Chapitre 29: Le Corps
Le corps d'Enoshima était en meilleur état qu'il n'aurait dû l'être. La dernière fois que Naegi l'avait vue, un bloc géant s'écrasait sur sa tête et la réduisait en miettes. Il n'aurait dû rester d'elle qu'une crêpe, ou une tache sur le sol. Mais dans l'ensemble, ce cadavre était intact. Il portait des blessures çà et là, des trous béants qui donnaient l'impression qu'on y avait plongé et remué un couteau dentelé, mais elle était toujours reconnaissable. Si Naegi n'avait pas vu le corps d'Ikusaba exploser, il aurait pu croire qu'il avait sous les yeux la jumelle d'Enoshima.
Ce qui le frappa cependant fut l'absence de décomposition. (Peut-être que son désespoir était si inhumain que même les bactéries la rejetaient). Il ignorait combien de temps il avait fallu au Désespoir Ultime pour la retrouver, ou pour monter ce congélateur portable, mais il ne s'était pas attendu à ce qu'elle ait l'air... à ce qu'elle ait l'air d'être morte la veille. Même le givre accroché à ses vêtements et à ses cheveux et la teinte grisâtre de sa peau ne pouvaient apaiser l'appréhension de la voir soudainement reprendre vie et lui bondir dessus.
«Je ne comprends pas, murmura-t-il. Elle... je l'ai vue...
-C'était un leurre, dit Soda. La guillotine ne l'a pas tuée. Juste avant qu'elle s'abaisse, une trappe s'est ouverte sous ses pieds pour qu'elle ne soit pas écrasée. Elle est morte quand les lances l'ont empalée là-dessous.
-Mais pourquoi? insista-t-il. Si elle allait mourir de toute manière, pourquoi se donner cette peine?
-Pour nous donner un corps», répondit doucement Komaeda. Il fixait intensément le corps d'Enoshima. Quelle était cette émotion que Naegi voyait dans ses yeux?
Il répéta: «Pourquoi?»
Près de lui, Tsumiki renifla bruyamment. «Pour les funérailles.»
Les funérailles? Il ne lui avait jamais traversé l'esprit qu'Enoshima en bénéficierait. Il supposait qu'elle en aurait voulues – une pièce remplie de gens pleurant sur son corps ne pourrait que l'exciter. Il lui sembla aussi qu'il ne pouvait ni protester ni le lui dénier. Enoshima avait été vivante. Tout le monde méritait des funérailles, non?
Il hocha la tête. «D'accord.»
Il n'avait pas parlé avec beaucoup d'émotion, parce que ses émotions n'étaient pas certaines de savoir comment réagir face à ce corps. Cependant, Tsumiki prit son mutisme pour du chagrin et gémit bruyamment en l'enlaçant de côté.
«Oh, chéri, je sais que c'est dur. L'un des désespoirs les plus profonds vient toujours de la mort de sa mère.»
Il inspira profondément et se tourna légèrement vers elle, dissimulant ses yeux secs. Il était prêt à retourner dans sa chambre maintenant. Ou à l'infirmerie. N'importe où ailleurs.
Kuzuryu lança soudainement: «Bon, vous avez enfin ramené son corps, c'est pas trop tôt. Vous étiez pas censées être là depuis une semaine?
-Ibuki a essayé», dit Mioda en traînant des pieds. A l'opposé de son attitude enjouée que Naegi avait vue précédemment, cette Mioda était dépourvue d'expression et parlait presque d'un ton monotone. «Hiyoko-chan et elle ont eu un mal fou à suivre les instructions des plans.
-C'est la faute de Soda! s'écria Saionji. S'il n'écrivait pas comme un aveugle, on aurait pu le construire bien plus vite. Vous auriez dû envoyer ce singe graisseux à notre place!
-Argh!» Soda chancela, se couvrant la tête de ses bras comme si les mots de Saionji étaient de véritables poignards. «C'est pas ma faute! Je vous ai dit que je travaillais sur le projet Big Bang. Je n'avais pas le temps!
-Je parie que cette chose n'existe même pas. Tu l'as probablement inventée pour que...
-Ça suffit.» A la surprise de Naegi, ces mots venaient de Tsumiki. Personne d'autre ne sourcilla. Encore plus étrange, Saionji s'interrompit net. Naegi ne la connaissait pas très bien, mais d'après la première impression qu'il avait eue d'elle, il ne s'était pas attendu à ce que ça fonctionne.
«C'était très méchant de ta part, dit Tsumiki. Et je...»
