Chapitre 23 : La Retenue

Naegi n'avait toujours pas bougé.

Komaeda l'avait porté jusqu'à la chambre de Kamukura, après avoir murmuré aux autres des excuses pour son comportement. Komaeda était entré avec lui, était passé devant Kamukura, puis avait déposé Naegi sur le nouveau lit que Nidai y avait traîné. Le Chanceux avait repoussé les couvertures, lui avait retiré ses chaussures puis l'avait recouvert, remontant la couette jusqu'à son menton et prenant soin de le border. Une main pâle avait écarté doucement sa frange de son visage, puis Komaeda l'avait embrassé sur le front, comme l'aurait fait un parent avec son enfant endormi. Il s'était attardé un peu plus longtemps, couvant son prisonnier d'un regard affectueux. Puis, Komaeda s'était détourné et avait laissé Naegi dans son nouvel environnement.

Naegi n'avait pas bougé.

Même si on lui avait demandé de se remémorer, il ne pouvait se rappeler s'il s'était endormi ou non. Le temps s'était figé, l'emprisonnant dans sa conscience froide et engourdie. Ses yeux le lançaient ; le plafond nu et incolore était tout ce qu'ils pouvaient supporter. Il ne pensait à rien. S'il pensait, il se souviendrait. S'il se souvenait...

La nuit passa. Puis passa le matin. Komaeda lui rendit visite une fois et Naegi bougea enfin – pour se détourner de lui. Le Chanceux resta assis à côté de lui, mais Naegi l'ignora et retomba dans sa brume sans rêve. Le jeune homme aux cheveux blancs finit par partir, ne laissant derrière lui que du tissu chaud là où il s'était assis.

Naegi ne mangea rien ce jour-là. Il se déplaça uniquement pour aller aux toilettes. Il se comportait un peu comme Kamukura, qui passait le plus clair de son temps à regarder dans le vide.

Quand ce fut le matin pour la seconde fois, Naegi s'éveilla enfin mentalement. Son corps était raide et non coopératif, comme s'il avait été gelé dans un bloc de glace pendant quelques années. Il pouvait à peine sentir ses mains en s'appuyant sur le bord du lit. Il fixa le mur, du rouge flashant sous ses paupières, fragments de visions que son cerveau avait refusé de mémoriser. Kamukura lui jeta un coup d'œil, mais détourna à nouveau le regard en voyant que Naegi ne faisait rien d'intéressant.

Il devrait manger, non ? Il n'avait pas faim. Il se sentait malade, en fait. Mais il en avait besoin. Ce n'était pas sain de continuer ainsi. Un petit déjeuner avait été laissé pour lui, mais il était trop copieux pour qu'il puisse ne serait-ce qu'imaginer l'avaler. Peut-être qu'il trouverait quelque chose de simple en cuisine.

Il se traîna jusqu'à la sortie, le dos voûté et raide. Tourner la poignée l'emplit d'un effroi sans nom et il dut refouler une montée soudaine de larmes.

Il ouvrit la porte.

Komaeda, roulé en boule sur le sol juste à l'extérieur comme un chien, cligna des yeux vers lui.

« Ah, tu es réveillé ! »

Naegi tenta de refermer la porte, mais Komaeda avait déjà roulé sur le seuil.

« Je me demandais quand tu allais te manifester, lança gaiement le jeune homme aux cheveux blancs. Quelles choses extraordinaires faisais-tu hier ? Tu étais dans un Coma d'Espoir ? J'en ai connus, moi aussi ! »

La voix de Kamukura s'éleva derrière lui. « Si tu comptes encourager ses monologues sur l'espoir, je te demanderais de partir. »

Ça ressemblait à un ordre. L'esprit de Naegi, si fatigué de penser et souhaitant désespérément ne pas se souvenir, s'y raccrocha.

« Alors, où est-ce qu'on va ? » demanda Komaeda, trottant derrière lui comme un fidèle animal de compagnie. Du coin de l'œil, Naegi le vit tendre la main vers lui...

