Précédemment : Val, Ryner et les Holt sont plongés depuis plusieurs semaines dans l'étude de la théorie quintessentielle pour trouver une piste qui les mènerait à Sam, Rolo et Rax, mais jusqu'ici, ils n'ont pas beaucoup avancé. Pendant ce temps, Shiro et Akira se sont disputés après que la Garde ait affronté un robeast et, après en avoir parlé avec Allura et le lion noir, Shiro a promis d'aller s'expliquer avec son frère une fois la tension retombée.
Chapitre 33
Anomalies
Cinquante-six.
Cinquante-six membres de la Garde avaient perdu la vie en affrontant le robeast à la chaîne Zhek. Onze autres étaient en permission et un nombre incalculable était ébranlé par la scène de carnage.
Le positif, c'était que, malgré plusieurs centaines de civils blessés pendant la bataille, on ne décomptait que quatre morts. Quatre de trop, de l'avis d'Akira, mais cela aurait pu être bien pire.
Layeni lui avait livré son rapport une fois qu'il était sorti de sa capsule deux jours après la bataille. Akira était sûr qu'elle l'avait déjà terminé avant qu'il n'y entre la veille, mais elle avait bien pris garde à ce qu'il ne puisse pas se rendre utile en quoi que ce soit. Il était blessé, avait-elle dit. Il devait se reposer, avait-elle dit.
Personnellement, Akira pensait qu'elle le connaissait trop bien. S'il avait vu ces chiffres avant qu'une capsule de soin ne se libère, il n'aurait pas eu la patience de se reposer et serait resté dans la tour bleue nuit et jour, blessé ou non.
C'était exactement ce qu'il voulait faire maintenant qu'il était en pleine forme, mais à ce stade, le plus gros du travail avait déjà été fait. Un roulement de capsules avait été mis en place pour soigner les os brisés et brûlures mineures des derniers blessés. Ceux qui avaient besoin de rééducation avaient déjà pris rendez-vous avec le personnel médical et Coran avait envoyé l'équipe principale de mécaniciens du château pour réparer la flotte. Layeni s'était même occupée des retombées auprès des leaders de Zhek, si bien que la visite d'Akira à la caserne de la Garde ne révéla rien de plus urgent que son propre rétablissement.
Il passa quand même le plus clair de la journée avec ses hommes, rassurant ceux qui en avaient besoin, que ce soit sur leur état ou le sien. En début de soirée, il se sentait épuisé, à la fois physiquement et émotionnellement, mais il était trop agité pour aller se coucher, alors il déambula dans les couloirs du château à la recherche d'une distraction.
Une distraction qui prit la forme de son frère. Takashi avait gardé ses distances depuis leur dispute et Akira avait passé la journée à la tour bleue où il avait rarement de raison de s'y rendre.
Si Akira connaissait un tant soit peu son frère, il dirait qu'il ne s'était pas beaucoup plus reposé que lui ces derniers jours et ils n'avaient pas eu le temps de s'expliquer. Akira ne voulait pas être le premier à aborder le sujet, que ce soit la réaction de Takashi ou la sienne. Takashi avait eu peur et Akira souffrait à plus d'un titre. Ni l'un ni l'autre n'avait eu les idées claires.
Cette conversation n'allait pas être simple, mais fuir le problème n'allait pas arranger les choses. À en juger la crispation des épaules de Takashi quand il remarqua sa présence, la dispute lui pesait. À Akira aussi. Il n'avait jamais aimé se disputer avec son frère. C'était rare, mais cela avait tendance à dégénérer.
Ils avaient aussi peu de pratique dans l'art de la réconciliation.
C'était donc parti pour des excuses détournées.
Akira se força à se détendre, souriant d'un air désarmant avant que Takashi ne se mette en tête de s'enfuir.
— Salut.
— Salut…
Akira prit en considération les vêtements de Takashi (un pantalon relâché et un débardeur) et en vint à une conclusion évidente.
— Tu vas t'entraîner ?
— Ouais. La semaine a été longue.
— Je peux venir ?
Cette question en cachait une autre, ils le savaient tous les deux. Comme Takashi avait dit à Akira qu'il ne devrait pas se battre, c'était une sorte de mise au défi. Akira ne comptait pas reculer. Il ne comptait pas rester sur la touche.
Il n'allait pas non plus tenir son frère à l'écart, tant que Takashi ne le faisait pas non plus.
Takashi haussa un sourcil, mais ne dit pas non. Il devait savoir qu'Akira ne passait pas autant de temps dans cette salle d'entraînement. La Garde avait son propre stand de tir où il travaillait sa visée, jamais parfaite mais pas si terrible que ça. Le plus clair de son temps, il faisait des simulations de vol, puisque la Garde était surtout déployée pour les batailles spatiales, quand elle n'était pas occupée à fournir de l'aide humanitaire à la surface.
Autant dire que le combat rapproché n'était pas le point fort d'Akira.
— Si tu veux, dit Takashi. On bat le gladiateur à deux ?
— En fait, je me disais qu'on pouvait s'affronter. Layeni veut faire faire des exercices au corps-à-corps au reste de la Garde et je me dis qu'il vaudrait mieux que j'en sache assez pour ne pas me ridiculiser complètement quand je m'entraînerai avec eux.
Takashi ricana, se couvrant aussitôt la bouche comme si cela arrangeait tout.
— Pardon.
Akira leva les yeux au ciel, lui administrant un coup de coude dans les côtes.
— Tout le monde n'a pas la carrure d'un super-héros, tu sais.
— Ouais, et tout le monde ne se bagarrait pas à l'école toutes les deux semaines pendant trois ans, et donc ?
— Ces enfoirés l'avaient bien cherché !
— Et t'étais super doué pour te venger, railla Takashi.
Akira lui tira la langue, faute d'une meilleure répartie qui ne referait pas l'histoire. C'était vrai qu'il s'était bagarré avec toutes les brutes de toutes les écoles dans lesquelles il était allé et qu'il avait toujours eu besoin de Takashi pour le tirer d'affaire. Certaines personnes naissaient tout simplement avec plus de rancune que de capacités physiques.
— Bon, on s'y met, oui ou merde ?
Takashi haussa les épaules, une étincelle malicieuse dans le regard.
— Ne viens pas te plaindre quand tu te seras pris la raclée du siècle.
— Tu crois que Zarkon n'a pas compris que les Balméras sont différents les uns des autres ? demanda Hunk.
Shay était perdue dans ses pensées, mais Hunk ne doutait pas un seul instant qu'elle avait saisi ce qu'il voulait dire. Ils cherchaient cette Balméra depuis près de deux semaines, suivant les pistes que Pidge avait découvertes durant sa convalescence. Malgré de vagues références et de nombreuses rumeurs, ils avaient fini par la trouver en orbite autour de deux étoiles jumelles.
Elle était en meilleure forme que le Balméra de Metos, ses réserves de quintessence plus importantes et les mines pas encore très étendues. C'était sûrement dû aux étoiles jumelles, qui lui fournissaient plus d'énergie que n'en avaient eu Metos et Theros, et au fait qu'elle n'avait pas été sous le contrôle de Zarkon aussi longtemps.
Pas qu'elle soit pour autant en pleine forme. Sa production de quintessence présentait des anomalies inexplicables et, malgré ses réserves abondantes, sa surface était stérile. Elle était plus petite que les derniers Balméras et produisait pourtant tout autant de cristaux que les autres. Hunk ne pouvait que supposer que les Balmérans d'ici étaient sérieusement surmenés.
La configuration des lieux était presque identique à celle des autres Balméras. Mêmes barrières à particules, mêmes tourelles et mêmes casernes à la surface, mêmes hangars cachés à fleur de terre et, d'après les scans GPT, les tunnels étaient patrouillés principalement par des sentinelles. Hunk n'avait pas les chiffres exacts, mais il était quasiment certain que l'échelle des opérations n'avait même pas été réduite pour tenir compte de la taille plus modeste de cette Balméra.
Cela offensait Hunk d'un niveau non seulement humanitaire, en tant qu'amoureux du peuple balméran, mais aussi (aussi superficiel que cela puisse être) purement technique. Le chef de projet devait être particulièrement paresseux pour avoir approuvé ce copier-coller à la noix. C'était à la fois un gâchis de ressources et une pression insoutenable pour les Balmérans qui vivaient ici, ce qui était tout simplement inacceptable.
Shay fredonna une mélodie apaisante et Hunk rougit.
