Chapitre 28: Les sages ne sont pas ceux qu'on croit

A la fin de sa lecture, le fils du loup-garou releva lentement la tête. Madame la Ministre fut la première à réagir.

«Mais qu'est-ce qui vous a pris de garder cette histoire pour vous?» s'écria-t-elle sur un ton sévère.

«C'est justement parce que pour nous, ce n'était qu'une histoire. Comme un conte ou comme un jeu.» entreprit de se justifier sa nièce. «On s'amusait à imaginer entre nous toutes les vies d'Esteban Rojo de Salinas, on se demandait qui il avait pu être et ce qu'il avait pu faire pendant toutes ces années.»

«Il n'empêche qu'à un moment donné vous vous êtes tout de même bien aperçus que ça n'avait rien d'un conte. Outre, le fait que Voldemort n'aurait sans doute pas pris la peine de dissimuler le manuscrit d'un conte dans les murs du Manoir Malefoy.» répliqua Harry d'un ton agacé.

«C'est vrai qu'on a commencé à se rendre compte qu'il s'agissait probablement d'une histoire vraie, quand on a lu un petit article dans la Gazette du Sorcier qui parlait d'une inscription étrange découverte par le Ministère dans une vieille librairie abandonnée de Pré-au-Lard, car cet article mentionnait le nom de Stephen Red.» admit Teddy Lupin

«Mais quand on s'est rendu sur place pour voir l'inscription et qu'on a constaté ensuite que c'était juste un message que notre manuscrit permettait de déchiffrer et qui renvoyait à un message suivant dans un autre lieu, ça n'avait toujours pas l'air d'être quelque chose de grave!» enchaîna Rose Granger-Weasley sur la défensive.

«Et quand est-ce que vous avez enfin daigné comprendre que ce n'était ni un conte pour enfant, ni un jeu de piste, et que c'était grave?» s'emporta Hermione Granger.

«Eh bien, quand nous sommes allés faire apparaître la deuxième inscription dans une petite rue de Pré-au-Lard, et que des fichus Langues-de-Plomb ont essayé de nous arrêter.» répliqua Victoire Weasley.

«Je te prie de parler convenablement des membres de mon Ministère.» articula sèchement sa tante avant d'ajouter. «Et à quoi avez-vous pensé à ce moment-là?»

«Nous avons pensé qu'il y avait quelqu'un d'autre qui connaissait l'histoire de l'Immuable et que cette personne voulait s'en emparer.» répondit Rose Granger-Weasley à voix basse. «Et quand, on a vu arriver Boswell, à la tête qu'il faisait on s'est douté que c'était lui.»

Madame la Ministre eut un grognement agacé.

«Mais s'il connaissait l'histoire de cette amulette et qu'il voulait la récupérer pour son propre usage, pourquoi n'a-t-il pas pu entreprendre tout seul des recherches?» objecta Harry.

«Parce qu'il n'avait pas le parchemin original. Du coup, il n'avait pas les repères nécessaires dans le texte pour déchiffrer les indices laissés par Stephen Red.» expliqua Scorpius Malefoy. «Mais le problème, c'est que, quand ses hommes nous ont surpris devant la deuxième inscription, il a compris que nous nous avions le texte se demande encore si c'est le hasard, ou s'il nous faisait surveiller par ses hommes. Mais pourquoi ce serait-il intéressé à nous avant qu'on découvre la deuxième inscription?»

Moi, je savais pourquoi, en tout cas, je m'en doutais. Connaissant l'existence de l'amulette, Boswell faisait surveiller la librairie de Stephen Red dans l'espoir que quelqu'un se manifeste pour le conduire jusqu'à elle, et c'est pour ça que j'avais aperçu un autre sorcier désillusionné le jour où je les avais suivis moi-même. Depuis, que Boswell savait qu'ils avaient pénétré dans la librairie en dépit des interdictions, et il devait en effet les faire surveiller.

