le faire manger, l'occuper un peu avec des dessins et le coucher d'ici deux heures. Il est un peu capricieux à l'heure de dormir, mais fait de ton mieux, on t'en voudra pas. C'est déjà sympa de ta part de nous le garder.
- Ça devrait aller. On est copain Kazuki-chan et moi, pas vrai ? Demanda R.E.M, à l'intention de l'enfant qui acquiesça vivement en le regardant de ses yeux pleins d'admiration. Tu penses rentrer à quelle heure ?
- Vers minuit. Je ne tarderais pas trop après le concert pour ne pas te laisser dans la galère tout seul.
- Prends ton temps pour rentrer.
- Si tu veux dormir, n'hésite pas à prendre ma chambre et à dormir dans mon lit. Je prendrais celui de Yume-chan. Il y aura peut-être plus de métro d'ici que je rentre.
- Merci, je prends note.
- Tu nous rends service, je vais pas te foutre dans la merde pour rentrer en plus, expliqua le leader en caressant du doigt, le bout du nez de Kazuki avec amusement une fois ses cheveux presque sec, ce qui extorqua un rire au bambin. »
Kazuki partagé les traits que Hide et Yume avaient déjà en commun. Leur nez fin et parfaitement dessiné, leur bouche aux lèvres pleines et sculptées, ainsi que la forme de leurs yeux, assez grand. Yume et Hide se ressemblaient assez de visage. Les traits de Yume étaient peut-être un peu plus fins que ceux de Hide, déjà très androgynes, le visage peut-être un peu plus petit et le menton plus délicat probablement un peu moins marqué. L'enfant avait la forme de visage de Hide et les yeux noirs de sa mère. Indéniablement, il tenait du côté maternel physiquement, et il aurait été impossible de deviner qui était son père par ses traits.
Bien que Yume n'ait jamais voulu donner le nom du père de cet enfant à qui que ce soit, pas même à Hide, qui avait longuement insisté sur ce point -près à faire payer le sale petit con qui avait eu le toupet d'engrosser sa sœur d'à peine quinze ans à l'époque-, il s'était avéré qu'il n'y en avait finalement aucun besoin. Hide se posait parfaitement en figure paternel pour ce gosse qui lui ressemblait franchement. De ce que R.E.M savait, la situation avait été compliqué à l'époque. Yume était une enfant complètement perdue par le passé. Dévastée et en pleine phase de rébellion violente face à son frère ainé, son unique famille. Elle s'était apparemment rendue trop tardivement compte de son état et n'avait pas eu beaucoup d'autre choix que de mener sa grossesse à terme. Les disputes entre le frère et la sœur avaient été violentes et tournaient quasiment au pugilat à chaque fois. En ce temps-là, Yume venait souvent aux répétitions du groupe et se prenait des remarques acerbes de la part de son aîné au moindre mot qu'elle tentait de prononcer. Ça avait été difficile et plus que tendu au point que R.E.M, qui observait cela à bonne distance, venant d'arriver dans le groupe à cette époque-là, s'était dit qu'ils allaient finir par s'entretuer. Mais quand Yume avait mis au monde Kazuki, la distance qui s'était creusée entre eux avait soudainement été effacée par ce minuscule bébé joufflu. Hide avait fondu devant cette bouille adorable, et avait ressenti un puissant amour pour ce nourrisson semblable à l'affection qu'il portait pour sa sœur. Véritable tonton poule, il avait eu les plus grandes peines du monde à laisser Yume s'occuper de son propre enfant, complètement accroc qu'il était. Il prenait plaisir à s'occuper de lui depuis sa naissance et avait créé un lien indéfectible entre lui et le bout de chou.
« Comment va Yume-chan, au fait ? Pas trop stressée ?
- Comme elle s'est retrouvée à devoir faire le lead guitariste au dernier moment et à réapprendre toutes les chansons, elle était tellement occupée à s'entrainer que jusque-là, elle a pas trop eu le temps de stresser.
- Elle est prête selon toi ?
