Chapitre 4 : Subir ou ne pas subir
Le lendemain, nous étions six à pénétrer dans le cachot qu'occupait Hexaphorus au sein de la forteresse de Nurmengard. Je restais dans l'ombre près de la porte avec Albus et Lupin, alors que Delphini Black, Narcissa Malefoy et Andromeda Tonks avançaient de deux pas de plus pour pénétrer dans le faible halo de lumière que créaient les flammes dansant dans la cheminée. Privé de sa baguette le vieux sorcier n'avait pas la possibilité d'éclairer davantage son logis.
Sans mot dire, Hexaphorus observa longuement l'adolescente dont le malaise grandissait à mesure que cet examen s'éternisait. Je cherchais un moyen pour mettre un terme à ce pénible moment, lorsque le vieillard se décida à rompre le silence de lui-même.
«Si peu de lui en toi, comme c'est décevant !» s'exclama-t-il d'un air désappointé avant d'ajouter. «Je ne suis même pas certain que ça marcherait.»
«Que quoi marcherait ? Expliquez-vous clairement au lieu de dévisager ainsi ma nièce!» s'écria Narcissa sur un ton coléreux.
Le vieux potionniste tourna les yeux vers elle. Ignorant la question de son interlocutrice, il articula lentement:
«Narcissa. Prompte à sortir les griffes pour protéger ta nièce à ce que je vois. Je comprends pourquoi ta tante Walburga Black louait ton sens de la famille. Mais, en même temps, elle regrettait ton étroitesse d'esprit et ton absence d'ambition. «Aucun sens de la grandeur des Black» disait-elle à ton propos, elle ajoutait même … »
«Il me semble que vous n'avez pas répondu à la question de ma sœur.» l'interrompit fermement Andromeda Tonks.
«Andromeda.» observa le vieux potionniste avec un rictus mauvais. «Je suis nettement plus surpris de te voir ici, alors que, d'après ce que je me suis laissé dire, tu n'as jamais brillé par ton dévouement pour ta famille. Sans compter que c'est la mère de cette jeune fille qui a tué ta propre fille …»
«Delphini n'est en rien responsable de ce que Bellatrix a pu faire!» le coupa à nouveau Andromeda.
«Ah, le grand retour des filles Black unies pour défendre ensemble leur petite vie insignifiante!» railla Hexaphorus avant de se retourner vers Delphini pour l'interpeler. «Est-ce vraiment ce que tu veux faire de ton existence? Te complaire dans la banalité, alors que tu pourrais devenir le plus grand sorcier du monde!»
Je retins mon souffle. Pour la première fois, j'avais le sentiment qu'un bout de la vérité que j'étais venue chercher en ces lieux était sur le point d'émerger.
«Je ne pourrais sûrement pas devenir la plus grande sorcière du monde, je n'en ai pas les qualités.» répondit Delphini Black sur un ton qu'elle s'efforçait de rendre ferme.
«Mais qui te parles de ça? Qui te parle de toi?» répliqua le vieux potionniste d'un ton méprisant. «Ce que je t'explique, c'est qu'au lieu de rester toi, tu pourrais te transformer en LUI et ainsi lui permettre de revenir à vie.»
«En lui?» s'exclama Miss Black d'un ton perdu, alors que Narcissa et Andromeda semblaient trop tétanisées pour voler à son secours.
«Oui, LUI. Le Seigneur des Ténèbres. Le plus grand sorcier de tous les temps. Parce qu'il est ton père, je pourrais te métamorphoser en lui. Ne serait-ce pas un destin exaltant?»
«Me métamorphoser en lui? Mais c'est impossible!» s'écria l'adolescente sur un ton où perçait la panique.
«Si tu penses que c'est impossible, c'est que tu n'as jamais rencontré que de fort médiocres potionnistes.» lâcha-t-il d'un ton condescendant.
Cette remarque m'était adressée, mais c'était bien là le cadet de mes soucis par rapport au danger que je voyais se profiler.
«Mais, moi? Moi, je deviendrais quoi alors?» demanda l'adolescente les yeux exorbités, comme prise au piège du regard perçant de son interlocuteur.
«Toi? Tu retournerais au néant auquel tu étais destinée.» asséna celui.
Elle trouva encore la force de faire front, même si sa posture défensive me laissait penser qu'elle était au bout de ses forces :
«Eh bien, vous m'excuserez de vous dire que je ne suis pas tentée par votre projet.»
Ostensiblement, Hexaphorus secoua la tête d'un air dépité.
«Je les avais pourtant prévenus du danger qu'il y avait à te laisser entrevoir la possibilité d'une vie autonome.» dit-il. «C'est ainsi que les enfants deviennent une engeance inutile et nuisible.»