Je sortis de mes pensées pour reprendre le fil de la conversation. Lupin était déjà reparti sur une autre idée:

«Du coup, c'est pour retrouver ce parchemin qu'il voulait faire fouiller tous les bagages des élèves, en commençant par les vôtres, au retour des vacances de Noël. »

Ils hochèrent la tête en signe de réponse.

«Et je déduis du fait que Boswell et ses hommes n'aient pas trouvé le parchemin avec vous, que vous l'aviez caché quelque part.» supposa Harry.

«Caché, oui et non.» répondit Albus quelque peu embarrassé. «En fait, on ne voulait pas s'en séparer …»

«Donc vous l'avez ramené à Poudlard, mais comment?» insista Harry.

Un éclair s'était fait jour dans ma tête.

«Dans ma propre malle. Parce que Boswell n'oserait pas la fouiller, j'imagine.» répondis-je avant qu'Albus ait eu le temps de réagir.

«Alors, tu étais au courant!» s'insurgea Harry.

«Mais, pas du tout.» me défendis-je. «C'est juste qu'Albus m'a confié un paquet d'affaires à mettre dans ma malle, j'imagine donc que le parchemin était dedans.»

«Je n'ai rien dit à Grand-Père à propos du parchemin.» assura Albus volant à mon secours. «Je lui ai juste que je n'avais plus de place dans ma malle.»

«Et toi, tu transportes des choses sans même savoir ce que c'est!» gronda Harry en fixant sur moi un regard peu amène. «Je t'ai connu moins conciliant.»

Encore un peu et ça allait être de ma faute …

«Tout ça, c'est bien joli.» reprit Madame la Ministre d'un ton sec. «Mais vous n'avez toujours pas répondu à ma question: pourquoi est-ce que vous n'en avez parlé à personne, ni à vos parents, ni à vos professeurs, lorsque vous avez compris que c'était grave?»

Les adolescents se consultèrent du regard. Puis Rose Granger-Weasley se lança dans un discours quelque peu confus:

«Tu passais ton temps à dire que Wolgang Boswell était ton plus proche collaborateur. Qu'heureusement qu'il était là, parce qu'il savait garder son calme dans les situations les plus compliquées.»

«Et alors?» articula sa mère en détachant les syllabes.

«Eh bien, ce type tellement calme et pondéré, rien que l'idée de l'Immuable a suffi à le rendre complètement fou! Il était prêt à tout, même à nous tuer pour s'en emparer.» rappela sa fille. «Quand on a vu ça, on s'est rendu compte que Stephen Red ou Esteban Rojo de Salinas, comme on veut, avait raison, que cette amulette pouvait rendre fou n'importe qui s'en approchait ou juste en entendait parler. Alors, on a décidé de ne rien dire à personne, de retrouver l'Immuable tous seuls et de le détruire. »

Voilà pourquoi, Albus m'avait dit qu'il devait me protéger. Voilà pourquoi, ils avaient tous pensé qu'ils devaient nous protéger. D'ailleurs, ils n'avaient pas complètement tort, ce récit ne pouvait qu'interpeler chacun de nous au plus profond sur sa propre réaction face à la possibilité d'une vie éternelle. A ce propos, il restait une question qui nous brulait les lèvres à tous, mais ce fut Lupin qui se décida le premier à la poser, les gryffondors manquent toujours de retenue:

«Mais vous, n'avez-vous pas été tentés de garder l'Immuable pour vous plutôt que de le détruire?»

Les adolescents nous contemplèrent d'un air affligé.

«Pour avoir envie de garder l'Immuable, il aurait fallu ne strictement rien comprendre à l'histoire écrite par Esteban Rojo de Salinas.» lui répondit son fils d'un ton dégoûté. «Il a peut-être vécu très longtemps, mais il était obligé de mentir à tout le monde tout le temps. En fait, pendant toutes ces années, il était complètement seul!»

Les autres l'approuvèrent de la tête. Je réalisai alors qu'ils avaient eu de la chance, énormément de chance, et nous avec eux. La magie du groupe, du clan, de la tribu qu'ils formaient désormais tous les six les avait préservés de l'envie mortifère de posséder de l'Immuable. Chez eux, la crainte d'être seul avait dominé tout autre sentiment.

