La Déformation les ramena tous deux aux portes de l'école, forçant l'espace à s'ouvrir pour permettre à leurs formes distordues de revenir à leur état d'origine plus vite que ne se déplaçait la lumière.

À l'ordinaire, ce phénomène aussi fascinant que déconcertant suscitait toujours, même après plus d'une année, une certaine réaction chez Suguru, allant de la nausée à l'attrait. Cependant, dans son état actuel, il ne manifesta rien d'autre qu'une profonde passivité.

Aucun des deux ne parla pendant tout le temps qu'ils mirent à monter les marches de pierre. Aucun des deux ne ressentit la moindre once de joie ou de plaisir à écouter le chant des cigales et des oiseaux. Même la douce chaleur que déposait les derniers rayons du Soleil avant le crépuscule ne suscitèrent rien en eux.

Devant l'entrée, Yaga les attendait, tête baissée. Pour la première fois, son visage n'exprimait aucune irritation ou déception, seulement une profonde fatigue.

« Arashi... »

Ce dernier répondit à l'interpellation d'un simple signe de tête.

« Les supérieurs ont demandé ta présence. »

« Bien, j'y vais » répondit-il avec apathie, incapable de s'en soucier d'une quelconque façon.

Il tendit Amanai à Suguru, qui la prit dans ses bras tremblants, et emprunta le chemin qui menait au seul bâtiment du campus dans lequel il avait souhaité ne jamais entrer : la Chambre des Aînés. Le chemin était pavé, et soigneusement entretenu ; pas un brin d'herbe ne dépassait, pas une seule feuille tombée n'y demeurait, aucune carcasse d'insecte ne le salissait.

Ses cheveux tachés de sang s'agitèrent au rythme du vent doux alors qu'il faisait volontairement le choix de ralentir sa marche, pas particulièrement pressé de se retrouver dans cette salle à l'atmosphère étouffante et empestant la décrépitude. Ses yeux perçants scrutèrent le lieu devenu son foyer alors qu'il poursuivait sa montée, et il ne put empêcher la nostalgie de l'emplir au souvenir de chaque instant passé en compagnie de son frère et de leurs amis au cours de l'année passée dans cette école, conscient que cette époque était désormais révolue.

Satoru, son dernier frère, son jumeau, la seconde partie de son être, était mort. Cette pensée ne l'avait pas quitté une seule fois depuis l'instant où il avait vu sa dépouille. C'était une vision qui le hanterait pour le reste de son existence, et même au-delà. Elle lui avait donné la force de continuer à lutter contre Toji Zenin en dépit de la douleur, de ne laisser ni la morale ni le Code de l'exorcisme bâillonner son esprit, de se battre jusqu'à l'accomplissement presque total de sa vengeance.

Il atteignit les lourdes portes métalliques, bien plus vite qu'il ne l'aurait voulu. Et alors qu'il entrait dans la pièce faiblement éclairée, il se hâta de chasser d'une simple pensée l'humidité qui s'accumulait dans ses yeux.

Les six portes traditionnelles s'illuminèrent brusquement, et une familière atmosphère oppressante s'abattit sur lui avec une force qui ne provoqua rien d'autre que de l'indifférence. Il espérait que ces vieillards séniles auraient la sagesse de ne pas faire durer cette comédie.

Contrairement à la dernière fois, il n'aurait pas la patience de se prêter à leur jeu.

Face à la désapprobation et même l'hostilité, toutes deux presque palpables, des dirigeants du monde de l'exorcisme, il se contenta de conserver sa posture droite et solide, puis croisa les bras, ses yeux écarlates fixés sur la porte face à lui. En dépit de la tension imprégnant l'air, il dégageait toujours ce même air impassible mais ennuyé, comme si faire face à la plus haute autorité de la Société Occulte n'était qu'une simple corvée. Néanmoins, son attitude actuelle différait ; l'obscurité se lisait dans son regard, bien que ses yeux continuaient à briller de puissance.

Une voix rauque, autoritaire et froide rompit le silence.

« Arashi Gojo, tu es accusé d'avoir volontairement causé la mort de sept civils en menant une mission non autorisée contre la Confrérie du Réceptacle temporel. Il s'agit non seulement d'un acte d'insubordination inexcusable, mais aussi d'une très grave violation du plus éminent des préceptes du Code de l'exorcisme prohibant à tout exorciste de nuire volontairement à un non-sorcier. »

« Alors, » commença une autre voix emplie de venin, « qu'as-tu à dire pour ta défense, mon garçon ? »

Il s'y attendait. Cette convocation n'avait pas pour mais de transmettre le rapport de sa mission. Il était vrai que rien ne l'avait autorisé à réduire au silence les dirigeants du Culte, mais il savait que le Haut Commandement ne pleurerait pas leur disparition ni ne s'en soucierait. Comme l'avait expliqué Suguru, depuis sa fondation mille ans plus tôt, la secte n'avait cessé d'entraver la Société Occulte par tous les moyens ; seul le Code de l'exorcisme lui avait permis de survivre si longtemps. Les Aînés ne désiraient qu'une seule chose : se servir de son acte et des moyens illicites qu'il avait employés pour lui infliger une sanction, dans une tentative pathétique de garder une certaine forme de contrôle sur lui.

