Chapitre 6 : La Première Fissure
Suite à cette quasi-catastrophe, Naegi chassa Komaeda de la chambre. C'était le seul point positif concernant son ravisseur : il faisait généralement tout ce que demandait Naegi – excepté arrêter de le séquestrer - et il s'exécutait toujours avec le sourire. Ok... ça c'était dérangeant, mais pas plus dérangeant que des ours robots meurtriers.
Quand la porte se referma, il pressa son oreille contre le panneau de bois. Était-ce pour vérifier que Komaeda était vraiment parti ou pour s'assurer que personne ne venait alors qu'il était vulnérable ? Naegi n'en était pas sûr lui-même. Il savait seulement qu'il devait le faire. Ainsi, il se tint là, la peau moite et froide, attendant quelque signal inconnu. Le silence régnait de l'autre côté de la porte. Ce n'en était que pire.
Il serra les dents. Dès le moment où il avait compris comment il avait vraiment échoué ici, Naegi avait su qu'il était en danger. Komaeda ne l'avait pas non plus caché. Mais c'était le dernier avertissement de Kamukura, cette panique en entendant le coup, qui lui avait finalement fait rentrer ça dans le crâne. Avant, l'idée de danger avait été abstraite, lointaine. Un peu comme la possibilité d'être assassiné pendant le Killing Game. Après le premier procès, Naegi n'avait jamais oublié que ça pourrait arriver, mais il ne l'avait jamais réellement intégré. Il n'avait jamais été témoin d'un meurtre en personne, après tout, seulement des conséquences sanglantes. Cela avait fait toute la différence. Sans le voir par lui-même, sans avoir vu un de ses amis succomber à un désespoir meurtrier, Naegi n'avait jamais été capable d'imaginer un de ses camarades le trahir.
Comme d'ordinaire quand ses pensées empruntaient cette voie, sa conscience le gifla. Il devait arrêter de penser ainsi. Bien sûr qu'ils ne l'avaient pas trahi ! Ses camarades, tous ses camarades (à l'exception, peut-être, d'Enoshima) avaient été de bonnes personnes. Mais comment aurait-on pu s'attendre à ce qu'ils se comportent normalement sous toute cette pression et tout ce stress ? C'était la faute de ce stupide ours, pas la leur.
Blâmer l'antagoniste familier lui fit du bien. Oserait-il dire que c'était nostalgique ? Il jeta un regard à la peluche Monokuma éventrée sur le sol au milieu de la pièce. Il ne dirait pas non pour lui donner quelques coups de pied... mais son corps était réticent à s'éloigner de la porte. Il pressa sa paume contre le battant, poussant sans grande conviction.
Une mélancolie soudaine le balaya. Il se laissa tomber à genoux, la joue écrasée contre le bois. Il voulait... il voulait pleurer, mais il n'avait pas de larme à verser. Sa gorge cependant n'était pas d'accord et se contracta, se préparant.
Il ramena ses genoux contre sa poitrine et y enfouit son front. Pourquoi est-ce que ce n'était pas terminé ? Le Killing Game n'avait-il pas été suffisant ? Il voulait juste être de retour avec ses amis. Ils devaient s'inquiéter pour lui, même Togami. Et il s'inquiétait pour eux, lui aussi. La dernière chose dont il se souvenait était qu'ils avaient été à court de nourriture. Ils allaient partir à sa recherche... mais ils n'en oublieraient pas de prendre soin d'eux-mêmes, n'est-ce pas ?
Ses doigts s'enfoncèrent dans ses cheveux et les tirèrent. Non, se dit-il, Togami n'oublierait jamais son propre bien-être assez longtemps pour qu'ils se retrouvent sans vivres. Kirigiri, elle aussi, demeurerait pragmatique et ne succomberait pas à l'émotion. Elle ne les laisserait pas mourir de faim. Tout irait bien pour eux. Il... il devait en être ainsi...
Sa respiration devint de profonds halètements tremblants. Il manquait encore d'air. Il toussa, crispant davantage les muscles de son dos. Lentement, il redressa la tête, les yeux larmoyants. Les couleurs et les formes oscillèrent tandis qu'il posait son menton sur ses genoux. Sa vision commença à se stabiliser. Il apercevait devant lui le lit et le bureau voisin, et sur ce dernier la boîte de céréales que Komaeda lui avait apportée...