Tous les autres adultes présents avaient dû comprendre la réponse comme moi, car plus personne ne posa de question sur ce sujet. En revanche, McGonagall n'en avait pas tout à fait terminé:

«Avant vous envoyer vous coucher pour les uns et à l'infirmerie pour les autres, il y a encore un point que je voudrais éclaircir avec vous. Si j'ai bien compris ce que vous nous avez raconté, c'est bien vous qui avez fait apparaître la deuxième inscription et pourtant le Langue-de-Plomb, pardon Madame la Ministre, le sorcier du département des Mystères, qui vous a surpris sur place, ne s'en souvenait pas. Quant au Priori Incantatum sur vos baguettes, il n'a rien révélé de suspect. Comment expliquez-vous cela?»

Autre échange de regard entre les adolescents. Albus était coincé, il ne pouvait rien faire d'autre que d'avouer ce que pour ma part je savais déjà.

«C'est moi qui aie fait apparaître l'inscription, Madame la Directrice.» admit-il directement. Puis comme McGonagall continuait à le fixer sans rien dire, il ajouta. «J'ai utilisé une autre baguette que la mienne pour le faire. Celle de Salazar Serpentard.»

«Je croyais qu'elle était chez toi!» le coupa Harry en me regardant.

A nouveau, Albus s'empressa de me couvrir:

«Je n'ai pas dit à Grand-Père que je l'emportais.»

Je le laissai dire. Entre serpentards, il convient d'être solidaire. Révéler que je l'avais finalement découvert et l'avais gardé pour moi, aurait beaucoup aggravé mon cas aux yeux d'Harry. Alors que le taire ne détériorait pas vraiment celui d'Albus aux yeux de son père. Sans avoir besoin de nous concertés, nous nous décidions donc Albus et moi de garder cette information pour nous.

«Tout ça ne me dit pas comment le Langue-de-Plomb a oublié, ce qu'il avait vu.» reprit McGonagall bien décidée à en avoir le cœur net.

«Dans l'urgence, je ne savais pas trop quoi à faire, alors j'ai modifié ses souvenirs pour qu'il ne se rappelle pas ce qu'il m'avait vu faire.» dit Albus à toute vitesse en évitant de regarder qui que ce soit. «Malheureusement, ça n'a pas servi à grand-chose, car Boswell est resté persuadé que c'est nous qui avions fait apparaître la deuxième inscription. La seule chose, c'est qu'il ne pouvait pas le prouver.»

Granger, Lupin et McGonagall considéraient Albus sans rien dire d'un air circonspect. Je n'avais pas besoin de Legilimencie pour savoir à quoi ils pensaient. Mon petit-fils n'en était pas vraiment conscient, mais de nous tous, j'aurais probablement été le seul à pouvoir, «dans l'urgence» comme il le disait, maîtriser un Langue-de-Plomb pour modifier proprement ses souvenirs. Et il va sans dire qu'à quinze ans, j'en aurais été totalement incapable. Certes, Albus avait probablement bénéficié d'un avantage stratégique, car le type ne s'était méfié de lui. Ça n'en restait pas moins un acte magique d'une complexité extrême pour quelqu'un d'aussi jeune que lui et qui n'avait étudié que la chose que théoriquement.

Quant à Harry, ce qu'avait fait Albus le renvoyait forcément à un souvenir que Dumbeldore lui avait montré autrefois. Un souvenir de Morfin Gaunt, l'oncle de Voldemort. Ce dernier avait réussi à faire croire à Morfin qu'il avait tué lui-même les Jedusor en modifiant ses souvenirs. A l'époque, celui qui était encore Tom Jedusor avait à peu près l'âge d'Albus aujourd'hui. Difficile pour Harry de ne pas faire le parallèle. Certes, Albus était bien différent de Voldemort, mais ils avaient tout de même en commun de posséder une magie aussi fascinante que redoutable.