Il choisit donc de se comporter comme le ferait un Uchiwa de son rang.

« Pourquoi devrais-je me défendre ? »

Il sentit la présence pesant sur lui se retirer sous le choc face à sa nonchalance avant qu'elle ne s'abatte de nouveau, cette fois avec colère.

« Ne joue pas au plus malin, petit insolent ! » s'écria la plus hostile des voix. « La mort de ton imbécile de frère n'est pas... »

La voix s'éteignit plus vite qu'une rafale de vent alors que les yeux rouges d'Arashi semblaient retrouver une vitalité perdue et se posèrent sur la porte masquant la femme à qui appartenait la voix, la transperçant jusqu'au plus profond de son âme malgré la couche protectrice de talismans. Une lueur morbide se mit de nouveau à briller dans les Yeux de Samsâra.

La force occulte d'Arashi, plus sinistre, plus écrasante, plus forte que tout ce qu'ils aient jamais pu ressentir, s'enflamma et son aura inonda la pièce. Sa seule présence, étouffante et aussi lourde qu'un océan, la mettait au défi de terminer sa phrase.

Lentement, dans un silence oppressant, il fit un pas en avant, puis un autre, jusqu'à se retrouver à quelques centimètres de la faible structure qui protégeait son identité.

Ce serait si... facile. Il n'aurait même pas besoin d'utiliser une technique, et encore moins une quelconque arme. Une seule seconde... Un seul et simple geste lui suffirait à transformer cette salle en bain de sang. Par rapport à lui, ils n'étaient tous que des insectes, de la vermine qu'il pouvait s'écraser sous sa botte à n'importe quel moment.

Et s'il passait à l'acte ?

Il était un meurtrier depuis si longtemps que l'acte d'ôter la vie à un autre être humain était devenu une parfaite banalité. Ces vieillards gâteux ne seraient que quelques victimes de plus parmi des dizaines de milliers d'autres. Il les oublierait rapidement, et personne ne lui reprocherait d'avoir éliminé la principale corruption de la Société. Les quelques protestations qui suivraient ne seraient que pur figuratif. De plus, ces misérables oisifs étaient eux aussi responsables de la mort de Satoru... Ils avaient contribué à la continuité d'un système malade, dépassé et perverti ayant précisément permis au Culte Astral de perdurer et d'accumuler tant de pouvoir. Tengen, l'Étoile, doyenne des exorcistes et fondatrice de la Société Occulte, l'était tout autant, pour être restée passive tandis que le vice et la corruption gangrénaient cette institution, pour être la raison même de la mission ayant incité Toji Zenin à assassiner son jumeau. Le clan Zenin l'était également, pour avoir créé le Tueur d'exorcistes.

Il les anéantirait tous, pour le meurtre de Satoru !

Que lui restait-il à perdre de toute façon ?

Il contracta les muscles de sa main et canalisa son énergie occulte, se préparant à en finir.

« Arashi... »

Ce simple souvenir de la peur présente dans le ton et les yeux de Shoko, puis de Suguru, suffit à le faire hésiter durant une fraction de seconde. Ce fut un laps de temps extrêmement court, mais pour un être dont le cerveau était conçu pour supporter de lourds afflux quotidiens d'informations brutes, cela lui suffit à prendre sa décision avant que l'un des Aînés ne puisse l'interrompre.

« Lorsque j'ai accepté cette seconde chance, cette nouvelle vie, j'ai juré de ne pas laisser la Malédiction de la Haine s'abattre sur ce monde. Et pourtant, je suis là, sur le point de commettre les mêmes erreurs qu'autrefois... »

La honte s'enroula autour de son cœur comme des doigts glacés.

Il avait fait serment de ne pas laisser la haine le consumer une seconde fois, de ne pas succomber à nouveau aux ténèbres, mais... Dans un monde où le Mal ne pouvait se combattre que par le Mal, où il était quotidiennement confronté à la laideur humaine dans sa forme la plus pure et la plus abjecte, où la vie comme sa propre race étaient presque plus cruelles que dans celui qui l'avait vu naître, c'était bien plus qu'un choix. C'était une lutte de tous les jours. La profession d'exorciste était une lutte constante dont il doutait que même la mort puisse offrir une véritable libération.

Néanmoins, il avait juré de vivre, pour chaque frère, pour chaque compagnon, chaque ami qu'il ait jamais eus. S'il succombait maintenant, cela signifierait que cette seconde vie que lui avait donnée Fuyumi Gojo en tant que mère ne serait qu'un gâchis. Le cas échéant, il ne pourrait jamais faire face à Hashirama ou Izuna et le reste de sa fratrie s'il venait à les retrouver dans l'au-delà. Cela signifierait aussi qu'il serait devenu pire que ces vermines ; Satoru n'aurait ni voulu ni supporté une telle corruption.

De plus, quand bien même il parviendrait à corriger ce monde de force, rien ne garantissait que son héritage perdure. Même si personne ne pourrait s'opposer à lui de son vivant, il était probable que toutes ses réalisations le suivraient dans la tombe car viciées par la peur et la violence, et le clan Gojo souffrirait de ses actions des générations durant, tout comme la lignée des Kamo subissait encore le blâme des crimes d'un de leurs renégats : Noritoshi Kamo, considéré comme le plus infâme exorciste de l'Histoire, bien que ce dernier soit mort depuis près de deux siècles.

