Bonjour!

Tout d'abord, merci à ceux qui sont encore là et m'accompagnent encore dans cette aventure! Vos retours sont toujours extrêmement précieux :)

J'espère que ce chapitre vous plaira. Il me tient particulièrement à coeur car, bien que j'essaie de me toujours m'investir à fond dans mes écrits, il est très rare que j'en vienne à pleurnicher en pianotant sur mon clavier. Bah là, ça m'est arrivé.

Ceci dit, une fois, j'ai pleuré parce que j'ai vu un pigeon manquer de s'étouffer avec une frite. Donc pas sûre d'être une référence.

Bonne lecture!


Il y eut un long silence. Chacun retenait son souffle, même les battements de leurs coeurs parurent ralentir.

Puis la main libre du Bouffon Vert vint se poser sur son propre masque et, comme un écho au geste qu'il venait d'accomplir, l'arracha de son visage. Désormais, ce n'était plus un monstre qui fixait Peter mais les yeux clairs de Norman Osborn, troublants reflets de ceux de Harry.

— Peter, murmura l'homme — et il n'y avait plus le moindre soupçon d'acrimonie dans sa voix.

La pression qu'il exerçait pour maintenir Peter au sol se relâcha et il se redressa, les traits figés dans une expression de pure horreur. Ses paupières se fermèrent, se rouvrirent, et un tic nerveux fit tressaillir sa paupière gauche.

— Non ! s'exclama-t-il soudainement, faisant sursauter Peter et Morgan qui avait repris ses esprits. Non, non, non ! Ce n'était pas prévu ! Non ! Tout, mais pas lui !

Il s'administra un violent coup sur le front avec la crosse de son revolver puis, tout aussi brutalement, pointa de nouveau son canon en direction de Morgan.

— On ne peut pas faire ça, lança-t-il dans le vide, sans s'adresser à personne en particulier. Harry ne me le pardonnera jamais. Depuis qu'il connaît ce garçon, il a retrouvé le sourire… la dernière fois qu'il souriait comme ça, Emily était encore parmi nous. Il le rend heureux. Je ne peux pas…

Peter s'aperçut qu'il faisait face à un miroir, discrètement accroché au mur opposé de la pièce. Le visage de Norman Osborn s'y reflétait, pâle et crispé. Ses mâchoires étaient si serrées que Peter pouvait entendre ses dents grincer ; un frisson traversa sa nuque.

— Mensonges ! Ce ne sont que des… MENSONGES !

Il fit volte-face et, cette fois-ci, pointa son arme droit sur Peter.

L'adolescent s'était redressé sur les coudes mais il n'osait pas se relever davantage, de crainte que Norman Osborn ne prenne cela pour une tentative d'évasion et ne s'en prenne à Morgan. Son masque de Spider-Man gisait à côté de lui, il entendait le bourdonnement lointain de la voix de Karen qui lui disait de tenir bon et que son père était en chemin.

— Vous n'avez pas besoin de faire ça, dit Peter, la bouche sèche. Si vous avez besoin de moi pour sauver Harry, je vous aiderai. Je vous donnerai tout ce que vous me demandez, même si c'est du sang ou, je ne sais pas, des bouts d'organe ou d'ADN… je ferais tout ce que vous voulez, je vous le promets, mais s'il vous plaît, laissez Morgan partir.

Un sourire tordit le visage de Norman Osborn. Tristesse et désillusion se lisaient sur ses traits.

— Ça ne suffira pas, dit-il d'une voix douce.

C'était la même voix qu'il avait utilisé dans la maison de Harry, lorsque Peter s'était trouvé face à lui. Calme, aimable. Il n'y avait aucune trace du Bouffon Vert sur son expression.

— Sauver Harry, c'est ainsi qu'il m'a attiré à lui. Forcer Spider-Man à nous fournir l'ADN dont on aurait besoin pour soigner mon fils. Mais ça… ce n'est que le début.

Son sourire parut s'affaisser, comme si tout à coup, l'homme portait le poids du monde sur ses épaules.