Il était là, craignant que ses amis ne parviennent pas à trouver assez de nourriture, et lui-même en avait livrée en main propre à intervalles réguliers. Il pouvait dormir sans avoir peur d'être découvert par des robots maléfiques ou des gens portant des masques Monokuma. Il avait un lit !
Ce n'était pas juste.
Il se leva avec raideur ; au fond de lui, une force féroce et inébranlable lui redressa la colonne vertébrale comme une barre de métal. Il se dirigea vers le bureau et attrapa la boîte de céréales avec tant de force qu'il la déforma.
Rien de tout cela n'était juste.
Il ne réfléchit pas. Il se rendit dans la salle de bain et arracha le haut de la boîte.
Il la renversa et laissa tomber tout son contenu dans les toilettes.
Le son de la chasse d'eau fut comme de la musique à ses oreilles. Alors qu'il regardait ce qui aurait dû constituer son petit déjeuner tourbillonner dans l'oubli, il ne se sentit pas triste le moins du monde. Il se sentait... bien. Comme si à sa manière, quoique modeste, il défiait Komaeda. Il ne s'était jamais engagé dans ce genre de rébellion contre Monokuma, mais c'était parce qu'unir les élèves contre lui avait été beaucoup plus épanouissant.
Et puis, Monokuma avait placé partout des caméras et des mitrailleuses.
Il finit par jeter la boîte de céréales déchiquetée vers la porte, où Komaeda serait certain de la voir quand il finirait inévitablement par revenir. Il savoura ensuite un jeu improvisé de lancer de peluche Monokuma dans la corbeille à papier, se délectant de la manière dont elle ondulait et s'élevait irrégulièrement dans les airs. Là c'était satisfaisant. Quand il retrouverait ses amis, il n'oublierait pas de présenter son invention à Asahina et Hagakure. Peut-être même que la Génocidaire les rejoindrait. Ils allaient s'éclater !
Après le sixième but (pour lequel il avait créé une course d'obstacles improvisée et complètement nécessaire), il dut s'arrêter pour se reposer. On aurait pu penser que passer des semaines à se traîner dans les décombres l'aurait rendu plus fort – et il était certain que c'était le cas – mais c'était la première fois depuis longtemps que son corps n'était plus soumis à un stress constant. Son périple dans le monde extérieur le rattrapait. Il s'affala donc sur sa chaise, hors d'haleine. Il fixa la peluche Monokuma et tout ce qu'il avait fait, ce jeu auquel il venait de jouer... tout lui sembla soudainement si vain.
Parce que c'est le cas. Rien de tout cela ne va t'aider, toi ou tes amis.
Il ferma les yeux. Komaeda avait insisté qu'il ne changerait pas d'avis et Naegi commençait à le croire. Ça ne signifiait pas pour autant qu'il était coincé ici. L'aide de Komaeda aurait seulement rendu les choses bien moins dangereuses. Cependant, s'il ne l'aidait pas, Naegi allait juste devoir s'évader par lui-même. Il pouvait le faire.
Pas vrai ?
Obtenir des informations serait facile. Komaeda en laissait échapper aisément. Cependant, il devait se rappeler ce que Kamukura avait dit : Komaeda n'était pas stupide. Le fait qu'il avait apparemment enlevé Naegi sans trop de problèmes confirmait que le garçon aux cheveux blancs pouvait être rusé. Naegi devait être prudent. Il ne pouvait pas se comporter avec son habituelle amabilité ; il risquait de se trahir accidentellement. En même temps, il devait feindre son habituelle amabilité ou Komaeda allait s'en rendre compte...
Si seulement Kirigiri était là pour l'aider.
Il secoua la tête pour s'éclaircir les idées. Il pourrait se morfondre plus tard. Il devait découvrir un moyen de s'échapper de cette pièce.
La porte était robuste. Il se fit mal quand il lui donna un coup de poing. Ce n'était pas comme si ça avait vraiment de l'importance. Même s'il était assez fort pour l'abattre, c'était hors de question. Sans moyen de vérifier si quelqu'un était à portée d'oreille, faire du bruit était trop risqué. Il examina la poignée ; il ne semblait pas possible de crocheter la serrure de ce côté, mais qu'en savait-il ? Il n'était pas le héros d'un film d'action.