La crainte était peut-être plus solide que l'amour, mais elle vivait bien moins longtemps.

Si jadis il n'avait pu se résoudre à abandonner son chagrin, par crainte de trahir la mémoire d'Izuna et du reste de ses frères tués par les Senju, aujourd'hui c'était différent ; Satoru ne lui en voudrait pas d'avoir continué à vivre, pour Shoko et pour Suguru. Non, ce que Satoru n'aurait jamais toléré, c'était qu'il devienne quelque chose de pire que la poignée d'égoïstes incompétents et avides gouvernant le monde de l'exorcisme.

« Je ne succomberai pas ! Et je continuerai à vivre, pour me souvenir de toi, mon frère ! »

Sa décision prise, il baissa sa main à peine levée, et pourtant plus menaçante que n'importe quelle lame.

« N'insultez pas mon frère » ordonna-t-il, savourant avec un certain plaisir la peur que manifesta l'Aînée en déglutissant. « Satoru a plus accompli pour ce monde en seize ans d'existence que vous tous réunis ne pourriez jamais le faire en mille ans. »

Sur ces mots simples mais fermes, il retourna au centre, attendant qu'ils retrouvent le courage de lui faire face. Il se fichait bien que certains aient pu comprendre la nature de son intention.

« Arashi Gojo, » reprit une voix lente et mesurée, presque douce, « cette convocation n'a en aucun cas pour but de salir la mémoire de ton frère, mais de décider de ta sentence pour avoir enfreint les articles 1 et 7 du Code de l'exorcisme et bafoué le plus important de nos préceptes. Je suppose que tu es conscient des termes de ces articles et de ce précepte ? »

« Quelque chose comme "La mission d'un exorciste est de prévenir les dommages causés à l'humanité par l'occultisme et de gérer les menaces représentées par les esprits maudits, les reliques ainsi que les maîtres des fléaux", je crois. Quant au précepte en question, jamais un exorciste ne doit user de ses pouvoirs, d'une invocation ou d'un objet maudit pour nuire d'une quelconque façon à un non-sorcier. »

« Tout à fait » poursuivit la voix. « Bien que tu aies oublié de mentionner qu'un apprenti, quel que soit son grade, n'est autorisé à mener une enquête ou une mission que sur l'autorisation du Conseil ou de son professeur, chose que tu n'as manifestement pas faîte dans le cas présent. Et contrairement à l'incident survenu il y a près de neuf ans à Shinjuku, tu n'as aucune justification. »

Il se hérissa légèrement à cette affirmation, s'efforçant de chasser de son esprit l'image de cette ruelle sombre où Akiko avait perdu la vie. Il devint alors très conscient du magatama qui pendait à son cou, dissimulé sous son uniforme.

« Aucune justification ? Le Culte Astral a embauché le Tueur d'exorcistes dans l'unique but d'assassiner Riko Amanai, et cet objectif a réussi. Les actions de cette maudite secte contre la Société n'auraient pu être excusées. La démanteler comme vous l'auriez fait se serait révélé insuffisant sur le long terme ; les dirigeants du Culte l'auraient reformé sous une forme ou une autre. Les éliminer alors qu'ils étaient tous réunis à la Maison des Enfants de l'Étoile était une nécessité. »

« Une nécessité ? » s'indigna la voix appartenant à la femme. « Rien ne peut justifier la violence dont tu as fait preuve, et encore moins ton usage de... »

« Avez-vous été examinée les cadavres par vous-même ? » l'interrompit-il.

Face à l'absence de réponse, il continua.

« Il est vrai que j'ai eu recours à mon sort inné pour me rendre au siège du Culte, mais je peux vous assurer que pour leur arracher ongles, dents et yeux, et leur trancher phalanges et orteils, je n'ai utilisé ni technique ni objet maudit, simplement une pince et une cisaille. Pour la décapitation, je me suis simplement servi d'un katana qui faisait office de décoration dans une de leurs salles de réunion. »

Il ne ressentait ni joie ni satisfaction à énoncer son crime, mais il ne pouvait nier que sentir le flux de leur énergie occulte s'agiter et leur respiration s'accélérer lui permettait presque de ne pas penser à la mort de Satoru.

« Lorsqu'on a une certaine connaissance de l'anatomie, parvenir à trancher une tête d'un coup net en évitant les vertèbres n'est pas bien difficile. » ajouta-t-il avec la même nonchalance.

Cependant, une présence particulière ne paraissait pas perturbée par ses mots. Au contraire, elle semblait même amusée. Si sa mémoire ne le trahissait pas, il s'agissait du même Aîné ayant pris son parti lors de sa précédente convocation.

« Ce qui signifie que ma soi-disant violation du précepte le plus important du Code peut être exclue du reste de mes transgressions. »

Il pouvait sentir leur colère s'attiser, tandis que l'amusement de l'aîné singulier devenait évident.

« Ne joue pas sur les mots ! » s'écria à nouveau la vieille femme, son ton dégoulinant de fureur masquant le tremblement de sa voix. « Tu as assassiné des non-exorcistes ! De ce fait, tu as pris le risque de révéler l'existence de notre monde ! »

Il leva les yeux au ciel face à la preuve de leur incompétence. Ils perdaient du terrain, et ils en étaient conscients.

