Chapitre 1. Cinq ans déjà

Une fois par an, le manoir du square Grimmaurd reprenait vie. Alors que toute l'année la demeure restait vide, cette soirée lui redonnait un peu de son ambiance d'autrefois.

Cinq sorciers avaient pris possession du salon. Une bonne bouteille de vin était ouverte sur la table basse entourée de plateaux remplis d'amuse-bouches. Comme tous les ans, Ron était arrivé avant tout le monde et avait fait un peu de ménage avant d'installer leur apéro dinatoire. Il avait rapidement été rejoint par ses amis et la soirée avait pu commencer.

— Et la fois où Pattenrond avait volé ta rédaction de divination ? sourit Ginny en reprenant un toast. Tu l'avais pourchassé à travers tout l'étage. Tu as fini par rater une marche et dévaler l'escalier sur les fesses.

Les rires s'élevèrent dans la pièce alors que Ron grommelait sur son fauteuil.

— Je tiens à signaler que ça fait horriblement mal, se plaignit-il.

— J'aurais aimé voir ça, renchérit Blaise en se servant un nouveau verre avant de lancer un clin d'œil à son ami.

— De toute façon, vous êtes arrivés bien plus tard, rétorqua Ron avec un sourire en coin.

Pendant la guerre, l'antique demeure de la famille Black avait servi de refuge pour bon nombre de sorciers. L'Ordre du Phoenix n'avait jamais refusé d'ouvrir ses portes à quiconque en avait besoin.

Blaise et Draco n'avaient eu aucune envie de rejoindre les rangs de Voldemort, mais leur famille ne leur laissait pas le choix. Ils avaient été exfiltrés avant de recevoir la Marque des Ténèbres. On leur avait installé des lits de camp dans la chambre d'Harry et Ron. Les anciens ennemis avaient dû subir une cohabitation improbable. En découvrant cet endroit et le joyeux bazar qui y régnait, ils avaient été déstabilisés. C'était si éloigné de tout ce qu'ils avaient chez eux. Par la suite, les deux Serpentards avaient souvent regretté de ne pas y avoir passé plus de temps.

En quelques semaines, l'animosité qui existait entre les quatre sorciers avait disparu. Avec le temps et les épreuves, une solide amitié était née.

Hermione n'avait aucun mal à suivre le cheminement de pensée de ses amis et décida de les prendre pour cible.

— Et si on parlait du jour où vous êtes arrivés tous les deux ? Votre tête quand vous avez compris que c'était à vous de ranger la chambre et qu'on n'avait pas de personnel pour le faire, c'était magnifique.

Sur le canapé, Ginny éclata de rire alors que les deux concernés prenaient une expression scandalisée.

— J'étais tout à fait capable de m'occuper de mes affaires tout seul, rétorqua Blaise.

— Parle pour toi. Pour ma part, un balai ça ne servait qu'à voler.

Les rires reprirent de plus belle. Même Draco s'autorisa un sourire en coin. Quelques jours après son arrivée, madame Weasley lui avait collé une éponge et un seau dans les mains pour qu'il participe au ménage de l'Ordre. Il avait râlé tout du long.

— J'ai encore mieux ! s'exclama Ron, toujours à la recherche de l'anecdote qui déclencherait le plus d'hilarité. Vous vous souvenez du jour où on a surpris Harry et Draco en train de se bécoter dans la cuisine.

Draco s'enfonça dans son fauteuil. Il se mit à fixer le mur avec l'envie de se lever pour quitter la pièce. Il ne voulait pas parler de ça. Jamais. Ron aurait dû le savoir. Harry et lui, ce n'était pas un sujet. Il était parti. Il l'avait laissé tomber, sans un mot.

— Vous pensiez vraiment être discrets ? insista le rouquin en souriant sans se rendre compte du malaise de son ami. Ça a commencé quand, votre petit jeu de cache-cache ? Quelques mois après la défaite de Voldemort, non ?

Le silence retomba lorsque Draco répondit, d'un ton acide.

— Et vous vous souvenez de la fois où Harry s'est barré sans prévenir personne ?

Ron se renfrogna, détournant les yeux, la mâchoire serrée. Au fond de lui, il savait qu'il l'avait bien cherché. Mais il ne voulait pas parler de ça. Pas ce soir. Ginny alla se nicher dans les bras d'Hermione, dissimulant son visage dans ses boucles brunes. Blaise soupira, quant à lui, habitué à ces éclats de mauvaise humeur.

— C'est bas, Malfoy, marmonna Ron entre ses dents.

Draco se leva d'un bond, les bras croisés. Il regarda chacun de ses amis, ses yeux lançaient des éclairs à travers la pièce.

