Chapitre 9 : Le Premier Espoir
Malgré sa détermination à s'échapper, Naegi se retrouva à tomber dans une routine. Chaque matin, il se réveillait une heure avant que Komaeda n'arrive avec le petit déjeuner. Il tuait le temps en faisant sa toilette et en décidant ce qu'il voulait demander à l'autre garçon, ou du moins s'il avait quelque chose à demander. A presque exactement huit heures (Komaeda était très ponctuel), Komaeda se montrait pour la première fois de la journée. Pendant que Naegi mangeait, Komaeda faisait le tour de la pièce pour la nettoyer. Naegi avait tenté de convaincre son aîné de le laisser s'en occuper lui-même, ne serait-ce que pour lui donner quelque chose à faire, mais Komaeda insistait sur le fait que « l'Espoir Ultime ne devrait pas avoir à se salir les mains avec des choses aussi insignifiantes ». Il parvint cependant à obtenir la gestion de l'entretien de la salle de bain. Depuis le début, Komaeda avait évité cette pièce par respect pour lui.
Bien que Naegi prenne son temps, il avait toujours fini de manger avant neuf heures. Il parlait ensuite avec Komaeda, jaugeant l'humeur du Chanceux Ultime. Jusqu'à présent, l'humeur de Komaeda avait toujours été clairement « au beau fixe », mais Naegi ne pouvait pas oublier avec quelle rapidité cela pouvait basculer.
Dès que Komaeda avait quitté les lieux, Naegi exécutait les enchaînements d'exercices d'Oogami. Cela lui prenait environ deux heures, lui en laissant une avant le déjeuner. Il prenait un bain, en tordant ses vêtements sales dans l'eau usée pour en ôter les relents de transpiration et les suspendait à la barre de douche pour les laisser sécher (tout pour être sûr que Komaeda ignorait ce qu'il préparait. Le Chanceux ne semblait pas dérangé par le fait que les anciens vêtements de Naegi soient souvent humides). Le lendemain matin, ils rejoignaient le panier à linge que lui avait fourni Komaeda. Il faisait un somme pour le reste de l'heure.
A midi, avec le repas, Komaeda lui apportait une boîte remplie d'objets qu'il avait trouvés dans la ville voisine. Ils occupaient Naegi entre le déjeuner et le dîner. Chaque objet était méticuleusement examiné et jaugé bien plus longtemps que nécessaire. Ceux qu'ils n'aimaient pas retournaient dans la boîte. Quant à ceux qu'il aimait, il passait une durée disproportionnée à décider où ils devaient aller. Souvent, il se trouvait le besoin de réarranger tout ce qui s'alignait sur les étagères pour... une raison quelconque. Une fois à court de nouveaux objets, il essayait de tirer de la distraction de sa collection.
L'après-dîner était le pire. Il n'y avait en général pas grand-chose à faire à ce moment. Même quand il faisait traîner autant que possible ses conversations avec Komaeda, il demeurait seul pendant un long moment jusqu'au matin. Ça passait bien les premiers jours ; en fait, il en était soulagé. Mais à la fin de la semaine, voir Komaeda disparaître par la porte effaçait son sourire, le remplaçant par une envie froide et vide.
C'était avec ce sentiment dérangeant qu'il se coucha dans son lit, achevant un autre jour. Cette nouvelle vie, il devait l'admettre, était beaucoup plus paisible qu'il ne l'aurait imaginé.
Il aurait dû savoir que ça ne durerait pas.
BANG !
Naegi se réveilla en sursaut.
« Komaeda! Komaeda, ouvre cette foutue porte ! »
Ses cheveux se dressèrent sur sa nuque. Une sirène explosa dans son esprit, hurlant que ce n'était pas normal et que personne ne devrait être là...
Bang !
« Je sais que tu as volé mes vêtements, enfoiré ! C'est quoi ton problème ? »
Il avait la gorge si sèche qu'il ne pouvait pas déglutir. La porte paraissait trembler sous les coups assénés. D'une seconde à l'autre, ils allaient déverrouiller la porte et ... et ...