— Le Bouffon Vert n'a soif que d'une chose : le pouvoir. Il m'a convaincu qu'en te capturant, je sauverai mon fils, mais lorsque ce sera fait, il en voudra plus, toujours plus… pourquoi crois-tu que je souhaite tant devenir le maire de New-York ? C'était le deal : il m'offrait la vie de Harry et, en échange, je lui servais la ville sur un plateau.

Peter battit des cils, pris de court.

— Et pour cela, nous aurons encore besoin de toi. La ville, c'est un premier pas, mais avec Spider-Man… c'est toute l'opinion publique qui sera à lui. Il aura toute la légitimité dont il aura rêvé. Et une fois que ce sera fait, il se débarrassera de toi. Mais ne crois pas qu'il s'arrêtera là : je suis prêt à parier qu'il visera plus haut, qu'il voudra toujours plus de pouvoir. Stark pourrait bien être la prochaine victime sur la liste. Tu as saisi ? Avec cette petite fille entre ses mains, le Bouffon Vert fera tout ce qu'il veut. Quel super-héros oserait s'opposer à lui, alors qu'il n'hésiterait pas à sacrifier une âme innocente pour parvenir à ses fins ?

— Mais vous… Mr Osborn, vous pourriez le stopper, souffla Peter. Vous n'êtes pas le Bouffon Vert. Vous avez conscience de ce qu'il est, vous savez qu'il est mauvais. Vous n'êtes pas obligé de l'écouter, c'est vous le maître de vos pensées, pas lui !

Voyant que Norman Osborn secouait la tête de droite à gauche, Peter insista :

— Ecoutez, j'ai déjà vécu un truc pareil, il y a plusieurs années. Une histoire de symbiote qui manipulait mes pensées et qui me donnait des pulsions un peu, euh, violentes. Mais grâce à mon amie Gwen et à mon père, on a réussi à le sortir de ma tête. Je ne sais pas exactement ce qu'est ce Bouffon Vert, mais c'est le même principe, non ? Vous pouvez sûrement le combattre. Je… je pourrais vous y aider. Et Harry aussi. Je sais que vous n'êtes pas forcément en très bons termes, mais vous restez son père, il parle beaucoup de vous, et je suis sûr et certain que…

— Tu ne comprends pas. Le Bouffon Vert ne partira pas. Jamais. Ce n'est pas comme si une entité avait pris possession de mon esprit : c'est moi. Ou, en tout cas, la pire partie de moi. Lorsque je vois mon reflet dans un miroir, je sais que c'est lui qui me regarde. Il est là, tapi sous ma peau, dans mon esprit, derrière mes yeux, partout. PARTOUT !

Il avait hurlé ce dernier mot avec l'énergie du désespoir — puis, de nouveau, il se frappa le front avec la crosse de son pistolet, encore et encore et encore…

— Ar… arrêtez ! Ne le laissez pas prendre le contrôle, Mr Osborn !

Sans plus réfléchir, Peter se jeta sur Norman — le Bouffon Vert — mais celui-ci le repoussa violemment. Ses traits crispés, congestionnés par la haine, n'étaient déjà plus ceux du père de son petit ami, et sa voix tremblait de colère :

— Vous ne m'aurez pas. Ni toi, ni cette mauviette d'Osborn. Il a de la chance que je sois là. Sans lui, son fils serait condamné, et c'est comme ça qu'il me remercie ?

Puis il cligna des yeux, et une expression hagarde apparut sur son visage.

— Mr Osborn ? souffla Peter.

— Peter, je suis désolé, murmura l'homme. Je n'ai pas le choix…

Et de nouveau ce visage souriant, horrible, qui débordait de fureur.

— Vous ne vous en sortirez pas comme ça. Tu ne me tueras pas, Spider-Man ! Et tu ne m'empêcheras pas de sauver mon fils !

Quelque chose apparut alors dans sa main gauche et, par réflexe, Peter fit un pas en arrière alors que son sang se glaçait dans ses veines.

C'était une grenade.

— Mr Osborn, n-non !

— Je suis désolé, Peter.

Etait-ce la voix de Norman Osborn, ou celle du Bouffon Vert ? L'adolescent n'aurait su le dire. Figé par la terreur, il fixait les doigts de l'homme qui jouaient avec la goupille, comme fasciné par ce va-et-vient mortel qui s'exécutait à quelques centimètres de Morgan et lui.