— Pardon. Je sais que ce n'est pas le problème le plus important, mais…
Il fredonna sa frustration dans un drôle de mélange entre le grognement humain dont il avait l'habitude et la nouvelle mélodie qui était devenue une seconde nature après l'Unité sans même qu'il ne remarque la transition.
— On pourrait croire que, si la pénurie de cristaux est si grave dans l'Empire, ils feraient au moins le minimum pour être sûrs que les ressources en leur possession sont utilisées efficacement.
L'amusement colora le chant de Shay un moment, alors Hunk put au moins s'estimer heureux que son indignation l'ait tirée de ses préoccupations. Elle avait été de plus en plus distraite ces derniers jours tandis qu'ils se rapprochaient de ces coordonnées et entamaient leur repérage.
— La Balméra sera bientôt libérée de cette mauvaise gestion, dit Shay, ravalant un sourire. Je te le garantis.
Hunk rit, puis carra les épaules et ouvrit le fichier sur lequel ils avaient pris des notes sur la conduite à suivre.
— On est prêts ?
— Je pense ?
Shay hésita, repensant à un scan en particulier, attirant l'attention de Hunk et de Yellow.
L'anxiété noua l'estomac de Hunk. Leurs scans présentaient d'étranges incohérences et bugs depuis leur arrivée : ce n'était jamais la même chose et rien de particulièrement inquiétant en soi, mais c'était ce qui les avait poussés à retarder leur assaut de deux jours, le temps que Coran et Pidge y jettent un œil.
Mais leur examen n'avait rien donné de concret et, à part ça, la mission était simple et sans détours. Ils devaient s'infiltrer, contacter les habitants par le biais de la chanson balmérane, frapper l'Empire là où ça faisait mal et essayer de limiter les dégâts collatéraux.
Ils étaient prêts, autant qu'ils puissent l'être, et repousser l'échéance n'allait pas changer grand-chose au combat qui les attendait. Il était temps d'y aller.
Hunk espérait simplement que les papillons dans son estomac étaient créés par cette bonne vieille anxiété et pas par un mauvais pressentiment.
Shay activa le camouflage de Yellow avant de s'approcher, les yeux posés sur une crête surplombant un camp galra. À mi-chemin, le courant vacilla. Hunk crut que Zarkon avait développé une sorte de technologie anti-camouflage et se para à une attaque.
Mais le vacillement dura moins d'une seconde et ils ne perdirent même pas leur invisibilité. Hunk restait mal à l'aise et émit un avertissement dans le lien auquel Shay répondit par sa propre inquiétude.
Il se passait quelque chose d'étrange.
Ils se posèrent sans incident et Hunk se plongea dans le chant, dont les centaines de nouvelles voix lui firent tourner la tête. Il comprenait désormais ce que Shay voulait dire quand elle avait décrit ça comme un autre dialecte. Il reconnaissait le chant et pouvait suivre la conversation dans ses grandes lignes : le choc se répandant avec la nouvelle de l'arrivée de Hunk et de Shay, la méfiance, l'espoir. Le peuple était fatigué, au bord du désespoir, mais pas encore vaincu.
Les détails, en revanche, lui échappaient complètement. Le chant ne contenait pas de mots, si bien qu'il ne pouvait pas demander aux Balmérans de répéter ou de reformuler ce qu'ils essayaient de lui dire, mais il avait l'impression d'avoir la signification sur le bout de la langue.
Heureusement, Shay s'avéra meilleure interprète que lui. Elle avait passé beaucoup de temps avec les Balmérans de Metos, apprenant leur chant et étudiant les différences avec celui qu'elle connaissait depuis sa naissance. Celui-ci n'avait peut-être pas les mêmes spécificités, mais elle garda la tête froide, le traduisit et relaya ce qu'elle avait compris à Hunk.
Une peur indicible imprégnait cette Balméra. Le peuple était suffisamment désespéré pour soutenir Hunk et Shay, mais contrairement à Metos, seule une petite partie avait essayé de prendre les armes. Shay ne parvenait pas à identifier la source de la peur, mais elle pensait que c'était parce que les Balmérans eux-mêmes ne savaient pas grand-chose de la menace qui pesait sur eux. Ils savaient seulement que les Galras emportaient parfois des gens un certain temps et qu'à leur retour, ils parlaient d'une chose obscure capable d'anéantir tous ceux qui vivaient ici si on la laissait se déchaîner.
Hunk grimaça, regardant les casernes et les tourelles à la surface.
— J'imagine que je vais m'occuper de l'affreux monstre des cavernes ?
— Et je vais rallier les autres Balmérans, dit Shay.
Elle lui serra la main, puis ils se séparèrent.
Akira heurta violemment le sol et si la chute n'avait pas suffi à lui couper le souffle, le genou de Takashi appuyé dans son dos y parvint certainement. Il tapa le sol deux fois, haletant (de façon peut-être un chouïa dramatique) quand son frère le laissa se relever. Il se retourna, les bras écartés de part et d'autre, et fit la grimace en sentant ses muscles le brûler. Heureusement qu'il était sorti d'une capsule cryogénique le matin même, parce qu'il n'en avait déjà plus l'impression.
Ils y étaient depuis un peu plus d'une heure, durant une grande partie de laquelle Takashi avait fait la démonstration de plusieurs techniques qu'Akira avait essayé d'imiter, jusqu'à ce qu'ils se lassent et décident de s'affronter, même s'ils étaient tout à fait conscients de ne pas du tout jouer dans la même cour.
(Takashi lui demandant trois fois s'il était sûr de son choix et commentant à chaque fois qu'il devrait peut-être y aller doucement avec lui n'avait pas aidé la partie logique de son cerveau à remporter son débat intérieur.)
Et donc, depuis, Akira avait été jeté deux fois, plaqué au sol quatre fois de plus et commençait à regretter de ne pas avoir cédé à la fatigue et être allé se coucher tôt.
— Tu veux retenter le coup ? demanda Takashi.
Les fois précédentes, il avait au moins essayé de dissimuler son amusement, mais il ne se souciait manifestement plus de sauver les apparences et jubilait désormais ouvertement.
Akira gémit, balançant son bras par-dessus ses yeux.
Takashi rigola.
— Oh, ça va, non ? Tu n'étais pas loin de gagner cette fois !
Akira leva le bras pour fusiller Takashi du regard, qui souriait à pleines dents. Il n'était même pas en sueur, cet enfoiré.
— T'es pas obligé de te foutre de ma gueule.
— Bien sûr que si, dit Takashi, prenant Akira par le poignet et le coude pour l'aider à se relever.
Il ne sembla même pas importuné quand Akira s'appuya de tout son poids contre lui, si bien que ce dernier n'eut pas d'autre choix que de se lever avant qu'on ne le laisse tomber par terre comme un vieux sac à patates. Takashi lui tapa l'épaule assez fort pour picoter ses muscles déjà endoloris.
— Qui sait quand j'aurai une autre occasion pareille ?
— Sûrement pas dans le futur, si tu comptes te comporter comme un petit con à chaque fois.
— Akira, dit Takashi, feignant la solennité. Je suis toujours un petit con. Je sais juste bien le cacher.
— Au moins, t'es honnête, marmonna Akira, mais lui aussi souriait désormais à pleines dents.
Si des courbatures et un ego meurtri étaient le prix à payer pour effacer la gêne entre eux, ça en valait la peine.
Et la gêne était partie, alors Akira n'avait pas de raison de faire souffrir son corps davantage. Il refusa l'offre tacite de son frère de recommencer et se retira au fond de la salle d'entraînement. Il prit deux sachets d'eau dans le casier incrusté dans le mur et les garda pour lui en fusillant Takashi du regard quand il fit mine de s'en emparer d'un. Il planta les pailles et but les deux en même temps.
Takashi haussa les sourcils, mais s'en prit un dans le casier sans rien dire et s'installa à côté de lui, ayant tout l'air de revenir à peine d'une petite balade au parc.
— Tu n'es pas mauvais–
Akira l'interrompit d'une main, retirant une des pailles de sa bouche pour parler :
— Ne me ménage pas, Takashi. Je sais que je ne suis qu'une nouille.
Les lèvres de Takashi tressaillirent, mais il garda de justesse un air impassible en lui tapotant le genou.
— Ce n'est pas le mot que j'aurais employé. Plutôt… bourrin.
— Parce que c'est mieux ?
Takashi haussa les épaules, sans gêne.