Elle baissa soudain le regard vers lui et son visage s'adoucit.
«… Je vais te p... pardonner parce que Makoto n'a pas besoin de voir ça.»
La mâchoire de Saionji se crispa. Avec un sourire tordu, pas le moins du monde sincère, elle répliqua:
«Merci, Tsumiki-san. Tu es vraiment la personne la plus gentille que je connaisse. J'apprécie ta générosité.»
C'était un bon sentiment. Malgré ce sourire, il ne semblait pas y avoir de moquerie derrière ces paroles.
… Alors pourquoi les yeux de Saionji tourbillonnaient-ils de désespoir?
«On ne devrait pas se disputer ici, dit Nidai. Pas alors que son corps gît devant nous.»
Ça aussi, c'était un bon sentiment...
«Non, nous devons tous montrer notre désespoir. Allez, tout le monde, COMMENCEZ A PLEURER!»
… Bon, c'était l'intention qui comptait.
Les encouragements de Nidai furent tout ce dont ils eurent besoin. Tsumiki et Owari éclatèrent en sanglots et tombèrent à genoux devant le cercueil d'Enoshima. Plus loin dans l'allée, Soda et Saionji commencèrent eux aussi à geindre. (Pendant ce temps, Nidai continuait en arrière-plan des encouragements constants à base de «Pleurez! Pleurez!»). Ibuki ne bougeait pas ; on l'aurait crue plongée dans une sorte de transe. L'Imposteur s'était détourné, les épaules tremblant très légèrement. Hanamura n'avait pas encore entrepris de se lamenter, mais il se tenait là à les observer, de manière bizarrement guindée. Kuzuryu avait le visage de pierre, mais quand il s'avança jusqu'au cercueil, il plaça sa main sur le verre directement au-dessus du visage d'Enoshima et inclina la tête. Pekoyama restait derrière lui. Son visage était froid, et contrairement à son maître, Naegi savait que c'était exactement ce qu'elle ressentait.
Près de lui, Komaeda émit un son semblable à du dédain.
«Le Désespoir Ultime», dit-il. Il passa sa main le long du bord du cercueil. «Un véritable trou noir... elle était vraiment remarquable, n'est-ce pas?
-Elle était... différente, admit Naegi. Je ne la comprenais pas. Je ne la comprends toujours pas.
-Dieu merci», dit Komaeda. Il baissa soudainement la tête et lui murmura à l'oreille: «Naegi-kun, tu dois commencer à faire semblant maintenant.»
Naegi déglutit et regarda autour de lui. A part lui, Pekoyama et Komaeda, tous les autres étaient ostensiblement en deuil. Oui, il devait prendre garde à ne pas attirer l'attention. Le problème, cependant, c'était que... qu'il ne pouvait pas faire semblant. La mort d'Enoshima l'attristait, mais elle ne lui faisait pas verser des larmes. Il ne possédait tout simplement pas le chagrin demandé pour imiter les autres.
Mais ce serait une mauvaise chose de se faire remarquer. Alors, il se blottit contre Tsumiki, se fit tout petit et se recroquevilla, comme un enfant apeuré ne sachant quoi faire. Elle réagit exactement comme il s'y attendait: elle l'attrapa et le laissa se blottir contre son épaule, sa main décrivant des cercles réconfortants dans son dos. C'était tout ce dont il était capable, alors ça devrait faire l'affaire.
«Oh, Makoto!» Elle était à moitié en train de sangloter, à moitié en train de murmurer. Il ne fut pas surpris de voir le désespoir dans ses yeux. «Tu la connaissais à peine. Tu as passé si peu de temps avec elle. Tu ne l'as même jamais touchée.
-Je sais», dit-il. Il ne mentionna pas qu'il s'en félicitait.
A nouveau, Tsumiki se méprit sur sa réponse et la prit pour du chagrin. «Elle t'aimait, Makoto. Tu étais un si bon garçon. Tu lui as apporté le désespoir que personne d'autre – même pas moi – ne pouvait lui apporter. Tu étais l'enfant parfait. Je suis sûre qu'elle te regarde en ce moment.»
Il se tendit. Il faillit – faillit – lever la tête pour s'assurer que le fantôme d'Enoshima n'était vraiment pas en train de planer au-dessus de sa tête.
Tsumiki enfouit son visage dans ses cheveux. «Je sais que je ne peux pas la remplacer. Je ne serai jamais comme ma bien-aimée. Mais je... je vais essayer de faire de mon mieux, d'accord! Je te le promets!»