- Elle est plus que rodée en tout cas, d'après moi et d'après son leader. Mais bon, elle arrête pas de bosser sa gratte comme une folle. »
R.E.M lâcha un petit rire amusé, se disant que ça ressemblait assez à Yume, tout ça.
Hide termina de mettre le petit en pyjama et passa le relais à R.E.M un bon quart d'heure plus tard, quand il prit la poudre d'escampette à toute allure, pour rejoindre la salle de concert, prenant le métro pour faire le trajet. Hide n'était pas très en avance et espérait sincèrement avoir le temps de voir Yume dans les loges, avant qu'elle monte sur scène pour faire office de soutiens. Quand Hide arriva à la salle, le Rock House Explosion, il trouve un monde fou en train de fumer ou de boire devant, en attendant que le concert débute, et à l'intérieur, la salle était tout aussi blindée. C'en était au point que la chaleur des lieux provoquait par l'amassement humain, contrastait assez violemment avec la fraîcheur de cette nuit printanière. Il se dirigea toute fois directement vers l'entrée des loges où un vigile gardait sérieusement l'entrée. En se faufilant au travers de la foule, il espéra ne croiser personne qu'il connaissait, trop en retard qu'il était pour s'arrêter en chemin. Comme il était convenu qu'il passerait par la loge, Yume avait donné son nom au vigile qui ne fit pas trop d'histoire pour le laisser passer. Les Saver Tiger ayant déjà joué dans cette salle, il connaissait assez bien le chemin du petit couloir qui menait à la pièce qui faisait office de loge. Il trouva le groupe gentiment installé. Taiji s'adonnait à quelques gammes pour s'échauffer les doigts, Toshi faisait des vocalises, Yoshiki s'étirait et Yume et Pata révisaient ardemment en dernière minutes -probablement à la demande de la jeune blonde-. L'ambiance était lourde, tendue. C'était la première fois qu'ils jouaient tous ensemble sur scène et cela faisait quelques mois que X ne s'était pas produit maintenant. Maquillés avec extravagances, coiffés comme si l'on avait mis des pétards dans leur cheveux et habillés de cuire et de vêtements déchirés, ils avaient fière allure tous les cinq. Yume avait crêpés ses longs cheveux blonds, donnant du volume à sa crinière déjà imposante. Elle portait un chapeau large en travers sur sa tête. Son maquillage chargé marquait pourtant plus encore la finesse de ses doux traits féminins, appuyant son regard noir et la forme juvénile de son visage gracieux. Elle portait une longue veste de vinyle noire qui lui arrivé jusqu'aux genoux, cintrée, marquant sa fine taille malgré le fait qu'elle était restée ouverte, sa robe à volant au style assez gothique était plus courte à l'avant et se dégradée en volant léger et noire. Elle avait accompagné ça d'un legging de cuir noir, et de bottines à talon noir. Elle se fondait parfaitement dans le look du groupe.
« Oula, tellement de sérieux ici, plaisanta-t-il en rentrant dans la pièce avec vivacité, se moquant bien de les surprendre, tant chacun était dans son monde.
- Hide-san ! On commençait à se dire que tu ne viendrais plus ! S'écria Yoshiki, bien content de le voir, ne sachant plus trop comment canaliser la jeune femme, qui allait épuiser son guitariste de session avant même que le concert ne commence.
- Désolé, le métro faisait des siennes.
- Yume-chan, ton frère est là ! Déclara Yoshiki à l'intention de la blonde, qui restait concentrée dans son intense révision de solo. »
Sortant de sa semi-torpeur, elle releva la tête pour poser un regard voilé de concentration sur lui. Perdue au loin dans son esprit rempli de note et de doigté, elle eut un peu de mal à remettre les pieds sur terre pour reconnaître son frère. Dès qu'elle le reconnut, elle reprit son solo depuis le début, son regard alternant entre son instrument, ses doigts et son frère.
« Kazuki-chan est bien avec R.E.M-kun ?
