Chapitre 26: Le Rebond

Il était pathétique.

C'était le genre de déclaration qui lui aurait valu une gifle d'Asahina, mais elle ne pouvait le voir à cet instant. Elle ne savait pas qu'il était pelotonné sur les genoux de son ravisseur. Elle ne pouvait voir les traînées brillantes des larmes qui dévalaient ses joues, ou qu'il avait enfoui son visage dans le cou de Komaeda (il ne savait pas vraiment quand il avait commencé à pleurer). Sans aucun doute, elle aurait émis une remarque sur le fait qu'il s'accrochait au Chanceux aîné en le serrant dans ses bras. Ou peut-être que son regard vitreux et l'alanguissement de son visage l'auraient arrêtée net. Peut-être aurait-elle opté, plutôt, pour approcher Kirigiri avec inquiétude.

Mais Kirigiri n'était pas là et Asahina non plus. Il n'y avait que Naegi et Komaeda dans cette pièce nue et exiguë. La porte était close et ils étaient coupés du monde. Le temps n'existait pas ici. La lumière ne faiblissait jamais. Même leurs ombres sur le mur demeuraient immobiles alors que Komaeda s'imprégnait de l'affection de son protégé et que Naegi ne faisait rien du tout.

Qu'il était pathétique.

«Naegi-kun, à quoi penses-tu?

-A rien», dit-il d'une voix atone. C'était déjà assez difficile de s'accrocher à Komaeda et de ne pas basculer. Avait-il vraiment le loisir de penser à quelque chose?

«Tu vas faire un autre Coma d'Espoir? demanda Komaeda. Je sais que je n'ai servi à rien la dernière fois, mais cette fois ce sera différent. Après tout, je vais assumer mes responsabilités maintenant!»

Naegi ne répondit pas.

Il était déjà quasiment dans la position adéquate, aussi Komaeda choisit de le porter sur son épaule. Il n'eut qu'à rehausser un peu Naegi et il se retrouva en travers de son épaule, toujours seulement à demi-réceptif.

«C'est sans doute le bon moment pour que tu t'allonges, reprit Komaeda. On va retourner dans ta chambre. Personne ne viendra nous déranger.»

Naegi ne répondit pas. Il tourna la tête jusqu'à ce que le sweat de Komaeda lui rentre dans l'œil.

Le couloir extérieur défila dans un flou grisé. Il ne savait plus depuis combien de temps durait leur marche ou là où ils se trouvaient. Dans ce silence lui revint sa toute dernière conversation avec Komaeda. Il était plus facile d'avoir des pensées lucides quand son kidnappeur n'était pas en train de le regarder de haut et de lui murmurer dans l'oreille. Komaeda avait tort. Il avait essayé de les arrêter. Il ne s'était pas contenté de rester assis à regarder.

Mais avait-il vraiment essayé d'aider? Il... il ne pouvait plus clairement se souvenir de ce qu'il avait ou n'avait pas fait. Et... et il aurait pu faire plus, non? S'il était vraiment l'Espoir Ultime, n'aurait-il pas dû être capable de les sauver? Bien sûr, c'était un bien gros «si» qu'il prenait en considération. Il ne s'était vraiment pas senti comme un Espoir ces derniers temps. Il n'avait certainement pas fait beaucoup pour mériter ce titre.

Il cessa de penser.

(Il était pathétique)

«Makoto?»

Komaeda s'arrêta au milieu d'un pas. Naegi put sentir le soupir qui traversa son corps puis le Chanceux se retourna pour saluer l'Infirmière.

«Makoto! Il va bien?

-Il va bien», dit Komaeda. Apparemment nerveux devant la manière dont Tsumiki chargea dans leur direction, il recula d'un pas. «C'est juste un Coma d'Espoir.»

Mais Tsumiki n'entendit qu'un seul mot.

« Un coma?! Ce n'est pas sain du tout!

«Non, non! Je crois que c'est juste un Coma d'Espoir. J'en ai aussi parfois. Comme après la mort de mes parents, ou quand l'avion s'est écrasé...

-Ce n'est pas sain pour toi non plus! répliqua Tsumiki. Il doit aller à l'infirmerie.

-Tsumiki-san, je sais que mon opinion n'a aucune valeur, mais il va vraiment bien...»