— A partir du moment où elle sera désamorcée, tu auras une minute pour quitter les lieux. Pas une de plus.

Ces mots lui firent immédiatement reprendre ses esprits :

— Arrêtez ! On est trop loin de la sortie, si vous faîtes ça, on mourra tous !

— C'est le seul moyen. Tu devrais être assez fort pour survivre, tant que tu es suffisamment loin de la déflagration.

Ses doigts se crispèrent autour du petit cylindre métallique.

— J'aurais aimé que les choses se passent autrement, mais le Bouffon Vert… il ne me laissera jamais tranquille… je t'en prie, Peter, pars. Sauve-toi, sauve cette enfant, et sauve mon fils. Tu es le dernier espoir qu'il nous reste.

Clic !

La goupille tintinnabula contre le sol.

Et ce fut comme si on venait d'injecter à Peter une triple dose d'adrénaline. Il n'avait plus le temps de réfléchir. Plus le temps de ressentir quoi que ce soit. Tout son corps, tout son esprit ne étaient focalisés sur un seul et unique objectif, plus important que tout le reste. Plus important que sa propre survie.

Morgan.

Peter bondit, bouscula le Bouffon Vert qui ne réagit pas et prit Morgan dans ses bras. La petite fille s'accrocha aussitôt à son cou, comme il l'avait vue tant de fois faire avec Tony. Ses longs cheveux bruns chatouillaient sa joue, elle sentait la cannelle, la vanille, et le parfum de leur maison.

— Venez avec nous ! dit Peter au Bouffon Vert, mais l'homme se contenta de secouer la tête, la grenade dégoupillée nichée entre les doigts.

L'adolescent n'avait pas le temps de parlementer. Chaque seconde qui s'écoulait était une seconde de moins pour s'enfuir, pour échapper au souffle destructeur qui n'allait pas tarder à engloutir la tour d'Oscorp Industries.

Combien de temps leur restait-il ? Cinquante secondes ? Moins ?

D'une main tremblante, il ramassa son masque. La voix de Karen s'éleva :

« Quarante-sept secondes avant la détonation. Il faut que tu partes d'ici, Peter. Mr Stark est en chemin, mais il n'arrivera pas avant l'explosion. »

L'adolescent jeta un ultime regard à Norman Osborn, puis se rua hors de la pièce. Il crut entendre l'homme émettre un rire étranglé dans son dos, mais peut-être n'était-ce que son imagination. Déjà, il retrouvait les coursives baignées de lumière rouge d'Oscorp Industries. Il tourna à gauche, puis à droite. Puis de nouveau à droite… à moins qu'il doive plutôt aller sur la gauche, où les attendaient une rangée de néons sanglants ? Comment s'était-il introduit ici, déjà ?

« A la prochaine intersection, tourne à gauche » lui indiqua Karen.

— Pete ?

Morgan avait légèrement redressé le nez. L'espoir se lisait sous ses cils baignés de larmes.

— On est bientôt sortis ?

— Bientôt. Promis.

— On va retrouver papa ?

« Trente-deux secondes. »

— Bien sûr.

— Promis ?

« Trente secondes. Peter, je suis désolée, mais vous ne pourrez pas atteindre la sortie avant l'explosion. Je te conseille grandement d'activer le mode Armure programmé par Mr Stark dans ton costume. »

— Le mode… quoi ?

« Le mode Armure. Grâce à celui-ci, chacun de mes atomes se resserra au maximum et permettra ainsi de protéger tes organes vitaux contre n'importe quel choc, y compris celui d'une bombe. »

— Attends, tu veux dire que tu es programmée pour résister à ce genre de truc ?

— Mes composants en seraient irrémédiablement endommagés, mais cela te permettrait de limiter au maximum le risque que tu sois blessé.

— Alors il y a bien un moyen de s'en sortir…

Il y avait bien un moyen de survivre, mais il n'était pas tout seul. Les yeux de Peter rencontrèrent à nouveau ceux de sa soeur, et il sut alors ce qu'il devait faire.

Il s'agenouilla et la reposa par terre. La fillette protesta, chercha à retourner dans ses bras, mais il la repoussa avec délicatesse.

— Tu vas retrouver ton papa. Je te le promets, Morgan.