« Ne me touche pas. »

Komaeda cligna des yeux, surpris, mais retira immédiatement sa main.

« Bien sûr. Je comprends. Tu ne veux pas qu'une ordure comme moi te touche, surtout après que ces ingrats de la Fondation du Futur aient tenté de s'introduire dans ta vie. Je parie qu'ils sont juste jaloux. Ils ne supportent pas que nous puissions coexister avec un espoir aussi incroyable alors qu'eux non, alors ils ont essayé de te détruire. C'est terriblement mesquin. »

Naegi s'arrêta net. Il murmura : « Tu parles comme si tu valais mieux qu'eux. »

Komaeda ne parut pas savoir que répondre. « S'il te plaît, ne te méprends pas. Je ne rêverais jamais de m'approcher de votre niveau à vous les Ultimes. Mais au moins je sais où est ma place, non ? Pas comme ces larbins de la Fondation du Futur.

-Tu es pire qu'eux ! »

Komaeda se figea. Pour la première fois, Naegi le vit se renfrogner.

« J'ai peur de ne pas comprendre ce que tu veux dire, dit Komaeda. Qu'est-ce que j'ai fait de pire qu'eux ? »

Naegi serra ses poings tremblants. « Je ne sais pas exactement ce que vous faites, toi et le Désespoir Ultime, mais j'en sais assez pour dire ça : tu es un meurtrier. Non. Ce n'est pas assez fort. Tu es un monstre. Ce qui s'est passé avant-hier, ça t'a plu, n'est-ce pas ? Est-ce que tu... » Il hésita, entendant à nouveau les gémissements de Tsumiki. « Est-ce que ça t'excite, toi aussi ?

-Le désespoir ? Bien sûr que non ! » Komaeda souriait à nouveau, mais il y avait quelque chose de vicieux et d'acéré dans son sourire. « Quelque chose d'aussi horrible et dégoûtant me hérisse le poil. Tout ce que je fais c'est pour l'espoir.

-Détruire le monde, c'est pour l'espoir ? cracha Naegi. Torturer les gens, c'est pour l'espoir ? Le meurtre, c'est pour l'espoir ?! Ça n'a aucun sens ! Il n'y a pas d'espoir là-dedans !

-Le désespoir engendre l'espoir, Naegi-kun », dit Komaeda. Il leva les yeux, fixant quelque chose que lui seul pouvait voir. « Et puis, ces gens ne pouvaient guère être considérés comme talentueux. Ils prenaient juste de la place. »

Naegi le foudroya du regard. Toutes sa frustration, toute sa colère remontèrent en lui à ce moment. Quand il parla, ce fut d'un ton déterminé, décochant ses mots comme des flèches.

« Tu n'en as rien à faire de l'espoir, Komaeda. »

Le regard de Komaeda se riva sur lui.

« Tu prétends le contraire, peut-être que tu y crois, mais ce n'est pas le cas. Tu es juste comme les autres. Tout ce qui t'intéresse, c'est de causer du désespoir. L'espoir ne signifie rien pour toi. »

Les mots de Naegi planèrent dans l'air. Komaeda ne bougea pas ; il ne paraissait même pas respirer. Et pourtant, la présence du Chanceux sembla grandir. C'était peut-être une illusion d'optique, un effet de la lumière, mais son ombre enfla, assombrissant les murs. Une énergie glaciale émanait du jeune homme, couvrant les bras de Naegi de chair de poule.

Komaeda sourit, mais ses yeux étaient vides.

« Tu ne devrais pas dire ce genre de choses, Naegi-kun.

-Pourquoi, parce que c'est vrai ? » rugit presque Naegi, sa haine soudaine envers le Chanceux trop toxique pour être contenue.

-Je sais que tu es en colère...

-Tu ne sais rien de moi ! hurla Naegi. Tout ce qui t'intéresse, c'est ce titre idiot que Kirigiri-san m'a donné. Tu ne veux rien connaître d'autre ! C'est pour ça que ce que tu fabriques ne marche pas et ne va pas marcher. Je ne vais pas devenir un monstre comme toi, alors laisse tomber !

