Chapitre 15 : Le Premier Décret
Ils le dévisageaient. Tout le monde le dévisageait. Nidai s'était même figé, ses baguettes à mi-chemin de sa bouche ; la nourriture en était tombée depuis un moment. Soda lui tenait le poignet avec une poigne de fer, alors Naegi tenta de se cacher derrière lui. Cela ne fut cependant pas très efficace, car Soda faisait tout son possible pour attirer l'attention avec de grands signes de la main.
« Les gars, regardez qui se joint à nous ! » annonça Soda. Il s'écarta soigneusement devant Naegi, le laissant complètement exposé.
« Alors le gamin se sent mieux, hein ? » dit Owari. Elle n'était pas assise à la longue table avec les autres, mais restait tapie tout près dans un recoin sombre. De la salive dégoulinait du coin de sa bouche tandis qu'elle les regardait manger, mais elle ne faisait pas mine d'aller se joindre à eux.
« Ouais », marmonna Naegi, son sarcasme apparemment audible que de lui-même.
Tsumiki soupira et posa ses baguettes sur la table. « Oh. J'espérais avoir l'occasion de le soigner. »
… Naegi se fit une note mentale de ne jamais jamais tomber malade ici.
Nidai rit bruyamment. « Hé, gamin ! Pardon pour le malentendu d'hier. »
Naegi ferma les yeux, priant de ne pas se souvenir. Au moins Nidai n'interpréta pas son mutisme comme une insulte.
« Hé, Naegi. » C'était Kuzuryu. Les pieds sur la table, son fedora incliné sur le visage, il fit signe à Naegi de s'approcher. « Viens t'asseoir ici. »
Quand Naegi n'obéit pas immédiatement, Kuzuryu tenta de trouver la source de son hésitation. Son regard tomba sur la femme épéiste à côté de lui, qui prenait soin de fusiller du regard la table au lieu de Naegi.
« T'es sourde, Peko ? lâcha Kuzuryu d'un ton brusque. Naegi s'assoit là !
-Toutes mes excuses. Veuillez me pardonner. »
Naegi voulut dire quelque chose, mais Pekoyama avait déjà cédé son siège. Elle se tint comme un soldat derrière le Yakuza souriant. Bien qu'il ne voulait pas être impliqué dans le conflit entre Kuzuryu et Pekoyama, il avait aussi l'impression que s'il ne s'asseyait pas immédiatement, il ne ferait qu'humilier davantage l'épéiste.
Kuzuryu gratifia les autres d'un petit sourire satisfait quand Naegi s'assit à côté de lui. De l'autre côté de Naegi, Tsumiki rapprocha sa chaise. Owari sortit de son recoin et contourna la table. Naegi pouvait sentir son regard sur sa nuque. Il n'aimait pas ça. Il n'aimait vraiment, vraiment pas ça. Il n'avait même plus Soda pour lui servir de bouclier ; le Mécanicien s'était laissé tomber de l'autre côté de la table près de Nidai.
Tout en serrant les poings, Naegi chercha naturellement Komaeda. Il était toujours sur le seuil, le menton rentré dans le col de sa chemise. Il s'avança en traînant les pieds dans la salle – plus précisément, dans la direction de Naegi. Naegi le regarda faire, se sentant mieux maintenant que...
« Qu'est-ce que tu fabriques ? » dit Kuzuryu à Komaeda.
Komaeda se crispa comme s'il avait reçu un coup de fouet. Il leva les mains en un geste apaisant. « Ah, désolé. Je me suis oublié. »
Sur ces mots, Komaeda se retira à l'autre bout de la table et s'assit. Seul.
Naegi murmura : « Komaeda-kun... »
Malheureusement, il n'avait pas été assez discret. Kuzuryu lui lança un regard bizarre et s'enquit : « Qu'est-ce qu'il a, ce lunatique ?
