Chapitre 20 : Le Raid
Le dîner fut curieusement calme ce soir-là. Naegi mâchait avec soin, conscient d'un nombre inhabituel de regards posés sur lui. Même s'il commençait à s'habituer à être au centre de l'attention, c'était différent. Comme mentionné plus tôt, c'était trop calme et ils le fixaient comme s'ils attendaient quelque chose. Son poids ne pouvait pas les inquiéter à ce point, si ?
Naegi finit sa dernière bouchée et repoussa son assiette. Komaeda s'était déjà levé et s'approchait.
« Terminé ? » demanda Komaeda.
Naegi hocha la tête. Il jeta un coup d'œil en coin aux autres.
« Très bien. Alors allons-y. » Komaeda le tira par le bras. Perplexe, Naegi le laissa lui prendre la main et l'entraîner hors de la pièce.
Ils n'étaient pas seuls. Tsumiki se faufila de l'autre côté et glissa sa main dans la sienne. Il entendait des pas derrière eux. Il regarda par-dessus son épaule ; presque tous les membres du Désespoir Ultime les suivaient. Mais enfin... pourquoi ? Que se passait-il ? Qu'est-ce qu'ils préparaient ?
Ils le ramenèrent à sa chambre. Bien. Il avait hâte de plonger dans le lit et de tirer les couvertures sur lui. Komaeda le conduisit à l'intérieur (où Kamukura attendait déjà), puis le poussa doucement sur le lit. Le Chanceux s'accroupit de manière à être à la hauteur des yeux de Naegi tandis que les autres se plaçaient autour d'eux en demi-cercle. Naegi les parcourut du regard, attendant que quelqu'un prenne la parole.
Ce fut Komaeda qui parla en premier. « Naegi-kun, j'ai bien peur que nous devions te demander de rester là ce soir. Il va y avoir du grabuge et nous ne voulons pas que tu te retrouves impliqué.
-... Du grabuge ? »
Kuzuryu haussa les épaules. « La Fondation du Futur va venir essayer de nous mitrailler. »
La tête de Tsumiki pivota brusquement vers lui. « Kuzuryu-kun !
-Quoi ? » Kuzuryu leva les mains. « Plus il en sait, moins il risquera de faire quelque chose de stupide. »
La Fondation du Futur... Iwata venait de là, non ? C'était les gentils. C'étaient ceux qui se battaient contre le désespoir.
Tsumiki avait raison. Kuzuryu n'aurait pas dû le lui dire.
Komaeda porta une main à la joue de Naegi. « Tu seras en sécurité ici, Naegi-kun.
-On va stopper ces gars à l'entrée. La Fondation du Futur ne nous a jamais battus ! » Nidai leva les poings, comme pour pousser un beuglement.
« Alors, n'aie pas peur, d'accord ? » D'un coup d'épaule, Tsumiki écarta Komaeda. « Même si tu entends des bruits terrifiants et que le bâtiment commence à trembler, tout va bien se passer. Nous allons tous nous battre pour toi. »
Derrière les autres, Owari se gratta la tête. « Mais est-ce qu'ils lui feraient du mal pour commencer ?
-Nous n'allons pas prendre ce risque ! s'écria Tsumiki d'un ton brusque. La Fondation du Futur n'est pas digne de confiance. »
Tu veux dire que tu connais déjà la réponse, pensa Naegi. Il se sentait étrangement détaché de tout cela, comme s'il regardait la scène de l'autre côté d'un mur de verre.
« Tu as juste à patienter, Naegi-kun ! dit Komaeda depuis sa nouvelle place sur le sol. Tout sera redevenu normal demain. »
… Sauf que je ne serai pas là.
Un par un, ils le laissèrent (Tsumiki l'embrassa d'abord sur les deux joues). Kamukura, qui n'avait ni bougé ni parlé ni rien fait de particulier pendant que les autres étaient présents, se tenait au centre de la pièce. Komaeda lui jeta un regard interrogateur depuis la porte ouverte.
« Euh, Kamukura-kun, tu avais besoin de quelque chose ? »
Kamukura le fixa.