- Non, je l'ai laissé tout seul à la maison, ironisa Hide, avant de comprendre par le regard d'incompréhension de sa sœur, qu'elle était à un stade où tout serait pris au premier degré pour le moment. Bien sûr, qu'il est avec R.E.M-kun. Vous montez sur scène dans combien de temps ?
- Dix minutes. Yume-chan, arrête de faire ce solo, tu le connais par cœur, déjà.
- Ta gueule ! Tu me feras des remarques quand je serais descendu de scène, pas avant ! Répliqua-t-elle, tendue.
- Ah ouais, pas commode quand t'es stressée, toi, commenta Taiji. »
Yoshiki comprenait assez bien l'état dans lequel elle devait être. Même si lui-même était stressé, il n'aurait cependant pas su imaginer pleinement le stresse que devait être celui de la guitariste, au vu de la confiance en elle qui était la sienne, de son manque d'expérience et de l'expression de son visage qui trahissait clairement qu'elle se demandait ce qu'elle foutait là. D'où le fait qu'il laissa passer encore une fois, cette vive réponse. À la remarque de Taiji, Hide s'étonna de ne pas la voir au moins lui jeter un regard assassin, mais elle était de toute évidence, trop concentrée sur son jeu. Yume était au point depuis plusieurs jours après un travail acharné, mais comme la perfection ne lui suffisait pas, elle continuait de pratiquer encore et toujours, s'évitant par la même de trop penser qu'elle allait monter sur cette scène. Hide s'approcha pour venir la regarder jouer, lui offrant une cigarette qu'elle calla dans le coin de ses lèvres après l'avoir allumée, alors qu'elle jouait sous le regard attentif du Saver Tiger. Accroupis face à elle, en fumant sa clope, il essayait de trouver le moyen de lui adresser un mot ou deux d'encouragement, mais elle n'y était pas encore disposée. Ce fut uniquement quand ses yeux noirs finirent par s'accrocher à ceux noisettes de son frère, avec désespoir, qu'il comprit qu'il était temps pour lui de rentrer en scène. Il se releva et vint jouer avec les pans de sa longue veste en vinyle.
« Je vais pas y arriver… souffla-t-elle, alors qu'elle commençait à réaliser l'ampleur de la situation.
- Bien sûr que tu vas y arriver. Il suffit d'accepter de te lancer. Et là, t'as plus le choix, tu peux pas les lâcher comme ça.
- Et si je me plante ?
- Tu continues de jouer. Ça arrive à tout le monde de se tromper, c'est pas la fin du monde. Ecoute bien ton partenaire de jeu, mais aussi tous les autres membres du groupe, c'est important. Reste dans le rythme, avec le stress, on a tendance à accélérer la cadence. Souffle, reste bien concentrée, le reste, laisse ta mémoire musculaire faire le boulot. Fais-lui confiance. Mais plus important encore, fais-toi confiance.
- Plus facile à dire qu'à faire.
- Mais je te l'ai déjà dit, c'est facile en réalité, répondit-il en ajustant le chapeau sur la tête blonde de sa sœur. Dès que tu auras joué la première note sache que tu auras déjà fait le plus dur.
- Ça va être l'heure les gars, intervint Yoshiki, d'une voix forte, en avisant l'horloge.
- Je vais vous laissez, alors.
- Un dernier conseil ?
- "Eclate-toi" ?