-Ne t'inquiète pas à propos de lui », dit Soda. Il tendit le bras par-dessus la table et frappa celui de Naegi d'un coup de poing joueur. « On va l'empêcher de t'embêter.
-Il ne...
-On comprend, petit gars, dit Nidai. Ça n'existe pas, passer trop peu de temps avec Komaeda.
-Mais je...
-Tu n'as qu'un mot à dire et on te bouge de sa chambre, dit Owari, lui décochant ce qu'elle pensait sans doute être un sourire amical.
-Il ne m'embête pas ! réussit finalement à lâcher Naegi. Je l'aime bien. On est amis. »
La table entière le dévisagea (mis à part Komaeda, qui faisait tout son possible pour ne croiser le regard de personne tout en retenant visiblement un cri strident).
Puis, Soda reprit la parole : « Dis, t'es pas devenu ami avec cette cinglée de serial killer ? »
Un chœur de « Ohs » s'éleva autour de la table. Naegi sut que sa défense de Komaeda venait d'être écartée comme une « excentricité bizarre d'Espoir Ultime ». Naegi tenta de croiser le regard de Komaeda, mais l'autre garçon prenait soin de ne pas regarder dans sa direction.
Un Monokuma portant une version miniature du costume de Kuzuryu s'approcha de lui. Naegi le fixa. Il plaça devant lui un plateau d'argent couvert, s'inclina et s'éloigna. L'intensité des regards des autres monta d'un degré alors qu'il se saisissait du couvercle. Il s'efforça de les ignorer.
Le déjeuner paraissait aussi délicieux que d'habitude, bien que Naegi n'avait pas vraiment faim. Cependant, vu à quel point Tsumiki et Komaeda avaient été contrariés la dernière fois qu'il n'avait pas fini son repas, il ne tenait pas vraiment à savoir ce qui se passerait s'il refusait de manger devant toute une table de Désespérés. Il se força ainsi à tout avaler, même quand son estomac commença à avoir des crampes.
Nidai trouva cela hilarant. « Regardez-le, quelle énergie ! Il a dû mourir de faim là-bas. Pas étonnant qu'il n'ait que la peau sur les os.
-Ou... Ouais, dit Owari, la langue pendante. C'est sûr qu'il a l'air de passer un bon moment. »
Naegi n'était pas sûr de comment interpréter sa réaction. Elle avait l'air d'être sur le point de lui sauter dessus pour lui arracher sa nourriture. Il se recula contre le dossier de sa chaise et demanda :
« T... Tu en veux ? »
Owari gémit : « Ah ! Il me nargue !
-C'est ça l'idée ! » Naegi eut l'impression que ses intestins se nouaient quand Nidai posa une main énorme sur son dos. Le Coach attrapa une cuisse de poulet et l'agita dans la direction d'Owari. « Hé, Akane ! N'est-ce pas que ça a l'air délicieux ? »
La Gymnaste geignit quand Nidai en prit une grosse bouchée sous ses yeux.
« Peut-être qu'on devrait lui en amener d'autre ? demanda Soda en désignant l'assiette vide de Naegi.
-Non merci », dit Naegi en se tournant vers Soda et uniquement Soda. Après ce matin, il était beaucoup plus à l'aise pour lui parler qu'avec les autres Désespérés. « Je ne... »
Les mots demeurèrent coincés dans sa gorge. Quelqu'un – Tsumiki – lui touchait le coude. Deux de ses doigts remontèrent le long de son bras jusqu'à ce que sa paume glisse de son épaule à son cou. Ils enflammèrent les nerfs voisins dans leur sillage. Tsumiki pouffa et posa le menton sur l'épaule du jeune garçon.
« Tu es sûr ? dit-elle. Un garçon en pleine croissance a besoin de bien s'alimenter.
-Je... Je... »
Ce fut le seul mot qu'il put prononcer quand l'autre bras de Tsumiki s'enroula autour de lui et se posa tendrement sur sa hanche. Un brouillard glacé engloutissait peu à peu ses pensées...
