Chapitre 24 : L'Héritier

« … Et il allait nous tuer tous les deux ! Et il s'en fichait ! Il en parlait juste comme si je lui avais demandé l'heure. Je l'ai vu. Il n'a pas bronché quand ce bloc était sur le point de nous écraser. Ça ne lui faisait rien. Il était prêt à mourir pour expliquer un truc sur l'espoir qui n'avait même pas de sens. Je ne suis pas sûr de le croire quand il dit que ça se serait arrêté automatiquement. Si Owari-san n'avait pas été là, je crois que je serais mort.

-Si c'est une question de chance que vous avez été sauvés, c'est pour cela que Komaeda ne s'inquiétait pas », dit Kamukura de sa voix monotone. Il se tenait devant une de ses bibliothèques, fixant les étagères sans regarder quoi que ce soit en particulier. « Plus que tout au monde, Komaeda fait confiance à sa chance. La possibilité qu'elle le trahisse ne lui aurait jamais traversé l'esprit. »

Naegi secoua la tête. « C'est dingue. La chance est aléatoire. On ne peut pas lui confier sa vie. »

Kamukura tourna à moitié la tête. « La chance de Komaeda n'est que partiellement aléatoire. Dans la plupart des cas, les méthodes qu'elle emploie sont imprévisibles. Cependant, l'issue elle-même peut souvent être prédite... Sa chance est assez fiable pour être exploitable. » Kamukura se retourna vers l'étagère. « Quand tu t'es enfui, sais-tu comment Komaeda avait prévu de t'attraper, à l'origine ?

-Non. » Naegi fit un pas vers le jeune homme, écoutant attentivement. C'était important.

« Komaeda avait placé un unique piège au hasard dans la ville.

-… C'est tout ?

-Oui. » Kamukura saisit un Rubik's cube auquel Naegi avait échoué plus tôt et le résolut en dix secondes. Il le reposa avec un soupir d'ennui. « Il ne fait aucun doute que tu l'aurais déclenché. Je suis presque déçu que ce ne soit pas arrivé. Je ne suis pas certain si ta bonne ou ta mauvaise fortune se serait activée en réponse. Cependant, l'alternative était suffisamment inattendue. »

Bien sûr. Kamukura n'en avait rien à faire de ses soucis. Naegi lui racontait tout ça pour l'unique raison que Kamukura était là et ne rapporterait rien aux autres. Cela lui causa soudainement de se demander où était Komaeda et ce qu'il préparait. Naegi n'avait honnêtement pas craint Komaeda depuis que le reste du Désespoir Ultime l'avait découvert, mais c'était en train de changer.

« Tu as raison. Les actions de Komaeda n'avaient rien à voir avec l'espoir, dit Kamukura. Tu l'as contrarié. »

Naegi grimaça. Se passant une main dans les cheveux, il répondit : « Je l'ai peut-être accusé de n'en avoir rien à faire de l'espoir.

-… Je ne comprends pas ton insistance à les provoquer, lâcha Kamukura.

-Je t'ai dit que je ne le faisais pas exprès ! protesta Naegi en faisant la moue, conscient qu'il ressemblait à un enfant pleurnichard.

-Et pourtant tu continues à le faire. »

Il avait l'impression d'être réprimandé par un parent. Cela ne fit que l'agacer davantage. Kamukura n'avait vraiment aucun droit de le critiquer quand le fait que Naegi soit prêt à riposter était sa seule protection contre Komaeda. Il tourna le dos au jeune homme (ce n'était pas comme si Kamukura le regardait, de toute façon...), s'offrant une belle vue sur la fenêtre et sur l'extérieur.

« J'avais réussi à sortir, murmura Naegi. J'étais dehors. J'étais libre. Tu avais raison. La chance m'a ramené directement à l'intérieur. Tout ce travail, et je n'ai fait que tourner en rond. La plupart d'entre eux n'ont même pas remarqué que je m'échappais. Ils pensaient que je m'enfuyais parce que j'essayais de semer les assassins de la Fondation du Futur. Ils... ils l'ont obligé à se tuer. Et Togami-kun... Togami-kun... pourquoi... »

Kamukura ne bougea pas quand Naegi se laissa aller contre la fenêtre et fondit en larmes. Sa peau s'accrocha à la vitre, le retenant pendant quelques secondes, avant qu'il ne glisse au sol. Il y resta à genoux, le front contre le mur. Derrière ses yeux clos, il vit Togami lors de leur première rencontre. Froid. En colère. Dégoûté. Il n'avait jamais pris au sérieux les insultes du garçon. Pas même les menaces de mort. Il avait pensé que Togami avait changé. Mais avait-il... avait-il mal jugé Togami depuis le début ?