-Ça suffit, Naegi-kun.

-Non, je n'ai pas fini, dit Naegi. Je ne vais pas...

-Ça suffit ! »

Le sifflement purement anormal de Komaeda le fit taire. Komaeda n'avait jamais parlé ainsi. Komaeda n'avait jamais employé ce ton. Le Chanceux inclinait la tête, masquant son visage et un frisson soudain parcourut la peau de Naegi.

Puis, Komaeda commença à rire.

« Qui aime bien châtie bien... C'est une expression si dure...

-Hein ? » Il était pris au dépourvu.

Les gloussements de Komaeda devinrent plus aigus et erratiques. Il leva le menton. Le cœur de Naegi cogna si fort qu'il en fut momentanément assourdi. Il se recula précipitamment, soudain mortellement terrifié...

… Komaeda n'avait jamais eu des tourbillons désespérés dans ses yeux jusqu'à présent.

« C'est vraiment ce que tu penses de moi ? demanda Komaeda en se rapprochant.

-Je... » Son dos se pressa contre le mur. Komaeda était tout près, son haleine se condensant sur le front de Naegi.

« Naegi-kun... »

Naegi ne pouvait exprimer par des mots à quel point son nom sonnait faux en quittant la bouche de Komaeda à cet instant. Ses yeux étaient complètement engloutis par ces spirales ardentes et rouges.

« Tu ne peux pas dire ce genre de choses sur moi. C'est vraiment blessant. »

La réprimande de Komaeda était légère, mais Naegi ne parvenait pas à ignorer le sentiment de danger sous-jacent, comme s'il avait sous les yeux un câble en apparence inoffensif qui était en réalité traversé par un courant suffisant pour tuer un éléphant.

La main de Komaeda était glaciale contre sa joue. « Tu sais ce qu'est un kidnappeur, non ? Tu es conscient de ta position, n'est-ce pas ? »

C'était un piège. Naegi ne pouvait pas répondre.

Et Komaeda lui souleva le menton et le regarda droit dans les yeux. Les tourbillons dansaient plus follement que jamais.

« … Tu comprends pourquoi je dois te punir, n'est-ce pas ? »

Il avait l'impression que son corps entier était plongé dans de l'eau glacée. Il ne fit pas mine de dissimuler le tremblement de sa voix. « Komaeda-kun, je suis désolé...

-Je sais. »

Les bras de Komaeda se glissèrent entre le mur et lui, le serrant contre lui. Le corps du Chanceux était inconfortablement chaud, mais Naegi ne se tortilla pas pour se dégager. Il demeura figé sur place, persuadé qu'il allait exploser d'anxiété alors que Komaeda se contentait de l'enlacer et de le câliner.

« C'est ma faute, dit Komaeda. J'ai été négligent. C'est pour ça que tu dis des choses comme ça. J'ai été un horrible professeur. »

Il y avait un millier de choses qu'il pouvait dire. Il n'eut pas le courage d'en dire une seule.

« Je te promets que je vais m'améliorer », ajouta Komaeda.

Naegi parvint enfin à déglutir malgré le nœud qui lui obstruait la gorge. « Je... »

Une douleur fulgurante dans son cou lui déroba les mots de la bouche. Naegi s'arracha à la prise de Komaeda et recula en chancelant contre le mur. Il toucha l'endroit douloureux, tremblant comme une feuille...

Et Komaeda rangea calmement la seringue dans sa poche.

« K... Komaeda-kun ?

-Naegi-kun, tu sais que je t'aime, n'est-ce pas ? Je fais tout ça pour ton bien.

-S'il te plaît... »

Alors que la somnolence le gagnait, Komaeda s'avança et laissa Naegi tomber dans ses bras ouverts.

« C'est tout pour toi, Naegi-kun. Tout ce que je fais est pour toi. »

Le noir envahit sa vision et lui déroba sa conscience.


Bang.