Il se reprit quand la porte s'ouvrit.
Pour la seconde fois, la table fut plongée dans le silence.
Tsumiki avait occupé son champ de vision, si bien qu'il n'avait pas pu voir qui était entré. Cependant, quand elle se replia sur elle-même, il vit. Depuis le seuil, Kamukura observait la pièce et ses occupants. Il entra comme s'il n'avait pas remarqué que l'attention de tous était tournée vers lui. Il choisit une place à mi-chemin entre Komaeda et les autres et regarda droit devant lui d'un air inexpressif en attendant un Monokuma.
« Ah, K... Kamukura-kun ! dit Tsumiki. Tu manges avec nous aujourd'hui ? »
Kamukura tourna vers elle son regard brûlant. « Oui. »
Tsumiki leva ses bras en l'air dans un geste défensif. « Hiik ! Désolée de t'avoir dérangé! »
Le volume sonore de la salle avait été réduit de moitié et peinait encore à remonter. Tsumiki se tordait les mains, les gardant à présent pour elle. La simple présence de Kamukura semblait avoir un effet refroidissant sur les autres – à l'exception d'un Komaeda un peu plus enjoué – et pour cela, il devint aux yeux de Naegi sa personne préférée de l'heure.
A cet instant, Hanamura entra par une porte différente. « Ah ! J'ai entendu dire que notre nouveau membre s'était joint à nous. Dites-moi, quelles choses désespérantes a-t-il à dire à propos de... ? »
Hanamura s'interrompit.
Kamukura cligna des yeux.
« Je vois. Toute l'équipe est là », dit le Chef, beaucoup plus doucement que précédemment.
Oui, Kamukura était décidément la personne favorite de Naegi à ce moment. Il se demanda si l'ancien Espoir Ultime avait eu l'intention de prendre part au repas depuis le début, ou s'il était seulement présent pour voir comment s'en sortait son successeur. Naegi savait, après tout, que Kamukura avait ordonné aux serviteurs Monokuma de l'espionner... et en toute honnêteté, cela ne le gênait pas. Il était persuadé que Kamukura n'avait pas d'intention hostile derrière ses actes. En fait, il se sentait un peu plus rassuré en sachant que quelqu'un d'aussi influent gardait un œil sur lui.
Cela dit, il voulait toujours sortir d'ici.
« Euh, où sont les toilettes ? » demanda-t-il, ne sachant pas ce qu'il pourrait dire d'autre.
Owari pointa vers la sortie. « Prends à gauche. Deux portes plus loin. »
… C'était tout ? Pas de promesse d'une escorte, ou une interrogation sur ses véritables intentions ? Il se leva à moitié, s'attendant à être soit repoussé dans son siège, soit attrapé par le bras. Mais ils continuaient tous de manger. À l'exception d'Owari.
« Je reviens vite ? » dit-il, toujours déconcerté.
Il se dirigea vers la sortie d'une démarche étrange, marchant de travers pour pouvoir garder un œil sur eux. Il passa à côté de Komaeda en chemin, mais le Chanceux refusait qu'on lui prête attention. Aussi surréaliste que ce soit, Naegi rejoignit la sortie sans être inquiété. Peut-être que c'était vraiment aussi simple. Il ouvrit la porte et fit un pas dans le couloir...
« Personne non autorisée ! »
… et fut immédiatement traîné à nouveau dans la salle par une personne portant un casque Monokuma. Le Désespoir Ultime observa la scène avec confusion – à part Kamukura qui regarda Komaeda et Komaeda lui-même qui lança une grimace à son repas.
« Ah, désolé », dit Komaeda à la table. « J'ai oublié que je leur avais demandé de ne pas laisser Naegi-kun se promener sans surveillance.
-Pour que tu puisses le garder dans ta chambre, n'est-ce pas ? » dit Kuzuryu avec dégoût. Il s'adressa ensuite au soldat Monokuma. « Hé, ignore ce que ce taré a dit. Il n'y a pas de problème. Assurez-vous juste qu'un d'entre vous reste avec lui et ne le laissez pas aller dehors ou près d'une zone rouge.