Peut-être pouvait-il tendre un piège à Komaeda pour l'inciter à la lui ouvrir ? Après tout, sa chambre était la pièce d'à côté et il avait déjà donné à Naegi la permission de le faire venir. S'il était rapide et prenait Komaeda par surprise, il pourrait sans doute franchir la porte sans qu'il ne l'attrape. Il y avait toujours le problème de semer Komaeda et les autres après ça, mais il fallait bien prendre des risques pour avancer, non ?
… Bien sûr, Kirigiri parlait de résoudre des mystères quand elle avait dit ça. Pas de s'échapper d'une ruche grouillant des complices d'Enoshima. Est-ce que ça en valait vraiment le risque, alors ? Ou était-ce mieux de chercher un moyen de s'évader qui n'alerterait pas instantanément son ravisseur ?
Sa tête le lançait.
Ce n'était pas comme s'il devait prendre sa décision immédiatement. Avant de tenter quoi que ce soit, il devait s'assurer que son corps était prêt. Maintenant, réalisa-t-il, était le moment de revenir aux exercices qu'Oogami lui avait montrés. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus eu de temps à leur accorder, mais à l'académie, il avait pratiqué religieusement après le décès d'Oogami (son propre hommage personnel envers elle) et il se souvenait toujours des mouvements.
Les contraintes sonores et l'espace étroit limitaient ses possibilités, mais dès qu'il fut reposé, il exhorta ses membres mous à accomplir un enchaînement basique. C'était différent d'être sur de la moquette plutôt que du bois et ses pieds finissaient par glisser quand il essayait d'exécuter des positions basiques d'arts martiaux. Bah, ça n'avait pas trop d'importance. Il n'avait pas l'intention d'affronter Komaeda ou qui que ce soit.
Il s'entraîna. Et s'entraîna. Et s'entraîna et s'entraîna et s'entraîna. Sans indication de temps ou autre chose à faire, il ne pouvait pas savoir quand s'arrêter. Il travailla malgré la brume dans son esprit jusqu'à ce que ses jambes se dérobent. Avec ce qu'il lui restait d'énergie, il se traîna jusqu'au lit et s'y effondra. Son cœur battait la chamade et il ne semblait pas que ce soit juste à cause de l'effort.
Il était trop fatigué pour se relever. Il était trop fatigué pour se redresser et se retourner pour ne plus gésir à travers le lit, les pieds pendants. Il était trop fatigué pour réfléchir à un plan d'évasion.
Il demeura ainsi jusqu'à ce que la porte s'ouvre.
Hum. Komaeda avait vraiment un assortiment intéressant d'objets. Il était revenu avec le déjeuner de Naegi (que Naegi avait ignoré car il se sentait nauséeux à sa vue) et une boîte remplie de choses diverses dont il n'avait pas la moindre idée de quoi en faire. Comme, par exemple, ce qui semblait être la patte brisée d'un robot Monokuma. Qu'était-il supposé faire avec ça ?
Il soupira. Il devait sûrement y avoir quelques objets utiles là-dedans. Il s'assit près de la boîte et les passa en revue les uns après les autres, ignorant les yeux de Komaeda qui transperçaient son dos. Le garçon aux cheveux blancs était assis sur le lit, ce qui détendit un peu Naegi ; il entendrait les ressorts s'il se levait.
La première chose que Naegi extirpa était une page d'un journal vieux de cinq ans. L'article principal concernait une coupure massive d'électricité qui avait apparemment affecté le pays tout entier, bien que Naegi ne s'en souvenait pas. L'autre côté était parsemé d'éditoriaux légers sur des sujets du quotidien qui firent fleurir un sourire sur son visage – jusqu'à ce qu'il commence à regarder les noms de plus près, se demandant s'ils allaient tous bien. Il leva la page devant son visage pour le dissimuler à Komaeda. Inutile de lui donner cette satisfaction.
« Komaeda-kun, est-ce que cette horloge est à l'heure ? » demanda-t-il en levant une petite horloge. Elle prétendait qu'il était 1h30 de l'après-midi.
Komaeda sourit largement.
« … D'accord. » Naegi reposa l'horloge à côté de lui.