Komaeda fit un large sourire. « D'accord. J'arrête de vous faire subir l'abomination de ma présence. Fais juste attention à verrouiller la porte en partant ! »
Et le Chanceux disparut.
Le regard de Kamukura glissa vers Naegi. « Tu as un plan ?
-Pas vraiment. » Naegi battit des pieds. Il fixa un point sur le sol. « J'ai plutôt l'intention d'improviser ?
-Je vois. »
Silence. Naegi faillit se laisser aller à penser à quel point la balance ne penchait pas en sa faveur, mais changea rapidement d'avis. Il ne pouvait pas voir les choses ainsi. Sinon, il était sûr de perdre. Oui, il devait simplement rester positif. Tout allait bien se passer, c'était certain ! Débordant d'une confiance renouvelée, il releva la tête...
Kamukura se tenait devant lui. Il lui tendait une brochure. Qui pouvait dire depuis combien de temps il attendait ainsi ?
« … Pour l'autre jour », dit le jeune homme quand Naegi la prit avec précaution.
Il fixa la couverture.
« Communiqué de presse de la Fondation du Futur »
La date en-dessous n'avait que peu d'importance pour lui. Il n'avait aucune idée de quel jour on était, ni du jour où ils s'étaient échappés de l'école. Mais tout de même, un communiqué de la Fondation du Futur ? Cela ne pouvait qu'être utile. Il l'ouvrit, laissant ses yeux parcourir la page...
« Les Survivants de Hope's Peak retrouvés. »
Il lui fallut une seconde pour se calmer. Il lui fallut moins d'une milliseconde après cela pour faire un zoom sur la photo jointe. Était-ce... ? Oui ! Oui, c'était Togami ! Il sortait d'une voiture et se dirigeait vers un groupe de gens en costume qui devaient être de la Fondation du Futur. Quand Naegi regarda de plus près, il aperçut, dépassant de la portière ouverte de la voiture, une longue mèche de cheveux lilas qui devait appartenir à Kirigiri. Ils étaient en vie. Ils allaient bien ! Ils étaient à l'abri du spectre du Désespoir. Et bien qu'il soit un peu surpris que l'article ne mentionnait pas qu'ils avaient échoué à le sauver, il s'en fichait.
Il ne prêta pas attention à la larme émue qui coulait sur son visage. « Kamukura-kun, merci... »
Mais Kamukura était déjà parti.
Maintenant qu'il était seul, sa première action fut d'emporter des papiers et des livres dans la salle de bain où étaient cachées les chaussures de Kamukura. Il les enfila – soit Kamukura avait de grands pieds, soit lui-même en avait de très petits – et les rembourra jusqu'à ce qu'il puisse marcher sans qu'elles ne menacent de rester derrière. Ce n'était pas idéal. Ça le gênerait s'il devait courir, mais au moins il ne serait pas arrêté par le premier clou qu'il rencontrerait.
Ensuite, il attendit. Et il étudia sa carte et la mémorisa, et il fixa longuement la porte et tenta de réfléchir à un moyen de la franchir, mais il passa beaucoup de temps à attendre. Le réveil sur sa table de chevet égrenait les minutes, dépassant six heures, sept heures, huit heures... Il devait faire nuit à présent, dehors. Bien.
Quelque part au loin, il crut entendre une explosion.
La seconde fut plus perceptible. Il se leva d'un bond. Il ne disposait peut-être pas de beaucoup de temps. Avec des personnes comme Komaeda et Tsumiki dans les parages, il n'y avait aucune garantie que l'un d'eux ne change pas d'avis et ne décide pas de rester avec lui en attendant la fin de la bataille. Il s'élança...
Zut ! Il avait oublié la porte verrouillée.
Il secoua le bouton de porte deux ou trois fois, espérant que sa chance frappe et la déverrouille. Cela resta cependant en vain. Pour être honnête, si sa chance s'était vraiment activée, elle aurait probablement laissé tomber un rideau de fer par magie pour s'assurer qu'il ne puisse pas s'échapper. Il donna un coup de pied dans la porte, grognant dans sa barbe.