-Zone rouge ? s'enquit Naegi.
-Entrées, couloirs avec des fenêtres, n'importe où qui serait un des premiers endroits à être attaqués. » Kuzuryu souleva son fedora d'un centimètre. « On ne voudrait pas que tu te fasses toucher par un sniper par exemple.
-... Merci. » C'était mieux que rien.
Sa seconde tentative pour sortir dans le couloir fut une plus grande réussite. Le soldat Monokuma le suivait loyalement, si discret qu'il était facile d'oublier sa présence. Naegi regarda de chaque côté ; pour ainsi dire, il était seul. C'était bizarre, il avait presque l'impression de commettre un impair, comme s'il s'était introduit dans une propriété privée. Il lui fallut plus de temps que nécessaire pour se souvenir des instructions pour se rendre aux toilettes.
Avant d'y entrer, il se tourna vers le soldat. « Soda-kun a dit que j'avais le droit de vous dire quoi faire du moment que ça n'aille pas à l'encontre des ordres du Désespoir Ultime. »
Le soldat ne bougea pas. « Affirmatif.
-Si je te donne un ordre, est-ce que vous allez tous le suivre, ou juste toi ?
-Si vous me l'ordonnez, je transmettrai votre ordre au reste de l'armée. »
Naegi hocha la tête, surtout pour lui-même. « Alors... est-ce que vous pouvez arrêter de faire du mal aux gens ?
-Non, dit le soldat. Contredit la mission principale. »
Ouais, il avait su qu'il aurait peu de chance de succès, mais maintenant on ne pouvait pas dire qu'il n'avait pas essayé.
« Et des individus ? demanda Naegi. Je veux dire, Komaeda-kun doit vous avoir dit de ne pas me faire de mal. »
Le soldat resta silencieux. Il se prit à penser que cela signifiait un oui, mais la vue de ce visage d'ours souriant ne lui évoquait que de mauvaises choses.
« Alors est-ce que tu pourrais dire aux autres... s'ils voient mes parents, ou ma sœur... ne leur faites pas de mal. »
Le soldat resta silencieux.
« Mes camarades de classe aussi ! Kirigiri Kyoko, Aoi Asahina, Togami Byakuya, Fukawa Touko et Hagakure Yasuhiro... s'il vous plaît... s'il vous plaît ne leur faites pas de mal ! »
Il pleurait à nouveau. Il s'essuya les yeux, sans même avoir honte.
« S'il vous plaît... s'il vous plaît... »
Le soldat resta silencieux.
« Décret accepté », dit-il finalement.
Ce qui se passa après le repas fut étrange et c'était probablement un euphémisme. La plupart des Désespérés avaient quitté les lieux, Soda en lui disant qu'il aurait la télé prête et installée d'ici la fin de la journée. Komaeda était toujours présent, comme on pouvait s'y attendre. De même que Kamukura ; il avait l'air de s'ennuyer ferme. Owari rampait sous la table à la recherche de miettes et Hanamura fouillait la poubelle en quête de nourriture.
Il se devait de poser la question.
« Hanamura-kun, pourquoi est-ce que tu ne te cuisines pas de la nourriture fraîche ? »
Le Chef cessa de farfouiller. « Maman était une excellente cuisinière. Jamais eu un seul mauvais repas chez elle. Puis je suis devenu le Chef Ultime et l'idée même de repas bas de gamme est devenue une simple fantaisie. Toute ma vie, je me suis gâté avec de la bonne nourriture. Savoir que je suis tombé si bas que je doive manger des ordures... c'est si désespérant !
-C'est nul qu'on soit obligé de manger, dit Owari depuis le dessous de la table. Ce serait beaucoup plus facile de m'affamer si je n'avais pas besoin de manger assez pour rester en vie et répandre le désespoir. »
Naegi ne pouvait vraiment pas comprendre ces gens. Ni même le souhaitait-il seulement.