Mais même si le sujet de leur discussion n'avait pas été Naegi, il se trouvait que Tsumiki avait repéré un patient et rien ne l'arrêterait.

«Il a besoin de soins. Oh, il mangeait si peu ces derniers temps... c'est ma faute. J'aurais dû faire quelque chose avant.

-… Si tu insistes, je suppose que je ne peux pas dire non.»

Alors qu'ils se détournaient du chemin de la chambre de Naegi pour prendre la direction de l'infirmerie, Naegi se demanda s'il devait dire quelque chose...

Mais il réalisa qu'il ne se souciait plus de ce qu'ils lui faisaient.

Tsumiki entra comme une flèche dans le centre médical avant Komaeda et tira les couvertures d'un des lits vides avec tant de force qu'elle manqua les envoyer au sol. Très vite, Naegi se retrouva dans un lit doux, bordé par d'épaisses couvertures, avec la main de Tsumiki sur son front. L'Infirmière se mordait la lèvre. Naegi s'attendait à moitié à ce qu'elle commence à trembler comme un chihuahua.

«Il n'a pas de fièvre. Komaeda-kun, tu peux amener le chariot?»

Pour la première fois depuis qu'ils avaient quitté cette pièce vide, Naegi ressentit quelque chose: de la peur. La dernière fois qu'il avait vu ce chariot, cela avait été dans cette émission terrifiante. Alors que Komaeda le poussait vers eux, ses yeux cherchèrent désespérément des seringues. Et il y avait des seringues, méticuleusement empilées dans une boîte sur l'étagère centrale...

Mais Tsumiki se contenta d'attraper le stéthoscope et de presser sa surface de métal froid contre sa poitrine. Elle le maintint contre son cœur, le déplaça à deux ou trois autres endroits, et le troqua contre un brassard pour tensiomètre. Elle mesura la pression artérielle, examina ses yeux et même l'intérieur de sa bouche, puis toucha son visage avec quelque chose qui ressemblait à de l'inquiétude. Naegi ne réagit pas beaucoup pendant ce temps, obéissant uniquement à ce qu'on lui disait de faire.

«Il a l'air en bonne santé, mais hm, il montre des signes évidents de déshydratation. Komaeda-kun, est-ce que tu as surveillé son poids comme j'avais demandé?»

Komaeda hésita.

«Ce n'est pas grave.» Tsumiki sembla se ratatiner sur elle-même. «C'est ma faute. Je n'aurais pas dû essayer de profiter de toi et te faire faire mon travail.

-Non, ne dis pas ça, dit Komaeda. C'est ma faute. J'étais censé m'occuper de lui. J'aurais dû me douter qu'on ne pouvait pas me faire confiance pour m'occuper seul d'une tâche si importante.

-Non, ce n'est pas ta faute. C'était mon patient et j'étais censée prendre soin de lui...

-Arrêtez, s'il vous plaît, vous deux.» Naegi serra la mâchoire. Il détestait les entendre parler ainsi, détestait que ça le fasse se sentir coupable, que ça le fasse avoir pitié d'eux.

Ils cessèrent aussitôt de s'auto-blâmer pour être aux petits soins avec lui. Komaeda arborait un large sourire, lui tenant la main comme si Naegi venait de se réveiller d'un vrai coma. Tsumiki émettait des sons réconfortants et lui disait de ne pas se surmener. Cela dit, la légère réaction de Naegi semblait lui avoir donné un nouveau souffle. Elle ordonna à Komaeda de l'emmener à la balance pendant qu'elle allait chercher son dossier médical. Komaeda s'exécuta, tenant Naegi par le bras pour le soutenir. Il le guida, pas apathique après pas apathique, puis l'aida à grimper sur la balance.

Tsumiki revint, jeta un coup d'œil à la balance, puis son regard se riva immédiatement sur son dossier. Son froncement prononcé de sourcils vacilla sur les bords comme si elle était sur le point de fondre en larmes.

«Makoto, tu n'as pas commencé un régime, n'est-ce pas?»

Makoto secoua la tête. Il avait presque envie de rire.

«Dans ce cas, avec le poids qu'il a perdu... Oh, je savais que ça allait arriver!

-Il ne mange pas assez?» s'enquit Komaeda.

Tsumiki secoua la tête. Elle serrait le porte-bloc au point que ses articulations blêmissaient.

«Ok, alors on fait quoi?» demanda Komaeda.

