Chapitre 14: Introspection

Au regard de la gravité des faits, l'émoi retomba assez vite dans l'école, en tout cas, pour la majorité des élèves. S'ils étaient conscients que des individus s'étaient introduits frauduleusement la nuit dans l'école, ils ne mesuraient pas l'importance des enjeux liés à cet événement ... et c'était heureux. Le bruit couru que c'était une farce stupide organisée par des connaissances de Zephyrus Eole, car le professeur de Métamorphose n'était jamais réapparu à Poudlard après cet épisode. Même les serpentards finirent pas se convaincre collectivement qu'il ne s'était rien passé de vraiment dramatique, alors qu'ils avaient été aux premières loges pour observer la réalité des faits. Les quelques élèves qui savaient exactement ce qui s'était passé, à savoir Albus et sa bande, n'en parlèrent manifestement qu'entre eux, puisque personne d'autre ne prit conscience que Delphini Black était la cible des intrus.

La vie reprit donc son cours normal, à ceci près que McGonagall assurait à nouveau les cours de Métamorphose et, qu'à voir la tête qu'elle me faisait, il ne me paraissait pas impossible qu'elle m'en veuille d'avoir provoqué la fuite d'Eole. Une autre personne me tenait rigueur de ce qui s'était passé, Narcissa Malefoy qui m'inondait d'hiboux incendiaires. Je dois dire que je prenais à peine le temps de les lire tant j'étais concentré sur ma tâche. Maintenant que j'avais réalisé que non pas une potion, mais une série de douze potions devait permettre de transformer Delphini Black en Voldemort, je commençai à en reconstituer les recettes et à en comprendre précisément les effets.

J'étais tellement obnubilé par mes recherches que je faillis passer à côté d'un problème qui pourtant me préoccupait bien plus que la mauvaise humeur de Minerva McGonagall ou de Narcissa Malefoy. Albus n'allait pas bien et, cette fois-ci, ça n'avait rien d'une posture destinée à obtenir quelque chose. D'ailleurs, il se taisait quand il lui arrivait de passer dans mon bureau sans raison apparente, il s'asseyait dans un coin et finalement repartait sans avoir prononcé plus que quelques syllabes. Ce manège dut se reproduire à quatre ou cinq reprises avant de m'alerter.

Je me rappelai alors l'avoir aperçu quelques jours plus tôt en allant installer, comme tous les soirs depuis l'attaque, des protections magiques pour défendre la Maison de toute intrusion pendant la nuit. J'avais poussé la porte un peu par hasard pour jeter un coup d'œil dans la salle commune et je l'avais trouvé là bien après l'heure du couvre-feu, il m'avait dit un truc du genre «je suis redescendu parce que j'avais soif» pour justifier sa présence. Comment avais-je pu gober une bêtise pareille? S'il avait réellement eu soif, il aurait été parfaitement capable conjurer un verre d'eau dans son dortoir.

Désireux d'en avoir le cœur net, à l'heure d'aller mettre en place les protections magiques, j'ouvris la salle commune. J'y trouvai Albus seul vautré dans un fauteuil face à la cheminée. L'espace d'un instant, j'en conçus un certain agacement envers les préfet et préfète de la Maison qui ne remplissaient pas leurs obligations en lui permettant de rester là bien après le couvre-feu. Mais au fond, je comprenais la raison pour laquelle ils s'étaient contentés d'ignorer son manquement au règlement. Au-delà de l'apprentissage, l'école étaient aussi l'endroit où tous les sorciers d'une même génération se rencontraient et se testaient. Au fil du temps, une sorte de hiérarchie implicite se mettait en place entre eux. Dans cette hiérarchisation des forces, Albus s'était très vite imposé comme un sorcier que l'on n'embêtait pas. Aujourd'hui, sauf à ce qu'il crée un désordre particulier aucun préfet ne s'aventurerait probablement à essayer de lui imposer quoi que ce soit.

Pour d'autres raisons, je renonçai moi aussi à lui ordonner d'aller au lit. Au contraire, je rentrai dans la salle commune pour aller m'écrouler dans le fauteuil voisin du sien. Me voir m'installer dans une positionaussi décontractée me valut de sa part un regard surpris puis un petit sourire complice. Je lançais un discret Assurdio avant d'entamer la discussion. Si j'étais direct, il risquait de se refermer comme une huitre et je n'apprendrais rien. Mais un serpentard digne de ce nom a plus d'un tour dans son sac. En tendant les mains en direction des flammes qui dansaient dans la cheminée, j'affirmai:

«La cheminée de la salle commune est plus importante chez nous que dans n'importe quelle autre Maison.»

J'avais réussi à l'intriguer, il se tourna plus franchement vers moi l'air interrogatif.

«Parce que nous sommes installés dans les cachots avec toute l'humidité que cela implique.» précisai-je. «Du coup, nous vivons réellement autour du feu de cette cheminée depuis la rentrée jusqu'à la fin de l'année scolaire. Avec tous les excès que cela entraîne …»

Il ne me quittait pas du regard. Je commençais à égrener quelques souvenirs:

«Je me souviens, c'était peu après mon entrée à Poudlard, d'un élève de deuxième année qui avait entrepris de nous faire une démonstration de jonglage en se servant de bâtons enflammés qu'il avait pêché dans la cheminée. Il était plutôt pas mauvais dans l'exercice, mais évidemment ce qui devait arriver arriva, il a fini par rattraper l'un des bâtons par le côté enflammé. Du coup, il l'a jeté par terre en hurlant. Le temps que notre préfet qui n'était pas une lumière, arrive à lancer un Aguamenti correct pour arroser les tapis et les fauteuils pour arrêter le feu, la moitié de la salle commune avait cramé. Tu aurais vu la tête d'Horace Slughorn, le directeur de la Maison Serpentard à cette époque, il était furieux.»