— Tu devrais peut-être t'entraîner avec Keith et Matt. J'ai certes appris à me battre à la déloyale pour affronter des adversaires plus grands, mais je ne peux pas ignorer le fait que j'ai aussi pas mal de force brute. Mon style de combat consiste à donner et recevoir beaucoup de coups et, franchement, je me suis habitué à avoir une arme quasiment indestructible greffée à mon bras. Ce n'est pas ton cas, alors je ne vois pas pourquoi tu devrais te battre comme moi.
S'entraîner avec Matt et Keith n'était pas une mauvaise idée. Ils se servaient tous les deux d'une épée, ce qui n'était pas exactement ce que cherchait Akira, mais comme sa corpulence se rapprochait plus de la leur, il pourrait obtenir plus de bons tuyaux de leur part plutôt que de son frère.
Mais ce n'était pas le moment d'y penser. Le sourire de Takashi s'était terni à la mention de l'Arène. Il s'était tu, le regard perdu au loin, ce qui serrait le cœur d'Akira. Ils n'en avaient pas parlé, mais Akira se plaisait à penser qu'il était plutôt observateur. Il savait que le traumatisme de son frère avait joué un rôle dans sa réaction après la bataille contre le robeast.
— Je suis désolé, dit Takashi, comme s'il avait lu dans ses pensées.
Akira regarda le mur opposé, se penchant toutefois de façon à ce que leurs épaules se touchent.
— Ne t'excuse pas. Moi aussi, j'ai mal réagi.
— Non, je…
Takashi poussa un long soupir, se passant la main dans les cheveux.
— J'ai dépassé les bornes. Je le sais, et je prends l'entière responsabilité de ce qui s'est passé. Je ne veux pas que tu prennes ça pour une excuse, mais… j'ai promis à Black que j'essaierai de m'ouvrir un peu plus sur ce genre de choses. Sur ce qui m'est arrivé. Sur la manière dont ça m'affecte encore quand, par exemple, j'apprends que mon frère a été blessé lors d'un combat déséquilibré contre une des monstruosités d'Haggar.
Akira pivota, étudiant le profil de son frère. Son expression était solennelle, mais résolue, et il tourna la tête de façon à rencontrer son regard.
— D'accord, dit Akira. Je t'écoute.
Takashi sourit, prenant une inspiration qu'il tint quelques secondes.
— Ok, finit-il par dire. J'imagine qu'il faudrait que je commence du début.
Shay envoya une douzaine de Balmérans à Hunk pour l'aider à trouver la source de la terreur dans les tunnels. Trois « instigateurs » balmérans étaient détenus dans les cellules près de la zone d'ombre dans la conscience collective. C'était étrange pour Hunk d'arriver à s'imaginer une carte des tunnels grâce au chant, à identifier les individus par leur voix et à se servir de leurs connaissances communes pour préciser l'idée brouillonne qu'il se faisait de son emplacement.
Les cellules étaient toutes simples : des portes en métal avaient été incrustées dans la pierre et verrouillées par des serrures impériales standards. Une paire de sentinelles montait la garde au bout du tunnel. Hunk indiqua à ses compagnons d'attendre tandis qu'il se mettait à découvert, bayard en main, pour les abattre.
D'une simple pensée, il transforma son bayard en une lame d'énergie pour trancher le bras d'une sentinelle au niveau du coude, lui permettant de s'en servir pour déverrouiller chaque cellule. Trois Balmérans ébranlés en sortirent d'un pas chancelant, leurs expressions se décomposant lorsqu'ils aperçurent les autres.
— Mettez-les en sécurité, dit Hunk à ceux qui les avaient accueillis le plus ardemment.
Le chant suggérait qu'ils faisaient partie de la même famille, ou des cœurs liés, et ils chantèrent leur gratitude à Hunk tandis qu'il se tournait vers les six autres. D'anciens prisonniers, de ce qu'il avait compris. Ils avaient senti ce mystérieux danger et voulaient l'aider à s'en débarrasser.
— Montrez-moi le chemin.
Ils échangèrent un regard, puis une femme nommée Klex mena la marche.
— Ne faites pas de bruit, prévint-elle. Cette chose tue notre Balméra à petit feu. Si nous sommes découverts, ce sera la fin pour nous tous.
Sa chanson l'avertit qu'elle n'exagérait rien et les cinq autres y firent écho. Hunk sentit l'anxiété monter en lui, mais il acquiesça, préparant son bayard en suivant Klex plus loin dans la galerie jusqu'à une autre porte de cellule beaucoup plus large.
Quelque chose respirait dans l'obscurité qui s'étendait au-delà.
— Ça ne sent pas bon, marmonna Hunk, repensant aux espèces de zombies qu'ils avaient trouvés à Vel-17.
Il avait certes affronté des choses d'autant plus horribles depuis, mais les Zivas étaient l'un des éléments les plus terrifiants du début de ses aventures. Ils se classaient dans le top, avec la fois où il s'était retrouvé coincé tout seul à bord du château-vaisseau envahi par Sendak. Il savait, en son for intérieur, qu'il saurait désormais faire face à ce genre de crises sans problème, mais ça ne les rendait pas moins terrifiantes dans ses souvenirs.
Heureusement, il avait appris deux-trois trucs depuis et fit un scan de la zone avant même de chercher à ouvrir la porte.
— Oh, génial, marmonna-t-il, l'estomac retourné par les données illisibles.
Hunk ouvrit la bouche pour appeler Shay, sentant son chant se calmer pour mieux l'écouter. Mais, se souvenant de la présence de ses compagnons, tout tremblants de la proximité avec le monstre qui tuait leur Balméra, Hunk réfléchit rapidement et ferma les yeux, tentant de reconstituer une carte des tunnels alentours.
— Hé, est-ce qu'il y a bien des galeries qui tournent autour de cette salle ?
Klex regarda les autres, une touche d'incertitude colorant sa chanson.
— Il me semble, oui…
— Est-ce qu'elles sont assez proches pour que, en rassemblant quelques volontaires et vous mettant en position, vous puissiez aider votre Balméra à écrabouiller un gros monstre bien flippant ?
Prenant une vive inspiration, Klex jeta un œil à la porte de la cellule.
— Quelqu'un devra nous indiquer le bon moment.
Hunk ne dit rien, ajoutant quelques notes réconfortantes à sa chanson. Ce n'était pas très précis comme moyen de communication, mais il pourrait suivre leur emplacement et ils devraient être en mesure de capter l'urgence du signal qu'il enverrait le moment venu.
Klex secoua la tête et une série de fines tiges accrochées à sa carapace s'entrechoquèrent en tintant comme un carillon en bois.
— Vous êtes un homme brave, Paladin Hunk. Nous ferons de notre mieux pour vous aider.
Hunk leva le pouce, puis attendit que les Balmérans soient partis avant d'appeler Shay.
— Comment ça avance ? demanda-t-il, s'efforçant d'adopter un ton enjoué.
Il y avait comme du mécontentement dans la voix de Shay, vaguement repris par le chant.
— Lentement. J'ai rassemblé ceux en mesure de se battre, mais il y a plus de Galras ici que sur Metos. Ce ne sera pas facile d'éviter des pertes.
— Tu veux une diversion ? Parce que je suis sur le point de provoquer un monstre et d'essayer de le coincer dans un éboulement.
Shay garda le silence de longues secondes avant de soupirer.
— Hunk–
— Je suis prudent.
— Dois-je venir t'aider ?
— Non, dit Hunk en secouant la tête. Il faut que tu t'occupes des Impériaux. Je te dis quand on est prêts.
Shay fit un son affirmatif et Hunk porta à nouveau son attention sur Klex et les autres. Ils avaient rassemblé plusieurs personnes pour aider (Hunk n'était pas encore suffisamment doué dans la compréhension du chant balméran pour en faire le compte exact) et se dirigeaient vers les couloirs adjacents pour encercler la créature dans la cellule.
Hunk posa la main sur le mur et ferma les yeux, cherchant à mieux visualiser la pièce derrière la porte en acier. La vue de la Balméra était étrangement brouillée, non seulement parce qu'il n'y avait aucun Balméran à l'intérieur, mais également à cause de la créature et des dégâts qu'elle avait causés. Il ne put distinguer que la forme générale de la salle. Après un couloir long et sinueux se trouvait une cavité un peu plus large où Hunk sentait le plus de quintessence. (Une quintessence anormale et troublante, sans qu'il ne puisse dire en quoi.) Juste avant la cavité, le tunnel rétrécissait. Là, ils pourraient coincer le monstre en en demandant le moins possible de la part de la Balméra.