Mais alors le ton de l'autre personne changea. Son débit devint plus rapide, plus bas, mais toujours aussi emporté. Et en tendant l'oreille, Naegi avait l'impression qu'il pouvait également entendre Komaeda. Ce ... ce n'était pas vraiment mieux. Mais Komaeda le protégerait, n'est-ce pas ?
Le besoin de se cacher le consumait. Il se traîna à moitié jusque dans la salle de bain, fermant la porte derrière lui. Dans la pièce elle-même, il n'y avait nulle part où se cacher. Il s'assit donc au milieu du carrelage, se faisant le plus petit possible.
Quelques minutes plus tard, il entendit la porte de la chambre s'ouvrir. Peu de temps après, on toqua à celle de la salle de bain.
« Naegi-kun, tu dois sortir de là tout de suite. »
Il était tellement soulagé d'entendre la voix de Komaeda.
Naegi ouvrit la porte et Komaeda lui attrapa immédiatement le bras, l'entraînant dans la chambre.
« Je suis vraiment désolé si je t'ai réveillé, mais on doit partir.
-P... partir ? répéta Naegi, plantant involontairement ses pieds dans le sol alors que Komaeda le poussait vers la sortie de la pièce. Qu'est-ce qui se passe ?
-Quelqu'un arrive, fut tout ce que dit Komaeda. Je dois te déplacer. »
Déplacer ? Ils allaient ailleurs ? Ça voulait donc dire qu'il pourrait enfin quitter cette pièce...
Était-ce le moment de s'enfuir ?
Komaeda saisit la poignée menant vers l'extérieur.
Elle tourna.
Un mur de ténèbres accueillit ses yeux affamés, se dissolvant en des contours et teintes sombres à mesure que ses yeux s'adaptaient. Des lumières d'un orange rougeâtre, pareilles à des torches, jalonnaient le couloir sur lequel s'ouvrait directement la chambre. Naegi le fixa. L'air froid qui glissait sur son visage était plus délicieux que le vent le plus frais. Komaeda franchit le seuil et ils perdirent contact pendant un instant.
Naegi passa à l'action. Alors que Komaeda lui tournait le dos, il se glissa derrière lui et se précipita dans la direction opposée...
Et il hurla, sa cheville cédant quand quelque chose de dur et de pointu s'enfonça dans la plante de son pied. Il s'abattit sur le flanc sur le sol irrégulier, laissant échapper un halètement de douleur quand son bras tomba sur un tas de gravats.
« Naegi-kun ! »
Naegi ferma les yeux ; pas juste à cause de la douleur, mais aussi de honte. Il avait à peine fait deux pas. Il avait pris si peu d'avance que Komaeda n'avait même pas réalisé que son captif avait tenté de s'enfuir. Au contraire, Komaeda s'inquiétait pour lui tout en lançant régulièrement des coups d'œil nerveux vers le fond du couloir. Quel comble de malchance.
« Naegi-kun, j'espère que tu pourras me pardonner de te toucher aussi ouvertement. »
Qu'est-ce que... ?
Un glapissement involontaire lui échappa quand Komaeda le hissa en travers de son épaule. Il pendait comme un sac et devait agripper le dos de la chemise de Komaeda pour ne pas être jeté à terre par les soubresauts alors que le jeune homme courait à toutes jambes.
« J'ai oublié que je t'avais pris tes chaussures, dit Komaeda, qui parvenait à maintenir d'une manière ou d'une autre un ton régulier tout en courant. Nous avons été attaqués ici à quelques reprises – rien de grave ; c'était surtout désespéré – et personne n'a jamais pris la peine d'enlever tous les petits débris dans le couloir. Quelle erreur idiote. Je suis si inutile ! »
A un autre moment, un autre endroit (une autre relation entre eux), Naegi aurait sans doute dit que Komaeda n'était pas inutile. Mais cette fois, il était trop occupé à tenter de mémoriser l'intérieur du bâtiment. Ils avaient tourné à droite au bout du premier couloir, s'engageant dans un second couloir très similaire à celui qu'ils venaient de remonter. Il ne pouvait pas déterminer la couleur des murs et du sol, mais ils semblaient lisses, comme les sols qu'on pourrait trouver dans une école. Les lumières des couloirs laissaient de nombreuses zones d'ombre, bien que Naegi doutait qu'il puisse s'y dissimuler. Mais peut-être s'il s'accroupissait ? Il y avait un bandeau de taille raisonnable au pied des murs que les lumières n'atteignaient pas.
