Chapitre 21 : L'Extérieur

Naegi avait envie de pleurer. L'extérieur était un peu humide, mais il n'en avait cure. Le sol artificiel sous ses pieds émanait une aura froide rafraîchissante et il aurait voulu se reposer un moment, une joue contre le sol. Mais pour l'instant, il pouvait se satisfaire de la caresse du vent sur son visage. Il leva la tête en signe de remerciement silencieux. Des étoiles – il pouvait voir des étoiles. Des gloussements gonflèrent dans sa gorge, éclatant sous la forme de hoquets.

La bataille faisait rage, mais il ne pouvait pas voir de combat dans les environs et en conclut que la Fondation du Futur avait été repoussée. Mais cela n'avait plus d'importance. Il se tourna dans la direction opposée aux combats et se mit en route. Il devait juste atteindre la ville. Il devait juste s'enfuir. Puis, ce serait terminé.

De son point de vue, ses pas détonaient comme des coups de feu, mais personne n'accourut. Cette fois, Naegi était seul. Même Kamukura n'avait pas fait mine de le suivre à l'extérieur. Alors il continua tant bien que mal, incapable de ressentir de la douleur ou de la fatigue, seulement la promesse de ce qui se profilait. A un moment, quelques moustiques se posèrent sur sa peau et il rit et il rit parce que waouh, il était dehors. Ils pouvaient lui prendre son sang. Il avait de quoi faire ! Des chauve-souris, également, fendaient la nuit et aux yeux de Naegi, elles étaient un présage le pressant de prendre sa liberté. Il était près du but, si près du but...

Il toucha le premier morceau de décombres provenant de la ville, tomba à genoux et rit.

Il essuya les larmes de ses yeux. Il avait réussi. Le Désespoir avait perdu.

Ses pas résonnaient. Il ne fut en rien surpris qu'il n'y ait âme qui vive dans la première rue qu'il parcourut. Les habitants devaient avoir fui il y a très longtemps, quand le Désespoir Ultime avait établi leur base. Les immeubles environnants avaient été éviscérés par le feu et s'étaient affaissés sur eux-mêmes. Il ne pouvait voir aucune fenêtre intacte. Rien ne montait plus haut qu'un étage ; tout ce qui se trouvait au-dessus avait été détruit.

Il estima que la première étape de son plan post-évasion devrait être de s'éloigner autant que possible. Son temps était compté : dès que l'attaque de la Fondation du Futur serait totalement repoussée, le Désespoir Ultime irait très certainement le voir ; dès qu'ils réaliseraient qu'il avait disparu, ils le chercheraient sans nul doute. Il ne pourrait pas distancer des personnes comme Nidai ou Pekoyama, il allait donc devoir trouver un bon endroit où se terrer pour une nuit ou deux.

Hmm... peut-être qu'il aurait dû emporter de la nourriture.

Il n'avait pas marché depuis bien longtemps quand la ville le surprit. A l'autre bout de la rue, une silhouette était apparue. A en juger par la manière dont elle arpentait la rue, la traversant sans hésitation, cette personne quelle qu'elle soit ne l'avait pas vu. Naegi se figea, l'examinant du regard. Qui donc pouvait exister si près du Désespoir Ultime ? Peut-être qu'un des prisonniers qu'il avait libérés plus tôt s'en était sorti.

La silhouette tourna la tête en pénétrant dans un rayon de lune et la lumière se réfléchit sur des lunettes et de courts cheveux blonds ...

Non.

Ce n'était pas lui.

Si … si, c'était lui !

Son esprit n'avait même pas terminé cette pensée qu'il courait vers le jeune homme.

« Togami-kun ! »

Togami ne s'était pas attendu à trouver Naegi ici. C'était évident. En entendant son nom, l'Héritier s'était accroupi, le corps prêt à passer à l'action à tout moment. Il ne relâcha pas sa posture même quand il vit qui courait vers lui, mais Naegi sentit l'aura dangereuse disparaître autour de lui.