S'il ne pouvait pas la déverrouiller, il allait devoir passer à travers.
Le bureau était trop lourd pour être utilisé. La chaise, trop légère et peu maniable. Il n'arrivait pas y croire. Une simple porte allait vraiment être l'obstacle qui l'arrêterait net ? Il tenta de se jeter dans la porte à quelques reprises, mais il ne parvint qu'à se faire mal. La main pressée sur son épaule, il fusilla cette stupide porte du regard. Il n'abandonnerait pas ici.
Il doutait qu'un des animaux en peluche ou une des babioles posées sur les étagères puisse l'aider. Il rampa sous le lit. Il soupesa la balance d'une main – non, trop légère – et la jeta de côté. Une valise vint ensuite ; rien à l'intérieur. Puis ce fut le tour de la patte coupée de Monokuma. Non, ce n'était pas non plus assez lourd. Il la jeta...
Alors que la patte roulait sur le sol, quelque chose étincela à l'intérieur.
Naegi marqua une pause. Il ramassa à nouveau la patte et l'examina. Avec précaution, il fit sortir les longues griffes de leur cachette.
Soda rit dans son esprit. « Ces trucs peuvent couper à peu près n'importe quoi si tu t'y prends bien. »
… Alors c'était la solution. Quelle ironie que ce soit son pire ennemi qui lui permettrait de s'échapper.
Comme Soda l'avait promis, les griffes transpercèrent d'un coup le bois. Il continua ainsi, de la sueur coulant le long de sa tempe, les dents serrées. Il n'avait pas besoin de tout découper, seulement l'espace autour de la serrure pour que plus rien ne garde la porte fermée. Il entailla, et entailla, et entailla, et entailla...
Finalement, la patte échappa à ses mains glissantes. La serrure n'était plus retenue que par quelques minces fibres. Naegi prit quelques instants pour reprendre son souffle. Puis il se redressa et donna un coup de pied.
La porte s'ouvrit.
De l'autre côté, Kamukura le regardait.
« Ça t'a pris beaucoup de temps, dit-il.
-Je ne suis pas d'humeur », dit Naegi. Il passa en courant devant lui.
Sans la porte pour le sceller à l'intérieur, les sons de la bataille se faisaient davantage entendre. Il était assez loin du site pour qu'il n'y ait aucun dégât visible, mais c'était sans aucun doute des explosions et des coups de feu qui lui parvenaient de loin. Les lignes griffonnées de sa carte apparurent en un éclair dans son esprit. Il savait où il devait se rendre. Kamukura le suivait – il réussissait à rester à la hauteur de Naegi juste en marchant ? Allons ! Il n'était pas aussi petit ! Kamukura devait avoir utilisé son talent de Marche Rapide Ultime ou quelque chose comme ça.
« Tu vas du mauvais côté », dit Kamukura. Il n'était même pas essoufflé.
« Non, je vais au bon endroit. »
La plupart des robots et soldats Monokuma devaient être en train de se battre. Quelques-uns patrouillaient toujours dans le bâtiment, mais ils étaient bruyants et faciles à éviter. Les robots en particulier peinaient à le remarquer dans la pénombre. Il restait près du sol, se cachant dans les ombres. Cela devait constituer un spectacle amusant sachant que Kamukura rôdait toujours derrière lui, le regardant de toute sa hauteur.
Quand Naegi atteignit sa destination, Kamukura parut presque perplexe. « Ici ?
-Ici.
-Ils ne seront pas d'une grande aide.
-Ce n'est pas le but. » Naegi poussa la porte.
La lumière de l'entrée tomba lentement sur le couloir de la prison. Bien que la plupart des prisonniers n'aient pas réagi à l'ouverture de la porte, quelques-uns avaient levé la tête et à présent prévenaient leurs voisins de son arrivée dans un murmure. Iwata sursauta à la première mention du nom de Naegi et se précipita vers les barreaux, aussi près que possible.
Avec un sourire triomphal, Naegi s'approcha de lui. « Salut.
-Tu ne peux pas être ici ! Il y a...
-Naegi Makoto hors zone sécurisée. »
Il se figea.