Naegi ne lui accordait qu'une attention limitée. Il n'était pas du tout occupé à chercher du regard l'esprit d'Enoshima, bien entendu. Ainsi répondit-il machinalement: «Tu n'as pas besoin de faire ça, Mikan. Sois juste toi-même. C'est tout ce que je veux.»
Tsumiki eut le souffle coupé. Son expression commença à se changer en confusion et – oh non. Non, non, non. Pas maintenant. Pas ici devant tout le monde. Il ne voulait pas que tout le Désespoir Ultime se rende compte de ce qu'il essayait de faire avec elle.
Heureusement, Tsumiki était facile à distraire. Naegi se pressa davantage contre elle et geignit. Immédiatement, elle fut de nouveau en mode 100% désespoir, s'écroulant contre lui pour que ses bras enceignent sa silhouette menue et que son corps semble le protéger du monde. Elle était chaude. C'était agréable dans le large espace frais de la chapelle.
Puis, il y eut une main sur son épaule. Elle était beaucoup, beaucoup trop grande pour appartenir à Tsumiki.
«C'est ça. Laisse-toi aller, dit le Coach Ultime. Pas la peine d'être embarrassé. Regarde-moi! Mon visage est couvert de larmes viriles. Hahahahahaha, ça ne s'arrête pas!»
Il n'avait pas tort, le Coach riait de bon cœur comme s'il buvait une bière avec ses amis, même si ses yeux brillaient de larmes.
«Ouais, renchérit Owari en s'essuyant les yeux. Tu dois l'accepter. Accepte le désespoir qu'elle nous a laissé.
-Attentionnée jusqu'au bout, soupira Hanamura. Quelle femme incroyable.
-Il n'y aura plus jamais quelqu'un comme elle», ajouta Mioda.
Naegi pensa: J'espère que non.
Il demeura là, pelotonné contre Tsumiki. Ça lui paraissait l'option la plus sûre. Malgré sa proximité avec lui, elle était trop occupée – ou se faisait trop d'illusions sur lui – pour remarquer que Naegi maintenait le même regard à moitié vide. Personne d'autre ne remarqua quoi que ce soit d'étrange.
Le temps passa, et il réussit le test. Le Désespoir Ultime finit par se calmer et les spirales de désespoir par décliner. Kuzuryu et Pekoyama furent les premiers à quitter les lieux, le Yakuza avec son fedora rabaissé sur le visage ce qui lui donnait un air effroyablement féroce. Tsumiki, pensait-il, ne devrait pas être la seconde à partir (et reviendrait sans doute), mais apparemment le besoin de l'éloigner un peu du corps de sa «mère» l'emporta sur son besoin de se recueillir. Komaeda les suivit à l'extérieur – bien entendu – et, dès qu'elle eut poussé Naegi en sécurité hors de la chapelle, prit la parole.
«Tsumiki-san, tu le ramènes à l'infirmerie?
-Non, dit l'Infirmière. Je ne pense pas qu'en ait besoin. M...mais peut-être que je devrais, juste par sécurité...
-Si tu ne penses pas qu'il doive y retourner, alors je suis sûr qu'il n'en a pas besoin, reprit Komaeda. Je ne remets pas en doute ton talent. C'est juste que si tu n'as pas besoin de l'y reconduire, je peux prendre le relais tout de suite pour que tu puisses passer plus de temps avec Enoshima-san.»
Ça... La respiration de Naegi se bloqua dans sa gorge. Ça ne voulait rien dire, n'est-ce pas? Komaeda ne lui avait pas paru mécontent quand ils étaient à l'intérieur, et... et il s'était plutôt bien appliqué à faire semblant, non? Il avait obéi. Personne ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit.
«Je ne sais pas.» Le fauteuil s'arrêta doucement. «Ça a sans doute été dur pour lui. Je ne veux pas le laisser tout de suite...»
Naegi cessa d'écouter. Car au fond du couloir, où se trouvait la chapelle, les doubles portes s'étaient ouvertes et une silhouette très familière en était sortie. Il serra la mâchoire. L'Imposteur. C'était la seule raison pour laquelle il avait voulu quitter l'infirmerie, à l'origine.
L'Imposteur se dirigeait vers eux. Chaque pas résonnait, comme un compte à rebours.
Dès que l'Imposteur fut à portée de voix, Naegi grogna: «Tu n'es pas Togami Byakuya.»
L'Imposteur cilla. «Que dis-tu?
-Tu n'es pas Togami!» répéta Naegi. Tsumiki et Komaeda l'observaient avec une sorte d'inquiétude, mais il ne leur accorda pas un regard.