Komaeda tourna à nouveau à droite et Naegi dut protéger ses yeux de la lumière soudaine. Le mur de gauche s'ouvrait sur une rangée de fenêtres, faisant toutes face à la lune lumineuse. Elle les baignait d'une lueur argentée et illuminait le paysage extérieur. Ce dernier ne paraissait pas aussi désolé que le monde à l'extérieur de l'Académie Hope's Peak ; c'était logique puisque le Désespoir Ultime utilisait probablement des choses et des bâtiments de cette ville. Il y avait tout de même un certain nombre de dégâts, assez pour que Naegi comprenne que traverser cette zone ne serait pas une simple promenade.
Mais si je parviens jusque-là, je devrais être capable de me cacher facilement, se dit-il. Cette certitude le fit gonfler d'espoir. Oui, il pouvait le faire !
Les fenêtres prirent fin. Komaeda atteignit sa destination. Il toqua à une porte que rien ne distinguait des autres et attendit patiemment, Naegi pendant toujours à son épaule.
La porte s'ouvrit.
Kamukura les dévisagea.
Komaeda émit un petit rire nerveux. « Surprise ! »
Komaeda n'avait toujours pas reposé Naegi à terre quand il s'avança au centre de la chambre de Kamukura. Cela lui donna une superbe vue de la porte quand Komaeda commença ses explications.
« Kuzuryu-kun ! »
Quelle sorte d'explication était... ?
Kamukura dit : « C'était évident. »
Apparemment, une explication suffisante pour Kamukura Izuru.
« J'avais prédit que vous arriveriez il y a une minute, dit Kamukura. Que s'est-il passé ?
-Naegi-kun a trébuché », répondit Komaeda.
Naegi se tortilla, essayant de faire face à Komaeda. « Oui, mais ce n'est pas très important, là. Qu'est-ce qui se passe ?
-J'ai dû trouver tes vêtements quelque part et Kuzuryu-kun est le seul à avoir à peu près ta taille, dit Komaeda avec un sourire radieux. Il a découvert ce que je faisais. Mais tout va bien. Ils ne vont pas comprendre pourquoi je les ai pris. Ils pensent que je suis fou. »
. . . Oh, je me demande bien pourquoi ils pensent ça.
Komaeda posa lentement Naegi à terre. Il avait gardé les mains sur le dos de Naegi pour que ce dernier ne bascule pas et ces mêmes mains avaient lentement grimpé le long de son dos jusqu'à reposer sur ses épaules. Ils se tenaient ainsi à présent : Komaeda serrant les épaules de Naegi dans ses mains arachnéennes, Naegi le regardant. Le garçon aux cheveux blancs eut un sourire radieux tout en fermant les yeux ; une expression qui aurait été adorable à en avoir la nausée sur le visage d'un enfant.
« Ne t'inquiète pas pour les vêtements, lui dit Komaeda. Je peux t'en trouver d'autres, mais c'est possible qu'ils ne soient pas assortis. Je reviendrai te chercher demain matin. C'est bon, n'est-ce pas, Kamukura-kun ?
-Fais ce que tu veux. »
Naegi jeta un coup d'œil à Kamukura par-dessus son épaule, perplexe et un peu inquiet. La dernière fois qu'il avait vu Kamukura, il avait honnêtement cru que le jeune homme était sur le point d'attaquer Komaeda. Et maintenant, ils étaient là, de nouveau ensemble, se parlant sans problème. C'était comme si leur dernière altercation n'avait jamais eu lieu. S'étaient-ils excusés et réconciliés quand Naegi n'était pas là ? Kamukura en était-il seulement capable ? Naegi avait le pressentiment que ce n'était pas le cas. Ce qui signifiait... quoi ? Ils avaient tous deux décidé tacitement d'aller de l'avant ? Ils avaient chassé cette querelle de leur esprit ?