Soudain, depuis les profondeurs du tunnel, quelque chose hurla. Ce n'était pas un hurlement animal : il avait quelque chose de sinistrement humain. Hunk pouvait presque imaginer qu'il formait des mots.
Au même moment, le verrou de la porte vira au vert et l'ouvrit sur un long couloir plongé dans le noir.
— Vex.
La voix de Shay était basse, mais Hunk sentait sa peur imprégner les couloirs.
— Hunk, ils nous ont remarqués. Nous devons y aller maintenant, nous ne pouvons pas attendre. Si tu–
La radio crachota, le son se coupant avant de revenir assourdi et parasité. Hunk porta une main à son casque.
— Shay ? Shay, je ne t'entends plus.
Quelque chose frotta la pierre, un pas hésitant, vacillant, qui assécha la bouche de Hunk. Il invoqua son bayard, oubliant le crachotement de la radio tandis qu'il scrutait l'obscurité, cherchant à distinguer ce qui s'y tapissait. Il alluma la lampe sur le côté de son casque et son éclat balaya la galerie. Les courbes de la roche et les stalactites cassées jetaient de longues ombres sinistres, des morceaux de cristal éclatés parsemaient le sol comme de la poussière de diamant et de l'humidité gouttait des murs et du plafond.
Et là, presque à la limite de ce que le faisceau de sa lampe pouvait éclairer, Hunk la vit : une créature difforme bien plus grosse que les Zivas. Elle devait faire trois mètres de haut et ses six yeux réfléchissaient la lumière. Comme un robeast miniature, elle semblait faite en parts égales de chair et de machine, du métal saillant de sa peau et des indicateurs lumineux pulsant au rythme de sa respiration.
Elle se tourna vers Hunk, qui se figea, craignant qu'un seul geste la provoque. Moins de trente mètres la séparaient de la porte ouverte. Si elle parvenait à sortir, elle pourrait décimer l'ensemble de la Balméra et massacrer son peuple sans qu'il n'ait la moindre chance de riposter.
Elle hurla à nouveau et la radio se tut tout à fait. La lampe de Hunk frémit, tout comme l'indicateur sur le verrou de la porte. Hunk jura, plissant les yeux alors que l'obscurité retombait sur le tunnel, mais le temps n'était pas à l'indécision. Il activa son bayard, se mit en position et ouvrit le feu. Il n'était peut-être pas en mesure de viser, mais sa force résidait dans les tirs de suppression et le contrôle des foules, ce qui fonctionnait tout aussi bien qu'on y voie ou non dans une zone aussi confinée que celle-ci.
Les lasers éclairèrent la galerie comme un stroboscope, donnant l'impression que la créature courait en stop-motion. À une quinzaine de mètres de la porte, elle s'arrêta d'un coup, hurlant alors que la douleur la rattrapait. Hunk fit un pas en avant, renforçant sa position. Le robeast ne se laissa pas intimider, poussant un autre cri perçant.
Puis il s'arrêta, le regardant fixement, et Hunk jura voir de la confusion dans ses yeux.
Hunk essaya à nouveau de contacter Shay, mais la radio ne fonctionnait toujours pas, tout comme sa lampe. Il tenta d'activer ses scanners et son bouclier, mais eux non plus ne répondirent pas.
Les étranges bugs qu'ils avaient constatés en orbite devaient venir de cette chose et l'effet était d'autant plus fort de si près. Si fort que la plupart des mécanismes de son armure avaient été mis hors service à moins de trente mètres de distance. Le cri était sûrement le vecteur, ou du moins, l'impulsion électromagnétique avait lieu au même moment.
Ce qui voulait dire que le dernier hurlement était censé lui retirer son arme et que le robeast était confus que ça n'ait pas marché. Le fait que cette créature était capable de raisonner ainsi retournait l'estomac de Hunk, mais ça ne changeait rien au fait que les Balmérans avaient besoin de son aide. S'il n'arrêtait pas cette chose, il serait responsable de toutes les morts qui s'ensuivraient.
Il avança donc, forçant le robeast à reculer tandis que sa confusion se changeait en peur. Il avait beau être intelligent, il restait un prédateur et ne savait pas comment faire face à une proie immunisée contre ses capacités. Plus ils s'éloignaient de la porte, plus il s'enhardissait, s'élançant vers Hunk avec ses griffes de quinze centimètres de long. Elles creusèrent de profondes entailles dans son armure et faillirent l'envoyer valser, mais Hunk tint bon et rouvrit le feu avant que la créature ne puisse foncer vers la sortie.
Son doigt lui faisait mal à force d'appuyer sur la gâchette. Les lasers étaient sa seule source de lumière avec la lueur discrète des cristaux brisés et les étranges taches jaunes sur les murs. Ses tirs ne semblaient pas faire beaucoup de dégâts à la créature. Elle s'en protégeait et finissait couverte de marques de brûlure, mais à ce rythme, le doigt de Hunk allait tomber avant elle.
Heureusement, ils s'approchaient de la partie la plus étroite du tunnel. Hunk sentait Klex et ses deux équipes qui l'attendaient de chaque côté un peu plus loin. Encore un peu et la créature serait au bon endroit pour frapper. Hunk rugit alors qu'elle tentait un dernier assaut, les genoux tremblants alors qu'il jouait à chat avec quelque chose qui faisait le double de sa taille.
La créature frémit, pivotant pour s'enfuir par le tunnel qui menait à la salle plus dégagée, où elle comptait certainement se glisser derrière lui. Avec sa vivacité, elle serait plus difficile à toucher dans un grand espace.
Hunk déversa toute son âme dans le chant, voulant faire comprendre aux Balmérans que c'était le moment de frapper.
Dans un craquement assourdissant, le tunnel s'effondra et le robeast se retrouva écrasé sous deux énormes plaques de pierre. Il poussa un hurlement à faire grincer les dents. Hunk recula quand le sol à ses pieds se déchira et il cessa de tirer avec son bayard. L'obscurité reprit ses droits, mais seulement un instant.
Toute une section du mur de la galerie tomba, ouvrant un passage vers celle d'à côté, où Klex se tenait au centre d'un groupe de Balmérans alignés contre le mur. La lueur de leur quintessence et des cristaux qui les entouraient traçait les contours de la cave où se trouvait Hunk. Il retint son souffle, observant le robeast se débattre.
Puis, lentement, il cessa de bouger. La lampe frontale de Hunk se ralluma, lui tirant un soupir de soulagement.
C'était terminé.
Nyma se laissa tomber sur le canapé, poussant un soupir qui ne lui valu qu'un bref regard de Val avant qu'elle ne replonge dans son satané livre.
— Tout va bien ? demanda Val, tournant la page.
Nyma haussa les épaules.
— On va dire.
Val émit un petit son vague et leva le bras juste assez pour lui faire de la place sur ses genoux. Nyma considéra l'offre tacite d'un œil méfiant. Val passait tout son temps libre à lire, apportant même un de ses livres à table. Quand elles n'étaient pas en train de s'entraîner ou parties en mission, elle avait le nez plongé dedans ou parlait quintessence avec les Holt. Ou Ryner. Ou Coran, Hunk ou Shay. Purée, ces jours-ci, c'était comme si tout le monde n'avait que ça à la bouche, sauf Nyma. Comme Keith et Lance étaient repartis sur la planète mère et que Shiro gérait les affaires de la coalition, Nyma pouvait difficilement trouver quelqu'un à qui parler qui n'avait pas envie de réfléchir à un moyen de plier l'univers à leur volonté. Nyma savait que si elle se laissait convaincre de rester pendant que Val lisait son bouquin, elles allaient finir par aborder le sujet.
…Mais elle avait bien envie d'un câlin.
Avec un soupir, Nyma s'allongea sur les genoux de Val, la tête sur son estomac. Val passa un bras autour de ses épaules, l'autre (tenant toujours le livre) appuyé sur le dossier du canapé. Nyma œilla l'ouvrage avec suspicion.
— Tu trouves des trucs utiles ?