A l'autre bout de la prison, une lumière rouge perça la pénombre dans sa direction. Le robot Monokuma s'avança en traînant les pieds, répétant ces cinq mots d'une voix monocorde. Naegi recula tout droit dans un Kamukura inflexible. D'une certaine manière, l'inébranlabilité du jeune homme le rassura. Naegi ne pouvait pas abandonner ici. Il fixa les points faibles du robot, se demanda s'il pouvait frapper assez fort…
L'entrée s'assombrit. Deux soldats Monokuma s'y tenaient et le fixaient. C'était trop rapide. La seule explication était qu'ils avaient été positionnés dans les parages, attendant le signal du robot. Mais pourquoi … ?
… Ah, Komaeda le connaissait mieux qu'il ne le pensait.
Ils le surpassaient en nombre. Kamukura se décala et les soldats saisirent Naegi par les bras et l'entraînèrent en arrière. Il n'était pas tellement mécontent d'avoir été attrapé, simplement contrarié de ne pas avoir pu aider ces prisonniers comme il l'avait promis. Le robot Monokuma retourna au fond du couloir en se dandinant. Naegi le regarda s'éloigner...
« Monokuma. » Ses paroles étaient douces, mais claires. « Tranche les serrures de toutes les cellules. »
(Parce que pourquoi le Désespoir Ultime aurait-il une protection contre un ordre qu'aucun d'eux ne donnerait ?)
Monokuma tituba sur le côté, puis balança tout son corps avec son bras. Les griffes crissèrent contre la série de barreaux la plus proche, arrosant le sol d'une cascade d'étincelles. Ce fut la dernière chose qu'il vit avant que la porte de la prison ne se referme.
Il ferma les yeux et sourit. Au moins il en était sorti quelque chose de bien.
Kamukura suivait toujours, alors même qu'il semblait de plus en plus probable que l'aventure de Naegi s'arrêtait là. Avec la manière dont les soldats le traînaient, ses orteils rasaient le sol ; il ne pouvait pas les planter dans le sol pour essayer de se débattre même s'il le voulait. Quelque chose gronda au loin et pour la première fois, le bâtiment trembla. Une pluie de poussière tomba du plafond.
« Alors, comment se passe le combat ? demanda Naegi à un des soldats.
-Les intrus sont en train d'être refoulés. Le Désespoir Ultime a la victoire assurée. »
Oh. Il était un petit peu déçu, mais pas le moins du monde surpris. Il était bien conscient qu'il y avait beaucoup de robots ici...
Bang.
Il crut s'être luxé l'épaule. La prise autour de son bras gauche se resserra considérablement, puis le lâcha soudainement. Le soldat en question s'écrasa au sol, quelqu'un – deux personnes – sur lui. L'un d'eux attrapa le casque du soldat et commença à le frapper contre le sol pendant que son camarade se jetait sur le second soldat...
« Naegi, fuis ! » aboya Iwata.
Il obéit.
Kamukura le suivit. Il avait sans doute su pendant tout ce temps que cela arriverait. Il n'avait pas le temps de consulter la carte ; Naegi n'avait que son vague sens de l'orientation pour continuer. Mais la solution était évidente ; il devait rejoindre les extrémités du bâtiment. Le beuglement d'un drone derrière lui l'informa qu'au moins un des soldats s'était repris pour le pourchasser. Il soufflait comme un bœuf, son corps ressentant déjà le stress de la situation.
Il se précipita tout droit dans un second groupe.
Le court laps de temps qu'il leur fallut pour le reconnaître et abaisser leurs armes, il les avait dépassés en courant. Le premier soldat en jeta même un qui essayait de l'attraper à terre. Mais les autres reprenaient la chasse, l'appelant, l'avertissant qu'il s'approchait d'une zone rouge...
C'était un couloir et un mur nu.
C'était une zone rouge ? En quoi ? Il n'y avait aucune entrée ici. Pendant un moment, il douta. Pendant un moment, il ralentit l'allure.
Ce fut sa première erreur, mais ce fut aussi sa dernière.