Est-ce que...

Est-ce que Togami l'avait toujours détesté ?

Komaeda le trouva ainsi : recroquevillé sous la fenêtre, les traces de larmes récentes sur son visage. Naegi leva la tête. Komaeda lui retourna son regard. Son expression était curieuse, mais quand il s'aperçut qu'il avait l'attention de Naegi, il sourit. Naegi s'empressa de s'essuyer les yeux.

« Naegi-kun, allons-y. » Komaeda lui offrit sa main.

Naegi l'accepta.

« Où est-ce qu'on va ? » s'enquit Naegi après quelques minutes. Komaeda leur faisait prendre un trajet inconnu, sans dire grand-chose. Le garçon aux cheveux blancs avait les mains dans ses poches ; il semblait plongé dans ses pensées.

« J'ai réfléchi, Naegi-kun. Tu as beaucoup de choses qui te travaillent, non ? C'est difficile de se concentrer quand on a des choses à terminer.

-J'ai des choses à terminer ? » demanda Naegi.

Komaeda baissa légèrement la tête, mais ne lui offrit pas plus de réponse. Il s'arrêta devant une porte que Naegi ne connaissait pas et poussa Naegi dans cette direction.

« C'est là », dit-il.

Naegi ouvrit la porte. Il ne savait pas quel type de chose inachevée pouvait bien s'y trouver. Il ne savait toujours pas quel genre de travail...

Oh.

Oh. Il avait vu.

Il n'était pas prêt pour ça.

La porte se referma derrière lui. Naegi se retourna immédiatement et attrapa la poignée. La porte s'entrouvrit... puis se referma tout aussi vite quand Komaeda poussa de l'autre côté. Naegi tambourina la porte de ses poings, suppliant le jeune homme de le laisser sortir. Mais Komaeda ne bougea pas et Naegi l'imagina arc-bouté contre la porte.

« Pourrais-tu cesser ce tapage ? »

Naegi déglutit. Il n'avait pas besoin de la voir pour deviner la moue dédaigneuse et pompeuse de Togami. Il avait prévu de parler à l'héritier blond, mais pas tout de suite. Pas avant d'avoir eu le temps de rassembler ses pensées et de mettre de l'ordre dans ses émotions. Voir Togami maintenant, assis à un bureau avec un livre – comme s'ils étaient dans la bibliothèque de Hope's Peak – lui fendit le cœur. Il était partagé entre la résignation, le chagrin et la culpabilité (Qu'ai-je fait ? En quoi ai-je échoué ? Je suis désolé. Je n'ai jamais voulu faire du mal à quiconque !) et le mépris, la douleur et la colère (Comment oses-tu ? Les gens ont vraiment si peu d'importance pour toi ? Comment as-tu pu ? Comment oses-tu comment oses-tu comment oses-tu ?). Incapable de trancher entre ces émotions, il demeura figé sur place, les lèvres pincées, les poings tremblants, et la gorge brûlante.

« Merci, dit Togami. C'est Komaeda qui t'a envoyé ? »

Naegi hocha la tête, raide comme un piquet.

Togami soupira et posa son livre. « Je m'y attendais, quoique pas aussi tôt. Komaeda m'avait prévenu que je devais t'éclaircir les idées.

-Pourquoi ? parvint-il à articuler. Comment peux-tu les aider ? Pourquoi rejoindre le Désespoir Ultime ? »

Togami lui jeta un regard indifférent. « Pourquoi pas ? »

Hein ?

« Pourquoi ne les rejoindrais-je pas ? répéta Togami. La place d'un Togami a toujours été au sommet de la société. Même si la société est devenue cette… décharge répugnante, cette règle s'applique toujours. Pour quelle raison rejetterais-je une invitation de l'élite de ce nouveau monde ? Je n'ai que tout à y gagner, et presque rien à y perdre.

-Tu vas devenir un monstre, Togami-kun, murmura Naegi. Ce sont des monstres. Des meurtriers. »

Togami fit un son méprisant. « Oublies-tu à qui tu t'adresses ? Je suis Togami Byakuya, l'héritier de la Togami Corporation, autrefois la plus puissante compagnie au monde. Penses-tu que ma famille a atteint cette position en se montrant gentille ? Les ravages que ce Désespoir Ultime peut engendrer ne sont rien comparés à ce dont ma dynastie était capable – s'ils n'avaient pas choisi de gouverner dans l'ombre. Ça, Naegi, c'est de l'amateurisme.