Ensuite, il découvrit un manga détrempé qui devenait illisible vers le milieu. Puis, un lapin en peluche cabossé devenu gris à cause de la poussière (et une peluche Monokuma parfaitement propre. Naegi dut prendre une seconde pour se contrôler). Une assiette ébréchée et des couverts étaient également présents et il était en fait heureux de les voir.
Il dénicha ensuite une balle rebondissante. Naturellement, il dut l'essayer. Elle rebondit sur le sol avec une vitesse surprenante, fonçant au-dessus de sa tête vers... tout droit vers Komaeda. Ce dernier l'attrapa d'un coup de poignet.
Komaeda rit. « Hé, la prochaine fois avertis-moi quand tu veux jouer à la balle. »
Naegi le fixa, incertain. La chose honnête à faire serait d'admettre que c'était un accident ou simplement d'ignorer Komaeda et poursuivre son occupation. Mais n'avait-il pas décidé plus tôt qu'il avait besoin de lui soutirer des informations ? L'aliéner n'était pas un très bon moyen d'y parvenir.
Il ne regarda pas Komaeda. « Euh, désolé. On... peut faire quelque chose ensemble si tu veux. »
… Aïe. Dire cela lui faisait mal. Cependant, il devait le faire et ce ne serait pas trop difficile. Si Naegi avait un talent, c'était bien être amical avec les autres.
« J'ai des cartes », dit quelqu'un qui n'était ni Naegi ni Komaeda.
Naegi se retourna d'un coup. Depuis quand Kamukura était-il là ?! Il n'avait pas entendu la porte s'ouvrir. Et pourtant, c'était indéniablement Kamukura, adossé contre le mur, fixant négligemment l'autre côté de la pièce.
Komaeda dit : « Ça a l'air amusant. Mais Naegi-kun, je dois te prévenir. Aussi improbable que cela puisse paraître, j'ai bien un talent, et c'est la chance. Et puis, Kamukura-kun est un maître dans tout ce qu'il fait ! »
Naegi haussa les épaules. « Ça va. Je suis censé être le Chanceux Ultime, tu te souviens ? Alors... La pêche ? »
Il s'assirent en un grossier triangle. Au moment où Naegi ramassa son jeu, il sut que c'était un jeu dans un jeu. C'était trop simple pour que ce soit autre chose, pas quand ça venait de Kamukura. Il y avait des motivations cachées ici... ce devait être un test. Pourquoi ? C'était ce qui le laissait perplexe.
S'il veut me tester, alors je dois me donner à fond.
Le visage neutre, Naegi se prépara à faire exactement ça.
Deux parties plus tard, Naegi avait exactement zéro point. Il fixa son jeu d'un regard vide alors que Komaeda lui prenait sa paire de trois. Encore. Komaeda n'avait pas plaisanté quand il avait dit qu'il avait la chance de son côté.
Naegi jeta un regard de côté à Kamukura, toujours surpris qu'il ait continué à jouer. Il avait clairement joué machinalement pendant la première partie, souvent sans même regarder son jeu quand il réclamait ses cartes à l'un d'entre eux. Kamukura avait gagné cette partie, les battant tous deux à plate couture. Pourtant, malgré son ennui évident, Kamukura en avait demandé une nouvelle. Komaeda avait accepté avec joie (Naegi soupçonnait qu'il aurait joué au même jeu toute la journée s'ils avaient demandé) et Naegi avait été si stupéfait qu'il avait hoché la tête sans réfléchir.
Kamukura avait fait bien pire durant la seconde partie, mais peu importaient les efforts de Naegi, Komaeda volait la marge de manœuvre donnée. La seconde partie fut la sienne, même s'il s'excusait sincèrement à chaque fois qu'il prenait les cartes de quelqu'un d'autre. Ce fut vers le milieu de la partie que Kamukura se montra réellement un peu intéressé. Du moins Naegi supposait-il que c'était la raison pour laquelle Kamukura n'avait pas cessé de le regarder.
Kamukura obtint le dernier groupe de cartes, mettant fin au jeu. Avant que Naegi ait pu envisager de s'attrister de sa défaite, la tête de l'autre garçon pivota vers lui. Des yeux rouges piégèrent Naegi dans un étau qui enflamma l'air lui-même.