Tsumiki sembla un peu surprise qu'il s'en remette à elle, mais elle se reprit vite.

«Ramenons-le dans le lit. Je veux le mettre sous perfusion.»

Apparemment, tous deux pensaient que ce petit trajet était trop pour lui. Komaeda le porta jusqu'à son lit, l'y déposant avec une douceur exagérée comme s'il était une figurine de verre qui portait déjà quelques fissures. Naegi ne quitta pas Tsumiki des yeux, réagissant à peine même quand elle lui perça le bras avec l'aiguille intraveineuse. Il baissa le regard sur cette dernière. Tout au plus, il se sentait désorienté.

«Il devrait passer la nuit ici», dit Tsumiki.

Komaeda eut un petit rire et ébouriffa les cheveux de Naegi. «Je suppose que je devrais ramener un lit, alors.»

Mais quand Komaeda se leva pour joindre le geste à la parole, Tsumiki en fit autant. Elle tendit un bras dans sa direction, comme si elle voulait l'attraper.

«Hum, Komaeda-kun, je ne pense pas que tu devrais rester là. Pas avec ton système immunitaire...»

Komaeda s'agita un peu, son sourire n'atteignant pas vraiment ses yeux. «Il est dans une situation très fragile, Tsumiki-san. Je détesterais de le laisser seul à un tel moment.

-Je serai là, fit Tsumiki. Je vais rester avec lui cette nuit. Ça n... ne me dérange pas.»

Naegi lui jeta un coup d'œil, examinant les deux options dont il disposait et... bah la décision était assez facile à prendre.

«C'est bon, Komaeda-kun, croassa-t-il. C'est l'Infirmière Ultime. Tout ira bien pour moi. Et euh, je ne sais pas ce qui se passe avec ton système immunitaire, mais je ne veux pas que tu tombes malade.»

Les yeux de Komaeda paraissaient sortir de leur orbite comme quand ses désirs entraient en conflit avec ses instincts d'obéir aux Ultimes. Il se balançait d'avant en arrière sur ses talons, presque comme le stéréotype d'un fou dans un asile.

«Ah, bon, si vous insistez. Je ne voudrais pas vous décevoir.» Komaeda se tenait près de Naegi. Contrairement à d'habitude, Komaeda ne fit pas mine de le toucher et ne dispensa pas ses adieux exubérants. Il se contenta de se tenir là et lança un regard dur à Naegi...

Et une décharge électrique lui traversa les nerfs alors qu'il sortait soudainement de sa léthargie. Est-ce que... est-ce que Komaeda était à nouveau en colère contre lui? S'était-il attendu à ce que Naegi le soutienne? Qu'allait-il se passer maintenant qu'il n'en avait rien fait? Il doutait que Komaeda le jette dans une exécution pour ça. Ça n'aurait pas beaucoup de sens – quoique la dernière fois, ce n'était pas le cas non plus. Mais, et si plus tard, Komaeda ne le soutenait pas quand il en aurait besoin afin de lui donner une leçon? Le Désespoir Ultime était fou et même si Komaeda l'était aussi, au moins de temps en temps il était prêt à intervenir...

«Komaeda-kun?» Le regard de Tsumiki passait de l'un à l'autre, perplexe.

Komaeda cligna des yeux pour la première fois depuis un moment. «Je passerai plus tard, Naegi-kun.»

Un grand poids s'envola de sa poitrine dès que Komaeda franchit la porte. Il inspira profondément, savourant l'air frais. Tsumiki s'était assise près de son oreiller, fronçant toujours les sourcils. Elle entrelaçait les doigts et ne le regarda pas directement quand elle prit la parole, mais fixa un point juste au-dessus de sa tête.

«Makoto, qu... quelque chose ne va pas? Tu es devenu horriblement pâle il y a une minute.

-C'est rien, répondit Naegi. Ne t'inquiète pas.»

Naegi avait parlé doucement, se sentant trop fatigué pour parler plus fort, mais Tsumiki ferma tout de même les yeux comme s'il lui avait crié dessus. Elle tendit le bras et arrangea son oreiller, une action que Naegi ne put s'empêcher de voir comme une excuse non méritée. Puis, elle reprit le porte-bloc avec son dossier médical et commença à le questionner sur ses habitudes alimentaires. Il se soumit à l'interrogatoire, pas exactement sûr de ce qu'elle cherchait. Mais quoi que ce soit, il ne parut pas le lui donner car chacune de ses réponses semblait l'amener de plus en plus au bord des larmes.