Quand il fut assez proche pour que Togami puisse confirmer son identité, le blond se redressa. « Naegi Makoto ? »

Naegi hocha vigoureusement la tête, toujours en train de courir. C'était dommage que Togami n'aime pas les embrassades, parce que Naegi voulait se jeter sur l'héritier et le serrer dans ses bras jusqu'à ce qu'il devienne bleu...

Oh, hé. Quand donc avait-il décidé de faire de cette fantaisie une réalité ?

« Qu... Quoi ? Qu'est-ce que tu fais ? » Fidèle à lui-même, Togami en était si choqué qu'il balbutiait et lui repoussait la tête. C'était si Togami de sa part que Naegi fut obligé de rester là et se laisser taper.

« Je suis désolé, Togami-kun. Je suis juste tellement content de te voir ! »

Et c'était le cas. Togami semblait briller dans la lueur de la lune comme un dieu descendu sur terre. Comme d'ordinaire, il se tenait droit et fier et pour Naegi, c'était parfait. Le souvenir des rictus condescendants et des remarques cinglantes de l'Héritier flasha devant ses yeux, mais Naegi ne pouvait plus les voir comme des méchancetés, seulement comme une promesse de protection et de force. Il avait trouvé Togami. Il était en sécurité. Tout allait de nouveau le mieux du monde.

Togami parvint finalement à détacher Naegi de lui. « Tu … tu n'es pas censé être là. Naegi, es-tu seul ? »

Naegi hocha énergétiquement la tête. Il ne dit rien parce que sinon, il commencerait à babiller sur son évasion et les espoirs auxquels il s'accrochait pendant son emprisonnement et Togami le trouverait agaçant et s'énerverait probablement contre lui.

« Personne ne t'a suivi ?

-Je ne pense pas, dit Naegi. Peut-être Kamukura-kun, mais je ne pense pas qu'il fasse quoi que ce soit. Où sont les autres ?

-... Ils ne sont pas là. »

Il faillit demander à Togami pourquoi lui était là, mais Togami penserait sans doute qu'il remettrait en question ses capacités, alors il n'en fit rien. Il se contenta de se délecter d'être en présence de l'Héritier.

Waouh, était-ce ainsi que Fukawa se sentait au quotidien ?

« On doit rejoindre un endroit sûr, dit Togami. Je vais appeler quelqu'un pour venir nous récupérer quand la bataille sera terminée. Naegi, suis-moi. »

Naegi emboîta le pas à l'héritier, savourant la familiarité de cet ordre. Ils traversèrent les ombres et à chaque fois, la lumière tombait sous un angle différent sur le visage de Togami. Quand Naegi rassembla chaque facette, il fut capable de se faire une bonne idée de l'apparence actuelle de Togami. Et ce n'était pas joli. Il était maigre. Beaucoup trop maigre. Togami... ressemblait à Owari. De la peau pendait de sa silhouette fine et ses os étaient trop proéminents.

Naegi ne voulait pas se demander à quoi ressemblaient les autres.

Quand il l'interrogea sur les lunettes, l'Héritier lui jeta un coup d'œil et répondit d'un ton bourru : « Ce sont des lunettes de vision nocturne. »

Oh. C'était plutôt malin. Togami avait toujours été malin.

Ils s'arrêtèrent dans un renfoncement abrité. Togami se dirigea immédiatement vers un banc à moitié carbonisé et s'assit. Son pied tapait le sol avec impatience alors qu'il parlait à quelqu'un au téléphone en fixant l'unique entrée. Naegi alla s'asseoir par terre près de lui. Cela ne le gênait pas. Après tout, il avait déjà dormi dans un dépotoir.

« Qu'est-ce que tu faisais ici ? demanda Naegi.

-On m'avait demandé d'aider », dit Togami.