Naegi reprit connaissance, de la bave séchée sur le menton. Il se trouvait dans une drôle de position pour dormir. Il était sur une chaise ? Et il était affalé, la joue pressée contre quelque chose de lisse et de dur. Ses bras reposaient eux aussi sur cette surface lisse, les poignets de chaque côté de sa tête. Il leva le menton et dès le premier coup d'œil comprit qu'il était assis à un pupitre d'élève. C'était comme se réveiller à nouveau à Hope's Peak.

Bang.

Ce bruit... Il ne pouvait le situer, mais il connaissait ce son. La peur grimpa au fond de son estomac. Son corps était soudain trop chaud pour ses habits. Il... il avait peur et n'était pas entièrement certain de savoir pourquoi.

Bang.

Lentement, il regarda derrière lui.

Deux grands montants de bois s'élevaient, reliés ensemble à leur sommet – une guillotine sans lunette à sa base. Il n'y avait pas de lame, mais un épais bloc lourd qui faisait trembler la terre elle-même à chaque fois qu'il retombait. Un réseau d'engrenages et de mécanismes s'activait à intervalles réguliers, levant haut le bloc avant de le relâcher à la merci de la gravité.

C'était...

C'était son exécution.

Bang.

Il tenta de s'enfuir. Quelque chose de froid et dur lui mordit les poignets. Il se retourna et... ses poignets étaient enchaînés et rivés au bureau. Pourquoi ? Qui ? Il tira, tentant de les faire passer à travers les menottes. Le métal frotta contre sa peau.

Le tapis roulant les entraînait lentement, le bureau et lui, vers la guillotine. Naegi se mordit l'intérieur de la joue jusqu'au sang. Non. Non. Il n'allait pas revivre ça. Pas ici. Pas maintenant. Il devait... il devait s'échapper !

Bang.

Alter Ego ne serait pas là cette fois. Personne ne serait là. Que faisait-il ici d'abord ? C'était un cauchemar, n'est-ce pas ? Il n'était plus à Hope's Peak.

« Hello, Naegi-kun ! »

Cette voix... Soudainement, tout prit bien trop de sens.

Bang.

Naegi leva les yeux. Il avait été si préoccupé par la machine derrière lui qu'il avait complètement ignoré le tableau noir devant lui. Et la personne qui se tenait devant. Komaeda lui fit une large sourire, le visage fou, mais les yeux dénués de tourbillon. Il tenait un mètre dans une main qu'il pointait vers le centre du tableau. Contrairement à la dernière fois, il n'y avait rien sur l'éducation sexuelle ou la guillotine dans les écrits à la craie. A la place, Komaeda avait couvert le tableau tout entier de répétitions du mot « Espoir ».

« Prêt pour le cours ? »

Bang.

« Komaeda-kun, qu'est-ce que tu fais ? Ce n'est pas drôle !

-Je sais », dit le garçon aux cheveux blancs. Le mètre tapota le tableau. « L'espoir est un sujet très sérieux !

-Est-ce... Est-ce que tu fais ça parce que tu es en colère contre moi !?

-Comment pourrais-je être en colère contre toi ? Je n'ai pas ce droit. »

Il mentait. C'était obligé.

Bang.

« Ok, je suis désolé ! Je suis désolé de t'avoir dit que tu te fichais de l'espoir. Est-ce que tu pourrais me libérer, s'il te plaît ?

-L'espoir... » Komaeda prit son temps en prononçant ce mot. Il se tourna vers le tableau. « L'espoir est une chose merveilleuse, Naegi-kun. »

Ce devait être une blague. Ce n'était vraiment pas le moment pour un discours sur l'espoir.

« … C'est ce qui nous pousse à aller de l'avant et nous porte de jour en jour. L'espoir est le prix que chaque homme et femme recherche ; c'est le Saint Graal qui nous parle dans nos rêves. »

Bang.

Ils avaient effectué le tiers du chemin. Des robots Monokuma s'étaient alignés de chaque côté du tapis roulant pour les regarder. Naegi les interpella, implorant leur aide, mais les robots ne bougèrent pas. Komaeda s'en était déjà occupé.