«En ce moment, si, prétendit l'Imposteur.
-Non, c'est faux! Tu es juste un Imposteur. Tu n'es pas vraiment lui. Tu ne l'as jamais été!»
Un silence tendu s'ensuivit.
L'Imposteur haussa un sourcil. «Evidemment.»
… C'était tout? Il s'était attendu à une plus grande réaction. Et pourtant l'Imposteur continuait de le fixer, l'air perplexe. Tout comme Tsumiki et Komaeda d'ailleurs, comme si tout cela était un fait connu de tous...
Ce qui, certes, était en principe le cas pour le Désespoir Ultime. Mais il ne faisait pas partie du Désespoir Ultime et n'en avait rien su, alors ils devaient se montrer un peu compréhensifs!
«Voulais-tu autre chose?» demanda l'Imposteur.
Naegi se dégonfla. «… Non.»
L'Imposteur le dévisagea encore un moment puis quitta les lieux, paraissant un peu mal à l'aise. Pendant le laps de temps qui suivit, Tsumiki et Komaeda mirent un terme à leur désaccord, et Naegi se retrouva à être conduit à travers les couloirs par Komaeda.
«Naegi-kun...»
Naegi déglutit. C'était là. C'était le moment où...
«Tu as fait du bon travail là-bas.»
… Oh.
«Non pas que j'ai douté de toi, dit Komaeda, mais tu te comportais de manière si contrariante ces derniers temps. Je suis si content que tout se soit bien passé!
-Ouais, dit Naegi, à bout de souffle. Moi aussi.»
Komaeda se pencha et lui ébouriffa les cheveux. «Tu as mérité ta récompense, Naegi-kun! Je dois encore régler certaines choses, et je pourrai te le donner dans une ou deux heures. Je vais te ramener dans ta chambre en attendant.
-Ce serait bien», dit-il prudemment.
Dès qu'il fut de retour dans sa chambre, Naegi se dirigea vers son lit et rampa sous les couvertures. Les ressorts grincèrent avec ses mouvements, alors qu'il s'enveloppait de couvertures comme une coquille protectrice. Il jeta un coup d'œil par le petit trou qu'il avait laissé tout en haut.
C'était calme, à l'extérieur. Trop calme. Il sortit la tête. Kamukura était présent, comme toujours. Il était immobile sur son lit, regardant une sorte de livre et... une seconde. Kamukura ne s'était donc pas rendu à la chapelle. Il n'avait pas vu le corps d'Enoshima.
«Kamukura-kun, est-ce que tu sais...?
-Oui», dit-il. Il tourna une page. «Je sais ce qui gît dans la chapelle. Ça ne m'intéresse pas.
-Même pas un peu? Après tout, tu...»
Tu vis avec le Désespoir Ultime.
«Mes raisons d'être ici n'ont jamais eu quoi que ce soit à voir avec Enoshima Junko. Elle était assez intéressante, mais ce n'était pas suffisant.» Kamukura reposa le livre sur sa poitrine – ah, ça semblait être une sorte d'album ou scrapbook.
«Alors pourquoi es-tu ici?» demanda Naegi.
Kamukura se contenta de le fixer.
«… Kamukura-kun, pourquoi tu n'es pas retourné chez ta famille?»
L'ancien Espoir haussa les épaules presque avec indifférence. «Ils n'étaient pas là quand je suis revenu, et je n'ai pas pu les retrouver. Mes parents ont soit péri, soit disparu pendant la catastrophe initiale. Peut-être qu'Enoshima avait arrangé les choses pour qu'il en soit ainsi.»
Naegi tressaillit. Il semblait que chaque fois qu'il se mêlait de ses affaires, il finissait par avoir pitié de Kamukura.
«Je suis désolé.
-Pourquoi? demanda Kamukura. Tu n'as rien à voir avec ces événements. Dans tous les cas, ce n'est pas si important. Même Hajime avait une relation distante avec eux.
-Hajime?»
De nouveau, Kamukura garda le silence.
«… Qui es-tu, Naegi Makoto? demanda soudainement le jeune homme. Pourquoi insistes-tu pour poser ces questions?
-Je suis... curieux, j'imagine.» Il regarda Kamukura en plissant les yeux, son cœur bourdonnant dans sa poitrine alors qu'il tentait de deviner ce que cherchait l'autre jeune homme. Je veux te connaître un peu mieux.»
Kamukura tourna brusquement la tête. «En quoi accumuler des secrets est si important pour toi?