Naegi hocha la tête. Il fixa le pantalon de Togami (la partie de l'Héritier la plus proche du niveau de ses yeux) avec une sorte de fascination. Qu'est-ce que ce serait de le toucher, de le frotter entre ses doigts, de sentir la chaleur laissée par un être vivant non souillé par le désespoir... ? Était-ce ce que ressentait Komaeda quand il se montrait tactile ? Naegi comprenait beaucoup mieux ces caprices, maintenant. Cela dit, il se retint. Togami détestait être touché, peut-être encore plus que Kirigiri. Il devra attendre d'être réuni avec Asahina pour faire sortir tout ça.

« Comment vont-ils ? » demanda-t-il prudemment.

Tout aussi prudemment, Togami répondit : « Ils vont bien. »

Cette réponse pouvait signifier tant de choses. C'était un peu curieux que Togami soit si évasif avec lui, mais il mit de côté ses inquiétudes. Ils allaient bien. Peut-être qu'ils avaient aussi un peu maigri, mais il était sûr qu'ils allaient bien. Il les verrait bientôt et le prouvera en personne !

Togami ne semblait pas disposé à faire la conversation, aussi Naegi le laissa-t-il plus ou moins tranquille et fut comblé en fixant l'Héritier. Une petite partie de lui avait peur que s'il détourne le regard, Togami disparaisse. Togami ignora son regard, bien que de temps en temps, il bougeait et soupirait d'une manière qui faisait comprendre à Naegi qu'il devrait arrêter.

Il n'en fit rien.

Même quand quelqu'un d'autre approcha, Naegi fut réticent à détourner le regard. La seule raison pour laquelle il y consentit fut parce qu'il espérait contre toute raison que ce fut un autre de ses camarades...

C'était des yeux rouges.

… Son cœur recommença à battre. Fausse alerte. Il n'était pas encore perdu. Kamukura s'en fichait qu'il s'échappe, après tout.

« Kamukura-kun ? » risqua-t-il. Est-ce qu'il était venu dire au revoir, peut-être ?

Kamukura ne regarda pas Togami. Son regard était entièrement fixé sur Naegi tandis que ses cheveux paraissaient flotter autour de lui.

« Naegi Makoto... est-ce un exemple de ta malchance ou de la bonne fortune de Komaeda ? »

Naegi le fixa. Quoi ? En quoi cela serait-il de la malchance ?

« Makoto ! »

Ses pupilles se réduisirent en des têtes d'épingle.

Non.

Par pitié non.

Kamukura s'écarta et fut remplacé par l'Infirmière Ultime et sa bannière de longs cheveux. Elle bondit sur Makoto, trébucha à mi-chemin et le renversa en s'écroulant contre ses genoux. Sa tête frappa les pavés. Il y resta allongé.

Pitié... Pourquoi est-ce que ça m'arrive ?

« Makoto... » Tsumiki blottit son visage contre son cou. Elle semblait peu soucieuse de la manière dont ses jambes s'entrelaçaient avec les siennes. « Je me faisais tellement de souci pour toi. »

Il ferma les yeux et savoura sa dernière bouffée de liberté.

« Le gamin va bien ! » Nidai se tenait à présent à l'entrée du renfoncement. « Je pensais que j'allais devoir arracher quelques têtes. »

Ce fut à cet instant qu'il se souvint :

Togami.

Sans réfléchir, il leva les bras et attrapa Tsumiki, la maintenant au sol. Elle sembla penser que c'était affectueux et soupira avec contentement même quand Naegi cria : « Togami-kun, cours ! » Il ne savait pas où irait l'Héritier ou comment il éviterait Nidai, mais il devait essayer...

Togami baissa le regard vers lui. « Quoi ?

-Hmm ? Quelqu'un vous pourchassait, c'est ça ? demanda Nidai en regardant autour de lui.

-Je n'ai pas la moindre idée de pourquoi il se comporte ainsi, dit Togami.