« J'en doute. Il s'agissait de non-exorcistes qui avaient connaissance de l'occultisme, et possédaient des informateurs au sein de la Société... La divulgation de l'identité du Plasma Stellaire ainsi que l'engagement de Toji Zenin en est la preuve. Leur rôle dans l'échec de l'Assimilation, la mort de mon frère, et l'agression de Suguru Geto est indéniable. »

Aucun d'eux ne put réfuter cela. Il avait l'impression de les entendre grincer des dents, amenant l'ombre d'un sourire sur ses lèvres.

« Nous devrions te bannir à vie du monde de l'exorcisme, misérable insolent » grogna furieusement la voix venimeuse.

Croisant les bras, il jeta un regard peu impressionné à la porte dissimulant l'aîné.

Il répondit à le menace par le ton le plus monotone et détaché dont il était capable :

« Faîtes-le. »

Le silence s'abattit dans la salle alors que sa mise au défi résonnait.

Il patienta quelques minutes, connaissant déjà leur réponse ; et celle-ci était... rien.

Ils ne pouvaient le bannir. Ils n'oseraient jamais mettre à exécution cette menace dont il se souciait à peine, pour la simple raison qu'ils n'avaient pas plus de moyen de le contrôler que de le neutraliser. Avec Satoru disparu, sa seule faiblesse n'existait plus – pas qu'ils auraient été capables de se servir de lui pour l'atteindre de toute manière –, et il était désormais le seul rempart entre la Société Occulte et des esprits maudits plus forts et dangereux qu'ils ne l'avaient été depuis des siècles. C'était sans compter l'échec de l'Assimilation qui annonçait un avenir peu radieux pour la Société, et même le Japon tout entier.

Encore une fois, ils avaient oublié que le pouvoir qu'ils détenaient n'était que purement politique ; une chose éphémère et superficielle qui n'avait d'importance que pour les faibles ou ceux qui s'en souciaient. Or, il n'appartenait à aucune de ces catégories. Ces vieillards corrompus avaient du pouvoir, mais ne savaient pas ce qu'était la force véritable, à l'inverse de lui qui en avait et en comprenait jusqu'à l'essence. La force était la capacité de réaliser ses souhaits comme on le désirait, qu'il s'agisse de la survie, d'un projet, ou du simple acte de rejeter, voire de détruire ce qui nous semblait répugnant sans en craindre les conséquences.

« C'est ce que je pensais. »

Il s'apprêtait à quitter la pièce lorsque la voix de celui dont il avait perçu l'amusement s'éleva.

« Je pense en effet, chers camarades, qu'il ne serait pas totalement déraisonnable de prendre en compte quelques circonstances atténuantes. »

Plusieurs haletèrent de choc face à ce commentaire, d'autres se mirent à protester avec véhémence, épuisant davantage sa patience.

« Ce garçon a souligné un point important » reprit la voix après que le silence fut réclamé. « La Confrérie du Réceptacle temporel était une épine dans notre pied depuis fort longtemps. La violence dont Arashi Gojo a fait preuve, bien qu'inexcusable, a néanmoins permis d'y mettre fin. Si comme il l'affirme, aucune technique occulte ou objet maudit n'a été utilisé, alors selon le Code de l'exorcisme, des sentences telles que la peine capitale ou la désignation comme maître des fléaux ne peuvent être appliquées. De plus, il a accompli la mission qui lui a été confiée : à savoir éliminer Toji Zenin dont les actions ont fait de nombreuses victimes au sein de notre institution. »

« Qu'avez-vous à nous proposer dans ce cas ? » demanda le plus âgé des supérieurs avec froideur. « Vous ne comptez pas l'exempter de toute punition ? »

La voix semblait à nouveau amusée.

« Oh non. Ce garçon mérite d'être sanctionné. »

Il roula des yeux à cela, se remémorant avec ennui son jugement par les hautes figures du clan Gojo des années auparavant.

« Je suggère une suspension. »

Cela parut satisfaire la majorité du conseil, quatre d'entre eux sur six ayant approuvé cette proposition.

« Arashi Gojo, pour violation des articles 1 et 7 du Code de l'exorcisme, ton statut d'apprenti et ton grade te sont retirés, et tu es exclu de la Société Occulte pour une année complète. »

Il se détourna d'eux et sortit sans un mot à l'instant où l'aîné eut terminé sa phrase, ayant du mal à imaginer où cette clique de réactionnaires séniles avaient trouvé l'énergie de se déplacer de Kyoto jusqu'à Tokyo simplement pour lui annoncer une suspension.

C'était une chance que Shiu Kong n'ait pas encore été retrouvé. Autrement, cette convocation aurait pu se terminer d'une bien pire façon, autant pour lui que pour eux.

Alors qu'il descendait les marches, il se rappela que cette journée était initialement censée voir se dérouler l'Assimilation ainsi que la préparation pour l'Amicale. Il n'était donc pas surprenant que le Haut Commandement soit présent, d'autant plus que Yaga venait officiellement d'être annoncé comme le nouveau proviseur de l'École de Tokyo, même s'il ne prendrait ses fonctions qu'à partir de la rentrée de septembre.