-A...Accumuler des secrets?» Naegi se serait assis sous le choc, mais les couvertures étroitement enroulées autour de lui l'en empêchaient. «Ce n'est pas ce que je fais! Du moins, ce n'est pas ce que j'essaie de faire. Ça ne fait qu'arriver comme ça.»
Kamukura le transperça de son regard rouge. «Comprends-tu le pouvoir derrière ce que tu viens de dire, ou est-ce que ton talent t'en rend-il incapable?
-Je...
-Je vois. C'est la seconde hypothèse, alors.»
Naegi demeura ainsi, confus et un peu nerveux. Quoi que fut ce dont parlait Kamukura, il semblait être passé à autre chose. Tant mieux, supposa-t-il. La dernière question de Kamukura avait eu l'odeur d'un piège, ou même carrément du danger. Il était soulagé de n'avoir pas à y répondre.
Il demeura allongé dans son cocon de couvertures, sans penser vraiment à quoi que ce soit (si à un moment donné, les larmes lui montèrent aux yeux et ses poings commencèrent à trembler, il ne pouvait le dire). La chaleur au sein du cocon commençait à devenir inconfortable, mais il ne disposait pas vraiment de l'énergie ou de la volonté de se dégager. Il fixait le plafond sans le voir, et son regard finit par tomber sur le placard, pour continuer de descendre sur...
«C'est...? C'est le poème de Komaeda-kun sur ma taie d'oreiller?
-Oui. Il l'a cousu la nuit dernière après que j'ai refusé de le peindre au plafond.»
… Il n'allait jamais échapper à ce poème.
Komaeda apparut plus tard, les yeux brillants, se tenant bizarrement raide comme s'il se retenait de vibrer d'excitation pure. Le cœur de Naegi sombra, son estomac se replia sur lui-même, mais il le suivit néanmoins. Komaeda l'emmena sur un chemin qui lui était inconnu et quand il ouvrit la porte de leur destination, ce n'était rien de plus qu'un cabinet avec un ordinateur portable ouvert sur le bureau.
(Alors pourquoi, à cette vue, sa gorge se serra-t-elle soudainement?)
Komaeda entra en premier, Naegi le suivant de près. De près. Il n'y avait pas grand-chose là-dedans à part le bureau et la chaise, ainsi que deux autres chaises. C'était sans doute une pièce consacrée aux réunions. Pourtant, les couleurs de la pièce ne collaient pas vraiment. L'éclairage clochait, et...
(L'air était horriblement vicié et sentait le sang...)
Komaeda tira la chaise du bureau. «Naegi-kun, assieds-toi là.
-M... m'asseoir?» Il avait l'impression que sa langue avait enflé, et il peinait à sortir les mots.
«… Oui?»
Naegi ne pouvait pas bouger. Ses jambes tremblaient. Les murs, eux aussi, on aurait dit qu'ils vibraient.
(...vibrant avec un hurlement le couteau se glissa lentement sous la peau le long du bras)
Les mains de Komaeda furent soudain sur lui. Il ne prit pas consciemment la décision de résister, mais le fit néanmoins. Il ne s'en rendait pas compte, mais il poussait en arrière et enfonçait ses talons dans le sol. Mais ses démènements maladroits le rendaient facile à maîtriser et bien vite, Komaeda l'avait poussé dans la chaise.
C'était plus facile sur la chaise. Le point de vue était différent que depuis la porte, et cette odeur aigre et métallique n'était pas aussi forte. Il respira profondément à plusieurs reprises, chaque inspiration un peu plus pure que la précédente.
«Tu vas mieux maintenant, Naegi-kun?» demanda Komaeda. Il massait les épaules de Naegi.
Naegi ne répondit pas, la question de Komaeda rebondissant sur son cerveau. Le Chanceux soupira, et avança le bras devant Naegi pour utiliser l'ordinateur. Il appuya sur quelques boutons, puis se retira, allant prendre place devant le bureau.
L'écran de l'ordinateur s'alluma. Quelque chose y bougea alors que du son sortait des haut-parleurs. Naegi le fixa d'un air vide, sans réagir. Cependant, quand le bruit monta soudainement dans les aigus et s'accentua, ses yeux commencèrent à reprendre vie. Lentement, Naegi commença à bouger par saccades, comme une machine rouillée s'animant. Il cligna furieusement des yeux, ouvrant et fermant la bouche alors que son esprit peinait à comprendre ce qui se trouvait sur l'écran devant lui.
Finalement, un mot lui échappa.
«K... Komaru?»