Une ligne enflammée lui zébra la tempe quand il heurta le sol. Du sang chaud à la teinte cuivrée suinta de sa blessure réouverte. Les soldats reposaient lourdement sur son dos, lui écrasant les côtes, leurs ongles lui rentrant dans les bras.
Kamukura baissa les yeux vers lui. « Tu as échoué. Prévisible. »
Si même Kamukura le disait, alors ce devait être la fin.
« Naegi Makoto recouvré. Retour en zone sécurisée. » Ils le remirent sur ses pieds, sans se soucier qu'il avait un œil presque aveugle à cause du sang. Il ne se débattit pas. Kamukura eut un soupir méprisant et commença à se détourner.
Il plongea soudainement sur le côté.
Bang.
Le coup de feu résonna dans ses oreilles. Puis, il y en eut d'autres. Naegi fut jeté sur le côté, son visage s'écrasant contre le mur. Il put y voir les ombres des soldats qui s'écroulaient alors que s'intensifiait la rafale de coups de feu...
Avant qu'il ne puisse comprendre ce qu'il se passait, on lui jeta quelque chose sur la tête.
Des mains fortes le saisirent par le dos de son sweat, comme un animal attrapant son petit par la peau du cou. Il sentit l'os dur d'une épaule pressé contre lui alors qu'il était soulevé, mais par qui ? Quoi ? On aurait dit Nidai, mais Nidai était censé être au combat !
« Arrête de te débattre ! siffla une voix inconnue. Nous sommes là pour te sauver.
-Est-ce que le sac est nécessaire ? dit une autre personne. S'ils le reconnaissent, il fera un bon bouclier.
-S'ils le reconnaissent, alors c'est sûr qu'ils vont nous poursuivre. »
Un talkie-walkie crépita. Ils parlaient d'une bombe ? Et l'inconnu le transportait quelque part. Il ne savait pas où ils allaient. Il ne savait pas où était passé Kamukura. Il ne savait pas qui étaient ces gens, mais il soupçonnait que...
« Êtes-vous de la Fondation du Futur ? demanda-t-il.
-Oui. »
Naegi se répéta silencieusement cette simple réponse, puis une joie si rayonnante qu'elle lui tira un large sourire le parcourut. Il avait gagné. Le Désespoir Ultime avait échoué ! Il était sur le point de sortir de là et bientôt, il allait revoir ses amis... !
A cet instant, il se souvint. « Attendez, certains de vos amis sont ici ! Iwata Torio et … et je ne sais pas si Nido-san faisait partie de la Fondation du Futur ou pas, mais nous devons aller les aider !
-Nous sommes là pour te récupérer, dit l'inconnu.
-Vous ne pouvez pas les laisser là ! s'exclama Naegi. Ils ont aussi besoin d'aide !
-Fais moins de bruit !
-Iwata-kun a sacrifié sa chance pour m'aider et je ne peux pas le laisser là...
-Tais-toi ! »
Le pistolet – il pouvait dire que c'était un pistolet – s'abattit contre l'arrière de son crâne. Un silence sinistre suivit. Naegi tenta de palper la zone d'impact pour voir s'il saignait, mais le sac le gênait.
« Garde le silence », siffla l'inconnu.
Naegi tenta à nouveau de toucher son crâne, abasourdi. C'était la Fondation du Futur. Ils étaient là pour le sauver. Il n'avait pas à avoir peur.
(Il avait peur. Il pouvait sentir quelque chose d'anormal dans leurs intentions).
« Merde, ces ombres... ! Ils ont dû nous entendre !
-Allons-y ! »
A présent, ils couraient. Il n'avait toujours pas la moindre idée de ce qui se passait, d'où ils allaient... Il y eut un coup de feu. C'étaient des coups de feu. Il pouvait les entendre ainsi que les voix robotiques des soldats Monokuma qui parlaient dans leurs casques et coordonnaient leurs actions.
« Ils savent que nous l'avons. Même si nous réussissons à sortir, nous n'allons pas y arriver.
-Qu'il en soit ainsi... C'est la pièce, vite ! Barricade la porte ! »
Ils coururent un peu plus et soudainement, Naegi fut jeté au sol. Il roula sur le dos, essayant de s'asseoir tout en saisissant le sac...