« Et les restes ? demanda Naegi.
-Oh, je les laisse pourrir quelques jours, puis je les donne aux prisonniers. » Hanamura saisit un croûton dans les déchets et le goba tout rond. « J'allais justement leur apporter la nouvelle fournée. »
Naegi lança un regard incertain vers Komaeda. Des prisonniers ? Ça ne sentait pas bon. Il ne pouvait pas imaginer à quoi leur serviraient des gens, à part pour augmenter la taille de leur armée. Une sorte de curiosité horrifiée le dévora, comme s'il observait depuis une terre sûre un tsunami dévaster sa ville natale.
Quand Hanamura quitta la pièce à la tête d'une rangée de Monokumas portant des plateaux, il leur emboîta le pas.
Concernant les stéréotypes, la prison du Désespoir Ultime respectait nombre d'entre eux. Elle était située en profondeur dans le bâtiment, dans le sous-sol. Au bout d'un moment, Naegi réalisa qu'ils empruntaient le même chemin que celui où l'avait traîné le Désespoir quand sa présence avait été découverte. Il aurait alors rebroussé chemin s'il n'avait pas percuté la poitrine de Komaeda quand il se retourna. Cette présence familière fut suffisante pour apaiser ses nerfs paniqués et lui donner une détermination nouvelle. Il devait voir ce qui se passait ici. Il le devait à ces gens.
Il faisait sombre. Une paire de torches éclairait l'entrée de la rangée de cellules. On trouvait une autre paire au milieu de la section et une dernière à la fin. La lumière qu'elles apportaient était terne ; il ne pouvait pas voir le sol. Il demeura debout sur le seuil pendant qu'Hanamura et les Monokumas avançaient à l'intérieur et commençaient à jeter sans réserve de la nourriture entre les barreaux.
Dans les cellules les plus proches, des silhouettes recroquevillées se précipitèrent. Les prisonniers n'avaient ni assiette ni couvert, si bien qu'ils ramassaient la nourriture par terre avec leurs mains. C'était pitoyable. Naegi, aussi égoïste que ce fut, était content de ne pas pouvoir voir leur visage.
Il avait baissé sa garde. Ce fut pourquoi il glapit quand Komaeda le poussa doucement dans l'allée. Le garçon aux cheveux blancs avança, bloquant la seule porte de sortie pour Naegi. Il faillit lui demander pourquoi il agissait ainsi, puis se souvint de la philosophie de l'autre garçon sur le désespoir et décida qu'il valait mieux qu'il n'en sache rien.
Mais le son qu'il avait laissé échapper attira l'attention des prisonniers. Ils levèrent la tête comme un seul homme vers le nouveau venu. Naegi ne savait pas à quel point on pouvait vraiment le voir dans la pénombre ; quoi qu'ils voient, ils ne parurent pas le reconnaître.
« Hein ? Tu es venu ? dit Hanamura. Je ne sais pas pourquoi tu t'es donné cette peine. Il n'y a pas grand chose à voir ici. »
Leur tâche accomplie, les Monokumas et lui repassèrent devant Naegi et Komaeda, laissant les deux Chanceux dans la prison. Naegi parcourut à nouveau du regard la rangée de cellules et les gens qui lui renvoyèrent son regard.
Il sursauta en sentant l'haleine de Komaeda dans son oreille.
« Un aveugle ne peut apprécier le soleil... Regarde-les. » Les os de la cage thoracique de Komaeda se collèrent à son dos quand le plus âgé se rapprocha. Les bras de Komaeda l'entourèrent discrètement, ses mains glissant le long des bras de Naegi jusqu'à ce que ses pouces viennent tracer des cercles au dos de ses poignets. « Ces gens simples, ennuyeux, insignifiants... Ils ne sont rien de plus que des parasites qui se nourrissent du sang de leurs supérieurs. Ils ne peuvent espérer tout au plus qu'avoir l'honneur d'être piétinés quand les talentueux les escaladent et atteignent la place qui leur revient de droit. »
Naegi retroussa les lèvres. Il repoussa Komaeda. « Ça suffit. »
Komaeda ferma immédiatement la bouche, mais il lança un regard noir aux prisonniers par-dessus l'épaule de Naegi comme si c'était de leur faute.