— Je pensais qu'on était là pour ça. On ne vient pas ici tous les ans pour célébrer son départ ? Ce n'est pas pour ça qu'on est ici, à faire semblant ?

Blaise se leva pour s'approcher de son ami. Il posa une main apaisante sur l'épaule de Draco, mais celui-ci se dégagea d'un geste brusque avant de commencer à faire les cent pas autour du salon.

— Ce n'est pas le moment, Draco, tenta Blaise. On est là pour parler des bons moments, pas pour… parler…

— Pas pour parler du fait que ça fait exactement cinq ans qu'il s'est barré ? Même le ministère n'a jamais réussi à lui mettre la main dessus.

Draco passa une main tremblante dans ses cheveux. Il tourna sur lui-même afin de fixer chacun de ses amis. Depuis son réveil, il avait l'impression d'avoir ce chiffre tatoué dans son crâne. Cinq ans ! Il ne parvenait à avoir aucune pensée cohérente. Pourquoi n'étaient-ils pas dans le même état ?

— Cinq ans ! hurla-t-il à travers la pièce. Et on continue à venir ici, à porter des toasts, à faire semblant. Pour quoi, au juste ?

Ron détourna le regard. C'était la première fois que Draco faisait preuve d'une telle colère lors de leur petite réunion annuelle au square Grimmaurd. Sans doute n'aurait-il pas dû évoquer l'histoire entre Harry et lui. C'était tabou, et ce n'était pas le bon soir pour tenter d'en rire. Pourtant, ces derniers mois, son ami s'était remis à fréquenter des hommes. Ron avait pensé que, peut-être, le moment était venu, qu'ils allaient pouvoir évoquer cette partie de leur histoire sans que ce ne soit trop dur pour lui.

— Excuse-moi, Draco. Je n'aurais pas dû parler de ça.

— Non, en effet.

Son ton était déjà redevenu plus doux, comme si déverser sa rage lui avait permis d'évacuer un poids. Ses épaules s'affaissèrent et il retourna à sa place.

— Et on ne se bécotait pas, corrigea-t-il une fois son verre entre les mains. Moi je ne bécote pas, j'embrasse.

Un timide sourire apparut sur les visages. Ron se détendit, toujours honteux.

Cinq ans plus tôt, Harry avait disparu. Lorsque Ron était venu le chercher pour aller dîner chez Blaise et Draco, il avait trouvé la maison vide. Mais c'était une absence étrange, presque irréelle. Les affaires de Harry étaient toujours là. Sa baguette reposait sur la table basse, là où il la laissait toujours avant d'aller dormir. Sa tenue pour la soirée était prête, posée sur une chaise, dans la salle de bain.

Ron avait tenté de l'appeler, mais son portable était resté sur la table du salon. Alors il l'avait attendu. Inquiets de ne pas les voir venir, Draco et Blaise avaient fini par le rejoindre. Ça avait été leur première réunion sans Harry. Ce soir-là, sans même s'en rendre compte, ils avaient commencé un rituel qu'ils détestaient autant qu'ils en avaient besoin. Chaque année, ils revenaient ici et ressassaient des souvenirs heureux pour combler le vide. Si aucun ne le disait, tous se demandaient si Harry pensait également à eux, où qu'il soit.

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L'ambiance avait fini par se détendre et les souvenirs par se tarir.

Ginny annonça qu'elle comptait arrêter le Quidditch pour la prochaine saison, sans vraiment entrer dans les détails. Elle avait besoin d'une pause.

Blaise parla de ses plaidoiries dans plusieurs affaires liées à d'anciens mages noirs. Il défendait les intérêts du Ministère, ce qui lui permettait de nettoyer son nom.

Ron donna les dernières nouvelles du Ministère. Une coopération allait bientôt se mettre en place avec les autres Ministères d'Europe mais il ignorait encore pourquoi.

Draco, de son côté, refusa tout net de parler des rumeurs autour de son futur mariage qui faisait la Une des journaux. Il pesta qu'il n'avait pas envie de revenir sur ces idioties.

— Si je devais me marier vous seriez déjà au courant.

Lorsque l'attention se porta vers Hermione, la jeune femme se mit à triturer les bords de sa chemise. Ginny passa une main dans son dos pour l'encourager.

— Un problème, Mione ? demanda Ron, les sourcils froncés.

— On en a discuté, ma chérie. Tu dois leur dire, murmura Ginny.

Hermione bu une grande gorgée de vin avant de prendre une grande inspiration pour se donner du courage.

— Nous avons eu des cas étranges à l'hôpital.

Un silence curieux s'installa dans la pièce. Tous les regards étaient braqués sur elle.

— Le service a reçu une série de sorciers trouvés par des Aurors.

Elle marqua une pause, avant de jeter un regard à Ginny pour chercher du soutien.