Après que McGonagall ait congédié les six adolescents en leur promettant de statuer plus tard sur leur sort, le silence s'installa dans le bureau directorial. Il fut rompu par le portrait de Dumbeldore.

«John Red.» dit-il d'un ton songeur. «Il était à l'école en même temps que moi. Un serdaigle. Plus âgé que moi de deux ou trois ans, il me semble. Je me souviens de cette petite librairie qu'il tenait avec son père, Stephen Red. Ils étaient spécialisés dans les parchemins très anciens. Antiques ou pas, une bonnepartie de ces textes relevaient de la magie noire. Mais en latin ou en grec, cela saute moins facilement aux yeux.

«C'est parce que cette librairie abandonnée avait la réputation de contenir des ouvrages de magie noire que j'ai envoyé Boswell la fouiller.» enchaina Hermione Granger songeuse. «J'espérais qu'il puisse trouver quelque chose d'utile aux recherches de Severus. Mais tout ce qu'il a dû y trouver, c'est un brouillon du texte que Rose et sa bande ont trouvé eux-mêmes au Manoir Malefoy. Malheureusement, je crains que les enfants n'aient raison, la seule idée de cet objet a suffi à le rendre complètement fou. C'est pour ça que depuis un moment, je ne comprenais plus rien à son comportement.»

Le silence retomba. Cette fois, c'est moi qui le rompis:

«En tout cas, cette histoire d'amulette éclaire à mon sens bien des choses. Quand il a lancé la bataille de Poudlard, Voldemort n'avait pas pour objectif que d'éliminer Harry, il voulait aussi s'emparer de l'Immuable. J'imagine qu'en son temps, il avait aussi visitéla librairie abandonnée et découvert le manuscrit de Stephen Red, qu'il avait résolu l'énigme et qu'il voulait récupérer l'amulette. Peut-être même l'avait-il résolue depuis un certain temps, ce qui pourrait expliquer une autre de ses «initiatives».»

Les autres me fixèrent avec curiosité.

«La naissance de la petite Black.» expliquai-je en réponse à leur question muette. «Avec la perspective de pouvoir rester immuable indéfiniment, il a dû s'interroger sur l'apparence qu'il voulait avoir pour l'éternité et il a décidé de retrouver le corps de sa jeunesse. Pour réaliser la potion lui permettant de le retrouver, il lui fallait un enfant de lui ...»

«C'est répugnant.» commenta McGonagall.

«Ce qui est certain.» murmura Lupin. «C'est que l'Immuable était parfait pour lui. Cette amulette était faite pour quelqu'un auquel personne ne pouvait manquer, puisqu'il n'a jamais aimé personne.»

Dans ses paroles, j'entendais en creux l'écho de mon propre sentiment. A lui comme à moi, la petite bande aurait pu parler sans risque de l'Immuable, nous souffrions suffisamment d'êtreseuls depuis beaucoup trop longtemps pour avoir envie de l'être indéfiniment.

«Bon, il me semble que nous avons eu bien assez d'émotions pour cette nuit et qu'il est peut-être temps d'aller nous reposer un peu nous-mêmes.» soupira notre Directrice.

«En effet, mais nous allons devoir nous revoir très bientôt.» indiquai-je.

«Et pourquoi, ça ?» demanda Hermione Granger suspicieuse.

«Je voudrais rediscuter avec vous de Delphini Black.» répondis-je. «Albus m'a fait une remarque intéressante à son sujet, il y a quelques temps. Une adoption de sang va suffire à la changer suffisamment pour nous mettre nous à l'abri en empêchant son éventuelle métamorphose en Voldemort et donc le retour de celui-ci, mais elle ne suffira pas à la mettre à l'abri elle de ceux qui voudraient essayer de la métamorphoser, sauf à ce qu'ils sachent que ce n'est plus possible ou, mieux encore, qu'ils aient été arrêtés.»

«Et tu as une idée pour parvenir à ça ?» me demanda Harry.

«Oui, j'ai pas mal réfléchi depuis la discussion que j'ai eu avec Albus.» assurai-je. «Il se pourrait que j'aie un plan.»