Naegi s'avança davantage dans le couloir. Komaeda rôdait derrière lui. Il pouvait le sentir : le garçon habituellement amical s'était changé en quelque chose de dur et de tranchant comme du verre brisé, bien qu'aucun de ce dédain ne soit dirigé contre Naegi lui-même. Il avait presque envie de dire à Komaeda de partir... mais la pensée d'être seul lui donnait des frissons. Il accepta donc la présence de Komaeda. Avec réticence.
« Pourquoi sont-ils là ? » demanda Naegi.
Komaeda haussa les épaules. « Au cas où on en ait besoin. Parfois, Soda-kun a besoin de corps pour tester ses inventions, ou Tsumiki-san s'ennuie et veut un nouveau patient. »
Naegi ne le regarda pas. « Vous êtes horribles. »
Naegi fit un pas de plus et entra dans la lumière des torches. Le prisonnier le plus proche, pressé contre les barreaux, bougea. Un visage que Naegi ne pouvait voir se tourna vers lui. Le prisonnier tendit une main, crasseuse et tremblante.
« Je te connais, dit le prisonnier. Tu étais ma mission... Naegi. Naegi Makoto de Hope's Peak. »
Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Naegi demeura figé, indécis.
« Ils t'ont trouvé en premier, murmura le prisonnier. Nous avons échoué.
-Je …
-Ne le touche pas. » D'un coup de poignet, Komaeda repoussa la main du prisonnier. « Allez, Naegi-kun. Tu n'as pas besoin d'être dans un endroit aussi désespéré. »
Naegi tenta de discuter, tenta de résister, mais Komaeda l'entraînait avec lui avec une force surprenante. Il referma la porte de la prison derrière lui, puis se main tressauta comme si elle essayait de fermer un verrou.
Komaeda épousseta sa manche. « Ça me dérange toujours quand je dois avoir affaire à des gens comme eux. Je sais que je ne vaux pas mieux, mais j'ai été trop gâté à passer du temps autour d'Ultimes. Je suppose que j'ai un minimum d'exigence en matière de compagnie maintenant.
-Ce sont de personnes dont tu es en train de parler ! rétorqua sèchement Naegi.
-Oui, soupira Komaeda. C'est cette populace ordinaire et banale que tu trouves à tous les coins de rue. Rien de spécial. »
Il en avait vu des bribes, mais c'était la première fois qu'il voyait réellement cette facette de Komaeda. Cette facette arrogante, méchante, horrible, qui était la sienne. Et il n'y avait rien qu'il puisse faire. Rien de ce qu'il disait ne semblait atteindre le Chanceux. Komaeda avait réglé son esprit sur une fréquence qui écartait tout simplement toutes les fois où Naegi était en désaccord avec ses principes. Il détestait ça ! Il détestait cela. Il détestait...
Son indignation le déserta en un éclair. Non, il ne détestait pas Komaeda.
« Je vais retourner dans ma chambre, dit Naegi. Je vais y rester. Seul. »
Komaeda hocha la tête. « Tu as eu une longue journée, n'est-ce pas ? Mais je crois que Soda-kun y est peut-être.
-Ça ne me dérange pas. »
Naegi n'adressa pas la parole à Komaeda quand l'autre garçon l'escorta jusqu'à sa chambre, à part pour dire au revoir. Il entra. Soda n'y était pas encore, mais le contraire n'aurait pas été un problème. Naegi appuya son oreille contre la porte, guettant Komaeda.
Quand assez de temps se fut écoulé, il rouvrit simplement la porte, sortit et commença à errer.