«Je suis désolée!» s'écria-t-elle brusquement avec un cri perçant.

Il ne comprit pas cela non plus.

«Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-il.

-C'est... c'est juste...» Elle avait tiré un coin de couverture à son menton et paraissait sur le point de le déchirer entre ses dents. «C'est ma responsabilité de prendre soin de tout le monde ici et j'ai fait du très mauvais travail. Je suis tellement horrible. Je suis désolée!

-Mikan, tu n'es pas horrible, dit-il d'une voix atone mais ferme. C'est pas comme si j'avais passé mon temps à dire à tout le monde que je ne mangeais pas. Ce n'est pas si grave.

-Pourquoi tu ne t'alimentais pas?»

Elle le fixait avec de grands yeux peinés et il lui fut impossible de ne pas répondre.

«Je ne le fais pas exprès. C'est juste que je n'ai plus d'appétit.

-Je vois.»

Il se demanda si c'était vraiment le cas, si elle avait fait la connexion entre la manière dont ils le traitaient et son manque d'appétit.

«Si je demande à un Monokuma de t'apporter quelque chose maintenant, est-ce que... est-ce que tu mangeras? proposa-t-elle avant de faire soudainement marche arrière. Pardon. Je ne veux pas te forcer à faire quelque chose que tu ne veux pas faire...

-C'est bon, répliqua Naegi. Tu as raison. Je n'ai vraiment pas mangé assez ces derniers temps.»

Il se força à lui sourire et elle en esquissa un en retour.

Il redevint grave.

Que se passait-il? Pourquoi se comportait-elle brusquement comme si... comme si elle n'était pas une Désespérée? Ce n'était pas la Tsumiki qui l'avait surpris endormi dans la chambre de Komaeda, ni la Tsumiki qui avait pansé ses blessures par la suite. C'était la Tsumiki qu'il avait vue dans l'album photo: cette fille réservée et tremblante qui restait à l'écart comme une plante verte. Cette Tsumiki avec qui il était en train de parler, ce devait être ainsi qu'elle était avant de sombrer dans le désespoir. Pourquoi voyait-il cela maintenant?

«Ok, je v... vais appeler un Monokuma. Essaie de manger autant que tu peux. Tu as besoin de bien t'alimenter et ...» Puis, alors qu'il commençait à se détendre, Tsumiki commença à glousser. «… et un garçon en pleine croissance a besoin de beaucoup de nutriments. Sinon, comment pourras-tu devenir grand et fort?»

Elle s'attarda sur ce dernier mot, ses doigts descendant en traînant le long de son visage alors qu'elle se penchait bien trop près de lui. Et Naegi... Naegi comprit. Il se força à ne pas détourner le regard, mais à la place laissa la salive s'accumuler dans sa bouche et prit une profonde inspiration...

Comme il s'y attendait, une partie du liquide passa par le mauvais trou. Tsumiki se recula quand il se mit à tousser ; son expression mielleuse à en donner la nausée avait été remplacée par un air choqué et nerveux. Elle tendit la main vers le chariot, marmonnant dans sa barbe qu'elle devait être passée à côté de quelque chose tout en commençant à écouter ses poumons. Naegi savait qu'elle ne trouverait rien, mais ce n'était pas le plus important. Il comprenait à présent. Son titre avait été l'Infirmière Ultime. Pendant des années, cela avait été ce qui la définissait. Pour Tsumiki, ce devoir avait constitué la vraie elle. Si bien que quand elle était là avec lui – souhaitant sincèrement prendre soin d'un patient au lieu de lui faire du mal, et sans être en train de penser qu'elle voulait l'élever – elle était de nouveau elle-même.

«Je suis désolé de t'avoir fait peur, Mikan, dit-il. Ce n'est rien de grave. Je me suis juste étranglé avec ma salive.»

Tsumiki arracha immédiatement sa main de sa poitrine. «Je n... ne sous-entendais pas que tu m'avais dupée. Je suis désolée, je suis désolée!»

Pourquoi toutes ces situations finissaient toujours par dérailler! «Non, je ne pensais pas ça …!

-Tu avais l'air surpris, murmura-t-elle. T... tu ne pensais sans doute pas que j'étais si faible. Je ne t'en blâme pas. Je ne... Je ne suis pas comme … elle. Pas du tout comme ma bien-aimée.