Je surveillais Narcissa du coin de l'œil craignant de la voir sauter à la gorge de ce vieux cinglé et qu'elle n'interrompe ainsi les bribes de révélations qu'il était en train de nous faire indirectement. J'étais tellement concentré sur elle, que je ne vis pas venir un autre mouvement. Delphini Black qui probablement n'en pouvait plus de supporter l'agressivité des propos d'Hexaphorus, fit deux pas en arrière et se retrouva dans l'ombre. En même temps que, comme dans un ballet bien huilé, Albus faisait deux pas en avant, comme pour s'interposer entre elle et le vieux potionniste, et se retrouvait dans la lumière.
«Vous dites ça, et pourtant vous-même, vous vous demandez si vous n'auriez pas quelque part un «autre» enfant et vous aimeriez le connaître.» lança-t-il d'un ton incisif en fixant Hexaphorus, et il me sembla que mon sang se figeait dans mes veines.
Je gardais juste assez de lucidité pour décrypter sur le visage du vieux sorcier les émotions qui se succédaient pendant qu'il observait Albus. Etonnement. Agacement. Colère. Incrédulité.
«Fascinant!» murmura-t-il finalement.
Tout en continuant de détailler Albus qui restait impassible sous son regard perçant, Hexaphorus m'interpela d'un ton incisif:
«Je comprends mieux que tu aies réussi à duper le Seigneur des Ténèbres, Severus Rogue, puisque tu as réussi à me tromper moi Hexaphorus!»
Ce que je savais moi, c'est qu'à afficher un tel niveau d'autosatisfaction, il n'aurait pas survécu longtemps dans l'entourage de Voldemort qui détestait qu'on ose se comparer à lui sur aucun plan.
«Finalement, et contrairement à ce que tu m'as laissé croire lors de ta dernière visite, ta vie n'a pas été si gâchée que ça.» poursuivit-il en continuant à fixer Albus. «Puisque celui-là est ton fils indéniablement.»
Jamais personne n'avait jamais identifié ainsi au premier coup d'œil le lien entre Albus et moi. De quoi me rappeler de me méfier de la sagacité du vieillard, malgré l'erreur qu'il faisait.
Le vieux potionniste poursuivait son examen du jeune sorcier qui s'était permis de pénétrer dans son esprit, et Albus, au lieu d'en paraître déstabilisé, le dévisageait avec la même intensité.
«Pourtant ces yeux, je les ai déjà vu … deux fois.» Hexaphorus continuait son monologue indifférent à la présence des autres spectateurs. «A moins que ce vieux fou de Dumbeldore ait osé le transformer… Un intérêt théorique pour la potion d'adoption de sang, tu parles! Oui, ça ne peut être que ça.»
Il s'adressa à nouveau à moi toujours sans me regarder:
«C'est donc la fois précédente que tu es venu accompagné de ton fils, Severus. Le traitre accompagné de la raison de sa traitrise! Je regrette de n'avoir pas saisi à ce moment-là tout le sel de la situation.»
Je m'abstins du moindre commentaire. Peu m'importait ce qu'il disait de moi comme ce qu'il pensait de moi, mais l'extraordinaire perspicacité dont il faisait preuve en faisait un adversaire redoutable même du fond de son cachot, et je ne pouvais pas m'empêcher de m'inquiéter de sa confrontation avec Albus.
«Ainsi donc, jeune homme, tu es le petit-fils de Severus Rogue et le fils d'Harry Potter. L'ombre et la lumière. Comment te nommes-tu?» demanda-t-il.
«Albus.» répondit sobrement celui-ci qui n'avait toujours pas détourné le regard.
«Albus, vraiment?Ton père a plus de sens de l'humour que je ne l'aurais imaginé en le rencontrant. A moins qu'il n'ait pas soupçonné la vérité sur sa propre naissance à l'époque de ta naissance et c'est encore plus amusant.» railla Hexaphorus. «Et à part ton prénom, qu'y a-t-il d'intéressant à savoir sur toi, jeune Albus ?»
«Rien de particulier.» lâcha prudemment ce dernier toujours aussi économe de mots, lui aussi avait probablement compris combien il convenait de se méfier de ce vieillard.
«Rien de particulier!» releva le vieux potionniste d'un ton sarcastique. «Je n'y crois pas un instant, mais j'hésite encore à savoir si tu es très modeste ou très , le sorcier qui a su rentrer dans mon esprit pour y saisir une pensée aussi éphémère que stupide, n'a forcément rien d'un sorcier banal, surtout quand il a … je dirais quatorze ans, quinze tout au plus. »
«Il serait peut-être temps d'en revenir à l'objet de notre visite.» intervint Lupin qui trouvait que la conversation s'égarait.