- … Togami-kun ? » couina Naegi.

Togami décroisa les jambes et se leva. Il s'adressa à Nidai. « Vous devez mieux le surveiller. J'ai autre chose à faire de mon temps que du babysitting. »

Nidai rit. « Désolé pour ça. Allez, je vais vous relever. »

Nidai aida Tsumiki à se remettre sur pieds. Naegi se retourna pour mieux regarder Togami. L'Héritier paraissait si indifférent … il devait faire semblant ! Togami avait un plan. Il attendait juste le bon moment. Ce devait être ça.

Nidai attrapa Naegi sous les bras et le releva comme s'il était un enfant. Bien qu'il soit seulement au niveau de la poitrine du Coach, ses pieds pendaient quand même au-dessus du sol. Tsumiki chantonnait pour elle-même tout en commençant à lui arranger les cheveux.

« De tous les endroits où il aurait pu fuir, c'est sur toi qu'il a fini par tomber... Je suis vraiment chanceux ! »

Komaeda était entré sur scène et ce fut à cet instant que Naegi sut que son destin était scellé.

« Ouais, j'avais peur qu'il soit tombé dans les pièges de la Fondation du Futur, dit Nidai. Ç'aurait été une catastrophe. »

Nidai le fit passer dans les bras grands ouverts de Komaeda comme s'il était un chiot. Sous les yeux de Togami, et Togami se contentait de regarder. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien attendre ?

« Togami-kun ! » Naegi se débattit, tentant de se soustraire à l'étreinte apathique mais écrasante de Komaeda pour rejoindre son ami. « Togami-kun, ce sont les Désespérés...

-Evidemment. » Togami croisa les bras et le fixa d'un regard peu impressionné.

Naegi se figea. Il ne comprenait pas.

« Ils sont... Ils font partie du Désespoir Ultime.

-Bien sûr.

-Togami-kun...

-Moi également. »

Et avec ces deux mots, le monde de Naegi s'écroula.

« Togami-kun, tu... tu... »

Tu n'es qu'un traître.

Il se jeta en avant, les bras tendus vers l'Héritier. Ses mains frappèrent de l'air vide ; le bras de Komaeda s'était refermé autour de son cou et le retenait. Ses cris ne sortaient que sous la forme de crachotements. Et Togami se contentait de se tenir là. Froid. Indifférent. Naegi voulait l'attraper par sa chemise chic et lui hurler à la figure parce que comment osait-il ? Comment Togami pouvait-il lui faire ça ? Il voulait hurler. Il voulait pleurer. Il voulait secouer Togami et voir une vraie émotion.

« Pourquoi ? » Ses larmes n'étaient pas encore tombées, mais elles en étaient dangereusement proches. « Pourquoi tu fais ça ? »

Dis-moi ce que j'ai raté. Dis-moi ce que je peux faire pour réparer ça. Dis-moi pourquoi tu me détestes à ce point.

« Je ne lui ai rien fait, mentit Togami. Je ne sais pas ce que sont ces jacasseries.

-Naegi-kun ? » De sa main libre, Komaeda tentait de lui passer les doigts dans les cheveux pour le calmer.

« Il ment ! cria Naegi. Il n'est pas censé être... il n'est pas l'un d'entre vous... »

Il ne pouvait rien ajouter. Il luttait contre le bras de Komaeda, s'étranglant lui-même. Ses jambes tremblaient comme de la gélatine, l'abandonnant lentement. Togami l'avait trahi. Après tout ce qu'ils avaient vécu, il s'était avéré être exactement le personnage sans cœur qu'Asahina l'avait toujours accusé d'être.

« Ah, c'est pour ça ! » Komaeda rit, tressaillant légèrement à cause de ses côtes meurtries. « Naegi-kun l'a confondu avec l'autre. Il a juste l'esprit confus. »

Les deux autres émirent un son indiquant qu'ils avaient compris. Kamukura soupira et s'éloigna, probablement peu intéressé par ce qu'il percevait comme de la lenteur d'esprit.