-Ils les ont torturés ! cria Naegi en faisant un pas vers Togami parce que Togami ne savait pas. Ces gens de la Fondation du Futur, ils les ont torturés et tués. J'étais là. Ils m'ont fait asseoir et regarder.

-Bien. Peut-être qu'ainsi, tu comprendras. »

Naegi n'avait aucune réponse. Il n'existait aucune réponse à cette affirmation. Il demeura figé sous le choc alors que Togami se levait et s'approchait. Il se tenait comme un roi, le menton légèrement levé et les bras croisés sur sa poitrine.

« Il y a des conséquences quand on défie l'élite. Tu en as été témoin. Maintenant, essaies-tu vraiment de me convaincre que je devrais m'opposer à eux ? Que je devrais abandonner ce qui me revient de par ma naissance pour une cause futile et me soumettre au même destin macabre ? »

La voix de Naegi se cassa. « Ce n'est pas futile ! Si on travaille ensemble, on peut mettre un terme à tout ça ! On peut remettre les choses en ordre.

-Et qu'est-ce que c'est, « en ordre » ? » demanda Togami. Il ne fixait plus Naegi, mais un point sur le mur. « Tu parles comme si la guerre n'avait jamais existé avant. Tu parles comme si la guerre n'avait pas été continuelle dans le monde avant la Tragédie. La guerre a toujours existé. La faim existera toujours. Les génocides, l'esclavage, la torture... n'ont jamais disparu du monde. La seule différence entre cet ancien monde et celui-ci est une question d'échelle et les parties impliquées. Nous ne pouvions pas mettre un terme aux guerres quand la société était « en ordre ». Comment peux-tu imaginer les arrêter quand les piliers du monde se sont effondrés ? »

Naegi était au bord des larmes. Sa gorge le brûlait, jusqu'au fond de sa bouche.

« Nous n'avons pas pu arrêter Enoshima Junko, continua Togami. Si elle n'avait pas décidé de respecter les règles, penses-tu qu'on aurait pu l'empêcher de nous tuer ? J'espère que tu ne t'es pas mépris en pensant que nous l'avions vaincue. Elle a décidé de sa propre défaite. Si nous n'avons pas pu battre un membre du Désespoir Ultime, penses-tu que nous pouvons tous les battre ? Vaincre un pays entier de leurs partisans ?

-On l'a vaincue ! » dit Naegi. Ses jambes oscillaient, menaçant de céder. « Tu ne te souviens pas ? On a refusé de succomber au désespoir et on a choisi l'espoir...

-Et cela, reprit Togami d'une voix forte, est le cœur de tes illusions. Tu penses que choisir l'espoir te rend apparemment invincible. Que ça te rend important. Dis-moi, est-ce que l'espoir me protègera contre des balles ? Si j'espère assez fort, est-ce que je vais régénérer un bras manquant ? Non. Ton espoir est un concept. C'est un mot. Ton espoir ne peut pas me protéger. Il n'a aucun sens... ! »

La porte de la chambre Togami s'ouvrit soudainement.

« Togami-kun, ça suffit. » Komaeda entra à grands pas et étreignit Naegi par derrière, lui chuchotant à l'oreille. « Ne l'écoute pas, Naegi-kun. Bien sûr que ton espoir est important. Togami-kun n'a juste pas les idées claires. Il est jaloux de ne pas pouvoir avoir ton espoir pour lui. »

Togami eut un reniflement de mépris et commença à retourner vers son bureau. Naegi l'observa, le regard froid. Quelque chose brûlait au fond de son âme, enflant petit à petit.

« Tu as tort.

-… J'ai tort ? dit Togami d'une manière qui suggérait que ces deux mots n'avaient jamais été associés auparavant.

-Tu penses peut-être que c'est inutile de se battre, mais c'est faux ! » Il se débattit dans l'étreinte de Komaeda comme un chien tirant sur son collier. « Je vais le prouver. Si tu veux être lâche, alors t'as qu'à rester ici. Mais je vais trouver les autres et on va te prouver que tu as tort !

-… Lâche ? gronda Togami.

-Oui, bien dit, Naegi-kun ! Montre-lui à quel point ton espoir est fort ! Laisse couler ce qu'il dit. »

Le regard de Togami se posa sur Komaeda. « Est-ce que ça ne va pas à l'encontre de ta raison d'être ?

-Hé bien, un peu », admit le garçon aux cheveux blancs. Naegi sentit Komaeda s'affaler contre lui. « Mais comment pourrais-je refuser un espoir aussi extraordinaire ? C'est ce que je recherchais.