S'autorisant enfin à relâcher sa garde, il soupira profondément, et massa sa tempe dans une tentative de calmer la douleur qui pulsait dans sa tête. Il ne désirait rien de plus que se laver et oublier cette horrible journée en s'écroulant sur son lit, mais il ne pouvait pas. Pas encore... Car malgré son épuisement, il lui restait une dernière tâche à accomplir avant de pouvoir commencer le deuil de son frère.

Il leva les yeux vers l'horizon, savourant l'incroyable spectacle qu'offrait les couleurs du crépuscule et la douce chaleur des dernières lumières du jour. Il prit plusieurs bouffées de l'air frais de la montagne, se délectant de sa pureté presque totale, puis se remit en marche.


Malgré sa fatigue, Arashi interdit à son corps d'en manifester le moindre signe. Suguru était dans un bien pire état que lui, autant en raison de son manque de sommeil que du fait qu'il n'était pas un guerrier familier avec le stress et l'épuisement comme lui l'était.

Son ami avait besoin d'un rocher auquel rester ancré, encore plus alors qu'ils récupéraient soigneusement les os d'Amanai de ses cendres. Néanmoins, il se sentait tout de même comme un étranger, un intru, une présence indésirable dans l'accomplissement de ce rite, car Amanai n'avait rien été pour lui, si ce n'est un outil, un instrument dont il s'était servi pour attirer ses meurtriers indirects entre ses griffes. Et il ne l'avait même jamais rencontrée avant sa mort.

Il avait une fois de plus réduit une vie humaine à un simple moyen. Et même s'il ne regrettait rien, il était néanmoins parfaitement conscient de l'immoralité de son acte.

Connaissant par le biais de Satoru l'amour de la jeune fille pour la mer et son statut d'orpheline, Arashi utilisa la Dématérialisation, grimaçant à peine à la sensation de brûlure qui jaillit dans son cerveau, pour se transporter lui et Suguru sur une falaise surplombant l'océan ; un lieu d'une grande beauté naturelle que Akiko lui avait fait découvrir alors qu'il souffrait de la perte de sa mère.

À cette pensée, il passa inconsciemment sa main sur le magatama pendu à son cou.

Même s'il lui restait encore deux personnes pour lesquelles continuer de vivre et de lutter en valait la peine, cette vieille compagne dont il pensait enfin s'être débarrassé en laissant derrière lui le monde shinobi l'avait de nouveau saisi dans son étreinte cruelle et froide. Il n'y avait plus personne pour comprendre et partager ses souffrances, plus personne pour sonder les profondeurs de son âme sans risquer de s'y perdre ou se tenir à ses côtés au sommet. Par sa simple présence, elle vidait de le monde de sa lumière, de sa chaleur, et de ses couleurs, ouvrant la voie à ses alliés qui permettaient eux-mêmes aux ténèbres de ronger le cœur.

Et il savait que l'ombre de cette solitude et du mal qu'elle engendrait planait sur son ami.

Ils dressèrent la tombe d'Amanai sur cette même falaise, et déposèrent ses restes dans la terre. Alors qu'ils complétaient son inhumation, il lui promit silencieusement de protéger Suguru de tout cela, car il connaissait l'affection que la jeune fille avait eu pour ce dernier, bien qu'elle n'eût la chance de le connaître que bien peu de temps, et pressentait que sa perte serait source de malheur à l'avenir.

« Tout ce qu'elle voulait, c'était plus de temps... Tout ce qu'elle demandait, c'était... vivre. »

Il posa une main sur l'épaule de Suguru dans l'intention de lui offrir ne serait-ce qu'un peu de réconfort.

« Amanai reposera en paix. Elle sait qu'elle a été vengée ; de la marionnette ayant appuyé sur la détente jusqu'aux véritables instigateurs de sa mort. »

Suguru était bien conscient que le meurtre de Toji Zenin et le massacre du Culte Astral avaient davantage servi à soulager la douleur d'Arashi quant à la perte de son jumeau qu'à punir les coupables du meurtre d'Amanai. Ce dernier ne l'avait même jamais rencontrée.

L'image de ce monstre portant le visage d'Arashi, de ces yeux rouges auxquels il manquait cette lueur si... humaine, de cette foule d'adeptes célébrant la mort prématurée et provoquée d'une jeune fille, ne cessait de hanter son esprit. Il n'avait même pas besoin de fermer les yeux pour replonger dans cette salle où résonnait les applaudissements de ces répugnants sin...

« Suguru » l'appela doucement la voix d'Arashi, l'arrachant à ces pensées dangereuses.

Il sentit sa mâchoire se relâcher et son poing se desserrer, le faisant réaliser à quel point ce souvenir l'avait tendu.

« Rentrons. Tu as besoin de repos. »

Il hocha docilement la tête, et la Dématérialisation se déclencha, et en un instant, ils étaient à nouveau dans l'enceinte de l'école.

À peine eurent-ils quitté la dimension subspatiale qu'Arashi tomba à genoux, le souffle court et un inconfort certain dans la poitrine. Le simple fait de respirer semblait lui demander un effort particulièrement intense. Son cerveau lui paraissait être en feu, et il sentit du sang s'écouler de son nez.