— Ils sont devenus incapables de pratiquer la magie.

— Ridicule, s'exclama Blaise avec un rire bref.

— C'est ce qu'on a pensé au début, reprit Hermione, son ton plus tranchant. On a cru à un blocage interne, un choc émotionnel, peut-être. Mais d'autres cas sont arrivés, et nous avons dû chercher plus loin. Les victimes ne réagissent à aucune de nos méthodes habituelles. On a fini par comprendre l'origine du problème.

Tu as trouvé l'origine du problème, la corrigea Ginny avec un léger sourire.

— Sans mon père je n'y aurais pas pensé, minimisa Hermione. Il nous a suggéré de les emmener passer une radio dans un hôpital moldu. C'est là qu'on a compris. Ces sorciers ont été opérés. Quelqu'un leur a implanté une puce dans le cerveau.

Les visages autour d'elle se figèrent, incrédules.

— Une puce ? murmura Ron, l'air perplexe. Comme l'insecte ?

Hermione secoua la tête. Elle se laissa glisser dans les bras de Ginny qui la serra contre elle.

— C'est une invention moldue. Elle envoie des impulsions électriques qui perturbent les pouvoirs. On ne comprend pas encore très bien le fonctionnement. Mes supérieurs ne souhaitent pas mêler des moldus à l'affaire alors qu'ils n'y comprennent pas grand-chose. Dans certains cas qu'on a pu observer, les puces envoient des décharges qui provoquent une douleur insupportable… Les victimes ne semblent pas avoir de souvenir de leur opération, ni de ce qu'elles faisaient avant. Toutes ont été retrouvées à errer dans les rues, comme si on les avait droguées. Autre chose étrange, ils ont tous été retrouvés devant des lieux magiques, comme le Chaudron Baveur.

Blaise, pourtant sceptique, se renfrogna, son esprit déjà en train d'explorer les implications légales. Ginny et Ron échangèrent un regard inquiet. Draco, quant à lui, fixait Hermione, son expression indéchiffrable.

— Pourquoi ? Qui ferait une chose pareille ? finit-il par murmurer.

Hermione haussa les épaules, troublée.

— Ce n'est pas tout, reprit-elle. L'un des sorciers a été pris d'une violente crise de douleurs et il est… enfin, on n'a rien pu faire. Je pense que la Gazette ne tardera pas à en faire sa Une. Les Aurors qu'on a vus à l'hôpital sont sur les dents. Ils ont tenté de cacher l'affaire, mais là on a atteint une dizaine de victimes…

— Je n'en ai pas entendu parler au Ministère, réfléchit Ron à voix haute. Zab ?

— Aucun ragot à ce sujet parmi les avocats ou les juges non plus, confirma Blaise. Quel est le profil des victimes ?

Hermione regarda les tableaux sur les murs. Le moment qu'elle redoutait le plus.

— Il y a un peu de tout, des femmes, des hommes, de tous âges. Des enfants aussi.

— Aucun point commun ? insista l'avocat.

— Si. Chaque victime a dans sa famille, enfin avait, un mage noir.

— Ils s'en prennent à des enfants, enragea Ron en se levant d'un bond. Même si leurs parents étaient des Mangemorts, des enfants n'ont rien à voir avec tout ça. On n'est pas nos parents. Pourquoi… ?

Son regard se tourna vers Draco et Blaise. Alors que le premier s'était caché la tête entre les mains, Blaise accrocha son regard. Un mélange subtil de reconnaissance et d'inquiétude se reflétait dans ses yeux sombres.

— Faites attention, vous deux, murmura Ron sans lâcher les yeux de son ami.

— Tu fais dans le sentimentalisme maintenant, Weasley ? Tu n'aimerais pas que quelque chose nous arrive ? ricana Draco.

— Non, je n'aimerais pas, répliqua Ron.

Il détacha enfin son regard de Blaise.

— Perdre un ami m'a suffi.

Draco ouvrit la bouche pour répliquer. Malgré les années, il était toujours troublé lorsque l'un d'entre eux le classait ouvertement parmi ses amis. Un grincement des freins, suivi du claquement brutal de la porte d'entrée contre le mur, le coupa dans son élan et le fit sursauter.

Ron se leva pour se diriger vers le hall. La maison n'était plus gardée par le sortilège du Secret. N'importe qui pouvait entrer, mais ils n'attendaient personne.

Quand la silhouette apparut enfin dans l'encadrement de la porte du salon, le temps se figea.

Un frisson remonta la colonne vertébrale de Ron. Ce n'était pas possible. Son souffle se bloqua dans sa gorge, et ses pieds furent soudain cloués au sol. Après cinq années à attendre, à perdre espoir, à se construire sans lui.

Harry.