Albus se mit à rire.

«Et je ne te parle pas de tous ceux qui avaient régulièrement la prétention de faire des expériences en se servant dans la cheminée. Je me souviens d'une autre de mes condisciples qui avait essayé de fabriquer de la Poudre de cheminette. Mais quand elle a jeté sa poudre dans la cheminée, il en a résulté une telle fumée qu'on n'y voyait plus à dix centimètres dans la salle commune. Il a fallu se jeter à quatre pattes pour rester sous la fumée pour pouvoir respirer. Le premier qui a réussi à atteindre la porte, est allé chercher Slughorn encore une fois pour qu'il débarrasse la salle commune de cette fumée. Cette fois-là, presque tous les élèves de la Maison, dont moi, ont fini à l'Infirmerie tant nous toussions.»

Albus riait de plus belle. Pourtant, je m'arrêtai d'un coup dans mon récit. En racontant, ces histoires à Albus, je venais de repensais pour la première fois depuis bien longtemps à ces deux serpentards de ma génération … et à leur fin. L'un avait pris la Marque des Ténèbres, non pas par conviction personnelle mais par incapacité à résister aux pressions qui existaient au sein de la Maison Serpentard, il avait été tué dans un accrochage avec des membres de l'Ordre du Phénix au cours de la première Guerre des Sorciers. L'autre au contraire avait résisté à cette même pression et avait disparu sans qu'on n'ait jamais retrouvé son corps. Il se murmurait que certains mangemorts avaient voulu faire un exemple avec elle pour que les autres serpentards se rappellent des risques encourus par ceux qui auraient la mauvaise idée de suivre son exemple. De quoi me souvenir, pour le cas bien improbable où j'aurais risqué de l'oublier, qu'il fallait empêcher à toute force le retour de Voldemort et de toute la violence de cette sinistre période.

Je conjurai du thé et je commençai à le servir sans avoir demandé à Albus s'il en voulait. Espérant qu'il soit mûr pour parler, je passai aux choses sérieuses en lui tendant une tasse:

«Allez vas-y, raconte-moi ce qui ne va pas.»

Je craignais un peu qu'il se récrie que je me trompais, que tout allait bien, mais ce ne fut pas le cas. Sans rien dire, il tourna la tête pour désigner du menton l'escalier dans lequel il avait affronté la sorcière lors de l'attaque de la Maison par les partisans de Voldemort.

«Tu n'es pas responsable de sa mort.» rappelai-je en pensant qu'il faisait allusion à la mort de son adversaire.

«Je l'ai laissée mourir.» murmura-t-il.

«Tu n'avais pas compris ce qu'elle allait faire, tu me l'as dit toi-même.» soulignai-je

«C'est vrai, mais je crois que si j'avais compris, j'aurais quand même choisi d'aller chercher son souvenir plutôt que d'essayer de la sauver.» déclara Albus à voix basse.

J'hésitai sur la manière de réagir à ce qu'il venait de me confier, mais il enchaîna de lui-même sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit:

«Est-ce qu'au moins ce souvenir est utile à vos recherches? Est-ce qu'il va vous permettre de trouver une solution pour les empêcher de se servir de Delphini pour ramener Voldemort à la vie?»

«Très utile.» assurai-je. «Je commence à comprendre la magie qu'ils voulaient utiliser et c'est grâce à toi. Ensuite, il faudra encore que je comprenne comment empêcher cette magie d'opérer, mais je n'ai jamais été aussi près d'y arriver.»

Albus resta un instant songeur à observer les flammes qui dansaient dans la cheminée.

«Est-ce que vous croyez qu'ils sont encore nombreux?» demanda-t-il soudain avant d'ajouter devant mon air d'incompréhension. «Je veux parler des partisans de Voldemort.»

De ce côté-là, les nouvelles n'étaient pas très bonnes. Après avoir longuement interrogés avec ses collègues Aurors les trois sorciers arrêtés, Harry m'avait fait part d'informations plutôt inquiétantes. Il semblait que sur le continent, bien loin de l'Angleterre où il avait réellement sévi, les anciens partisans de Voldemort, ceux qui avaient été chargés d'emmener Delphini Black après sa naissance, aient réussi à créer un groupe de fanatiques prêts à tout pour faire revenir le Seigneur des Ténèbres qu'ils idolâtraient sans l'avoir connu.

«Apparemment, ils seraient encore un certain nombre.» répondis-je sans donner à Albus plus de détails.

Albus secoua la tête d'un air inquiet avant de lâcher:

«Même si vous trouvez une solution pour empêcher que Delphini puisse être métamorphosée en Voldemort, ils ne le sauront pas. Du coup, ils vont continuer à s'en prendre à elle, à essayer de l'enlever et jamais elle ne pourra vivre normalement.Même si le monde sorcier ne risque plus rien, elle continuera elle à être en danger. »

J'ouvris la bouche pour répondre, mais je la refermais sans avoir rien dit. Au fur et à mesure que les mots prononcés par Albus infusaient dans mon esprit, je comprenais la portée du problème qu'il venait de soulever et auquel personne avant lui n'avait réellement songé.