Suguru s'agenouilla immédiatement à ses côtés, ignorant ses propres plaies douloureuses.

« Toi aussi. »

Il l'examina rapidement.

« Te surmener t'a donné mauvaise mine... »

« C'est simplement le contre-coup de ma technique. Une utilisation excessive de la Déformation altère ma structure corporelle, ce qui fait que mon corps absorbe moins d'oxygène. »

Arashi essuya le sang coulant de sa narine, et se remit debout pour confirmer qu'il allait bien.

Suguru demeura sceptique, la vue du sang et la douleur qu'il savait pulser dans la tête de son ami avaient fait naître en lui une certaine inquiétude. Il ne permettrait pas la perte d'un autre compagnon.

« Dans ton cas, Suguru, tu dois absolument te ménager. Même si ce misérable de Zenin n'avait pas l'intention de te tuer, je présume que tu comprends ce que le fait que ni mon sort d'Inversion ni celui de Shoko n'ait pu guérir tes blessures signifie ? »

Bien entendu, il l'avait compris. Il murmura la réponse avec apathie, tout en gardant les yeux au sol.

« Que je survivrais ou... que je mourrais. »

Il fut surpris de ne pas réellement se soucier de cette éventualité effrayante et funeste. Il entendit son ami soupirer.

« Tu n'aurais pas dû venir... »

Un souffle lui échappa alors qu'il serrait les dents, manquant de grogner à ces mots qui lui semblèrent à peine moins qu'une injuste réprimande d'un adulte faîte à un enfant ayant voulu bien faire.

Suguru sentit une main réconfortante se poser sur son épaule, calmant sa colère.

« Mais merci. »

Il eut un sourire faible et fatigué, teinté d'une petite pointe d'amusement, puis prit le chemin du dortoir.

Désormais seul à nouveau, Arashi s'autorisa à grogner légèrement sous l'atroce douleur qui le rongeait.

Le jugement de Suguru n'était pas incorrect ; son combat contre le Tueur d'exorcistes avait fait des ravages sur son corps, et sans une maîtrise plus avancée du sort d'Inversion, il lui faudrait s'accorder le temps de guérir. Cependant, il ne pouvait pas encore se reposer, pas avant d'avoir enterré son frère.

Laissé à son chagrin, il se dirigea lentement vers l'infirmerie, plus précisément vers la pièce aménagée en morgue.

Plus que tout, il désirait revoir Satoru une dernière fois avant que ses cendres ne soient rendues à la terre.

Cependant, alors qu'il s'approchait du bâtiment, Shoko en sortit, semblant plus épuisée que jamais.

Elle empestait le tabac et l'alcool.

Le silence persista entre eux alors qu'elle plongeait son regard fatigué dans le sien. Il résista au besoin de détourner les yeux, son cœur lui paraissant atrocement lourd, ce qu'une part de lui trouva absurde.

Depuis quand un shinobi avait-il honte que ses proches le voient comme le guerrier et l'assassin qu'il avait été façonné à être ?

La raison lui rappela que même s'il demeurerait toujours un adepte du Ninjutsu, aujourd'hui il était d'abord un exorciste. Un exorciste ne tuait pas. Un exorciste exorcisait. Ôter la vie à un être humain n'était pas la même chose que de mettre fin à l'existence d'un esprit maudit.

Personnellement, il ne faisait guère de différence. Un ennemi restait un ennemi, peu importe son espèce, son sexe, son âge, et ses motivations. Et la morale n'avait pas réellement sa place dans une guerre.

Cependant, en ce monde, jamais il ne lui avait été appris à tuer, voler, trahir, comploter, et torturer.

« Est-ce que c'est vrai ? » demanda-t-elle. « Ce qu'ils disent... »

« Ça l'est. » admit-il avec aisance.

Elle soupira, puis alluma une énième cigarette qu'elle porta à ses lèvres.

« Comment va Suguru ? »

Il était reconnaissant qu'elle ait choisi de détourner la conversation de son crime.

« Difficile à dire. Physiquement, il semble se porter relativement bien, mais encore faut-il que ses blessures guérissent. Mentalement, en revanche... »

Il n'avait pas manqué l'obscurité naissante dans les yeux de Suguru. Seul l'avenir lui apporterait une réelle réponse, mais il savait que la mort de Satoru et d'Amanai avait changé leur ami à jamais.

Shoko tira une bouffée de sa cigarette, la fatigue dans ses yeux semblant s'accroître, et acquiesça avec compréhension avant d'ajouter :

« Dis-moi juste que tu n'as pas transformé la pièce des ancêtres en bain de sang. »

« Je ne l'ai pas fait. »

« Pourquoi ? »

Elle paraissait sincèrement étonnée, et il ne pouvait lui en vouloir de penser ainsi.

« Parce que leur mort aurait été inutile. »

Elle eut un rire amer.

« Bien sûr... »

Le silence s'installa à nouveau entre eux alors qu'elle tirait une bouffée particulièrement longue de sa cigarette, et il observa son corps se détendre. Malgré sa nonchalance et son manque d'intérêt pour la plupart des choses, Shoko était aussi sujette au stress et à la fatigue que n'importe qui, et il pouvait voir comment cette horrible journée l'impactait ; des cernes violacés commençaient à se dessiner sous ses beaux yeux brun miellé.