— Pas encore, dit Val. Mais je crois que je commence à comprendre un peu mieux une partie de la théorie qui entoure la quintessence. L'autre jour, par exemple, j'en ai appris plus sur les trous de ver. Tu vois comment l'espace-temps se plie à la gravité… ou un truc dans le genre, je suis pas physicienne. Enfin bref, apparemment, la quintessence peut faire la même chose, mais avec plus de contrôle. On m'a toujours décrit les trous de ver comme des tunnels dans les plis de l'espace-temps permettant de réduire la distance. La quintessence agit un peu comme une paire d'aimants. Toi, tu es le premier, et tu jettes l'autre où tu veux mettre ta quintessence. Si tu es assez puissante, les deux points seront attirés l'un vers l'autre et se toucheront l'espace d'une seconde. Boum : tu as un trou de ver. Ou autre chose, ça dépend de ce que tu cherchais à faire. Ryner pense que ma bilocation suit le même principe, sauf qu'au lieu d'ouvrir un portail, je fais chevaucher deux espaces différents pendant une fraction de seconde de façon à me retrouver aux deux endroits à la fois. À ce moment précis, je ne forme toujours qu'une seule personne, mais dès que je lâche tout, je me… divise en deux, en quelque sorte. Le moi supplémentaire peut puiser dans la réserve de quintessence laissée derrière l'action pour continuer à fonctionner un petit moment, indépendamment du moi principal.
Nyma la dévisagea, un peu exaspérée.
— Si tu le dis.
Elle ferma les yeux et décida de faire une sieste pendant que Val lisait, mais le sommeil lui échappait.
Elle et Val étaient allées voir Coran pour lui parler du message du Dignitaire, Val débordante d'optimisme, Nyma un peu plus désabusée. Coran n'avait pas pu leur apporter de réponse immédiate, comme Nyma s'y attendait. S'il y avait le moindre indice quant à l'identité du Dignitaire dans le message, il allait falloir du temps pour le trouver, et Pidge et Meri étaient déjà surchargés de travail à chercher des détails sur Revendication en raison de l'implication de Sam. Que Rolo en fasse partie ou non était au final sans conséquence, à bien y réfléchir.
Coran pensait qu'elle devrait quand même en parler à Pidge. Val aussi, même si elle n'avait rien dit, ce qui était pour le mieux. Nyma le ferait, à un moment donné. Elle devait juste mettre de l'ordre dans ses propres attentes, avant. Il y avait de fortes chances que le Dignitaire ait menti depuis le début. Nyma ne pouvait pas aller voir Pidge en étant persuadée que Rolo et son père se trouvaient vraiment au même endroit : ça ne ferait qu'engendrer de la déception quand ils finiraient inévitablement par trouver l'un sans l'autre.
Grognant, Nyma mit le nez dans le t-shirt de Val, intimant à son esprit d'arrêter de penser à Rolo et à l'endroit où il devait se trouver. Jusqu'à trouver plus d'informations, elle ne pouvait rien faire d'autre que de passer chaque prison au peigne fin en croisant les doigts.
La main de Val glissa jusqu'aux appendices sur la tête de Nyma, qui, sans que son esprit ne la consulte, se retrouva à fondre à son toucher.
— Hé, dit Nyma. Si tu te bilocalisais là, maintenant, tu crois qu'on pourrait faire un truc pour me sortir de ma tête pendant que l'autre toi continue à lire ?
Après un moment sans réagir, Val leva le nez de son livre, chose peu commune. Elle dévisagea Nyma, l'air pensive.
— Ce n'est pas une mauvaise idée. C'est mon corps principal qui va devoir lire, je pense, parce que ce que l'autre apprend a tendance à me revenir de façon un peu brouillonne.
Elle plissa les lèvres.
— Je me demande si ça pourrait me servir. J'aurais un deuxième angle d'attaque.
Nyma se releva sur les coudes.
— Hé, attends une minute. Je ne disais pas ça pour que tu sois deux à lire ton bouquin !
— Non, bien sûr.
Val mit son marque-page et posa son livre. Elle prit la main de Nyma et embrassa chacun de ses doigts.
— Désolée d'être si distraite ces derniers temps.
— C'est rien, grommela Nyma. Ça aide à trouver Rolo et les autres. Je ne peux pas me plaindre.
Val leva les yeux au ciel.
— Ça ne veut pas dire que je ne peux pas faire une pause pour faire un truc avec toi. Nyma, je me suis bilocalisée à l'autre bout de l'univers et j'ai séché l'entraînement juste pour passer du temps avec… toi…
— Je pensais que ça faisait partie de ton entraînement, dit Nyma.
Mais Val n'écoutait plus. Son regard s'était perdu dans le vide et elle jura soudainement, se levant d'un bond en tirant Nyma avec elle.
— Ce soir, on se fait un truc en amoureuses, je te promets. Sans distraction. Il faut juste que je parle à Pidge dix minutes avant.
Elle se mordilla la lèvre, offrant à Nyma le regard le plus pitoyable qu'elle ait jamais vu, tout à fait irrésistible.
— D'accord, dit Nyma. Dix minutes, pas plus.
Val lui fit un grand sourire, se mettant sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue.
— Merci, chérie. Je vais faire vite.
— L'affrontement avec Zarkon au congrès a tout fait remonter à la surface, je suppose, dit Shiro.
Il ne savait pas depuis quand il parlait, dévoilant des choses qu'il avait déjà partagées avec Allura et Matt, ainsi que d'autres qu'il n'avait pu révéler qu'à Black au plus profond de leur lien, sa présence apaisante estompant le gros de sa culpabilité et de son dégoût. Il avait craint de ne pas réussir à parler, mais une fois qu'il avait commencé, il n'avait pas su s'arrêter. Tout s'était déversé de lui à travers les failles dans sa maîtrise de soi, même les choses qu'il avait juré ne jamais imposer à Akira.
Akira avait tout écouté en silence, ne le bousculant jamais, ne le prenant pas de haut. Même quand Shiro avait parlé des gens qu'il avait tués dans l'Arène, les personnes dont il avait signé l'arrêt de mort lors de ses premières tentatives de rébellion, Akira n'avait pas montré le moindre signe de peur ou de jugement. De la colère, oui, et du dégoût, mais dirigés contre Haggar et les commandants de Zarkon, et soigneusement contenus pour ne pas dérailler l'histoire de Shiro.
Shiro avait la voix rauque, désormais, mais il continua. Il y avait toujours quelque chose à rajouter et une partie de lui craignait le moment où il devrait se taire et attendre la réaction d'Akira.
— On discute beaucoup, Black et moi, dit Shiro. Allura aussi, parfois.
Ça se faisait doucement, tous les trois faisant toujours attention aux limites des autres et craignant d'accaparer l'attention. Mais ça aidait.
Parler aidait. Que ce soit échanger avec Matt de leurs expériences communes ou avec Lance, quand il l'appelait, de self-care. D'huiles de bain parfumées, de playlists apaisantes, de routines de soin pour la peau… Des choses que Shiro aurait qualifiées de frivoles quelques mois plus tôt, mais auxquelles Lance avait réussi à le rendre accro en à peine deux semaines.
Mais parler à Akira apaisait une tension dont il avait à peine eu conscience.
— Coran cherche à engager un ou deux psys, dit Shiro quand il ne sut plus quoi ajouter.
Ça lui viendrait, il le savait, mais il avait déjà tout raconté du début à la fin, passant sur les détails pour que ça ne prenne pas trop de temps.
— Il a rencontré quelques candidats, mais ça n'a rien donné pour l'instant.
Akira émit un son pensif.
— Hunk ne suivait pas une thérapie ?
— Peut-être ? Je ne sais pas.
Mais Akira hochait déjà la tête, plus confiant qu'avant.
— Non, non, je crois bien qu'il en a déjà parlé. Je crois qu'il n'aimait pas le conseiller de la Garnison, mais il allait voir quelqu'un près de chez lui pendant les vacances.
Shiro fronça les sourcils et regarda le sol.
— Tu crois que cette personne s'y connaîtrait en matière de… ?
Il s'interrompit, peinant à trouver le qualificatif à ses problèmes. Enlèvement extraterrestre, contrôle mental, combat de gladiateurs, expériences cybernétiques… Il doutait que qui que ce soit sur Terre ait déjà été confronté à de telles choses.
— Est-ce qu'elle s'y connaîtrait en stress post-traumatique ? suggéra doucement Akira. Peut-être pas, mais elle a sûrement des contacts. Peut-être avec quelqu'un qui s'est déjà occupé de vétérans. Tu ne crois pas que quelqu'un qui comprend la psychologie humaine sera notre meilleur choix ? Je n'ai rien contre les Altéens, mais on n'est pas faits pareil.
Il n'avait pas tort et, si Shiro n'avait pas perdu toute confiance en la Garnison, il aurait peut-être même demandé à Coran d'aller voir chez eux. Il fallait prendre en compte la possibilité qu'un ennemi de Voltron se soit infiltré parmi leurs alliés et tente de se mettre en avant pour être choisi.