« … L'espoir, c'est ce sur quoi le monde fut fondé. Les actions de gens talentueux, d'Ultimes, ont changé le monde, nous faisant passer d'hommes des cavernes primitifs à la société que nous étions avant la Tragédie. »

Bang.

« Komaeda-kun, tu réalises que si je me retrouve là-dessous, je vais mourir ? »

Ils étaient presque au milieu du chemin. Les têtes des Monokuma se tournaient pour les suivre du regard quand ils passaient devant eux.

« … C'est pour cela que nous devons le préserver et tout faire pour trouver le plus grand, le plus brillant des espoirs. »

Bang.

« Komaeda-kun ! »

Qu'est-ce que le Chanceux attendait ? Il ne pouvait pas être réellement décidé à laisser Naegi mourir, n'est-ce pas ? Mais il s'était déjà excusé. Qu'est-ce qu'il pouvait vouloir de plus ? Peut-être... Un consensus ?

Ils avaient parcouru le milieu du chemin à présent.

« Oui ! Euh... » Il se creusa la cervelle pour trouver une de ces métaphores sophistiquées et ridicules. « L'espoir est le sang qui circule dans nos veines ?

-Exactement ! »

Bang.

« Sans espoir, nous sommes... de pathétiques plébéiens ? Nous sommes comme des animaux idiots. Et c'est mauvais parce que les animaux ne peuvent pas diriger la société ? Les gens avec et sans espoir vivent dans deux mondes complètement différents. » Il marqua une pause. Qu'est-ce que Togami se plaisait à dire d'autre ?

C'était difficile de se souvenir quand chaque fracas de la guillotine lui serrait davantage la poitrine.

« Tu vois, tu comprends, Naegi-kun !

-Oui ! L'espoir est la meilleure chose au monde. Mais, euh, Komaeda-kun ? Nous nous approchons vraiment très près du bloc. Peut-être que tu me détacher maintenant. »

Le sourire de Komaeda s'élargit. Il n'y avait aucune émotion dans ses yeux.

« Je ne peux pas.

-Je sais que tu es en colère, mais... !

-Je ne peux pas », répéta le Chanceux, et il baissa les yeux. Naegi suivit son regard et vit. Tout comme ses propres poignets étaient enchaînés et rivés au bureau, les chevilles de Komaeda étaient enchaînées et rivées au sol.

La peur s'insinua en lui depuis le cœur de son être. « Komaeda-kun ? Tu as la clé, n'est-ce pas ? »

Le rire de Komaeda fut bref et moqueur. Il désigna une table bien au-delà de leur portée. « Oh, je l'ai laissée sur cette table là-bas. »

Bang.

La terreur lui serra la gorge quand il comprit dans quelle situation il se trouvait. Le sourire de Komaeda n'était désormais plus rien d'autre que terrifiant et le glaçait jusqu'à la moelle. Il avait un bourdonnement dans les oreilles qui augmentait d'intensité alors que chaque collision du bloc avec le sol commençait à secouer et faire bondir le bureau.

Trois quarts du chemin, maintenant.

« Monokuma, attrape la clé ! » hurla Naegi. Les ours robotiques le fixèrent, inertes. « Là-bas, la clé !

-Ils ne peuvent pas faire ça, Naegi-kun. » Komaeda laissa retomber son mètre. « Je leur ai ordonné de ne pas intervenir. S'ils nous faisaient sortir de là, ce serait contraire à l'objectif de cette mise en scène.

-Il y a un objectif ? » dit fiévreusement Naegi, s'accrochant à ces mots. Un objectif signifiait que ce n'était pas censé être une exécution retardée.

Bang.

« On ne peut pas s'enfuir, Naegi-kun, dit Komaeda avec un sourire inapproprié dans ce contexte. « Ces chaînes sont bien trop résistantes pour être cassées. Le seul moyen de s'échapper est cette clé et elle n'est pas près de nous. Même avec la souplesse de le la Gymnaste Ultime, je ne pourrais pas l'attraper. Peut-être que si j'avais les hamsters de Tanaka-kun... »

Bang.