Il se sentit mal d'être en partie responsable de son état.

« Il y a quelque chose que tu dois voir là-dedans. » déclara-t-elle avec apathie en pointant l'infirmerie derrière elle. « Je te préviens, tu risques d'avoir un choc. »

Arashi fronça les sourcils, se demandant ce que cela pouvait signifier. Il avait déjà découvert le cadavre mutilé de Satoru, et accepté sa disparition comme une réalité. Que pouvait-elle bien vouloir dire ?

Même si sa raison ne trouva aucune réponse, son instinct lui s'agita tandis que sa perception sensorielle capta une agitation dans l'espace, et une horrible pensée lui vint, provoquant la contraction de son estomac.

Ces vermines avaient-elle demandé à ce que le corps de Satoru soit disséqué, dans une tentative tordue de percer le secret de l'Infini et du Sixième Œil ?

L'adrénaline jaillit dans ses veines, son cœur s'accéléra, et il se rua dans le bâtiment, manquant à peine de renverser plusieurs assistants sur son passage. Il n'entendait plus rien ni ne se souciait de quoi que ce soit, son attention entièrement concentrée sur sa destination, préparant ses muscles à procéder au massacre complet de tous ceux qui oseraient profaner la dépouille de son frère.

Il enfonça brutalement la porte, la brisant et la projetant hors de ses gonds sur le mur, et s'arrêta un instant pour observer les moindres recoins de la pièce, s'attendant à y voir un médecin légiste et deux ou trois assistants préparer le transfert du corps de Satoru vers la morgue.

Cependant, la vue qu'il rencontra fut tout autre, bien qu'elle le laissa néanmoins figé de pure incrédulité. Il en oublia même de respirer alors qu'un flot d'innombrables pensées, émotions et sentiments jaillissait dans son esprit. Le choc, l'incompréhension, le chagrin, la souffrance, et enfin l'espoir...

Satoru se tenait devant lui, couvert de sang séché, les cheveux plus ébouriffés que jamais avec plusieurs mèches lui tombant sur le visage, contemplant et même ressentant l'infinie beauté du monde qui se manifestait par un sublime coucher de soleil sur lequel l'école offrait une vue parfaite. Ce dernier se tourna au bruit de la porte dégondée, et leurs regards célestes se croisèrent.

Impossible... C'était impossible.

Satoru était mort, tué par Toji Zenin au terme d'un combat à mort. Il avait vu de ses propres yeux son cadavre atrocement mutilé gisant sur le sol archaïque de l'école. Son sang salissait encore la main ayant repoussé ses mèches blanches ensanglantées. Et pourtant, il était là, en chair et en os, sa force occulte aussi saine et paisible que possible.

Parvenant enfin à retrouver l'usage de ses muscles, Arashi fit un pas hésitant en avant. Des larmes se mirent à couler abondamment de ses yeux.

Satoru s'avança à son tour, jusqu'à se retrouver face à son jumeau.

Arashi tendit une main tremblante vers le visage de son frère, comme si cette main allait le traverser.

« Sa... Satoru... » haleta-t-il.

Les Yeux de Samsâra, sa perception sensorielle, son instinct, son cœur et son âme lui répondirent positivement. Sa main atteignit la joue de son frère, sa peau pâle aussi douce que sa mémoire le lui rappelait, mais il paraissait différent. Le contact de la Mort l'avait transformé d'une manière que des mots ne suffiraient pas à exprimer.

La lueur dont brillait le Sixième Œil semblait plus intense, plus pure, plus forte que tout, rappelant les Yeux de Samsâra. La lumière et la puissance y rayonnant ne pouvaient être qualifiées d'autre chose que... divines.

Satoru était éveillé.

« C'est... C'est vraiment toi ? »

« Vivant, et en pleine forme ! » s'écria-t-il, un sourire étrange, presque dérangé, se dessinant sur son visage.

Il releva ses mèches, révélant sa seconde blessure mortelle parfaitement guérie et cicatrisée, désormais si légère qu'elle ressemblait à la plus superficielle des coupures.

« C'est dommage pour ce foutu gorille ! Il aurait dû me décapiter ou me perforer le cerveau avec son objet maudit ! »

Toujours en proie à la plus forte des confusions, Arashi ne put qu'articuler : « Toji Zenin est mort, Satoru. Je l'ai tué, pour te venger. »

« Je sais ! Shoko me l'a dit ! » reprit-il presque dans un hurlement, agitant les bras avec une certaine frénésie, comme un maniaque. « Ça y est, petit frère ! Je le maîtrise enfin, ce putain de sort d'Inversion ! J'en reviens toujours pas qu'il m'ait fallu embrasser le dieu de la Mort pour choper le truc ! La force occulte est négative, elle peut renforcer le corps mais pas le régénérer ! Par contre, si on combine plusieurs négatifs, ça finit par créer du positif ! C'est juste ça, le sort d'Inversion ! C'est super facile, en fait ! Mais j'avais jamais réussi avant ! Je pigeais pas les explications ! Ça me foutait des nœuds au cerveau ! »

Il paraissait... drogué, délirant, en pleine ivresse hallucinatoire.