-Mikan...»

Mais elle était déjà ailleurs. Elle enroula ses bras autour d'elle, oscillant doucement de gauche à droite.

«Ma bien-aimée était une reine. Elle était une déesse. Mais le savais-tu, Makoto?»

Elle s'affala soudainement sur le lit près de lui, lui faisant face. Si Makoto s'était retourné, elle se serait probablement blottie contre lui.

«Même si elle était tellement incroyable, elle disait qu'elle avait quand même besoin de moi. Je lui étais utile. C'est pour ça qu'elle m'aimait. Elle m'avait remarquée, Makoto! Répandre le désespoir m'avait rendue utile. Elle me disait qu'on mettait en place un nouvel ordre mondial et que tout le monde en avait besoin. Ça me rendait utile à tout le monde. Elle disait... elle disait qu'il y aurait beaucoup de patients après et qu'ils auraient tous besoin de moi!»

Certains de ses neurones ne cessaient d'envoyer des signaux, le suppliant de faire une connexion. Naegi cligna des yeux, seulement un peu perturbé par ses gloussements et la manière dont elle lui passait les doigts dans les cheveux tout en lui effleurant le front de ses lèvres. Il pouvait voir des spirales de désespoir au plus profond de ses yeux, totalement en contraste avec son large sourire de chat de Cheshire.

Il ouvrit la bouche et sa réponse sortit toute seule.

«Bien sûr qu'elle avait besoin de toi, Mikan. Tout le monde a besoin de toi. J'ai besoin de toi, moi aussi.»

Ces mots lui parurent sales à prononcer. Il détestait ce qu'ils insinuaient. Cela dit, il ne pouvait nier qu'ils faisaient effet. Tsumiki n'avait pas bougé depuis qu'il avait parlé. Ses pupilles restaient dilatées, démentes. Il décida d'attendre.

«Tu... as besoin de moi?» demanda-t-elle.

Pourquoi était-ce si surprenant? Tsumiki n'avait-elle pas tout simplement fait irruption dans sa vie en se déclarant sa nouvelle mère? Avec toutes ces aberrations qu'ils déblatéraient comme quoi il était un enfant, n'avait-il pas été évident que cette conclusion serait l'étape suivante (même si ce n'était pas vrai ?). Pourtant, Tsumiki en restait bouche bée sous le choc et les doigts dans ses cheveux tremblaient. Pour une raison quelconque, cette conclusion n'avait pas été une évidence pour elle.

Il inclina la tête et choisit de suivre son instinct.

«Mikan...» Il retira précautionneusement la main de ses cheveux et la repoussa contre sa poitrine. «Tu n'as pas besoin d'essayer d'être ma mère pour te rapprocher de moi.»

L'enchantement se brisa. Tsumiki s'écarta brusquement de lui et bondit sur ses pieds. Sa peau était terreuse, ses lèvres minces et tremblantes.

«Ce n'était pas... non... c... c'est pour ma bien-aimée. Je dois l'aider. Je dois lui être utile. Sinon, elle n... ne... elle ne... elle n'aura plus besoin de moi...»

Mais ce n'était pas vraiment ce que tu voulais. Tu voulais qu'elle t'aime. Tu voulais qu'elle s'intéresse à toi.

«J'ai encore besoin de toi, reprit-il. Si j'ai besoin de toi, alors ça veut dire qu'Enoshima-san aussi, non? Donc, tu n'as plus besoin de t'inquiéter pour ça.»

Tsumiki oscillait un peu. Sa main finit par rencontrer le chariot et elle commença à enrouler ses doigts autour d'une des seringues. Elle marmonna, si bas qu'elle fut presque inaudible:

«Peut-être que je devrais te paralyser. Comme ça tu auras toujours besoin de moi.»

Cela l'effraya bien moins que cela aurait dû. A peine, en fait.

«Tu n'as pas besoin de faire ça, dit Naegi. Je veux dire, j'ai une malchance terrible de toute façon. Je passe mon temps à trébucher ou tomber ou percuter des choses. Alors ce serait vraiment bien de connaître quelqu'un qui puisse me dire quoi faire quand ça arrive. Si nous avions été camarades de classe, je t'aurais probablement appelée chaque semaine.