« Oh et puis ! » Komaeda leva les mains au ciel et son mètre s'envola derrière le tableau. « Il n'y a qu'une chose qu'on puisse faire maintenant. On doit ESPERER que tout se passe bien ! Ahahahahahaha ! Tu vois, Naegi-kun ? C'est de l'espoir ! Je l'aime à ce point. Je suis prêt à mourir sur-le-champ pour que mes dernières pensées soient pleines d'espoir. Ce n'est qu'une question d'espoir ! »

Et les tourbillons étaient de nouveau là dans ses yeux, plus brillants que jamais.

Komaeda rit. Et il rit et il rit et rit, encore plus fort que la guillotine qui se dressait au-dessus d'eux. Le monde dansa et Naegi visualisa soudain deux publics devant lui : l'un, la foule des Monokumas souriants et indifférents ; l'autre, les visages horrifiés de ses amis.

« Regarde-moi, Naegi-kun. Tu vois à quel point je suis chanceux ? »

Une ombre les recouvrit alors que le bloc se levait pour la dernière fois.

« … Je vais mourir avec l'Espoir Ultime. »

Pour la seconde fois de sa vie, le bloc s'abaissa sur lui.

Pour la seconde fois de sa vie, il survécut.

Le tapis roulant s'arrêta brusquement. La guillotine émit un crissement terrible quand elle ralentit violemment, parvenant seulement à fendre le sommet du tableau où se tenait Komaeda. Un unique fragment tomba sur le nez du Chanceux et son rire s'interrompit. Il leva la tête, curieux. Et Naegi cligna des yeux exorbités, se mordant la lèvre jusqu'à avoir mal pour être sûr qu'il ne rêvait pas.

« … C'est quoi ce bordel ? »

Owari se tenait devant un pupitre de contrôle qui avait était passé inaperçu jusqu'à présent, sa main appuyant fermement sur un gros bouton rouge. Elle paraissait perplexe, quoiqu'au bout d'un moment, cette émotion céda la place à ce qui ressemblait à de la colère. Les Monokumas se précipitèrent hors de son chemin alors qu'elle se dirigeait vers eux à grands pas ; ceux qui étaient trop lents se retrouvèrent violemment écartés d'un revers de main. Elle s'arrêta entre les deux garçons, tournant le dos à Naegi alors qu'elle fixait Komaeda.

« Hé, Owari-san ! » Komaeda lui fit un signe de la main. Les tourbillons avaient disparu. « Est-ce que tu pourrais récupérer la clé ? Je l'ai laissée sur la table là-bas.

-C'est quoi ce bordel ? répéta-t-elle, accentuant chaque mot. Junior et toi vous avez failli vous faire écrabouiller !

-Mais ce n'est pas arrivé, grâce à tes réflexes incroyables.

-C'est pas le sujet, dit Owari d'un ton suggérant qu'elle était habituée à la … singularité komaedienne de son camarade. Qu'est-ce que vous faisiez ?

-Ça va, Owari-san. » Komaeda se frotta la nuque, paraissant embarrassé. « Ça se serait arrêté automatiquement si tu n'étais pas intervenue. »

… Quel salaud.

« Oh. Bon. Ouais d'accord. Elle est où, cette clé ? »

Owari leur récupéra la clé et déverrouilla les menottes de Naegi. Il se jeta immédiatement hors de sa chaise, frottant ses poignets indemnes encore et encore comme s'il était en transe. Owari laissa tomber la clé sur le bureau et quitta les lieux, lui disant de faire ce qu'il voulait avec.

« Naegi-kun, pourrais-tu ouvrir mes chaînes ? »

Il obéit sans poser de question. Il ne pensait pas.

(Peut-être aurait-il mieux fait de le laisser ici)

« Merci », dit Komaeda. Il s'étira un peu, faisant craquer ses épaules.

