Chapitre 3: Préparer
La veille de notre entrevue avec Hexaphorus, je tentai de préparer Albus à ce qu'il pourrait voir et surtout entendre le lendemain. Narcissa devait en faire autant de son côté avec sa nièce. Je lui avais conseillé d'être directe et j'allais m'efforcer d'appliquer le même principe avec Albus.
«Albus, tu pourrais entendre des choses extrêmement dérangeantes et même franchement choquantes de la part du sorcier que nous allons rencontrer demain à la prison de Nurmengard.» attaquai-je à l'heure du thé.
Il laissa tomber la main qu'il tendait pour attraper une part de tarte au sucre et se retourna vers moi.
«Que voulez-vous dire par dérangeant ou choquant, Grand-père ?» demanda-t-il.
Malgré ce que j'avais résolu, j'hésitai. Car au moment de prononcer les mots que j'avais prévu de dire, je les trouvais moi-même difficiles à entendre pour un adolescent de quatorze ans. Cependant, le choc serait forcément pire pour Albus, s'il n'était pas prévenu du tout.
«Vois-tu, Albus, il est probable que Delphini ait été conçue dans un but peu avouable.» me lançai-je. «En d'autres termes, il semble que sa naissance n'était pas liée à l'envie de ses parents d'avoir un enfant, mais à la volonté de son père de … de trouver une solution pour réparer son propre corps.»
Je n'avais pas pu dire «de se procurer un ingrédient de potion pour réparer son propre corps». Avec un peu de chance, il n'insisterait pas pour que je précise ce que j'entendais par «solution» et, avec encore plus de chance, Hexaphorus se dispenserait de dire des horreurs devant Delphini et lui.
«Pourquoi voulait-il réparer son corps? C'est vrai que dans le souvenir que vous m'avez montré avec la Legilimencie, il avait une drôle de tête. Est-ce que c'est son apparence qu'il voulait réparer ou pas seulement?» m'interrogea-t-il.
Ce n'était pas ce que j'avais craint d'entendre, mais je n'étais pas plus ravi de la tournure de la conversation, car je n'avais pas prévu d'entrer dans ce genre de détails avec lui. Le temps que je me demande comment répondre à ses questions, il poursuivit :
«La magie lui avait permis de retrouver un corps. Mais pour qu'il puisse revivre, il fallait que Voldemort ait réussi à ce qu'une part de lui survive quand l'Avada qu'il avait lancé contre Papa a rebondi sur lui. Est-ce que j'ai raison ?»
Je me contentais de hocher la tête en signe d'assentiment. Même si je m'efforçais de ne rien montrer, j'étais tellement perturbé par ses questions que je devais faire un effort pour ne pas oublier de respirer. Il semblait qu'Albus ait malheureusement beaucoup réfléchi depuis la dernière fois que nous avions échangé à propos de Voldemort. Même s'il n'avait pas encore tous les éléments pour arriver au bout de sa réflexion, il avait assez de connaissances en magie pour se poser les bonnes questions. Bien trop serpentard pour aller directement au but, il enchaîna sur une demande prudente :
«Est-ce que vous savez comment il a fait ?»
A nouveau, je me bornai à lui répondre d'un simple signe de tête de plus en plus inquiet de la suite inévitable:
«Est-ce que vous voulez bien me l'expliquer, Grand-père ?»
«Non, Albus, il n'est pas question que je te parle de ça.» prononçai-je d'un ton que j'espérais suffisamment ferme pour le décourager d'insister.
«Le portrait de Salazar Serpentard n'a pas voulu me répondre non plus, quand je lui ai posé la question.» articula-t-il avec mauvaise humeur.
Salazar Serpentard avait bien fait de s'abstenir. Sans quoi, j'aurais emmuré ce fichu portrait dans son cachot avant la rentrée!
«Mais pourquoi?» poursuivit Albus toujours agacé «Après tout, nous avons déjà parlé de magie noire ensemble.»
«C'est vrai. Nous avons déjà parlé et même travaillé ensemble sur certains aspects de la magie qui sont qualifiés de magie noire.» admis-je sans difficulté. «Mais nous sommes des serpentards, Albus. Et contrairement aux sorciers issus des autres Maisons qui ont tendance à tout mélanger en matière de magie noire pour tout rejeter en bloc, nous nous savons faire le tri entre ce qui est utilisable en cas de nécessité et ce qui est réellement inenvisageable quelles que soient les circonstances. Dans ce cas, je t'assure qu'il s'agit d'une magie très très sombre à proscrire absolument.»