-Chaque semaine? répéta-t-elle.

-Bien sûr. Même si je n'étais pas blessé, je t'aurais appelée pour qu'on passe du temps ensemble. J'essaie de passer le maximum de mon temps libre avec mes amis, de toute façon.» Il sourit. Ce qu'il disait à présent lui était bien plus agréable que toutes ces histoires de dépendance.

Tsumiki l'observait avec extase, absorbant ses mots comme un enfant recevant des félicitations.

«Mikan, ce que j'essaie de dire c'est que tu n'as pas à t'inquiéter de savoir si tu m'es utile ou non. Enfin, je demanderai probablement de l'aide de temps en temps, mais je ne me vexerai pas si tu dis non. Je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas là pour utiliser qui que ce soit. Tu n'as pas besoin d'avoir peur que je t'abandonne.»

Elle le fixa.

Ses épaules furent agitées de tremblements.

Elle commença à rire.

«Héhéhéhéhéhé...»

Elle riait toujours quand elle tomba à genoux. Elle riait toujours quand elle s'effondra sur son flanc en se tenant les bras. Elle riait et riait même quand on aurait dit qu'elle se tordait de douleur.

«Tu... tu... ça fait mal!» Ses yeux s'ouvrirent brusquement. Ils étaient d'un rouge vif, et ces tourbillons qu'il avait vus auparavant étaient apparus à la surface et les occupaient entièrement. «Pourquoi est-ce que ça...? Enoshima-san a besoin de moi. J'ai besoin d'elle! J'ai besoin de ma bien-aimée!»

Que devait-il faire maintenant?! Tsumiki avait une sorte de crise de panique et de désespoir sur le sol devant lui, et il n'avait aucune idée du pourquoi. Elle riait et riait, griffait le sol, et qu'était-il censé faire...?

«Mikan, je... j'ai besoin de toi là tout de suite!»

Les spasmes stoppèrent. Ses yeux étaient dépourvus de pupille quand elle le fixa, uniquement envahis par ces tourbillons.

«Je... En fait j'ai un peu faim maintenant, prétendit-il avec un sourire faible. Tu pourrais appeler le Monokuma?»

Tsumiki ne répondit pas, mais elle rampa à travers le sol jusqu'au chariot médical et dit quelques mots dans un talkie-walkie. Elle s'assit ensuite à même le sol, le regard distant, tremblant comme si elle allait retomber dans une autre crise...

«Euh, Mikan? Je suis vraiment désolé, mais je suis assez fatigué maintenant. Sans doute parce que je ne mangeais pas assez.» Il força un rire sonore pour masquer ses mensonges. «Quand la nourriture arrivera, est-ce que tu...?»

Souviens-toi juste de pourquoi tu fais ça. Focalise-toi sur ça.

Il ravala sa fierté.

«… Quand la nourriture arrivera, pourrais-tu me donner la béquée?»

Tsumiki cligna des yeux.

«O... ok.»

Elle rampa jusqu'à son lit et grimpa dessus pour s'asseoir près de son oreiller. Le temps que le Monokuma arrive, elle ne détourna pas une seule fois de lui ses yeux tourbillonnants. Ils lui réchauffaient la peau comme des projecteurs, mais il se força à les ignorer.

Quand la nourriture arriva enfin, son intensité était honnêtement un peu intimidante. Elle enfonçait pratiquement la cuillère dans sa gorge et ses yeux perçants surveillaient chaque mouvement de ses muscles. Mais le temps passa, Naegi mâcha et avala docilement et elle se calma. Les tourbillons de désespoir disparurent, et même la luminosité de ses yeux rouges avait décru. Il pouvait dire à son fredonnement, son sourire attendri et la manière dont elle lui peignait parfois les cheveux qu'elle était revenue à sa personnalité maternelle et désespérée, mais c'était mieux que ce qu'il venait de voir.

«Tu n'es pas une mauvaise personne, Mikan, chuchota-t-il.

-Hein?»

C'est vrai. Quelque part au plus profond de toi, enfouie sous tout le désespoir dont t'a emplie Enoshima, l'ancienne toi est toujours là. Je veux la revoir. Je veux...

Je veux...

Ils étaient toujours là. La vraie classe 77 était toujours là. Il y croyait.

Je veux t'aider.

Il devait y croire.

Je veux tous vous aider.

(parce que sinon, il finirait comme eux)