« Tout va bien, Makoto, dit Tsumiki, faisant traîner son nom d'une manière chantante. « Tu es en sécurité maintenant. »

J'étais en sécurité. J'étais libre.

« S'il n'y a rien d'autre qui nécessite une discussion immédiate, alors je n'ai pas l'intention de rester dans cet endroit pouilleux. » Togami s'éloignait déjà, s'attendant à ce que ses ordres implicites soient obéis.

Nidai s'accroupit et regarda Naegi droit dans les yeux. « Le gamin a l'air claqué. Vous voulez que je le prenne sur mon dos ? »

Togami, je...

Komaeda dit : « Incroyable, Nidai-san ! C'est évidemment une idée digne d'un Ultime. Je ne crois pas que Naegi-kun ait jamais connu autant d'effervescence.

-Il a l'air en forme, mais je veux l'examiner entièrement quand nous serons arrivés à la maison », exigea Tsumiki. Komaeda acquiesça de bonne grâce.

S'il te plaît, dis-moi juste pourquoi...

Tsumiki et Komaeda l'aidèrent à monter sur le dos de Nidai. Le Coach ne semblait pas gêné le moins du monde par le poids supplémentaire. Ils débutèrent le court voyage de retour vers sa prison, Togami ouvrant la marche. Komaeda traînait derrière le groupe, regardant la cité en ruines d'une manière qui pouvait être interprétée comme de la curiosité. Tsumiki marchait derrière Naegi et sa monture. Elle souriait à chaque fois que leur regard se croisait, apparemment aveugle à son expression morne.

Togami, je...

« Je suis contente qu'on t'ait trouvé si vite, Makoto », dit Tsumiki.

Je...

Je te déteste.


A l'exception du Yakuza et de sa garde du corps, le reste du Désespoir Ultime les attendait devant sa chambre quand ils arrivèrent. Des murmures parcouraient le petit groupe qui se divisa en l'apercevant. Soda et Owari en particulier avaient l'air ravis et ils coururent accueillir Naegi et sa suite.

« Hé, tu vas bien ! s'écria Soda. Tu nous as vraiment fait peur pendant un bon moment, là. »

Naegi demeura silencieux, pas d'humeur à parler ou à s'enfoncer davantage. Il y eut une chose curieuse qu'il remarqua, cependant. Pas une personne n'avait commenté le fait qu'il avait tenté de s'enfuir. Ils se comportaient tous comme s'il s'était perdu ou quelque chose comme ça.

« Je pensais honnêtement que tu avais explosé avec tout le reste », dit Owari.

C'était une chose très bizarre à dire. Le bâtiment ne lui avait pas paru si endommagé quand on l'avait traîné à l'intérieur... Une seconde. Cette odeur... ? C'était de la fumée ? Maintenant qu'il regardait de plus près, il remarquait que Hanamura tenait un extincteur. Soda aussi, en fait. En plus, lui et Owari étaient maculés de suie.

« Jusqu'où vont les dégâts ? » demanda Nidai.

Owari fit un son peiné. « On va pas pouvoir sauver grand-chose. »

Et Naegi comprit sans avoir besoin de voir.

Il se laissa tomber du dos de Nidai. Sans un mot, il se glissa entre Soda et Owari et fixa ce qui restait de sa chambre. Et la réponse en était des cendres. Le sol, les murs, même des parties du plafond étaient carbonisés. Des petits fragments de papier, calcinés aux angles, gisaient contre le mur. La moitié de son lit avait été dévorée et on aurait dit qu'une force avait cisaillé son oreiller en deux. Cette même force avait pulvérisé ses meubles et toutes les petites choses qui y reposaient. Elles gisaient en mille morceaux méconnaissables, la plupart complètement dénués de couleur. Même la salle de bain n'avait pas été épargnée ; la porte était enfoncée et il pouvait voir des signes de dégâts à l'intérieur.