- T'as pas mieux que ça, franchement ? Je ne sais pas si je serais capable de m'éclater. »
Hide lâcha un petit rire amusé, alors qu'il remettait doucement un parement de sa tenue et ses cheveux en place, l'observant de son regard le plus protecteur qu'il ait :
« Alors déchaine-toi. Toute cette rage, toute cette peine, toute cette triste que je sais que tu essaie d'enfouir en toi depuis des années : sors-la, exprime-la, extériorise-la. C'est le moment, c'est ton moment. Joue avec toute ta colère. Accorde-toi ça, une fois dans ta vie au moins. Fais-le ce soir. Tu vas vivre le moment le plus impressionnant et le plus salvateur de toute ton existence, fais en sorte que ça compte pour toi, pour toujours. Fais-en un souvenir qui t'apaiseras dans les moments les plus difficile de ta vie. »
Hide avait un doux sourire, des accents rassurants dans sa voix affectueuse. Et quand ses yeux noisette croisèrent à nouveau ceux de sa cadette, il lui sembla voir un léger apaisement. Rien n'aurait pu calmer complètement Yume ce soir, mais ces propos lui firent pourtant un bien fou. Il vint poser un baiser sur la joue de sa sœur qui acquiesçait encore à ses paroles, acceptant pour la première fois d'entendre avec autant d'attention des termes si rassurants. Il lui fit un dernier sourire :
« Tu verras, ce sera génial. »
Il les salua et quitta alors sagement la pièce, laissant la jeune femme et sa respiration un peu affolée, plantée au milieu de la pièce, s'accrochant d'une main au manche de sa guitare noire.
« Ton frère est de bon conseil, reprit Yoshiki, profitant de la voir légèrement apaisée pour venir à son tour tenter de la calmer un peu. Mais si je peux en ajouter un : respire. C'est important.
- Pourquoi chaque fois que vous me dîtes un truc, vous vous sentez obligé de rajouter "c'est important".
- Les trois choses que tu as à retenir c'est de respirer, t'éclater et écouter les autres. Ecouter pour s'assurer qu'on joue tous ensemble. T'éclater pour faire le show. Et respirer pour ne pas t'effondrer. Et tout se passera bien. »
Désespérément, elle s'accrochait au manche de sa guitare, si fort que ses veines en devinrent apparentes. Plus les secondes avançaient vers l'heure fatidique, moins son esprit était occupé par l'idée de revoir ses solos, plus elle était terrifiée. Chaque cellule de son corps se mettant à trembler, l'estomac noué, le cœur au bord des lèvres. Jamais de sa vie, elle n'avait connu un tel stresse, autant qu'elle s'en souvienne. Si bien que ses oreilles se mirent à bourdonner, devenant sourde à tout ce qui l'entourait, entendant à peine le discours d'encouragement et de leader que faisait Yoshiki. Sa respiration saccadée, et sa vue se troublant. Elle ne se rendit même pas compte qu'elle avait quitté la loge et qu'elle se trouvait maintenant tout près de la scène, dans un couloir étroit, prête à grimper dessus. Et puis, soudainement une main sur son épaule, la faisant sursauter vivement. Elle se retourna et se retrouva face à Pata et Taiji, qui lui souriait avec bienveillance.
« Respire, souffla Taiji, en voyant qu'elle se laissait déborder par sa respiration incontrôlée. »
Elle déglutit, acquiesçant et tenta d'inspirer et d'expirer, essayant de reprendre la maîtrise de son souffle.
« On reste ensemble, Yume-chan. On joue ensemble tous les trois, d'accord ? On l'a fait des dizaines de fois, toi et moi on arrive à jouer en parfaite synchronisation. On peut le faire. Si tu ne sais plus où donner de la tête, alors concentre-toi là-dessus. »
Les lumières de la salle s'éteignirent, et les cris de la foule s'élevèrent surpuissant, appelant X de façon tonitruant, si violente que Yume avait l'impression que les murs autour d'elle en tremblaient. Yume n'avait pas voulu savoir combien de personne la salle pouvait accueillir, ni combien de billet avaient été vendus, mais les voix du public qu'elle entendait lui donnaient le vertige. Ils étaient si nombreux que ça ? Mais qu'est-ce qu'elle foutait là, vraiment ? Et aucun moyen de prendre la fuite, Taiji et Pata étaient derrière elle, bloquant toute retraite. Mis à part avancer pour monter sur cette scène, elle ne pouvait rien faire… Avec un peu de chance, elle s'évanouirait avant. Mais son destin se profila devant elle, alors que les spotlights s'allumèrent, éclairant vivement la scène, on ne réussit à entendre on ne sait comment le cri quasi-rageur de Yoshiki qui se tenait devant elle :
« ON Y VA ! »
Le batteur lui attrapa le bras, et la traina jusqu'à l'entrée de la scène et l'élança dessus, sachant pertinemment qu'elle n'irait pas d'elle-même vu l'état second dans lequel elle était. Passant en mode automatique, Yume continua le mouvement, à moitié poussé par Taiji et Pata, et alla se placer à la gauche de la scène, d'un pas un peu trainant, alors que les cris de la guitare de Pata et de la basse de Taiji saturées se faisaient entendre, tandis qu'ils se plaçaient sur la droite, couvrant presque les cris du public. Yoshiki s'installa derrière sa batterie, alors qu'elle ne parvenait presque plus à bouger. Dernier à monter sur scène, Toshi arriva, et grimpa sur deux petits amplis de retour scène qui se trouvaient sur le devant, comme un héros qui venait à la rescousse. Les cris redoublèrent encore et encore, presque étouffant. Elle les observa, un instant, se transformer devant elle, devenir tout à coup des monstres de scène. Et puis enfin, Yoshiki tapa sur sa batterie, démarrant ainsi l'introduction du concert, sur quelques notes et accords virulents.