« Juste avant de mourir, j'ai compris la vraie nature de la force occulte et tous ses secrets ! Exactement comme toi ! »

Satoru reporta son regard sur son frère, et éclata de rire. Un rire tordu qui résonna dans toute la pièce, et que absolument aucune personne saine d'esprit ne pourrait trouver agréable.

« Il paraît que t'en as fait du Kit Kat de ce foutu gorille de Zenin ! Comment t'as fait ?! Et tu crois pas qu'on devrait le renommer maintenant ?! J'avais pensé à To/ji ! Parce que tu l'as coupé en deux ! Ou... »

Il fut interrompu dans son monologue par Arashi qui rompit le peu de distance qui les séparait et l'enlaça avec la plus grande force et la plus grande tendresse, y déversant chaque once de l'amour inconditionnel et infini qu'il lui portait.

Satoru resta figé quelques instants, incapable de pleinement saisir de tels sentiments dans son état actuel. Il se sentait tout simplement submergé par le pouvoir incommensurable qui s'agitait en lui. Son don oculaire paraissait avoir évolué ; le monde était plus lumineux, plus net et plus beau que jamais, et il distinguait le flux, les subtilités et les caractéristiques de la force occulte mieux qu'il ne l'avait fait hier encore même en se concentrant intensément. Expliquer ce que voyait le Sixième Œil constituait un acte assez complexe ; ce serait comme essayer d'expliquer la sensation de respirer la lumière, ou le fait de regarder un son, d'en sentir la saveur. C'était difficile d'expliquer ce qu'on pouvait ressentir lorsque l'on voyait... tout.

Et avec son éveil, sa vision de la force occulte avait elle aussi changé. Il l'avait toujours comprise mieux que quiconque, excepté Arashi, grâce à son don oculaire, mais désormais il faisait bien plus que la comprendre ou la voir. Il pouvait la regarder, la ressentir, la saisir, la percevoir d'une manière bien plus profonde que ne pourrait jamais le faire ses sens physiologiques. Désormais il pouvait la sentir, cette chose qu'Arashi lui avait décrite en sortant de son isolement : l'essence même de la force occulte.

L'étreinte de son frère l'arracha à sa douce mais dangereuse euphorie, et il finit par l'enlacer à son tour, enfouissant son visage dans le creux de son cou. Maintenant que l'énergie positive ne circulait plus en lui, il se sentait comme... vide. Une désagréable impression de froid lui était venue, et il aspirait à la chaleur de son jumeau. Les larmes lui vinrent finalement alors que les derniers résidus du sentiment de toute-puissance déclenché par son éveil s'éteignirent.

Satoru se sentait à nouveau humain.

Les jumeaux continuèrent de s'étreindre, en oubliant jusqu'à l'existence du monde les entourant. L'un comme l'autre, ils se moquaient que quiconque, y compris les vieux gâteux de leur clan ou le ramassis de vipères du Haut Commandement, puisse les voir pleurer eux, les plus puissants des exorcistes. Ils s'en moquaient bien. À cet instant, seule comptait la chaleur émanant de l'un dont l'autre profitait avec une pure joie dans un silence paisible.

Durant un temps qu'ils ne parvinrent pas à déterminer, malgré leurs dons oculaires, ils étaient restés là, debout au centre de la pièce à se fondre dans cette étreinte que même la chaleur de l'été ne pouvait rendre incommodante. La sueur commençait à perler sur leur peau lorsque Arashi usa une nouvelle fois de la Dématérialisation pour les amener dans sa chambre où la soif l'obligea à lâcher Satoru.

Ils se débarrassèrent de leurs chaussures, et s'effondrèrent sur le lit avant de s'envelopper dans les couvertures propres sans prendre la peine d'enlever leurs vêtements tâchés de sang et de crasse. Bien qu'adapté à leur haute taille, le lit était assez étroit et ils étaient l'un comme l'autre beaucoup plus grands que la dernière fois qu'ils avaient dormi ensemble. Néanmoins, cela n'importait pas, et ils ne ressentirent aucun inconfort alors qu'ils se serraient l'un contre l'autre.

Ils n'avaient pas besoin de mots. La simple perception de la force occulte, porteuse et révélatrice des émotions comme des sentiments plus que n'importe quel moyen d'expression, leur suffisait, en particulier à Arashi qui se laissa bercer par le rythme calme et paisible, semblable à la mer, de celle de Satoru. Se remémorant l'atroce angoisse provoquée par la disparition de cette sensation, il resserra son étreinte autour de son frère endormi.

Leurs âmes n'étaient peut-être pas issues de la même essence, mais ils ne cesseraient jamais d'être liés par le cœur, par le sang, et par la force occulte. Ils n'étaient pas seulement frères, ils étaient jumeaux. Ils étaient nés ensemble, et vivaient l'un pour l'autre.

Alors que le sommeil le réclamait et que les dernières larmes de ce jour s'écoulaient de ses yeux, Arashi se retrouva à rendre grâce à la puissance supérieure l'ayant amené dans ce monde, la remerciant que Satoru ne lui ait pas été enlevé.

Leur paix ne durerait pas, il en avait bien conscience, mais cela ne l'empêcha pas de savourer ces instants de bonheur, sachant que quoi qu'il adviendrait à l'avenir, ils seraient ensemble, comme leur mère l'avait souhaité.