S'ils demandaient des recommandations de l'ancien psy de Hunk, ce risque serait considérablement réduit.
Mais il allait devoir demander ses coordonnées à Hunk ou ses parents, et donc admettre la raison derrière cette question. Shiro dut se rappeler que Hunk ne le jugerait pas. Personne ne l'avait jugé : ni Allura, ni Matt, ni Akira, ni Lance. Matt avait même dit qu'il réfléchirait à prendre rendez-vous, lui aussi, une fois qu'ils trouveraient quelqu'un. Hunk ne penserait pas moins de Shiro d'avoir besoin d'aide.
Ça ne dénoua pas le nœud dans sa poitrine.
— Je vais lui demander, dit Shiro, ravalant son anxiété.
Le dire tout haut en faisait une promesse, qu'il avait plus de chance de tenir. Il savait qu'il en avait besoin, quand bien même ça le mettait mal à l'aise de l'avouer. Il se tut, rejouant dans sa tête toutes les choses qu'il avait dites et celles qu'il avait passées sous silence. Il n'était pas trop entré dans les détails sur son emprisonnement, sur l'Arène, sur quoi que ce soit. Il en avait juste assez dit pour qu'Akira comprenne pourquoi il était si dominateur, parfois.
Akira inspira, puis se pencha, lui prenant la main et la serrant doucement.
— Merci.
— Pourquoi ? demanda Shiro, grimaçant devant le tremblement de sa voix.
— De m'en avoir parlé. Je sais que ce n'était pas facile.
Shiro haussa les épaules. S'il savait tout ce qu'il dissimulait encore.
Black ronronna dans son esprit, apaisant ses pensées auto-dénigrantes. Un pas à la fois, lui rappela-t-elle. Il n'avait pas besoin de tout lui dire d'un coup. Ce qu'il avait fait cette fois-ci suffisait plus qu'assez et il devrait en être fier. Black était entièrement d'accord avec Akira sur ce point.
— Merci de m'avoir écouté, dit Shiro, résistant à l'envie de faire de l'humour noir. Je sais que ce n'est pas un sujet heureux et, malheureusement, je ne pense pas que ce soit réaliste de croire que ça va cesser d'être un problème dans le futur proche. Je m'excuse en avance de… d'être comme ça. D'essayer de prendre des décisions à ta place pour éviter de te mettre en danger. Ce n'est pas mon rôle et je sais que je serais vraiment très énervé si quelqu'un me disait de ne pas me battre. Je vais essayer de ne pas recommencer– je te promets, je vais faire de mon mieux, mais je… Je ne sais pas si–
Akira lui serra à nouveau la main, doucement, mais suffisamment pour le faire taire.
— Tu as perdu beaucoup de choses dans l'Arène, Takashi, dit-il. Ils t'ont volé beaucoup de choses, y compris ton libre-arbitre. C'est normal que ça te demande du temps pour en arriver à un point où tu ne ressens plus le besoin de garder le contrôle pour éviter qu'on ne te l'arrache encore une fois. (Il marqua une pause.) Ou que tu as besoin de t'assurer que je ne subisse pas la même chose.
— Mais ce n'est pas le genre de personne que je veux être.
Shiro poussa un petit rire, laissant sa tête reposer contre le mur.
— Je sais que c'est puéril, mais c'est vrai. Je ne veux pas être coincé dans cet entre-deux où j'ai parcouru assez de chemin pour voir comment mon traumatisme m'affecte sans pouvoir passer à autre chose.
— Tu n'y resteras pas coincé éternellement.
Akira pressa son épaule contre celle de Shiro.
— Je t'aiderai comme je peux. Matt, Allura, tous les autres t'aideront, si tu le souhaites. Et quand tu auras trouvé un psy, il pourra t'aider, lui aussi. Sûrement bien mieux que moi.
Shiro secoua la tête, s'appuyant davantage contre son frère.
— Ça m'aide déjà que tu sois là. Tu n'imagines pas à quel point. Avant, je croyais que je ne redeviendrais jamais comme avant. D'ailleurs, c'est toujours ce que je pense, mais j'ai retrouvé des petites choses. Je me rappelle comment rire, comment plaisanter sur des sujets autres que la mort.
— Tant mieux. Je veux continuer à t'aider, selon ce qui t'irait le mieux. Si tu veux que je te dise quand tu deviens irrationnel, je le ferai. Si tu veux parler encore comme aujourd'hui, ça me va aussi. Mais on s'en tiendra à ce que tu veux, toi.
Shiro garda le silence un moment pour réfléchir. Il y avait beaucoup pensé depuis que Black lui avait présenté le problème et encore plus depuis qu'il s'était disputé avec Akira.
— Je ne sais pas ce qui m'aidera. On peut essayer des trucs, mais je préfère te prévenir : je pourrais me rendre compte qu'une chose que je pensais utile ne l'est en fait pas du tout. Je ne veux pas que tu penses que c'est ta faute.
— Ça ira, le rassura Akira. On avance tous à tâtons.
— Oui, c'est vrai.
Shiro regarda le plafond. Ses yeux le brûlaient et un élan de gratitude le laissa sans voix, mais Akira sembla le comprendre.
Il pivota et attira Shiro dans une étreinte.
— Tu n'es pas seul, Takashi. Je serai toujours là pour toi, quoi qu'il arrive.
Une fois le robeast éliminé, le combat ne fut pas plus difficile que celui de Metos ou de Theros. Peut-être un peu plus laborieux, puisqu'ils avaient déjà perdu l'effet de surprise, mais une sentinelle restait une sentinelle et Hunk en avait déjà abattu des centaines. La nouvelle de la mort du robeast se répandit dans toute la Balméra, stimulant ceux qui avaient choisi de se battre et inspirant d'autres à les rejoindre.
Hunk et Shay prirent bien sûr les devants. Ils avaient plus d'entraînement, d'expérience. Ils dirigèrent les Balmérans aux endroits les plus stratégiques, pour saboter, distraire ou éparpiller les troupes. Deux équipes allèrent s'occuper des contrôles des sentinelles tandis que Hunk et Shay attiraient l'attention des Galras et, une fois le signal coupé, la bataille fut pratiquement terminée.
Il n'y avait que peu de soldats galras sur la Balméra, mais ils refusaient de se laisser intimider. Contrairement à Metos, cette Balméra n'était pas à l'article de la mort et, en conséquence, ses gardiens avaient plus d'intérêt à en garder le contrôle. Ils ne voulaient donc pas partir, même quand Hunk prit la voie des airs pour écraser les structures défensives et abattre les quelques chasseurs qui avaient réussi à sortir avant que les Balmérans ne bloquent les portes des hangars. Shay resta au sol, ralliant son peuple.
À la fin de la journée, la dernière douzaine de Galras finit par se rendre. Les Doyens les enfermèrent dans leurs propres cellules, après que Hunk en ait modifié les verrous pour ne répondre qu'aux empreintes balméranes.
Hunk se laissa entraîner par les festivités, mais seulement un court moment. Le cadavre du robeast gisait toujours là où il était tombé, seul dans le tunnel sombre dans une zone que les scanners de Yellow ne pouvaient toujours pas pénétrer sans interférence.
— Tu penses qu'il y a encore un danger ? demanda Shay, quittant les autres Doyens pour le rejoindre dans une galerie plus calme, un peu éloignée du rassemblement.
— Je ne sais pas.
Hunk bidouilla un couteau suisse pris dans la boîte à outils de Yellow. Il en avait eu besoin pour déverrouiller les cellules et n'avait pas eu le temps depuis de retourner à leur lion. Et puis, ça l'aidait d'avoir un truc pour s'occuper les mains.
— Mais ça ne me plaît pas.
Shay fredonna, se rapprochant de lui tandis qu'ils s'éloignaient de la fête. Le chant ne devenait ni plus fort ni plus doux avec la distance, mais il devint plus facile de l'ignorer quand les voix et les rires s'estompèrent et, bientôt, il n'y eut plus que la curiosité de Shay et son propre malaise qui s'entremêlaient à la mélodie de la Balméra. (Les Doyens l'avaient nommée Atsiphos, pour avoir refusé de se laisser intimider par les Galras et leur robeast.)
— Ce n'est pas que l'anxiété qui te fait dire ça, finit par dire Shay quand ils arrivèrent aux cellules.
Ils passèrent devant et optèrent pour le passage latéral emprunté par Klex plus tôt, celui dont le mur s'était effondré dans le tunnel.