Il parvint presque à se convaincre qu'il s'en fichait. Puis un morceau de cendre tomba du plafond et Naegi leva la tête et se souvint de ce qu'il avait perdu. Il avança jusqu'au centre de sa chambre détruite, fixant le plafond, essayant de voir s'il pouvait reconnaître quelque chose parmi les fragments d'images qui y restaient.

« Quelques-uns se sont glissés dans notre dos pendant qu'on se battait, mais on ne pensait pas qu'ils iraient aussi loin, dit Nidai à mi-voix, presque avec regret. On ne pensait pas qu'ils essayeraient de te tuer. »

Naegi fixa ses pieds. Il avait laissé des empreintes dans la cendre derrière lui.

Tsumiki fit un timide pas en avant. « Makoto ? »

Il continuait de regarder. Cette pièce avait été sa prison. Depuis l'instant où il s'y était réveillé, cette chambre avait été le symbole de son oppression. Il l'avait haïe. Il avait détesté se réveiller entre ces murs tout en sachant que cela continuerait dans un avenir proche. Mais cette chambre avait aussi été la sienne. Il y avait vécu. Il y avait été en sécurité. Tous les jouets et les décorations posés un peu partout avaient été les siens. D'une certaine façon, ça avait été sa maison. Et maintenant il n'en restait rien.

« Ils ont même eu le placard d'à côté, entendit-il Komaeda dire. Je suppose que je suis à nouveau SDF.

-Makoto. » Tsumiki était juste derrière lui. Sa main reposait sur son épaule.

« Tout a disparu », dit-il.

Naegi se retourna lentement. Derrière le visage inquiet de Tsumiki, il vit Togami balayer la chambre du regard.

« J'ai tout perdu. »

Elle fronça les sourcils avec sympathie. « Makoto, tu... tout n'a pas disparu. Tu nous as toujours. Tu m'as, moi. »

-Vraiment ? » murmura-t-il.

Elle fit un petit pas sur la pointe des pieds. Ses bras minces s'enroulèrent autour de lui, le tenant tendrement, et des lèvres douces lui effleurèrent le front.

« Je suis là, mon ange. Mikan est là. »

Naegi regarda fixement devant lui, remarquant à peine Togami qui s'écartait pour laisser passer Kamukura.

Il ferma les yeux et s'abandonna à l'étreinte.

Qui savait combien de temps il resta ainsi ? Tsumiki ne semblait pas avoir la moindre intention de mettre fin à l'étreinte et il pouvait à peine rassembler la volonté de continuer à respirer. Pour une raison quelconque, personne d'autre ne semblait enclin à les interrompre. Du moins jusqu'à ce que des pas résonnent dans le couloir et qu'un des deux membres manquants du Désespoir Ultime n'arrive sur place.

« Hé ! dit Kuzuryu. J'ai besoin d'un de ces casques Monokuma.

-L'interrogatoire ne se passe pas bien ? » demanda Komaeda.

Naegi entendit le bruissement du costume du Yakuza quand il haussa les épaules. « Peko les a passés à tabac, mais ils ne parlent toujours pas. Pas grave. On pourrait toujours avoir ce qu'on veut avec suffisamment de temps, mais j'ai pensé que des trucs mentaux seraient bien pour changer. La torture normale devient ennuyeuse quand on la pratique trop longtemps. »

Contre lui, Tsumiki se raidit.

« Je veux que Makoto soit là ! exigea-t-elle. Je veux qu'ils lui disent directement pourquoi ils ont essayé de ... » (Elle respira profondément, pleine de rage contenue) « Pourquoi ils ont bombardé sa chambre !

-Ravi qu'on soit sur la même longueur d'ondes », dit Kuzuryu.