Puis, à l'attention de Karen :

— Je veux que chaque nanoparticule de mon costume protège Morgan. Et que tu actives le mode Armure pour elle. Elle est plus petite que moi, ça devrait être plus efficace, pas vrai ?

« Je peux le faire » dit-elle finalement d'une voix étrangement hésitante. « Si l'on prend en considération sa taille et son poids, ton costume lui permettrait d'être entièrement protégée du souffle de l'explosion. En revanche, une fois qu'il sera sur elle, tu seras totalement exposé au souffle de la grenade. »

— Je sais, mais tu vois une autre solution ? (Il ferma les yeux, ignorant tant bien que mal les battements précipités de son coeur.) Vas-y, Karen. Sauve Morgan.

« Es-tu sûr de toi, Peter ? » demanda l'IA avec une douceur inhabituelle.

— Sûr et certain.

Il sentit les particules de son costume se défaire, frissonnant alors qu'elles glissaient sur sa peau comme des grains de sables emportés par le vent pour s'enrouler autour de la silhouette de Morgan.

— P-Peter ?

La fillette semblait effrayée, elle fixait ses bras qui se couvraient de tissu bleu et rouge. Peter s'efforça de sourire, tout en faisant le vide dans son esprit.

— Ne t'en fais pas, Mo'.

La dernière chose qu'il vit furent ses grands yeux bruns qu'elle avait hérité de leur père, puis le visage de la fillette disparut sous les particules de son costume.

Peter prit une grande inspiration :

— Tout va bien se pas-

Le sol vibra sous ses pieds, et le monde devint écarlate.

Le chaos. La poussière. Le feu.

Un incendie le dévorait, l'emportait dans un monde de souffrance dont il n'avait alors jamais soupçonné l'existence. La douleur battait dans chacun de ses os. Sous sa peau. Dans sa gorge, sa poitrine, ses poumons — partout.

— … ter ? Accroche-toi, bambino, les secours vont bientôt arriver. Tu peux faire ça pour moi ? Bordel de putain de merde, Bruce, dépêche-toi !

La voix était à la fois proche et lointaine, comme un rêve à l'orée de sa conscience, ou était-ce l'inverse ? La réalité qui cherchait à l'arracher de ce cauchemar de feu et de sang ?

Une toux rauque, terrible, s'arracha de sa gorge.

— Trésor ? Tu m'entends ?

Ses paupières battirent faiblement et il vit le visage flou de son père, rongé par la terreur et auréolé de lumières aveuglantes, rouges, jaunes et blanches, qui se mêlaient langoureusement dans une chorégraphie fascinante.

— On dirait… le ciel, chuchota Peter, émerveillé, mais il fut incapable d'entendre le son de sa propre voix.

— Quoi ? Qu'est-ce que tu dis, Peter ?

— Le ciel…

Quand le soleil se couchait, noyant l'horizon dans une infinité de teintes où le pourpre et l'or se mariaient avec mille subtilités…

Comme ce coucher de soleil lointain, presque effacé de sa mémoire, devant lequel son père lui avait promis qu'il ne l'abandonnerait jamais.

— Je resterai toujours avec toi, Peter. Quoi qu'il arrive.

— Tu le promets, p'pa ?

— Je te le promets. Je ne t'abandonnerai plus jamais, bambino.

Malgré le feu qui brûlait ses nerfs, Peter s'autorisa un léger sourire. Il était heureux de s'en rappeler à cet instant-là, alors que le reste du monde était en train de sombrer dans un océan de douleur. Il se sentait plus léger, il avait l'impression de partir, comme si son esprit coulait et s'échappait de son corps, ce corps lourd, brisé, inutile, dont il n'avait plus besoin de s'embarrasser — n'est-ce pas ?

— Non, Peter, reste avec moi ! BRUCE, VITE ! Peter, mon coeur, ne me fais pas ça, je t'en prie…

Il aurait voulu lui dire de ne pas s'inquiéter. Qu'il n'avait pas failli à sa promesse. Que c'était lui qui avait fait le choix de partir, pour offrir à son père la vie qu'il méritait auprès de sa femme et de sa petite fille, mais il était trop tard.

Peter ferma les yeux.