Il resta silencieux un long moment, attrapa et dévora la part de tarte au sucre que notre échange lui avait fait oublier pendant quelques instants. Je commençais à espérer en être quitte avec cette discussion quand il reprit la parole.
«Il y a aussi une différence entre connaître une magie et l'utiliser.» dit-il lentement «Vous savez que je fais très bien la distinction entre la magie utilisable et celle qui ne l'est pas.»
C'était fort heureusement vrai, car une vraie retenue était indispensable au sorcier qu'Albus était déjà et plus encore à celui qu'il allait devenir. Je me contentais de hocher brièvement la tête, bien conscient qu'il ne s'agissait là que d'un préalable à la demande qui n'allait pas manquer de suivre:
«Du coup, je ne vois pas ce que ça change que vous me parliez de ça aujourd'hui ou plus tard.»
Je soupirai intérieurement en constatant qu'il n'avait toujours pas renoncé à l'idée de me faire dire ce que j'étais bien décidé à taire pour le moment. J'étais contraint de trouver de nouveaux arguments. Je commençais par préciser les choses:
«Il s'agit d'une magie non seulement sinistre mais aussi, heureusement, très méconnue. La plupart des sorciers n'en entendent pas parler de toute leur vie.»
Il me jeta un regard inquiet que j'interprétai sans mal.
«Je ne dis pas que je ne t'en parlerai jamais, mais je t'explique juste pourquoi il n'y a aucune urgence à le faire.» complétai-je avant d'enchaîner sur un autre argument. «C'est d'autant moins urgent que cela pourrait constituer un choc pour toi. Or, les chocs peuvent être nocifs à une magie encore en formation comme la tienne.»
Même si ce type de phénomène existait, j'exagérais clairement. La magie d'Albus était déjà trop mature et trop bien en place pour risquer d'être affectée par un choc quelconque. Sinon, je me serais opposé de toutes mes forces au fait qu'il aille voir Hexaphorus. Mon explication le laissa songeur un long moment. Assez longtemps pour que je commence à m'inquiéter du cours de ses pensées et que, par automatisme, j'aille m'en enquérir en essayant d'aller pêcher la réponse dans son esprit. Je me heurtai à ses barrières mentales parfaitement verrouillées, je cessai mes investigations avant de risquer de me faire repérer. Ce n'est donc que lorsqu'il reprit la parole que je réalisai le chemin inattendu qu'avait suivi ses réflexions.
«Alors c'est pour ça que Delphini a des soucis avec sa magie quelques fois.» murmura-t-il avant d'ajouter en croisant mon regard surpris. «D'après ce qu'on dit, les parents de Delphini étaient des grands sorciers. Du coup, je me dis que les difficultés qu'elle a elle, viennent de ce qui lui est arrivé quand elle était petite. Vous ne croyez pas?»
J'étais sidéré. Pourtant, je m'étais moi-même posé la question peu après l'arrivée de Delphini Black à Poudlard après avoir observé que ses performances en magie étaient nettement en retrait par rapport à celles de sa mère Bellatrix, sans même parler de l'extraordinaire magie de son père … Alors oui, je m'étais interrogé sur le fait de savoir si les maltraitances qu'elle avait subi dans son enfance n'avaient pas nui à sa magie. Mais jamais, je n'avais partagé mes réflexions avec Albus, d'où ma surprise de l'entendre émettre cette hypothèse à son tour.
«Il faut quand même se méfier d'aller trop vite en besogne quand on fait ce genre de parallèle. Je connais toutes les expressions que l'on entend souvent à l'école ou ailleurs sur le fait qu'un tel ou un tel est doué ou pas doué pour tel ou tel aspect de la magie «comme son père ou sa mère», mais tu sais comme moi que ce n'est pas si simple. La preuve, il existe beaucoup de sorciers nés moldus, dont les parents n'avaient pas de pouvoir magique du tout.» relativisai-je avant de conclure. «Mais si tu as raison, ton amie Delphini s'en est plutôt bien sortie. Certains des jeunes sorciers qui ont subi des traumatismes dans l'enfance perdent totalement le contrôle de leur magie.»
Ma propre remarque me rendit songeur à mon tour, ceux à qui la fille de Bellatrix avait été confiée juste après sa naissance prématurée n'avaient jamais eu aucun intérêt pour elle en tant que future sorcière, puisqu'ils avaient pris le risque de détruire sa magie. Pourtant, ils l'avaient gardée en vie, alors même que Voldemort avait péri et qu'elle ne pouvait plus servir à sa Régénération. Il y avait donc toujours eu un autre projet la concernant et je devais impérativement comprendre lequel.