… Kamukura s'était-il simplement lassé d'être en colère ?
D'une certaine manière, cette dernière possibilité était la plus terrifiante.
« Essaie de ne pas te faire tuer, d'accord ? » dit Komaeda avec légèreté, comme s'il recommandait à Naegi de porter une veste à l'extérieur parce qu'il pleuvait. Il se pencha en avant, comme pour toucher son front avec le sien, avant de disparaître par la porte.
Kamukura se dirigea vers la porte. Il regarda fixement Naegi. Très ostensiblement, il tira une clé de sa poche et la verrouilla.
« Ce serait de la triche », dit-il. Traduction : n'essaie pas de te glisser dehors cette nuit. « Tu dormiras dans la baignoire.
-... Je préférerais plutôt le sol. Au moins il y a un tapis. »
Kamukura haussa les épaules en retournant à son lit. « Pendant environ une seconde, les choses n'étaient pas ennuyeuses.
-Il rend les choses intéressantes pour toi, dit Naegi avec amertume.
-Tu ne peux pas prédire la chance. Elle est irrationnelle. »
Naegi ne dit rien. A la place, il parcourut du regard la chambre de Kamukura. Elle ressemblait à sa prison, avec le même genre de mobilier et de tapisserie, mais il y avait quelques différences notables. Le sol de la chambre de Kamukura disparaissait sous un fouillis ; des livres ouverts y étaient éparpillés, les pages chiffonnées comme s'ils avaient été jetés pêle-mêle. Des objets, surtout des casse-têtes, gisaient au hasard sur les étagères et le bureau, tous résolus. Naegi feuilleta un large volume de Sudoku et demanda : « Combien de temps ça t'a pris pour faire tout ça ?
-Dix minutes. »
Le livre lui glissa des mains. « Comment ?
-Ils étaient faciles. C'était ennuyant. »
Ceux-là n'avaient pas l'air faciles. Et dix minutes... Kamukura n'aurait même pas pu avoir le temps de réfléchir au moindre de ces casse-têtes.
Naegi cligna des yeux et s'arracha à la contemplation du livre. Il dirigea son regard vers la différence la plus frappante entre leurs chambres, dont la vision lui avait coupé le souffle au début.
Une fenêtre.
La fraîcheur du monde extérieur irradiait à travers le verre. Naegi y posa sa main et tâtonna de l'autre à la recherche d'un loquet. Il n'avait pas l'intention de sauter – ils étaient au second étage – il souhaitait seulement sentir l'extérieur. Savoir que ce n'était pas que dans sa tête. Il trouva finalement le loquet et la fenêtre s'ouvrit. Il y passa la tête ; le clair de lune tombant sur son visage lui donna la sensation d'être embrassé par le soleil.
Ses yeux le brûlaient. Il les ferma en se mordant la lèvre. Tout allait bien... il allait s'en sortir... il ne pouvait pas s'effondrer maintenant. Il devait se concentrer. Il devait continuer.
Il rouvrit les yeux. Les fenêtres des couloirs lui avaient donné une bonne vue sur la cité environnante, mais ce nouveau point d'observation le laissait voir la zone autour du bâtiment où il était retenu. A sa grande consternation, il la trouva plutôt nue et plate – probablement pour désavantager des attaquants potentiels. Il n'y avait aucun doute qu'il serait facile de se cacher dans la cité, mais l'étendue avant d'atteindre ce point était une tout autre histoire. Il serait complètement à découvert. A moins d'avoir de la chance, une évasion de jour était totalement hors de question. Et une évasion nocturne ne paraissait pas beaucoup préférable. De son observatoire, il pouvait apercevoir quelques silhouettes patrouiller au sol. Il ne parierait pas sur sa capacité à les distancer.
… Il s'en inquiéterait plus tard. Son menton reposa sur le rebord de la fenêtre tandis qu'il baignait dans la lueur du monde dans lequel il souhaitait désespérément retourner.