Naegi fixa le sol. Même si le mécanisme était programmé pour s'arrêter, Komaeda avait vraiment menacé de les tuer tous les deux pour... pour quoi ? La peur grimpa à nouveau le long de son échine. Il ne comprenait pas. Quel était le but ? Pourquoi ? Pour qu'il – ils – puissent mourir en espérant le contraire ? C'était... c'était fou ! Komaeda était fou !

Un Komaeda parfaitement amical bondit en avant et lui attrapa les mains.

« Alors comment tu te sens, Naegi-kun ? Tu as dû ressentir tellement de désespoir quand nous nous sommes retrouvés sous ce bloc... mais rien n'est arrivé. Tu es vivant ! N'est-ce pas si exaltant ? Ça ne te donne pas envie de courir dire à tout le monde à quel point tu es heureux d'être en vie ? »

Il se souvint de respirer. Il leva la tête, regardant Komaeda droit dans les yeux. Est-ce que... Est-ce que ça avait vraiment été le but ? Komaeda avait-il vraiment voulu lui donner une leçon de vie ?

« … Tu comprends pourquoi je dois te punir, n'est-ce pas ? »

… Ou était-ce censé être autre chose ?

« Alors, est-ce que j'ai fait mes preuves ? demanda Komaeda, semblant sincèrement curieux. Tu comprends jusqu'à quel point je suis sérieux sur tout ça, maintenant ?

-Oui. Bien sûr, croassa Naegi.

-Fantastique ! » Komaeda joignit leurs mains. « Tu as compris maintenant. Je n'ai plus à m'inquiéter que nous nous comprenions mal. »

Komaeda lui serra soudainement les mains. Il se pencha en avant, de telle sorte que Naegi ne pouvait rien voir d'autre que son visage. Ses yeux étaient grand ouverts, mais il n'y avait aucune émotion à l'intérieur. Ce n'était pas les yeux d'un ami qu'il regardait. C'étaient les yeux d'une bête. La lueur que Naegi y vit menaçait de l'étouffer.

« Et je sais que tu ne m'accuseras jamais plus de quelque chose d'aussi horrible.

-… J... jamais.

-Bien... Naegi-kun, même si tu ne comprends pas ce qui s'est passé aujourd'hui, pourrais-tu te souvenir d'une chose ? »

Il attendit nerveusement la requête de Komaeda, mais elle ne vint pas. Les yeux du Chanceux étaient étroitement clos et ses lèvres serrées.

Puis ces yeux s'ouvrirent et ils tourbillonnaient.

« Tu as survécu », dit Komaeda.

Et le sang de Naegi se glaça quand il entendit ce que Komaeda voulait vraiment dire.

Je t'ai laissé vivre.

Komaeda leva la main et Naegi tressaillit, mais le garçon aux cheveux blancs se contenta de lui caresser la joue en souriant. C'était un mauvais sourire. C'était un sourire malsain. C'était le sourire indolent du chat faisant passer un oiseau blessé d'une patte à l'autre.

« Je suis vraiment content que tu m'aies dit ces choses, Naegi-kun », dit Komaeda. Sa main s'attarda sur sa peau. « Ça m'a aidé à réaliser à quel point je t'avais négligé. Tout ce temps, je me suis contenté de te laisser faire ce que tu voulais... Ce n'est pas étonnant que nous ayons fait si peu de progrès. Mais tu n'as plus besoin de t'en inquiéter. A partir de maintenant, je prends les choses en main. »

Ça sentait mauvais.

Ça sentait vraiment mauvais.

« Tu n'as pas besoin de faire ça, dit Naegi, désespéré. Tu as fait du très bon travail. Vraiment ! Je...

-Non, c'est faux ! »

Les mots familiers frappèrent Naegi et le firent taire. Il se sentit presque trahi, comme si cette phrase était censée lui appartenir à lui seul.

« Je n'ai vraiment pas fait du bon travail, continua Komaeda. J'ai eu toutes sortes d'idées et d'exercices que je ne me suis jamais donné la peine de mettre en application, mais ça va changer.

-Komaeda-kun, s'il te plaît... !

-Attends un peu, Naegi-kun. On va bien s'amuser ! »