Qu'avait dit Hide, déjà ? "Déchaîne-toi" ? Quelque chose comme ça en tout cas. Faire sortir tout ce qu'il y avait de violent en elle, c'était son dernier conseil. C'était le conseil qu'il lui fallut se répéter, mais qui permit à ses doigts de glisser sur le manche de sa guitare pour se placer sur les frètes avec justesse, alors que son autre main gratta les cordes à l'aide de son médiator. Eblouis par la lumière intense, elle se retrouva presque aveugle, obligée de se montrer à l'écoute, attentive, elle tendit l'oreille pour écouter Pata, et se caler sur lui. Ce fut ainsi que la voix de Toshi s'éleva au-dessus de tout, cassé et incroyablement puissante, plus encore que celle qu'il montrait en répétition :
« I'LL KILL YOU ! »
Elle se força à inspirer, alors que depuis qu'elle était sur cette scène, elle en avait presque oublié cet acte naturel. Et puis, quelque chose au fond d'elle prit le contrôle. Toute cette rage, cette peine, cette tristesse, dont Hide avait parlé prirent le dessus, se dégageant des carcans intérieurs dans lesquels elle essayait de les emprisonner, comme si ces émotions n'avaient jamais attendus que ça, que cet instant de sa vie… Le jeu puissant, mais aussi ce qu'elle dégagea sur scène tout à coup, sembla surprendre les autres membres du groupe, qui la surveillaient du coin de l'œil. Une tout autre personne, soudainement, qui se déchaina devant ce public réceptif et en délire. Sautant, courant, tournoyant, grimaçant, jouant avec le public par des mimiques et des regards. C'était à la fois elle et plus elle du tout. Méconnaissable, Yume n'était plus la jeune femme distante, un peu froide, cassante qu'ils voyaient lors des répétitions. Elle était si furieuse, qu'elle en devenait presque dangereuse pour elle-même, chacun se disant qu'à ce rythme, elle ne tiendrait jamais le coup sur toute la durée du concert. Pourtant, à aucun instant, l'on ne put voir le moindre signe de fatigue ou de faiblissement sur ses traits ou dans son caractère. Elle galvanisa le public, explosant de charisme et d'énergie, dans un jeu de guitare parfaitement maîtrisé et totalement à l'écoute des autres membres. Comme si elle était faite pour ça. Pour la première fois de sa vie, Yume aima monter sur scène. C'était même plus que ça. Elle se sentit à sa place, là, sur cette scène, à la gauche de Toshi.
Presque immédiatement après qu'ils achevèrent I'll Kill You, ils enchainèrent sur Xclamation, chanson qu'elle et Taiji avaient composé ensemble, juste avant qu'ils apprennent pour l'état d'Isao. Se rassemblant au centre de la scène naturellement, Yume sautillant sur place, l'immense sourire de son visage contrastant sévèrement avec l'expression qu'elle arborait à peine cinq minutes plus tôt.
Elle faisait en sorte, comme l'avait dit son frère, que cet instant compte.