« J'ai volontairement joué très médiocrement, mais mes points surpassent tout de même les tiens, dit Kamukura. Tu le fais exprès. Tu essaies de nous duper. »
Naegi eut un mouvement de recul. « N... Non ! Je suis juste malchanceux.
-Pas malchanceux, protesta Komaeda. Tu étais un élève de l'Académie Hope's Peak, après tout ! »
Komaeda posa ce qui était supposé être une main réconfortante sur le bras de Naegi. Cela eut pour seul effet de le faire brusquement s'écarter.
Naegi dit : « Ouais, mais la plupart du temps, on dirait que j'ai pas de chance. »
Pour une raison quelconque, cela toucha la corde sensible de Komaeda. Le garçon aux cheveux blancs couina pratiquement de joie. Il s'écria : « Ce n'est pas ça, Naegi-kun ! Tous ces petits coups de malchance sont juste là pour contrebalancer ta bonne fortune. C'est comme ça que ça marche !
-… Tu étais le Chanceux Ultime de ton année. » Il y avait une cadence bizarre dans le ton de Kamukura que Naegi ne parvenait pas à comprendre parfaitement.
Et Komaeda était secoué d'un fou rire. Il roula sur son échine jusqu'à ce que ses pieds oscillent au-dessus du sol, faisant craindre à Naegi qu'il ne bascule en arrière. « Deux Chanceux Ultimes au même endroit ! Ça doit être un peu intéressant pour toi, Kamukura-kun. »
Le coin de la lèvre de Kamukura se souleva. C'était une action spasmodique et inconsciente, plus comme un spasme que la projection réelle d'une émotion. Naegi fut soudainement parfaitement conscient que Kamukura était entre lui et la porte. Les ombres qui tombaient sur son visage lui donnaient naturellement une apparence sinistre et cernaient ses yeux rouges qui semblaient luire. Naegi voulait se rapprocher de Komaeda.
« Il manque toujours la preuve que sa chance est aussi puissante que la tienne », dit Kamukura.
Ça semblait de mauvais augure. Naegi attrapa une poignée de tissu de son pantalon, tentant d'empêcher ses mains de trembler. Il se tourna vers Komaeda et son sourire. Komaeda était peut-être son ravisseur, mais au moins il était gentil.
« Komaeda-kun, est-ce que tu as déjà perdu à un jeu de cartes ? demanda-t-il.
-Seulement contre deux personnes, dit Komaeda. Kamukura-kun, et la Parieuse Ultime. Les chercheurs à Hope's Peak voulaient voir si des Ultimes pouvaient vaincre une personne comme moi-même dans mon propre domaine. Je ne sais pas pourquoi ils se sont donnés la peine. L'issue était évidente.
-Tu connaissais Célestia ?
-Ouaip ! Je connais toute ta classe. Je les ai regardés lutter et sombrer sous la botte d'Enoshima-san, jusqu'à ce qu'une lumière aveuglante submerge les ténèbres... !
-Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je te demandais si tu la connaissais avant la Tragédie. »
Komaeda rit, agitant la main avec dédain. « Tu ne te souviens vraiment pas, n'est-ce pas ? Kamukura-kun et moi étions dans la classe au-dessus de la tienne. »
Vraiment ? Le regard de Naegi passa de l'un à l'autre, cherchant dans son esprit le souvenir d'un des jeunes hommes, espérant que les fixer assez longtemps ferait renaître ce passé depuis longtemps perdu. Des ténèbres profondes l'accueillirent. Il ne pouvait pas trouver la moindre trace des deux autres dans ses souvenirs.
Mais si Komaeda et Kamukura faisaient partie de la même classe...
« Komaeda-kun... commença Naegi, les paumes moites. Qu'est-ce qui est arrivé au reste de tes camarades ?
-Oh, ils sont à côté.
-Dans ce bâtiment ?
-Ouaip ! »
Kirigiri aurait été fière de son visage impassible. Donc, il avait raison. Komaeda le cachait du reste de sa classe. Ils... ils étaient ceux qui avaient rejoint Enoshima. C'étaient ceux qui avaient aidé à plonger le monde dans le désespoir, piégé ses amis dans ce Killing Game et maintenant, le retenaient indirectement dans cette pièce.