«Cette question me semblait pourtant réglée.» répliqua Hexaphorus manifestement agacé d'avoir été interrompu dans son échange avec Albus. «J'avais une proposition à faire à cette jeune fille et elle ne semble pas intéressée. N'étant pas en mesure de la contraindre à adhérer à mon projet, je ne vois pas quoi vous dire de plus.»
«Eh bien, par exemple nous pourriez nous indiquer comment faire pour empêcher définitivement que ce projet puisse se réaliser.» dis-je.
«Le professeur Rogue qui enseigne les potions à Poudlard, qui est l'auteur d'une douzaine d'articles au moins dans la Revue du Potionniste, serait-il en réalité un si piètre potionniste qu'il ait besoin de moi pour résoudre ce petit problème.» ironisa-t-il en m'adressant un sourire mauvais. «Mais si ta réputation en tant que potionniste semble largement usurpée, peut-elle ne l'est-elle pas sur tous les plans. Si comme on le disait de toi, tu n'as pas peur de te salir les mains, tu as une manière très simple de résoudre le problème et d'empêcher à tout jamais le retour du Seigneur des Ténèbres.»
Cet ignoble salopard était en train de me suggérer rien de moins que d'assassiner Delphini Black. Alors que Narcissa, Andromeda et Lupin me fixaient avec effarement en se demandant s'ils avaient bien compris l'allusion, je me gardai de paraître choqué, ce qui aurait fait beaucoup trop plaisir à Hexaphorus. Convaincu qu'il n'y avait plus rien à gagner à subir en silence, je contre-attaquai donc sur un ton incisif:
«Je pourrais aussi vous prouver de façon beaucoup plus directe et définitive en ce qui vous concerne ma capacité à me salir les mains. Et ce serait de mon point de vue une façon beaucoup plus satisfaisante de résoudre le problème.»
Le vieux potionniste me considéra un instant en silence. Le temps de se demander s'il devait prendre au sérieux la menace de mort que je venais de proférer à son encontre. Il décida manifestement que oui, et tenta d'essayer de me faire douter:
«Cela suffirait en effet à résoudre ton problème, Severus, si j'étais le seul potionniste au monde à être capable de métamorphoser cette jeune fille pour ramener le Seigneur des Ténèbres parmi les vivants. Mais de cela, tu ne peux pas être certain.»
Maintenant que j'avais réussi à l'inquiéter, je décidai de pousser mon avantage en jouant l'indifférence, comme si le tuer ou pas n'était jamais pour moi qu'un point de détail:
«Quand bien même cela ne se résoudrait pas la totalité du problème, je n'ai pas de raison de m'en abstenir à partir du moment où vous ne m'êtes plus d'aucune utilité.»
Malgré l'impassibilité que j'affichais, j'étais furieux de devoir me livrer à ce petit jeu devant Albus que j'évitais de regarder bien qu'il se soit tourné vers moi. Rien que pour cela, j'avais réellement envie de tuer ce sale type. Je ne sais s'il le sentit, mais il se crut obligé de me prouver que je pourrais avoir encore besoin de lui:
«C'est ce qui te trompes, car lorsque tu auras trouvé des pistes de solution pour empêcher la transformation de Delphini Black, il te sera utile, voire nécessaire, de venir en discuter avec moi.»
Après que j'aie consenti à dire du bout des lèvres que j'allais y réfléchir, Narcissa s'empressa de donner le signal du départ, pressée qu'elle était de quitter cet endroit sinistre et probablement plus encore d'arracher Delphini de là. J'aurais dû protester, dire que je n'avais pas fini ma conversation avec Hexaphorus, que je ne sortirais pas de là sans qu'il m'ait donné la solution permettant d'empêcher qu'on puisse utiliser Delphini Black pour faire revivre son père en sacrifiant la gamine au passage. Mais j'avais besoin de réfléchir à tout ce que j'avais appris, et puis surtout j'étais habité par un doute horrible. En dépit de ses provocations à mon égard, de sa remise en cause de mes qualités de potionniste, je commençais à craindre qu'Hexaphorus ne sache pas exactement comment faire pour empêcher définitivement cette transformation. Car, même quand il avait commencé à avoir vraiment peur de moi, il avait proposé de m'aider mais pas de me donner la solution.
Si j'avais raison, j'allais devoir résoudre moi-même un problème dont dépendaient rien de moins que la sécurité du monde sorcier, la vie d'une adolescente qui n'avait jamais fait de mal à personne mais dont l'existence même remettait en cause cette sécurité, et accessoirement le bonheur de mon petit-fils, Albus, qui, à mon grand dam, était fou amoureux de la fille de Voldemort.