L'étreinte prit fin. Soda partit chercher un casque supplémentaire. Tsumiki le conduisit doucement hors de la chambre, le poussant en avant comme une maman chien menant son chiot. Kuzuryu les attendait, prenant une pose arrogante, le menton levé et bombant le torse.

« Naegi-kun ! » Komaeda bondit en avant. « Ne t'inquiète pas pour ta chambre. Pense juste à quoi ressemblera la prochaine ! Elle sera plus grande, meilleure... pense juste à ça et ton espoir resplendira !

-On doit parler de ça, dit Kuzuryu. De toute évidence, on va devoir renforcer notre sécurité, mais maintenant que la Fondation du Futur lui a envoyé des groupes de combat, je ne crois pas que Naegi devrait dormir seul.

-J'suis d'accord », dit Owari. Elle pinça le biceps de Naegi. « Je pense pas qu'il pourrait se défendre contre un assassin infirme qui brandit une canne.

-Il peut continuer à rester avec moi, proposa Komaeda. Cet arrangement marchait très bien.

-Ouais, sauf que tu n'as plus de chambre », fit remarquer Kuzuryu.

Komaeda cligna des yeux. C'était comme si ce fait lui devenait apparent pour la toute première fois.

« Il peut rester avec moi ! s'écria Tsumiki, l'enlaçant de nouveau en pressant sa poitrine contre son dos. Ça ne me dérange pas du tout. je dormirai par terre !

-Je suis sûr que nous avons un lit en plus qu'on peut amener, dit Nidai. Pas besoin de se faire mal au dos.

-Pas même pour le désespoir ?

-… Bah, dans ce cas... ! »

Mais Naegi s'écarta de Tsumiki. Elle se tint là, les bras toujours levés et tendus comme si elle le tenait. Elle devait avoir pensé qu'elle avait gagné ce débat et ne s'était pas attendue à ce que Naegi lui-même soit son désaccord.

« Est-ce que j'ai le droit de choisir ? demanda Naegi. Je... Je suis désolé, Mikan, mais je préférerais ne pas rester avec toi. »

Pendant un moment, elle eut l'air d'être sur le point de pleurer. Puis elle gloussa et Naegi vit le désespoir tourbillonner dans ses yeux.

« Je ne te blâme pas, dit Nidai. Ne le prends pas pour toi Mikan, mais tu n'as pas exactement l'étoffe d'une super garde du corps. Les meilleurs gardes du corps sont ceux qui s'entraînent et maintiennent une condition physique au top pour...

-Ce n'est pas toi ou Owari non plus », dit Naegi.

Cela le fit taire. Il ne semblait pas savoir où il voulait en venir. Aucun d'entre eux non plus. Ils observaient Naegi avec curiosité et perplexité, attendant sa réponse. Naegi s'avança et se retourna, s'arrêtant en face de la personne qui portait le nom que son esprit lui murmurait.

« Je veux rester avec Kamukura Izuru. »

… Ok, il s'était un peu emballé. Il n'avait certainement pas besoin de pointer un doigt accusateur vers Kamukura comme s'il était dans un autre Procès de Classe. Tout de même, cela eut l'effet désiré. Il eut la satisfaction de tirer des réactions dramatiques au reste des témoins. Et bien sûr, aucune réaction de Kamukura. Ce dernier se contenta de regarder au-delà du bras tendu de Naegi, qui finit par être très gêné.

« … Pourquoi ? demanda Kamukura.

-Parce que... » Naegi baissa légèrement son bras. « Parce que j'ai envie ! »

Parce que tu n'es pas un Désespéré et que je peux te faire confiance.

Kamukura le fixa.

« … Tu es vraiment adepte d'auto-flagellation », fut tout ce que dit Kamukura.


Les deux prochains chapitres arriveront très vite mais c'est exceptionnel. Ensuite, ce sera un chapitre par semaine (ou un chapitre toutes les deux semaines dès septembre).