J'espère que les autres vont bien.
La vue des décombres lui avait fait penser à quel point survivre à l'extérieur était difficile. Ce devait être dur pour ses amis à présent, surtout s'ils comptaient monter une quelconque opération de sauvetage. Il souhaitait presque qu'ils n'en fassent rien. Il avait l'impression qu'il n'avait fait que causer des ennuis depuis qu'ils avaient quitté Hope's Peak.
Soudainement las, il s'assit contre le mur sous la fenêtre. Kamukura était allongé sur le lit de l'autre côté de la pièce, fixant le plafond, les bras croisés sous sa tête. Naegi ramena ses jambes à lui et s'assit en tailleur, préférant éviter de laisser un de ses membres étendu et vulnérable... mais ce n'était pas qu'il s'attendait à ce que Kamukura se mette à les ronger.
Il remua. Son pied meurtri le lançait un peu. C'était ténu, cependant. Cela ne l'empêcherait pas de s'échapper. Dans le futur, il allait devoir faire plus attention à là où il mettait les pieds...
Une pensée le frappa à ce moment-là. Comment allait-il faire sans chaussure dès qu'il serait dehors ? Il avait été dans le monde extérieur. Ce n'était pas tendre. C'était dur et pointu et déchiqueté. Il se trancherait les pieds s'il tentait de courir.
Heureusement qu'il avait réalisé cela.
… Peut-être que trébucher sur ce caillou était de la bonne fortune plutôt que de la malchance.
Kamukura ne lui prêtait aucune attention. Aussi Naegi se déplaça-t-il furtivement le long des murs de la pièce, cherchant quelque chose. Quand il découvrit ce dont il avait besoin, il s'en empara vivement et les dissimula dans son sweat à capuche. Il se retourna rapidement ; Kamukura ne semblait pas avoir remarqué. Il n'avait pas bougé d'un pouce...
« Repose-les. »
Naegi se contenta de serrer davantage les chaussures de Kamukura contre lui. « Komaeda-kun m'a pris les miennes. Ça ne sert à rien que j'essaie de m'échapper si je ne peux pas les remplacer. »
Quelques secondes s'écoulèrent avant que Kamukura soupire. « Très bien. »
Un long silence gênant s'ensuivit. Si gênant que Naegi se vit forcé à le briser.
« Qu'est-ce que tu fais ?
-... Es-tu aveugle ? »
Naegi cligna des yeux. « Pardon, on aurait dit que tu ne faisais rien...
-C'est ce que je fais.
-Oh. » Naegi changea de position, plaçant son bras sous les chaussures pour qu'elles ne glissent pas de son sweat. « Tu ne t'ennuies pas ?
-Tout m'ennuie, dit Kamukura et sa voix monotone fit penser à Naegi qu'il était sincère.
-Tu as lu tous ces livres ? demanda Naegi avec un geste vers les romans éparpillés autour de lui.
-Les intrigues étaient prévisibles, dit-il. Les rebondissements étaient évidents. »
Naegi parcourut quelques titres du regard, et en les reconnaissant sut que ce n'était pas vrai. Ou du moins ce n'était pas supposé l'être.
« Et des loisirs ? Tu en as ? demanda Naegi.
-Ça ne sert à rien, dit Kamukura. N'importe quelle chose, une fois maîtrisée, devient ennuyeuse.
-Mais ça prend combien de temps pour... ? »
Il soupira à nouveau. « Je suis né avec cette maîtrise.
-C... Comment ? »
Kamukura tourna légèrement la tête. « Tu n'as jamais demandé à Komaeda quel était mon talent.
-J'ai essayé une fois, mais Komaeda-kun ne voulait pas que je demande.
-Parce que j'étais présent. Tu aurais pu demander après que je sois parti.
-Mais si Komaeda-kun ne voulait pas que je sache, ça veut dire que c'était personnel, non ? Ça aurait été impoli de lui demander de me le dire... »
La tête de Kamukura pivota complètement vers lui. « Tu es d'une rare incompétence pour ça. Très peu de gens sabotent volontairement leur propre évasion.