-Ne m'ignore pas ! » aboya Naegi en direction de Togami.

Togami sembla prendre une profonde inspiration. Naegi sentit qu'il avait toute l'attention de l'héritier et se prépara en conséquence.

« Continuer cette conversation ne m'intéresse pas, dit Togami.

-… C'est tout ?

-J'ai dit tout ce qui devait être dit. »

Naegi voulait toujours se battre, mais Komaeda tirait avec insistance sur ses vêtements, l'entraînant avec lui. Il laissa le Chanceux se placer entre eux de manière à ce que Naegi ne puisse plus regarder directement Togami. Par-dessus ses épaules, il pouvait en voir assez pour réaliser que Togami retournait à son bureau. Il allait sans doute reprendre son livre et prétendre que cette conversation n'avait jamais eu lieu.

« Je vais lui prouver qu'il a tort, marmonna Naegi alors qu'ils quittaient la chambre de Togami.

-Dès que ton espoir sera invincible, tu prouveras à tous qu'ils ont tort. »

Naegi n'avait rien dit, mais Komaeda devait avoir senti à quel point il se tendit à ces mots.

« Si Togami-kun ne veut pas m'aider, alors je vais juste devoir me débrouiller sans lui. Mes amis vont m'aider. Je le sais. »

Komaeda soupira. « Alors tu n'as toujours pas laissé tomber. Naegi-kun, je sais ce que tu essayais de faire quand la Fondation du Futur nous a attaqués. Je ne suis pas en colère, c'est juste... Ne serait-il pas plus facile de rediriger ton énergie pour améliorer ton espoir plutôt que vers... vers quelque chose qui n'arrivera pas ? »

Naegi ne sut que répondre. La réponse était évidente : il n'abandonnait pas. Mais dire ça à Komaeda ? Komaeda allait...

Komaeda soupira à nouveau. Il n'avait pas l'air en colère. Juste exaspéré. Comme s'il regardait un chien idiot essayer encore et encore de traverser une porte vitrée.

« Allez, dit-il. Je te ramène à ta chambre. »

Ce qu'il fit et Komaeda le laissa là, déclarant avoir quelque chose à faire. Naegi se convainquit qu'il n'était pas maladivement curieux et se résigna à se morfondre au milieu de la chambre. Sa conversation avec Togami se rejouait encore et encore dans sa tête, et soudain, il disposait d'une douzaine de contre-attaques pour chaque commentaire de l'Héritier. Il garda les meilleures et son esprit les aiguisa comme des couteaux.

« Tu as parlé à l'imposteur », dit Kamukura. Il était de nouveau allongé sur son lit.

Naegi renifla avec mépris. « Ouais. C'est un bonne façon de le désigner. Ce n'est plus le Togami-kun que je croyais connaître. Je me demande si tout ce que j'avais vu à cette époque n'était qu'une façade. Il était censé être cet héritier têtu et ambitieux qui réussissait tout ce qu'il avait décidé de faire. Il disait qu'il allait reconstruire sa dynastie à partir de zéro et gouverner à nouveau le monde. A la place, il a choisi la solution de la facilité et vous a rejoints. Il a menti. Il nous a trahis. Mais juste... pourquoi ? »

Sa colère disparaissait lentement, remplacée par quelque chose de plus profond et de plus douloureux.

« Kamukura-kun, les choses que le Désespoir Ultime fait, ça ne te dérange pas ? Je veux dire, tous les gens auxquels ils ont fait du mal... ça devrait te déranger.

-C'est impossible que leur douleur me trouble », répondit Kamukura d'un ton neutre.

Naegi grinça des dents. « Alors tu choisis de rester assis à ne rien faire.

-Tu te méprends. » Kamukura bougea un peu. C'était sans doute la chose la plus proche d'une émotion que Naegi allait voir aujourd'hui. « Il ne m'est pas possible d'être perturbé par leur douleur. »

Il ne comprenait pas. Naegi choisit pour cette fois de mettre de côté son mépris, préférant essayer de comprendre. « Qu'est-ce que tu veux dire ?