Hunk revérifia ses scanners en approchant de l'ouverture. Les systèmes de son armure ne s'étaient pas complètement désactivés comme précédemment, mais la radio était brouillée, les scanners produisaient des relevés irréguliers et il n'aimait pas les ombres qui fuyaient le faisceau de sa lampe torche.
— Je n'aime pas tout ce qui perturbe les scanners, admit-il, vu que la dernière chose qui l'a fait, c'était un œuf de Vkullor.
La chanson de Shay connut un accro.
— Tu penses que cela a un lien avec cette créature ? Que Haggar a commencé à implémenter des éléments conçus à partir de son étude de l'œuf ?
— Peut-être ?
Hunk baissa la tête pour passer dans le trou et contourna les décombres jusqu'au bras du robeast, qui reposait sur un morceau de roche brisé, tendu comme s'il cherchait à le prendre par la cheville. Hunk déglutit et passa prudemment autour de la main avant de s'accroupir pour scanner le corps. Une flaque de liquide visqueux s'était formée à côté des griffes de la créature, brillant d'un jaune vif sous la lumière de sa lampe frontale. C'était certainement ce qui blessait la Balméra. Il prit bien soin de l'éviter en s'agenouillant pour inspecter le robeast.
— Il y avait aussi le robeast sur Maorel, tu te souviens ? Il avait aussi coupé notre équipement.
— Cette fois-ci, ça ne s'arrête pas là, fit remarquer Shay.
Elle rejoignit Hunk, regardant ses propres scanners.
— Non seulement il a pu perturber le bon fonctionnement de ton armure, mais en plus, même mort, il n'apparaît pas sur mes scans. Pas régulièrement.
C'était exact, ce qui le rendait encore plus nerveux. Le robeast n'était pas totalement invisible sur les scanners : il était capable d'en relever les données thermiques et sa quintessence, bien que les autres modes du GPT affichaient un étrange vide. Les effets semblaient limités au corps en lui-même : Hunk voyait toujours Shay sur les scanners, même quand elle se pencha sur le robeast pour l'examiner. C'était un autre argument contre la théorie du Vkullor, puisque l'aura de l'œuf avait pu cacher le soldat qui s'était enfui avec.
Si c'était une technologie issue du Vkullor, Haggar n'en était qu'à ses premiers prototypes. Ils avaient le temps de l'arrêter.
— Tu peux aller me chercher quelques tubes à essai dans la soute de Yellow ? Je veux ramener des échantillons. Je vais aussi essayer de télécharger une copie de la programmation du robeast. On va certainement devoir emporter le corps ou l'envoyer à Olkarion, mais ça va demander du temps.
Shay acquiesça.
— Ça ira sans moi ?
— Ce truc est déjà mort, dit Hunk. C'est super flippant, mais il ne peut rien me faire.
…Sûrement. Quoi qu'il en soit, il sourit à Shay :
— Ça ira.
Elle s'en alla et Hunk se tourna à nouveau vers le cadavre, commençant le téléchargement du programme du robeast et faisant de son mieux pour ignorer les ombres profondes et les faibles lueurs jaunes qui l'entouraient.
Val trouva Pidge dans une des petites salles adjacentes de la salle d'entraînement. Contrairement aux pièces les plus larges et les plus utilisées, celle-ci ressemblait plutôt au bureau d'un médecin : il y avait un comptoir avec plusieurs chaises d'un côté et un bureau avec un scanner médical contre le mur. L'autre moitié de la pièce était ouverte, le sol matelassé et des barres fixées au mur. Coran était aussi présent et aidait Pidge à compléter ses exercices. Iel était installé·e sur une chaise, fléchissant sa cheville avec une bande élastique résistante autour de ses orteils.
— Coucou, fit Val en toquant à la porte.
Elle résista vaillamment à l'envie de déballer immédiatement son idée, car elle savait que Pidge prenait sa rééducation très au sérieux pour réduire le temps à rester coincé·e au château. (L'estimation actuelle était de deux semaines de plus, mais Pidge espérait en retirer au moins deux ou trois jours.) Coran, quant à lui, se comportait plus ou moins comme un coach sportif à sa demande. Il forçait Pidge à dépasser ses limites et, quand iel s'énervait, il semblait savoir quand c'était par frustration ou quand iel avait vraiment besoin d'une pause.
— Ça vous dérange si je vous interromps ?
— Non, vas-y, dit Pidge, fléchissant sa cheville une dernière fois avant de sortir son pied de la bande et se rasseoir sur son siège. Tout plutôt que de subir encore cette monotonie.
Val sourit à Coran en allant s'installer au bord du comptoir. Nyma la suivit, l'air à la fois ennuyée et curieuse, un savant mélange que peu de personnes pouvaient obtenir aussi parfaitement qu'elle. Val savait qu'elle se fichait un peu de la théorie quintessentielle et de tout ce tralala, alors que c'était tout ce dont elle-même avait en tête actuellement. Mais Nyma appréciait l'intention derrière et était évidemment intéressée par la découverte de Val. (Val espérait qu'il s'agissait d'une découverte. Elle ne faisait pas entièrement confiance à sa logique, mais ça semblait raisonnable…)
Coran tira une chaise près de Pidge et s'y assit, son regard tombant sur le livre sur les genoux de Val.
— Théorie Quintessentielle, commenta-t-il. As-tu trouvé quelque chose ?
— Peut-être.
Val passa son pouce sur le bord des pages, un excès d'énergie agitant sa jambe.
— Je cherchais à en apprendre plus sur les effets de la quintessence sur l'espace-temps, vous savez ? Et je parlais avec Ryner de son rôle dans ma bilocation.
Pidge accepta la poche d'eau que lui tendit Coran et œilla Val.
— Tu crois toujours que c'est la réponse ?
Val ferma la bouche. Elle savait que Pidge espérait une approche plus directe. Un moyen de tirer son père de sa prison ou au moins de pouvoir y accéder. Val ne pouvait pas emmener d'autres gens avec elle quand elle se bilocalisait, alors Pidge s'intéressait plutôt à d'autres possibilités.
— Je ne sais pas. Ce n'est pas l'important, de toute façon. En fait… La portée est ce qui nous limite le plus à présent, peu importe ce qu'on veut tenter, pas vrai ?
— Ouais, dit Pidge. Presque tout ce que j'ai vu demande énormément de quintessence pour couvrir une distance plus grande. Même si tu deviens super doué dans ton domaine, tu vas finir par tomber à court d'énergie.
Val acquiesça.
— Mais j'ai pu me servir de ma magie sur une énorme distance quand je me suis bilocalisée dans le lion bleu.
— Je croyais qu'on avait décidé que c'était une exception. Le lien de paladin est fait de quintessence pure et tu as laissé un petit bout de toi dans Blue qui t'a permis d'ignorer la distance.
Val joignit les mains et pointa ses deux index sur Pidge.
— Oui et non. C'est de ça que je voulais te parler, en fait. J'ai pensé à un truc. Deux trucs. Je me trompe peut-être, mais c'est pour ça qu'on fait des tests. Interromps-moi si ça te semble complètement impossible.
Elle inspira, intimant à son cœur de se calmer.
— Pour la bilocation, il y a deux composantes principales. D'abord, il faut créer une connexion entre deux points dans l'espace pour exister aux deux endroits à la fois, puis, au moment de tout lâcher, je me sers de la quintessence pour maintenir les deux corps séparés.
Pidge acquiesça.
— Continue…
— Commençons donc par la deuxième partie. Je n'ai jamais réussi à maintenir la projection en dehors de Blue. J'ai cru que c'était parce que la distance n'existait pas pour moi quand j'étais à l'intérieur d'elle, comme tu l'as dit. Mais je pense que j'étais en fait en train de me servir de sa quintessence à elle. Je me suis tellement éloignée de mon corps principal que je ne pouvais pas me servir de ma quintessence, si bien que l'existence de mon double reposait entièrement sur Blue.
Pidge se pencha en avant, les sourcils froncés.
— Mais… Je croyais qu'on ne pouvait pas se servir de la quintessence de quelqu'un d'autre.
— C'est difficile, dit Coran avant que Val ne puisse trop se remettre en question. Dans la plupart des cas, ce n'est pas possible. Pas directement.
Il se frotta la moustache.
— Le lien de paladin pourrait passer outre cette limitation, j'imagine. Après tout, c'est essentiellement un partage de quintessence.
Pidge le dévisagea.
— On peut donc se servir des lions pour booster notre portée ? Pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt ?
Coran leva les mains, tiré de ses réflexions.