Un pied s'abattit sur sa poitrine et le plaqua au sol.
Un pistolet émit un déclic.
« Qu... qu'est-ce qui se passe ? » Naegi tenta de reculer en rampant, mais ce pied appuyait fermement sur sa poitrine.
« Pardonne-nous, Naegi Makoto... Dans l'intérêt de l'espoir, tu dois mourir. »
La porte s'ouvrit brutalement.
Le coup de feu partit.
La balle perça le bois, faisant gicler des échardes pointues contre le cou exposé de Naegi. De la poudre tomba sur sa peau et teinta l'air de son parfum. De la fumée s'éleva du canon en petites volutes, disparaissant complètement avec le petit mouvement d'air qui accompagna la chute du pistolet au sol.
Et Naegi ne mourut pas.
Un choc. Le mur trembla avec la force avec laquelle le corps le heurta. Le second membre de la Fondation du Futur cria et d'autres coups de feu partirent. Mais ils ne furent pas suivis du son de la chair qui se déchirait, mais par des pas rapides alors qu'une silhouette slalomait et esquivait...
L'autre tireur fut jeté contre le mur. Son crâne fut écrasé une fois contre le mur, puis le corps tomba au sol...
Juste au moment où Naegi arrachait le sac de sa tête. A quelques centimètres de l'endroit exact où il gisait, il y avait le trou d'une balle dans le sol. Il pouvait voir les formes effondrées des membres de la Fondation du Futur, mais il n'y avait aucun signe de celui qui l'avait sauvé. Juste des soldats Monokuma se déversant par la porte ouverte...
Il y eut un bruit de pas derrière lui.
« … Ils ont dit la même chose. »
Naegi tourna la tête. « Kamukura-kun ? »
Kamukura ne le regarda pas. Il fixait l'homme qui avait tenté de tirer ce coup fatal. « Ils ont affirmé la même chose. A moi. A elle. Ils prétendaient sauver l'espoir... à la place, ils l'ont assassiné. »
Avant que Naegi ne puisse l'interroger ou que Kamukura ne puisse élaborer, les soldats Monokuma se focalisèrent sur lui. Kamukura s'écarta pour laisser les choses suivre leur cours...
La main de l'un des deux inconnus vaincus s'enfonça soudain dans une veste...
Kamukura se tourna vers un des murs et Naegi crut le voir légèrement écarquiller les yeux...
« Explosif ! Protéger les Désespoirs ! »
Le monde explosa.
Naegi reprit connaissance avec un sursaut. L'air était gris. Son dos le lançait et quand il bougea, des choses diverses s'enfoncèrent dans sa chair. Il grogna ; sa première tentative de parler se solda par une toux. Ses jambes lui semblaient être en caoutchouc, réticentes, et il se retourna.
Un soldat Monokuma le fixa droit dans les yeux.
Mais le soldat n'était pas conscient. Les lumières rouges qui illuminaient les yeux du casque étaient ternes. Une fissure traversait le centre du casque. Que … ?
Il parcourut les environs du regard. Des décombres jonchaient le sol tout autour de lui. Des gens gisaient autour de lui, inconscients. Mais à part ce qui était évident, quelque chose clochait dans ce qu'il voyait. Le monde était trop terne ; son champ de vision, trop petit.
C'était son œil. Un de ses yeux ne s'ouvrait pas. Il le frotta jusqu'à ce que cède la couche de sang séché qui le maintenait collé. Puis, cet œil s'ouvrit grand à son tour pour observer le monde. Il ne put que conclure qu'une bombe ou un missile avait frappé ce mur. Le mur extérieur s'était effondré et...
Il s'était effondré.
Naegi fixa le monde sombre, sale, de l'extérieur.
C'était magnifique.
« Je suppose que tu es un Chanceux Ultime », dit Kamukura. Il était assis sur un gros morceau de décombres, indemne.
Naegi rit. « Je n'ai jamais dit que je ne l'étais pas. »
Il avança d'un pas trébuchant vers l'extérieur, dans l'air qui était si doux.