-Je ne... Je voulais juste être poli... » Le rouge lui monta aux joues. « Hé, Kamukura-kun, ça veut dire que ça ne te dérange pas de me dire ton talent ?
-Je suis le talent. » Kamukura se remit à fixer le plafond.
« Je ne comprends pas.
-J'ai été conçu avec le seul objectif d'acquérir des talents. Peu importe à quel point la compétence est obscure ou complexe. Je suis la personnification du talent lui-même : un niveau entièrement au-dessus de vous les Ultimes. »
Ça avait du sens et ça n'en avait pas. Cela s'agençait avec ce qu'il savait de Kamukura, mais il ne savait toujours pas comment. Les gens ne naissaient pas simplement comme ça, n'est-ce pas ? Mais, il y avait ce que Komaeda avait dit...
« Kamukura-kun... tu étais le premier Espoir Ultime, n'est-ce pas ?
-Oui. »
Naegi ne dit rien d'autre.
Les nuages se rassemblèrent dans le ciel, éclipsant la lune. Une pluie légère tomba. Naegi se remit sur pieds et regarda à travers la fenêtre la cité perdue à l'extérieur. Il avança la main, récoltant les gouttes de pluie dans sa paume quand elles rebondissaient sur le verre proche avec des plics distincts. Bien que l'eau ait l'air propre, elle avait l'odeur de la pollution. Il ramena son bras à l'intérieur et regarda, passivement, les gouttelettes glisser entre ses doigts et atterrir sur le tapis.
« Kamukura-kun, pourquoi tu l'as aidée ?
-Pourquoi devrais-je te le dire ? »
Même s'il doutait que Kamukura le voit, il haussa les épaules.
« Kamukura-kun, si tu as tout ce talent, pourrais-tu tout arranger ? Pourrais-tu inverser ce qu'Enoshima-san a fait ?
-Pourquoi le voudrais-je ? Ce monde n'est rien pour moi. »
Naegi ravala sa protestation automatique. Il ne voulait pas crier et il ne voulait pas que Kamukura se fâche contre lui. Le son de la pluie et l'éclat du clair de lune lui avaient donné une sensation de sérénité qui était si rare en ces jours.
Il jeta un regard vers Kamukura par-dessus son épaule. « Tu vas continuer à plonger le monde dans le désespoir, alors ?
-Je n'ai pas l'intention d'aider l'un ou l'autre camp, dit Kamukura.
-Alors qu'est-ce que tu vas faire ? Je veux dire, avoir tout ce talent et ne rien en faire... ce n'est pas insensé ?
-Insensé ? » Il déplia ses bras et ses yeux rouges étincelèrent.
« Les gens ne sont pas constitués que de leur talent, dit Naegi. Ce n'est qu'une partie d'eux. C'est ce qu'ils font avec, ou ne font pas, qui importe. Utiliser son talent pour changer les choses, pour apporter de l'espoir... c'est ce qui décide vraiment de qui est une personne. Donc ne rien faire avec un talent, et l'utiliser simplement pour soi-même, ça rendrait ce talent inutile, lui aussi. »
Kamukura ne répondit pas immédiatement. Il prit tant de temps que Naegi dut insister, anxieux.
« … Je connaissais quelqu'un d'autre qui pensait ainsi. Quelqu'un d'autre qui ne croyait pas que le talent seul soit la réponse », dit Kamukura. Il fixa sa main levée en fronçant les sourcils, bougeant lentement ses doigts comme s'il n'était pas certain qu'ils lui appartenaient.
Naegi demeura silencieux. Il ne savait pas s'il avait offensé Kamukura.
Le jeune homme ne regarda plus Naegi, ni ne lui adressa la parole par la suite. La conversation étant effectivement close, Naegi se traîna dans un coin, se roula en boule et tenta de sombrer dans un sommeil troublé.
(S'il avait ouvert les yeux plus tard dans la nuit, il aurait pu réaliser que Kamukura avait passé la majeure partie de la nuit à l'observer).