— Je n'y avais pas vraiment pensé, pour être honnête. Je vais devoir me pencher dessus un peu plus. Mais ça me semble plausible. Enfin, ça ne résout pas tout, ajouta-t-il. Même les lions ne peuvent pas atteindre l'autre bout de l'univers. Vous pourrez étendre vos recherches, mais pas de façon illimitée.
Val, qui avait commencé à se détendre à la confirmation que ses idées n'étaient pas tout à fait improbables, se crispa à nouveau, le cœur battant dans sa gorge.
— C'est là qu'intervient ma deuxième idée.
Pidge se retourna vivement, les yeux écarquillés.
— Même si on part du principe que je me suis servie de la quintessence de Blue pour maintenir mon deuxième corps dans son cockpit, entama lentement Val, ça n'explique pas comment je m'y suis retrouvée pour commencer. Vu comment fonctionne la bilocation, je n'aurais pas dû réussir si je n'arrivais pas à atteindre ma destination. Que j'ai une partie de moi sur place ne l'explique pas entièrement. Comme tu l'as dit, même Blue a une limite. Elle ne peut pas rester en contact avec moi tout le temps depuis l'autre bout de l'univers, alors je n'ai pas pu me servir de sa quintessence à ce moment précis et la mienne ne pouvait définitivement pas arriver jusqu'à elle.
— Mais une partie de toi s'y trouvait déjà, dit Nyma avec une frustration évidente. Je pensais que c'était un fait établi.
Val pivota, s'agrippant au bord du comptoir.
— Exactement. Mais ce n'est pas littéralement moi, pas vrai ? Je ne peux pas la contrôler. Ce n'est pas comme si Blue avait une toute petite Val en liberté dans sa tête. Enfin, je ne crois pas…
Une ondulation amusée dans son esprit lui indiqua, premièrement, que Blue écoutait leur conversation et, deuxièmement, que Val avait raison. Il y avait un peu de sa quintessence en Blue et un peu de celle de Blue en elle : c'était la nature du lien de paladin. Mais ce n'était rien de plus.
Ragaillardie, Val acquiesça.
— Donc, ce que j'en conclus, c'est que… J'ai besoin de deux points d'ancrage, pas vrai ? Deux aimants pour plier l'espace-temps et créer la jonction. Mais le deuxième aimant n'a pas besoin d'être créé par moi. Il n'a même pas besoin d'être actif à ce moment précis. Ce n'est pas que j'ai pu ou pas atteindre cette partie de moi au sein de Blue. C'est que j'ai pu la reconnaître malgré la distance.
Elle les dévisagea l'un après l'autre, la bouche sèche.
— Pas vrai ?
Pidge jeta un œil à Coran, attendant visiblement qu'il tranche. Ils savaient tous ce que la suggestion de Val sous-entendait : si elle avait raison, ils n'avaient pas besoin de trouver Sam Holt, Rolo ou Rax. Ils devaient juste comprendre comment Val avait reconnu Blue ou la part d'elle-même qui y résidait, depuis une grande distance, puis appliquer le même principe pour faire des membres manquants de leur famille son autre point d'ancrage.
— Peut-être, finit par répondre Coran. Je ne peux honnêtement pas en être plus certain que ça. Ce n'est pas un domaine qui a été étudié avant, de ce que j'en sais. Encore moins si le lien de paladin en est la racine ou facilite la tâche. Keturah a étudié la magie pygnarate avec Alfor, mais elle était comme Matt et n'avait pas de raison d'essayer d'enflammer le lion rouge à plusieurs galaxies de là. Tu serais la première à faire ce genre de connexion.
Val sentit son souffle se couper. Vous serez la première à accomplir ce que vous cherchez à faire. C'était ce que le sage Ellorn lui avait dit. Certes, peut-être qu'elle se raccrochait vraiment à n'importe quoi, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle était sur la bonne voie.
— Je vais dire à Matt et Ryner de se pencher sur la question, dit Pidge. Si ça se confirme…
La radio au mur bourdonna et la voix de Zelka en jaillit.
— Coran ?
— Je suis là.
— Les paladins jaunes sont de retour, dit Zelka. Ils demandent à te voir au hangar, si tu es disponible.
Pidge jeta un œil à Coran, les sourcils froncés.
— Ça ne sent pas bon.
— Ils ont aussi demandé votre présence, paladin Pidge. Ainsi que celle des paladins Matt et Ryner. J'imagine qu'ils ne sont pas avec vous.
— Non, mais je peux faire passer le message, dit Coran. Merci, Zelka.
Val sauta du comptoir tandis que Coran mettait fin à l'appel et contactait le hangar de Green. Elle voulait savoir ce qui se passait avec Hunk et Shay, mais un regard à Nyma lui indiqua que ça allait devoir attendre. Val lui avait promis un rendez-vous, après tout. Et ce n'était pas comme si elle allait être utile à des travaux scientifiques.
— Je vais continuer à creuser l'idée, dit Val à Pidge. Tu peux t'en occuper quand tu auras le temps. Ce n'est pas plus pressé que d'habitude.
Pidge acquiesça, soulevant son attelle du sol pour l'attacher à sa cheville. Puis iel se leva et sortit, moins rapide que d'habitude, mais marchant sans aide. Val l'observa partir, puis pivota et tendit la main à Nyma.
— Il me semble que je t'ai promis une soirée en amoureuses.
— C'est d'origine biologique, c'est certain, dit Coran.
— Tu crois ?
Pidge se pencha sur son ordinateur, entrant plusieurs commandes.
— J'ai à peine effleuré la surface de la programmation et je peux déjà te dire qu'il y a des tas de trucs là-dedans.
Matt était penché à l'épaule de Coran, observant les résultats de plusieurs scans s'afficher à l'écran. Il en reconnut certains : une analyse ADN comparant l'échantillon à d'autres espèces, les compositions chimiques de plusieurs échantillons différents… Autrefois, il aurait même été capable de comprendre les résultats. Il avait un diplôme d'ingénierie biomécanique et avait conduit ses propres recherches. Il avait même publié quelques articles. Le château passait des tests d'un autre genre auquel il n'était pas habitué, mais il aurait dû être capable de glaner quelques informations de toutes ces données.
Mais non, il était complètement perdu, comprenant à peine ce que disait Coran. Il avait eu plein d'occasions de démontrer ses compétences d'ingénieur depuis son escapade de l'Empire, mais en tant que biologiste ? Autant dire qu'il était rouillé.
— Les instruments ne mentent pas, dit Coran, pinçant une fenêtre entre ses doigts et la faisant glisser jusqu'à l'écran de Pidge. Ces échantillons sont invisibles sur certains scans et n'ont rien de synthétique.
— Est-ce que ça vient de l'œuf du Vkullor ? demanda Hunk, qui avait passé les trois dernières heures penché sur l'épaule de Pidge, l'observant fouiller dans les données. Vous croyez qu'Haggar a réussi à recréer ses capacités de camouflage ?
Coran fronça les sourcils.
— C'est impossible à dire. La base de données ne contient rien au sujet du patrimoine génétique des Vkullors.
— Mais ce serait logique, dit Hunk, se tournant vers Matt. Pas vrai ? On sait qu'Haggar l'a en sa possession, on sait qu'elle va essayer d'en faire quelque chose.
— Si c'est de la génétique vkullor, c'est un peu bancal, dit Pidge.
Iel se radossa à son siège, fusillant les données de Coran du regard.
— Tu vois les mesures que tu as prises ? Elles n'ont rien à voir avec ce qu'on avait remarqué avec l'œuf. Celui-là avait bloqué tous nos scanners à la perfection. Là, c'est plutôt… des bugs et des interférences sporadiques.
— Précisément, commenta Coran.
Il se laissa tomber dans une chaise, ses doigts creusant des sillons dans ses cheveux.
— Il y a quelque chose qui cloche.
— Comment ça ? demanda Matt.
— Je ne sais pas encore.
Coran jeta un œil à Ryner, qui secoua la tête.
— Nous allons ramener le corps, dit-elle. Il faut passer plus de tests.
Coran acquiesça, mais il semblait distrait et Matt ne put retenir le malaise qui bouillonnait en lui. Que ça vienne du Vkullor ou non, il n'aimait pas l'idée qu'Haggar soit capable de dissimuler ses robeasts à la vue de tous.
Plus de tests, c'était ce dont ils avaient besoin. Comme l'avait dit Ryner. Ils mettraient un plan au point une fois qu'ils en sauront plus.
En attendant, ils devaient continuer à creuser.