-J'ai été conçu pour être l'Espoir Ultime. Je ne suis pas né avec un talent que j'ai développé ensuite, tout comme toi. Les scientifiques qui m'ont créé voulaient une personne talentueuse avec le pouvoir d'emmagasiner et mettre en œuvre tous les talents connus au monde. Pour cela, ils ont enlevé tout ce qui, selon eux, pourraient dévier de ce but. Les émotions. L'empathie. L'amour. Tout ce qui n'était pas directement en rapport avec l'accumulation de talents a été excisé. Je ne ressens rien pour ces gens parce que je ne ressens ni sympathie, ni culpabilité. Ces circuits cérébraux n'existent plus. »

Naegi ne savait pas si Kamukura disait la vérité, mais il ne pouvait trouver de raison qu'il aurait de lui mentir. Et quand il se souvint du moment où il avait vu Kamukura dans l'album de promotion, à quel point il lui avait semblé vide, ce que ça signifiait l'emplit d'horreur.

« C... C'est... c'est horrible ! Tu es en train de me dire que tu ne ressens rien ?

-Je ressens de l'ennui. » Les épaules de Kamukura tressaillirent comme dans une tentative de hausser les épaules.

« Mais ce n'est pas possible ! Certes, tu n'es pas aussi expressif que moi ou même que Kirigiri-san, mais tu n'es pas une coquille vide. Il y a quelque chose de plus en toi. Je le sais. Je l'ai vu. »

Kamukura le regarda dans les yeux. « Kamukura Izuru ne ressentait aucune émotion.

-Mais, et ta famille, ou tes amis ? Ils devaient avoir vu quelque chose en toi, eux aussi.

-Ses parents ne s'en souciaient pas, dit Kamukura. Ils étaient tellement fous de joie d'avoir enfin un fils talentueux qu'ils ont ignoré qu'il n'était plus humain. Kamukura Izuru n'avait pas non plus d'ami. Son talent et son manque de personnalité faisaient peur à ses camarades et ils gardaient leurs distances. Komaeda Nagito a essayé, mais un serviteur n'est pas un ami. Kamukura Izuru était seul. »

C'était horrible d'y songer. Naegi ne pouvait imaginer n'avoir personne à ses côtés ou de vivre sans la chaleur d'une amitié. Alors qu'il regardait Kamukura fixer le plafond sans rien faire, il eut pitié du jeune homme talentueux. Avoir l'impression pendant si longtemps d'être seul au monde... Il voulait lui prouver le contraire. Il voulait prouver à Kamukura qu'il n'avait pas été – et qu'il n'était pas – seul.

Alors, il s'exécuta. Il aborda le sujet qui était d'ordinaire interdit.

« Et elle ? demanda-t-il doucement. Cette fille sur la photo ? »

Kamukura resta silencieux pendant un long moment.

« Elle a essayé, répondit-il doucement. Je le dis en toute honnêteté. Elle a essayé. Mais elle avait beau essayer de le cacher, ce n'était pas assez. Kamukura n'était pas celui qu'elle voulait. Il aurait valu qu'il n'ait jamais existé.

-Kamukura-kun, qu'est-ce que tu dis ! Pourquoi penses-tu ça ?

-Tu ne comprends pas, répliqua Kamukura sur ce même ton doux. C'est au-delà de tes capacités. Seul celui qui a subi le processus peut réellement comprendre ce que l'on perd en retour. »

Naegi le fixa, bouche bée. Kamukura ne présentait pas d'émotion. Kamukura avait parlé d'un air inexpressif. Mais ça ne faisait pas disparaître le sentiment que Kamukura avait tort. Il n'était pas un robot. Kamukura était vivant.

« Kamukura-kun... qui était-ce ?

-… Nanami Chiaki. Gameuse Ultime. »

Naegi hocha la tête, comme s'il pouvait se souvenir d'elle. « Elle était comment ? »

Kamukura changea de position. « Elle jouait à des jeux, la plupart du temps. Il fallait la surveiller quand elle marchait, parce qu'elle était trop occupée à jouer pour remarquer qu'elle était sur le point de percuter quelque chose... Elle pouvait se repérer assez facilement ; c'était les éléments en mouvement qui la surprenaient. A cause de ses jeux, elle pouvait prendre du temps pour réagir et la plupart des gens pensaient qu'elle était docile et passive. Elle était tout sauf ça. Elle était intelligente. Elle était courageuse. Quand elle voulait quelque chose, elle faisait tout pour l'obtenir et refusait d'abandonner. Peu lui importait ce qui se dressait sur sa route. Le danger ne signifiait rien pour elle, si ainsi elle pensait pouvoir aider un ami... »

Soudain, Kamukura s'interrompit. Naegi lui jeta un coup d'œil. Kamukura s'était assis, regardant fixement droit devant lui.

« … Je ne comprends pas. Comment ?

-Hein ? »

Le regard de Kamukura se posa sur lui.

« … Rien. »