« Combien... ?
-Quinze », dit Kamukura.
Naegi cligna des yeux. « Hein ? »
Kamukura dit : « Sans compter Enoshima et les serviteurs et soldats du Désespoir, nous sommes quinze. Ils ne sont pas tous présents dans ce bâtiment. »
Kamukura le dévisageait. En le regardant dans les yeux, Naegi réalisa quelque chose – quelque chose qu'il savait absolument être vrai.
Kamukura savait parfaitement pourquoi Naegi posait cette question.
Pourtant, si Kamukura savait qu'il avait l'intention de s'échapper, pourquoi lui donnait-il des informations aussi facilement ? Il était vrai qu'il pouvait mentir, mais Naegi n'en croyait rien. Le regard de Kamukura était trop intense pour cela. Il disait la vérité et clairement ne se souciait pas qu'il venait d'aider Naegi dans des plans allant contre leurs intérêts.
Pourquoi ?
Kamukura avait dit qu'il ne m'aiderait pas à m'échapper, se rappela-t-il silencieusement. Mais on peut le voir d'une autre manière, non ? Il n'a pas non plus dit qu'il m'empêcherait de m'échapper. Peut-être que c'est plus excitant pour lui comme ça. Il va me donner une vraie chance. Il ne va pas m'aider physiquement, mais je pense qu'il va me laisser assez d'informations pour que je puisse vraiment réussir.
« Ceux qui sont là, comment sont-ils ? Quels sont leurs titres ? » demanda Naegi. Il voulait savoir s'il y avait un Agent de Sécurité Ultime ou Traqueur Ultime ou quoi que ce soit d'autre à garder en tête.
« Tu t'intéresses aux petites gens, hein ? dit Komaeda. Hé, Kamukura-kun, est-ce qu'on a des albums photos qui traînent dans le coin ? » Quand Kamukura hocha la tête, Komaeda se leva et s'étira. « Je reviens tout de suite ! »
Il courut hors de la pièce. Naegi marmonna : « Est-ce qu'il sait où chercher ? »
Kamukura laissa échapper un grognement méprisant. « Il est le Chanceux Ultime. L'album sera dans le premier endroit où il cherchera. »
Ça ne laissait pas beaucoup de temps. Naegi attrapa la petite horloge et la tendit au jeune homme. « Elle est à la bonne heure ?
-Trois minutes d'avance. » Kamukura ne jeta même pas un coup d'œil à une montre.
« … Vous avez une armée ? »
Kamukura inclina légèrement la tête. « Komaeda leur a dit de t'appréhender si tu es surpris hors de cette pièce. »
Naegi hocha la tête, réfléchissant à toute vitesse.
« Pourquoi tu te donnes cette peine ? demanda soudainement Kamukura. Ça ne marchera pas. Tu le sais.
-Je sais que les chances sont contre moi, mais je dois essayer, non ? Je ne peux pas rester assis ici à ne rien faire. »
-Ça ne marchera pas. Tu ne peux pas t'échapper.
-Si, je peux », dit Naegi.
Un silence bref s'ensuivit.
« La volonté de Komaeda est focalisée sur toi. Même si tu quittes ce bâtiment, sa chance te ramènera tout droit ici. Il n'y a pas d'échappatoire. Aussi longtemps qu'il te désire ici, c'est impossible.
-Je ne peux pas accepter ça, dit Naegi. C'est possible. Ça doit l'être. »
Kamukura cligna des yeux. « … Tu n'es pas stupide. Même si tu n'as jamais été témoin du pouvoir de Komaeda, tu dois quand même comprendre. Et pourtant tu ne doutes pas... Comment peux-tu le nier ? »
Naegi haussa les épaules. « Bah, si tu ne te concentres que sur le côté négatif et te dis que ça ne marchera pas, alors ça ne va sans doute pas marcher. Donc, je préfère me concentrer sur le contraire. Si je continue de me dire que ça va marcher et que j'espère que tout ira bien, alors peut-être que ça marchera !
-L'espoir... » Kamukura fixa le mur. « Tu fais cela au nom de l'espoir.
-… Je suppose ? »
Kamukura ne dit rien. Naegi ne sut si c'était une bonne ou une mauvaise chose.
